COM (2004) 334 final  du 30/04/2004

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 18/05/2004
Examen : 07/07/2004 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et affaires intérieures

Livre Vert sur le rapprochement, la reconnaissance mutuelle et l'exécution des sanctions pénales dans l'Union européenne

Texte E 2587 - COM (2004) 334 final

Communication de M. Hubert Haenel du 7 juillet 2004

Le principe de subsidiarité, défini à l'article 5 du traité instituant la Communauté européenne et visé à l'article 2 du traité sur l'Union européenne, s'énonce de la manière suivante :

« La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité.

Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire.

L'action de la Communauté n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité ».

La Convention sur l'avenir de l'Europe a fait de la subsidiarité un des axes de ses travaux et elle a formulé des propositions innovantes pour assurer un contrôle effectif du respect du principe de subsidiarité par les parlements nationaux. Il s'agit principalement de la création d'un mécanisme d'« alerte précoce » en amont de la procédure législative, complété par un droit de saisine, direct ou indirect, de la Cour de justice par les parlements nationaux, après l'adoption d'un texte normatif. Ce dispositif a été repris intégralement par la Conférence intergouvernementale, ce qui illustre le consensus dont il fait l'objet, et il figure donc dans le texte de la Constitution adopté lors du Conseil européen des 17 et 18 juin derniers.


DISPOSITIONS DU TRAITÉ CONSTITUTIONNEL EN MATIÈRE DE CONTRÔLE DE LA SUBSIDIARITÉ PAR LES PARLEMENTS NATIONAUX

À la suite des travaux du groupe de travail chargé de la subsidiarité, un large consensus s'est dégagé au sein de la Convention européenne pour prévoir dans la Constitution européenne un contrôle de la subsidiarité par les Parlements nationaux reposant sur un double mécanisme, en amont et en aval de la procédure législative.

- Dans un premier temps, les parlements nationaux pourront intervenir par un mécanisme d'« alerte précoce » : lorsque la Commission présentera une proposition législative, les parlements nationaux - chaque chambre pour les parlements bicaméraux - pourront, dans un délai de six semaines, adresser un « avis motivé » à la Commission pour lui indiquer qu'ils considèrent que tel ou tel aspect de cette proposition ne respecte pas la subsidiarité. Si un tiers des parlements nationaux adresse des « avis motivés », la Commission est tenue de réexaminer sa proposition et de justifier sa décision si elle maintient son texte.

- Dans un deuxième temps, la Constitution établit la possibilité d'une saisine de la Cour de Justice par les parlements nationaux pour faire respecter la subsidiarité. Les modalités de cette saisine seront définies à l'échelon national.

Comment ce mécanisme d'alerte précoce sera-t-il mis en oeuvre en pratique ? Cette question fait ici et là l'objet de premières réflexions. C'est un sujet que le Sénat devra aborder le moment venu.

Il a paru intéressant de faire une première expérience sur le Livre vert, que la Commission européenne a présenté le 30 avril dernier, portant sur le rapprochement, la reconnaissance mutuelle et l'exécution des sanctions pénales dans l'Union européenne.

L'harmonisation pénale constitue, en effet, un sujet sensible. Ainsi, en raison des réticences de certains États, comme le Royaume-Uni, au passage de l'unanimité à la règle de la majorité qualifiée au sein du Conseil, qui a finalement été retenue par la Conférence Intergouvernementale, le compromis issu des négociations a introduit, pour tout texte relatif à l'harmonisation pénale, une clause d'appel permettant à un État de demander que le Conseil européen soit saisi s'il estime que ce texte porte atteinte à des aspects fondamentaux de son système juridique. En contrepartie, le recours au mécanisme de la coopération renforcée sera facilité dans ce cas de figure puisque, en cas de blocage durable sur le texte en cause, une coopération renforcée pourra être lancée automatiquement dès lors qu'au moins un tiers des États membres en décident ainsi.

