COM (2003) 270 final
du 21/05/2003
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 10/06/2003Examen : 08/07/2003 (délégation pour l'Union européenne)
Texte rendu caduc par communication du Gouvernement en date du 29 août 2005
Économie, finances et fiscalité
Communication de M.
Hubert Haenel sur le Livre vert
de la Commission relatif aux services
d'intérêt général
Texte E 2303 - COM (2003)
270 final
(Réunion du 8 juillet 2003)
La Commission a adopté le 4 juin dernier un Livre vert sur les services d'intérêt général. C'est le quatrième document qu'elle publie sur le sujet, après les communications de 1996 et 2000, et après son rapport à l'intention du Conseil européen de Laeken en 2001.
Les services d'intérêt général font partie des valeurs partagées par toutes les sociétés européennes. Leur rôle est capital pour améliorer la qualité de la vie de tous les citoyens et lutter contre l'exclusion sociale et l'isolement. La fourniture performante et non discriminatoire des services d'intérêt général est également une condition du bon fonctionnement du marché unique et d'une meilleure intégration économique dans l'Union européenne.
Dans le cadre de la Convention, le présidium a, in fine, à l'occasion des dernières réunions, proposé une rédaction de l'article III-3 de la Constitution européenne qui donne une base juridique aux services d'intérêt économique général ; toutefois, cette base juridique reste étroitement encadrée puisque les principes et conditions de fonctionnement de ces services doivent être définis sans préjudice d'articles de la Constitution européenne régissant la concurrence et les aides accordées par les États membres. Robert Badinter et moi-même avions, pour notre part, proposé un amendement tendant à rédiger cet article ainsi : « l'Union et les États membres adoptent les mesures spécifiques permettant aux services d'intérêt général de fonctionner selon des principes et dans des conditions leur permettant d'accomplir leurs missions au service de la cohésion sociale et territoriale ». Cette rédaction aurait laissé plus de liberté à l'Union et aux États membres pour arrêter les règles spécifiques à ces services.
Dans la seconde moitié des années 1980, plusieurs secteurs fournissant principalement des services d'intérêt économique général se sont progressivement ouverts à la concurrence. Tel a été le cas des télécommunications, des services postaux, du transport et de l'énergie. La libéralisation a favorisé la modernisation et l'intégration de ces secteurs. Elle a augmenté le nombre des concurrents et conduit à des réductions de prix.
Selon la Commission, les craintes initiales que l'ouverture du marché ait une incidence négative sur les niveaux d'emploi ou la fourniture des services d'intérêt général se sont à ce jour révélées sans fondement. L'ouverture du marché a généralement rendu les services plus abordables. Les pertes d'emplois, notamment dans les anciens monopoles, ont été plus que compensées par les nouveaux emplois créés grâce à la croissance du marché. Globalement, on estime que la libéralisation des industries de réseau a permis la création de près d'un million d'emplois dans l'ensemble de l'Union européenne.
Aujourd'hui, les autorités publiques confient de plus en plus souvent la fourniture des services d'intérêt général à des entreprises, publiques ou privées, ou à des partenariats entre le secteur public et le secteur privé et se limitent à définir les objectifs publics ainsi qu'à contrôler et, le cas échéant financer, ces services. Cette évolution a rendu plus transparents l'organisation, le coût et le financement des services d'intérêt général.
Dans l'Union européenne, la création du marché intérieur a accéléré cette évolution. Mais, selon la Commission, le processus de l'intégration européenne n'a jamais remis en cause la responsabilité première des autorités publiques ni leur capacité à faire les choix politiques nécessaires en matière de réglementation des activités commerciales.
Quels sont les principaux point abordés par le Livre vert ? Ils peuvent être rangés sous sept rubriques différentes.
1. Subsidiarité
Le traité ne mentionne pas le fonctionnement des services d'intérêt général parmi les objectifs communautaires et n'attribue pas de pouvoirs spécifiques à la Communauté dans ce domaine. Actuellement, ces services sont cités dans deux dispositions du traité :
- l'article 16 confie à la Communauté et aux États membres la tâche de veiller, chacun dans les limites de leurs compétences, à ce que leurs politiques permettent aux services d'intérêt économique général de remplir leurs missions ;
- l'article 86, paragraphe 2, reconnaît implicitement le droit des États membres à imposer des obligations spécifiques de service public aux opérateurs économiques.
Il appartient essentiellement aux autorités compétentes nationales, régionales et locales de définir, organiser, financer et contrôler les services d'intérêt général. La Communauté détient, pour sa part, des compétences dans des domaines qui touchent également aux services d'intérêt général : le marché intérieur, la concurrence et les aides d'État, la libre circulation, la politique sociale, les transports, l'environnement, l'industrie, la cohésion économique et sociale, etc.