Si l'harmonisation du droit pénal et de la procédure pénale soulève des réticences, ce n'est pas seulement en raison des différences importantes entre les traditions et les systèmes juridiques des États membres, avec en particulier la distinction entre le système accusatoire et le système inquisitoire ; c'est, plus fondamentalement, parce que nous touchons là à des domaines qui sont au coeur de la souveraineté des États et que le droit pénal revient en réalité à définir le bien et le mal. Il s'agit donc d'un domaine pour lequel il importe de faire preuve de la plus grande vigilance au regard du respect du principe de subsidiarité. Éviter les harmonisations non nécessaires, c'est aussi éviter des tensions politiques inutiles.

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il a été prévu dans le traité constitutionnel de renforcer le mécanisme d'alerte précoce pour tout ce qui concerne la coopération policière et judiciaire en matière pénale. En effet, le seuil nécessaire pour déclencher ce mécanisme a été abaissé d'un tiers à un quart pour ces domaines.

Enfin, étant donné que la Commission européenne et les États membres doivent définir à l'automne prochain les futures priorités de l' « espace de liberté, de sécurité et de justice » dans le cadre d'un programme « Tampere II », il peut sembler utile d'engager ainsi une réflexion sur les moyens d'assurer une meilleure application du principe de subsidiarité en matière pénale.

I. L'OBJET DU LIVRE VERT SUR LE RAPPROCHEMENT, LA RECONNAISSANCE MUTUELLE ET L'EXÉCUTION DES SANCTIONS PENALES

A partir d'un bref descriptif des législations nationales et des différentes actions entreprises par l'Union européenne dans le domaine pénal, la Commission européenne s'interroge dans ce Livre vert sur la question de savoir si l'existence de divergences importantes entre les systèmes des États membres en matière de sanctions pénales, peut constituer un obstacle à la réalisation de l' « espace de liberté, de sécurité et de justice ».

L'harmonisation pénale constitue avec le principe de la reconnaissance mutuelle et la création d'organes judiciaires intégrés l'un des trois instruments utilisés pour renforcer la coopération judiciaire en matière pénale au sein de l'Union européenne. Cette harmonisation a été expressément prévue par le traité d'Amsterdam pour la criminalité organisée, le terrorisme et le trafic de drogue. Elle a toutefois été utilisée de manière plus étendue, par exemple pour la protection de l'environnement ou pour lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie.

L'harmonisation ne signifie pas l'unification, car elle n'entraîne pas l'adoption d'un texte unique. Elle vise, plus modestement, à rapprocher certains éléments tout en laissant des marges de manoeuvre aux États membres. Elle ne s'effectue, en effet, que par l'instrument de la décision-cadre, qui, à l'image d'une directive, nécessite d'être transposée dans le droit national. De plus, le rapprochement porte essentiellement sur la définition des incriminations et les peines privatives de liberté. Pour les incriminations, il s'agit de faire en sorte que les États membres prévoient d'ériger certains comportements en infractions pénales. Pour les sanctions, la formule généralement utilisée est de prévoir des « peines effectives, proportionnées et dissuasives ». De plus en plus, on utilise également la technique du « minimum du maximum ». Selon cette technique, un État membre doit prévoir dans sa législation pénale que telle infraction sera passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins X années.

Telle qu'elle est pratiquée actuellement au niveau européen, l'harmonisation pénale soulève de nombreuses difficultés. En effet, elle ne prend en compte ni la manière dont sont exercées les poursuites (légalité ou opportunité) ou la manière dont les peines sont prononcées, ni la durée effective de la peine, qui varie considérablement entre les États membres en raison des différences en matière de régime d'application des peines. Dans certains États, les condamnés effectuent l'intégralité de leur peine, alors que dans d'autres les réductions de peine sont largement utilisées. Par exemple, la peine maximale de vingt ans d'emprisonnement au Portugal se purge intégralement, alors qu'en Belgique une condamnation à perpétuité peut être réduite, en cas de bonne conduite, à douze ans de prison. Dans ces conditions, il existe, y compris pour les incriminations faisant l'objet d'une harmonisation au niveau de l'Union, des différences importantes entre les États membres en ce qui concerne la peine prononcée et la peine exécutée. Ces difficultés ont d'ailleurs conduit le Conseil des ministres de la Justice à élaborer une sorte d' « échelle de peines », lors du Conseil JAI des 25 et 26 avril 2002. Toutefois, cet instrument, à caractère indicatif, reste fondé sur la peine encourue et non sur la peine effective, comme cela avait été proposé par certains pays.

Partant de ce constat, la Commission européenne considère, dans ce Livre vert, qu'il faudrait s'attacher à l'ensemble de la problématique et pas seulement au rapprochement des peines applicables. D'après elle, « il n'est pas suffisant, par exemple, que des montants de peines similaires soient fixés dans les États membres, si une fois prononcées, les sanctions sont appliquées de façon plus souple ou plus sévère selon les pays. Le choix d'une sanction applicable entraîne nécessairement un choix quant aux modalités d'exécution de cette sanction ».

La Commission européenne envisage donc des mesures d'harmonisation au niveau européen dans plusieurs domaines, qui pourraient se résumer par les quatre questions suivantes :

1. Quelles sanctions le droit pénal permet-il d'imposer ?

2. Comment les infractions sont-elles poursuivies ?

3. Comment les sanctions sont-elles prononcées ?

4. Comment les sanctions sont-elles exécutées ?

Dans ce document de réflexion, la Commission européenne aborde donc des sujets aussi variés que le niveau des peines et la panoplie des sanctions disponibles (telles que les peines d'emprisonnement, les sanctions pécuniaires ou les peines alternatives), les règles en matière de poursuite (légalité ou opportunité) et les priorités en matière de politique criminelle, les règles de droit pénal général (telles que la tentative, la complicité, les circonstances aggravantes et atténuantes et la récidive) ou encore les règles et les pratiques en matière d'exécution des peines (comme, par exemple, les différentes formes de libération conditionnelle, les remises et réductions de peines, l'amnistie, la grâce, la réhabilitation, etc).

Je n'entrerai pas ici dans le détail des très nombreuses questions soulevées par le Livre vert de la Commission. Je m'en tiendrai à une évaluation sous l'angle du principe de subsidiarité des principales pistes de réflexion envisagées par la Commission dans son Livre vert.

II. L'APPRÉCIATION DU LIVRE VERT AU REGARD DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ

1. Les observations d'ordre général

Tout d'abord, avant même d'examiner la question au regard du principe de subsidiarité, on peut s'interroger sur l'existence d'une compétence de l'Union européenne, dans le cadre du traité de Nice, pour légiférer de manière étendue dans le domaine des sanctions pénales.

En effet, l'article 31 §1 lettre e) prévoit l'adoption progressive de mesures instaurant « des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue ». En outre, l'affirmation de la Commission selon laquelle l'article 31 §1 lettre c) du traité sur l'Union européenne (qui dispose que l'action en commun dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale vise entre autres à « assurer, dans la mesure nécessaire à l'amélioration de cette coopération, la compatibilité des règles applicables dans les États membres »), couvre aussi les règles sur l'exécution des sanctions pénales est loin d'être évidente. On pourrait tout aussi bien soutenir qu'il n'existe pas actuellement de base juridique dans les traités permettant à l'Union de légiférer dans ce domaine.

Ensuite, le postulat de la réflexion de la Commission selon lequel la très grande diversité des législations nationales en matière de sanctions pénales serait un obstacle à la réalisation de l'« espace de liberté, de sécurité et de justice » au niveau européen peut prêter à discussion.

Ainsi, l'idée avancée par la Commission selon laquelle la disparité existante en matière d'incriminations et de sanctions pénales dans l'Union inciterait les criminels à choisir l'État dans lequel ils commettent leur crime en fonction de la peine encourue peut prêter à sourire. On imagine mal, en effet, les criminels procéder à une comparaison des vingt-cinq codes pénaux des États membres alors que les juristes eux-mêmes ignorent souvent le droit pénal comparé. Cette idée ne paraît pouvoir jouer que pour certains domaines spécifiques, comme la criminalité informatique ou économique.