Les services d'intérêt général peuvent être classés en trois catégories selon l'intensité de l'action communautaire :
- les services d'intérêt économique général fournis par les grandes industries de réseau, où la Communauté procède depuis les années 80 à l'ouverture des marchés : communications, services postaux, électricité, gaz et transport ;
- les autres services d'intérêt économique général, comme la gestion des déchets, l'approvisionnement en eau ou les services de radiodiffusion ne sont pas soumis à un régime réglementaire global au niveau communautaire ;
- les services d'intérêt général de nature non économique ne sont pas couverts par les règles relatives au marché intérieur, à la concurrence et aux aides d'État.
Ainsi, la Communauté a mis au point une politique des services d'intérêt général reposant sur des degrés d'action divers. Pour les industries de réseau, la législation communautaire a pris en compte le rôle important des administrations publiques des États membres dans la mise en oeuvre de la réglementation sur les services d'intérêt général en imposant la création d'autorités réglementaires indépendantes.
2. Législation sectorielle et cadre juridique général
Jusqu'à présent, la Communauté a adopté la réglementation relative aux services d'intérêt général sur une base sectorielle. A la lumière de l'expérience acquise, se pose la question de l'opportunité de mettre en place un cadre européen commun pour assurer la mise en oeuvre cohérente au niveau communautaire des principes qui sous-tendent l'article 16 du traité.
Un instrument général pourrait définir, préciser et renforcer les principes communs à tous les types de services d'intérêt général. Il pourrait servir de base à de nouvelles législations sectorielles.
Néanmoins une telle approche aurait également ses limites car un instrument-cadre fixant des objectifs et des principes communs serait de nature générale et devrait reposer sur le dénominateur commun de différents services possédant des caractéristiques très dissemblables.
3. Services économiques et services non économiques
La distinction entre les services de nature économique et les services de nature non économique (par ex. éducation nationale ou régime de base de sécurité sociale) est importante parce qu'ils ne sont pas régis par les mêmes règles du traité. Ainsi, la liberté de fournir des services, le droit d'établissement, les règles relatives à la concurrence et aux aides d'État ne concernent que les activités économiques.
La distinction entre activités économiques et activités non économiques est en évolution constante et un nombre de plus en plus important d'activités a acquis une nature économique aux cours des dernières décennies. Il n'est donc ni possible ni souhaitable d'établir a priori une liste définitive de tous les services d'intérêt général devant être considérés comme non économiques.
4. Vers un concept européen de service d'intérêt général ?
La législation communautaire en vigueur contient un certain nombre d'éléments communs aux différents secteurs qui peuvent servir de fondement à la définition d'une notion communautaire des services d'intérêt économique général.
Il s'agit des obligations suivantes : service universel, continuité, qualité du service, accessibilité tarifaire, protection des consommateurs, sûreté et sécurité, sécurité d'approvisionnement, accès au réseau.
5. Définition des obligations et choix de l'organisation
Les autorités nationales, régionales et locales des États membres sont en principe libres de définir ce qu'elles considèrent être un service d'intérêt général : obligations de service universel, exigences en matière de couverture territoriale, normes de qualité et de sécurité, droits des utilisateurs...
La Communauté n'a harmonisé les obligations de service public et défini des prescriptions communes dans une réglementation communautaire spécifique que pour les grandes industries de réseau, telles que les communications électroniques ou les services postaux. Cependant, lorsque de telles obligations harmonisées existent, les États membres sont également responsables de leur mise en oeuvre, conformément aux caractéristiques particulières du secteur.
Lorsqu'une autorité publique d'un État membre choisit de confier la fourniture d'un service d'intérêt général à un tiers, la sélection du fournisseur doit respecter certaines règles afin de placer sur un pied d'égalité tous les fournisseurs, publics ou privés, potentiellement capables de fournir ce service.
Au niveau européen, différentes formes de coopération entre autorités réglementaires nationales se sont développées en vue d'améliorer la cohérence des politiques de tous les États membres, mais il n'existe d'autorité réglementaire européenne pour aucun service.
6. Financement des services d'intérêt général
De nombreux services d'intérêt général ne peuvent être fournis de façon rentable sur la base des seuls mécanismes du marché, aussi des dispositions spécifiques sont-elles nécessaires pour assurer l'équilibre financier du fournisseur.
En fonction des traditions historiques et des caractéristiques des services concernés, les États membres appliquent différents mécanismes :
- aide financière directe via le budget de l'État ;
- droits spéciaux ou exclusifs (par exemple un monopole légal) ;
- contribution des opérateurs du marché via un fonds de service universel ;
- établissement d'un tarif moyen (un tarif national uniforme malgré des différences considérables dans le coût de fourniture du service, par exemple).
Bien que différentes formes de financement continuent de coexister, une tendance nette est apparue ces dernières décennies : les États membres ont progressivement supprimé les droits exclusifs en matière de fourniture de services d'intérêt général et ouvert les marchés aux nouveaux entrants. Il a dès lors été nécessaire de recourir à d'autres formes de soutien financier, comme la création de fonds spécifiques financés par les opérateurs du marché ou le financement public direct par le budget, ce dernier mode de financement étant celui qui entraîne le moins de distorsion. Ces modes de financement ont rendu plus transparent le coût de la fourniture des services publics.