En outre, l'exemple des États fédéraux montre qu'un espace supranational peut très bien s'accommoder des différences en matière d'exécution des peines entre les entités fédérées. Ainsi, l'exemple de la Suisse est riche d'enseignement. En effet, si le législateur fédéral suisse a reçu dès 1898, il est vrai contre la volonté d'une demi-douzaine de cantons, la compétence d'unifier le droit pénal, ce qui a été fait au cours du XXe siècle, en revanche la Constitution de la Confédération suisse précise explicitement que l'exécution des peines et des mesures en matière de droit pénal est du ressort exclusif des cantons (article 123-2 de la Constitution de 1991).

Par ailleurs, il convient de prendre en compte, pour apprécier le bien fondé d'une éventuelle action européenne, les instruments juridiques internationaux existants, en particulier ceux du Conseil de l'Europe.

Ainsi, en matière de transfèrement des condamnés, il existe déjà une Convention du Conseil de l'Europe de 1983, de telle sorte qu'on ne voit pas pourquoi il faudrait prévoir un dispositif propre à l'Union européenne.

Enfin, et surtout, la Commission européenne ne semble pas faire de distinction dans son Livre vert en fonction du caractère national ou transnational de l'infraction.

Or, le critère essentiel d'une éventuelle action au niveau de l'Union doit être le caractère transfrontalier de l'infraction.

Comme le disait notre collègue Pierre Fauchon dans sa communication sur le Livre vert de la Commission relatif aux garanties procédurales accordées aux suspects et aux personnes mises en cause dans des procédures pénales dans l'Union européenne (texte E 2226) lors de la réunion de la délégation du 29 avril 2003 : « l'Europe ne pourra tout régler ; c'est une question d'efficacité et de respect du principe de subsidiarité. C'est aussi une question de réalisme, car s'engager dans la voie d'une uniformisation des procédures pour des infractions purement « nationales » ne manquerait pas de raviver les débats byzantins sur le respect des souverainetés ».

Il paraît avant tout nécessaire de trouver un bon équilibre entre, d'une part, l'harmonisation des législations nationales et, d'autre part, le principe de la reconnaissance mutuelle, qui a été érigé comme la « pierre angulaire » de l'espace judiciaire européen par le Conseil européen de Tampere d'octobre 1999.

En effet, l'harmonisation pénale ne peut être un but en soi. Comme le reconnaît la Commission européenne, « les différences entre les législations des États membres en matière de sanctions sont assez considérables. Ceci s'explique par des raisons historiques, culturelles et juridiques fortement enracinées dans les systèmes légaux qui ont évolué dans le temps et qui sont l'expression de la manière par laquelle les États ont été confrontés et ont répondu à des questions fondamentales dans le domaine du droit pénal. Ces systèmes présentent une cohérence interne et modifier des règles sans tenir compte de l'ensemble risque d'amener à des distorsions ».

De plus, telle qu'elle est pratiquée actuellement au niveau européen, l'harmonisation revient souvent à s'accorder sur le plus petit dénominateur commun. Or, si cela ne présente pas d'inconvénients pour les questions économiques, la matière pénale s'accommode mal d'une « harmonisation par le bas ».

Le principe de subsidiarité doit donc naturellement servir de critère pour juger de la pertinence d'une éventuelle intervention communautaire.

2. Les illustrations concrètes

Certaines actions envisagées par la Commission européenne semblent de nature à méconnaître le principe de subsidiarité, car la « plus-value » d'une action européenne ne paraît pas évidente. A l'inverse, il y a des domaines où l'Union européenne pourrait apporter une réelle « valeur ajoutée ». Enfin, il y a aussi certains domaines où l'on pourrait aller au-delà de ce que propose la Commission européenne dans son Livre vert.

a) Les domaines où une action européenne ne paraît pas indispensable

Ainsi, on peut légitimement se demander pour quelles raisons l'Union européenne devrait légiférer pour supprimer la réclusion criminelle à perpétuité, comme le propose la Commission européenne dans son Livre vert. L'argument selon lequel cette mesure éviterait des difficultés en matière d'exécution des peines dans un État qui ne connaît pas ce système ne paraît pas suffisant pour justifier une telle mesure. Celle-ci excède, à l'évidence, tant les compétences reconnues à l'Union par les traités, que ce qui est nécessaire pour réaliser l'objectif visé, à savoir renforcer la coopération judiciaire entre les États. On peut d'ailleurs observer que cette difficulté a été surmontée à propos du mandat d'arrêt européen, notamment avec le Portugal, et l'on ne voit pas très bien pourquoi l'Union européenne devrait intervenir dans ce domaine sensible si l'on tient compte du faible nombre de cas où cela serait susceptible de poser des difficultés en pratique.

De la même manière, on peut s'interroger sur la proposition de la Commission d'encadrer la marge d'appréciation du juge national par des « lignes directrices » au niveau européen pour le prononcé des peines. Une telle idée, qui semble inspirée de la procédure pénale anglo-saxonne, serait de nature à porter atteinte au principe d'individualisation des peines. Pour cette raison, il convient également de rejeter l'idée évoquée de fixer un minimum de peine, qui d'ailleurs avait été expressément exclue par une déclaration annexée au traité d'Amsterdam.

Enfin, de manière générale, en matière de peines alternatives et d'exécution des sanctions pénales, la reconnaissance mutuelle doit être la règle et l'harmonisation l'exception.

Compte tenu de la très grande disparité des législations nationales en la matière, a fortiori dans une Europe à vingt-cinq États membres, il est illusoire de penser que l'Union européenne pourra légiférer utilement dans le détail dans ces matières sans risquer de remettre en cause la cohérence des systèmes nationaux.

Est-il réellement nécessaire, par exemple, de vouloir harmoniser comme le propose la Commission les modalités régissant les peines alternatives, comme le travail d'intérêt général par exemple ? Qui peut sérieusement prétendre qu'il soit nécessaire de fixer au niveau européen, les conditions pour imposer un travail d'intérêt général, la durée et la nature du travail à exécuter, les contrôles ainsi que les sanctions du non respect des obligations qui en découlent, compte tenu des différences importantes existantes dans ce domaine, notamment entre les pays du Nord et du Sud de l'Europe ?

De même, faut-il véritablement engager un débat au niveau européen sur la libération anticipée, par exemple en prévoyant, comme l'envisage la Commission, un délai minimum commun d'incarcération ou un droit de regard de la victime ?

En réalité, la pleine application du principe de la reconnaissance mutuelle dans ces domaines pourrait remédier aux principales difficultés évoquées par la Commission européenne en matière d'exécution des peines à l'étranger.

b) À l'inverse, il y a des domaines où l'Union européenne pourrait apporter une réelle valeur ajoutée

Parmi les domaines où une action européenne pourrait apporter une véritable plus-value, la question de la récidive occupe une place particulière. En effet, comme l'ont illustré de manière tragique plusieurs affaires récentes de pédophilie, il n'existe pas actuellement de système suffisamment fiable permettant de prendre en compte dans un État les antécédents judiciaires d'une personne qui a fait déjà l'objet d'une condamnation dans un autre État membre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la Commission européenne d'un côté et plusieurs États membres de l'autre, en particulier la France, l'Allemagne et l'Espagne, mènent actuellement une réflexion en vue de l'élaboration d'une sorte de « casier judiciaire européen ». La prise en compte des condamnations pénales prononcées dans d'autres États membres, conformément au principe de la reconnaissance mutuelle, relève clairement de la construction d'un authentique « espace judiciaire européen ».

De la même manière, les déchéances de droits ou les décisions de confiscation devraient pouvoir être reconnues sur l'ensemble du territoire de l'Union.

Par ailleurs, un rapprochement en matière de sanctions pécuniaires s'avère souvent indispensable pour lutter contre la criminalité économique ou contre la criminalité environnementale, comme la pollution par les navires par exemple.

Enfin, un rapprochement en matière de responsabilité pénale des personnes morales pourrait s'avérer très utile dans certains cas, même si cela risque de soulever des difficultés car plusieurs États membres ne connaissent pas un tel système.

c) Enfin, il y a aussi des domaines où les propositions de la Commission ne vont pas assez loin

Ainsi, la Commission européenne demeure très timide sur certains aspects, notamment pour tout ce qui concerne la tentative, la complicité ou les circonstances aggravantes et atténuantes. En outre, certaines questions majeures comme les délais de prescription ne sont pas abordées. Or, pour certaines formes graves de criminalité transnationale, comme le terrorisme par exemple, il serait utile de rapprocher les législations nationales non seulement en matière d'incriminations et de peines d'emprisonnement, mais aussi pour couvrir ces différents aspects, de manière à donner la meilleure efficacité à la répression.

Par ailleurs, on peut regretter que la Commission européenne n'envisage pas la mise en place à l'avenir d'un Parquet européen, alors même qu'elle se prononce pour une unification des systèmes de poursuites. En effet, si le choix entre le principe de légalité ou le principe d'opportunité pour la mise en oeuvre des poursuites au niveau national doit demeurer de la compétence de chaque État, conformément au principe de subsidiarité, la lutte contre certaines formes graves de criminalité transnationale rend indispensable la création d'un véritable Parquet européen.

À cet égard, il convient de réaffirmer la pertinence des précédentes prises de position du Sénat en faveur de la création d'un véritable Parquet européen et d'une définition commune des règles et procédures pénales nécessaires à la mise en oeuvre efficace des poursuites et des enquêtes pour lutter contre certaines formes graves de criminalité transnationale, telles que le terrorisme international, le trafic de drogues ou encore la traite des femmes et des enfants.

S'il n'existe pas actuellement de base juridique dans les traités pour créer un tel Parquet, la Constitution européenne prévoit la possibilité de mettre en place un Parquet européen par une décision prise à l'unanimité. Il est prévu que ce Parquet européen soit compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et les complices des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Toutefois, le Conseil européen pourra décider, simultanément ou ultérieurement, d'étendre sa compétence à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière. Il serait donc d'ores et déjà très utile de réfléchir à la mise en place de ce Parquet, à l'étendue de ses compétences et à la manière dont il fonctionnerait.

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Ainsi, les pistes de réflexion envisagées par la Commission européenne dans son Livre vert contiennent des éléments discutables au regard du principe de subsidiarité : si l'Union européenne peut apporter une « plus-value » dans certains domaines, comme la récidive, dans d'autres domaines, comme les peines alternatives, la « valeur ajoutée » d'une éventuelle action européenne ne paraît pas évidente. En revanche, sur certaines questions, les pistes envisagées par la Commission ne me paraissent pas aller assez loin.

En conclusion, la délégation a ainsi arrêté ses premières observations sur le Livre vert de la Commission européenne, au regard du principe de subsidiarité :

- Une éventuelle action normative de l'Union européenne doit se fonder exclusivement sur le caractère transfrontalier de l'infraction ;

- La reconnaissance mutuelle doit être préférée à l'harmonisation en matière d'exécution des sanctions pénales ;

- Il semble, notamment, que la suppression de la réclusion criminelle à perpétuité, l'idée de lignes directrices pour le prononcé des peines ou une harmonisation des règles régissant la libération anticipée et les peines alternatives seraient de nature à méconnaître les principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

- Il paraît, en revanche, nécessaire et conforme au principe de subsidiarité, d'une part, d'assurer la pleine application de la reconnaissance mutuelle dans le domaine de la récidive, des déchéances de droits ou des décisions de confiscation et, d'autre part, d'harmoniser les sanctions pécuniaires et la responsabilité des personnes morales pour certaines infractions relatives en particulier à la criminalité économique ou à la criminalité environnementale ;

- Enfin, la lutte contre certaines formes graves de criminalité transnationale, comme le terrorisme, le trafic de drogue ou la traite des êtres humains, nous paraît rendre indispensable la mise en place, à l'avenir, d'un véritable Parquet européen, ainsi qu'une définition commune des règles et des procédures nécessaires à la lutte contre ces infractions.