7. Évaluation des services d'intérêt général
L'évaluation des services d'intérêt général est nécessaire pour vérifier que les tâches confiées par les autorités publiques aux fournisseurs sont effectivement accomplies. Une évaluation globale accroît la transparence et permet de meilleurs choix politiques ainsi qu'un débat démocratique solidement étayé. L'évaluation des performances peut également favoriser l'échange des meilleures pratiques par delà les frontières.
L'évaluation des services d'intérêt général est une tâche complexe. Une évaluation globale doit être pluridisciplinaire, multidimensionnelle et porter sur les aspects politiques, économiques, sociaux et environnementaux, y compris les externalités. Elle doit également prendre en considération les intérêts et les opinions de toutes les parties intéressées.
Au niveau communautaire, l'évaluation des performances est actuellement limitée essentiellement aux industries de réseau couvertes par la législation communautaire sectorielle.
Le Livre vert évoque enfin les services d'intérêt général et les accords commerciaux internationaux. Le cadre offert par l'accord général sur le commerce des services permet aux États membres de l'OMC d'exclure certains secteurs qu'ils veulent protéger de la concurrence.
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Le Livre vert est assorti d'une batterie de questions demandant de prendre position sur tel ou tel point, voire de proposer des solutions à certains problèmes. Il y en a trente en tout. La proposition de conclusions que je vous soumets n'apporte de réponses, positives ou négatives, qu'à certaines d'entre elles.
Premièrement, la Commission nous demande si le développement de services d'intérêt général de qualité doit être inclus dans les objectifs de la Communauté. Je pense que nous devons répondre par l'affirmative.
Ensuite, elle nous demande s'il convient d'attribuer des compétences législatives supplémentaires dans le domaine des services d'intérêt général. Je pense que nous pouvons y consentir, dans la mesure où la nécessité en est démontrée.
La Commission nous demande ensuite s'il faut clarifier la manière dont les responsabilités sont partagées entre le niveau communautaire et les administrations des États membres. Je pense qu'il faut également y répondre par l'affirmative, car un partage clair des compétences conditionne l'application correcte du principe de subsidiarité.
La Commission nous demande ensuite s'il convient d'établir un régulateur européen pour chaque secteur réglementé ou des réseaux européens structurés d'autorités réglementaires nationales. Je pense qu'il vaut mieux opter pour la seconde solution, qui a le mérite de s'appuyer sur l'existant, les autorités réglementaires nationales, et de mieux respecter les spécificités nationales.
La Commission s'interroge ensuite sur le rôle que pourrait avoir la Communauté en matière de services non économiques d'intérêt général. Il s'agit de services comme l'enseignement ou les soins de santé. J'estime préférable qu'elle s'en tienne à un rôle minimum dans ce domaine, qui n'interfère pas avec les règles du marché intérieur.
De même, je ne considère pas comme souhaitable d'harmoniser davantage les obligations sectorielles de service public au niveau communautaire. Il faut que les services d'intérêt général puissent conserver leurs spécificités nationales.
En revanche, je serais tout à fait favorable à un renforcement des échanges des meilleures pratiques pour les questions relatives à l'organisation des services d'intérêt général dans l'Union. Rien ne s'oppose à ce que les services d'intérêt général d'un État membre s'inspirent de ce qui se fait de mieux chez les voisins.
Enfin, la Commission nous demande s'il faut privilégier un mode de financement spécifique du point de vue de la transparence, de la responsabilité, de l'efficacité, des effets redistributeurs ou de la concurrence. La Commission songe vraisemblablement à la subvention budgétaire, qui a ses faveurs. Mais je ne crois pas qu'il faille privilégier un mode de financement au détriment des autres : tous ont leur raison d'être.
Compte rendu sommaire du débat
M. Jean-Paul Émin :
Je ne suis pas sûr que l'on aurait apporté les mêmes réponses dix ans en arrière. Il est vrai qu'il y avait une spécificité française du service public et que cette spécificité tend à évoluer.
M. Hubert Haenel :
Dans le cadre de la Convention, nous avons eu du mal à faire reconnaître les services d'intérêt général dans le texte du traité constitutionnel.
À l'issue du débat, la délégation a adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :
Conclusions
La délégation pour l'Union européenne du Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le Livre vert sur les services d'intérêt général (E 2303),
Estime que le développement de services d'intérêt général de qualité doit être inclus dans les objectifs de la Communauté ;
Admet que des compétences législatives supplémentaires, si la nécessité en est démontrée, soient attribuées à la Commission dans le domaine des services d'intérêt général ;
Considère utile de clarifier la manière dont les responsabilités sont partagées entre le niveau communautaire et les administrations des États membres ;
Estime préférable d'établir des réseaux européens structurés d'autorités réglementaires nationales plutôt qu'un régulateur européen pour chaque secteur réglementé ;
Estime préférable que la Communauté s'en tienne à un rôle minimum en matière de services non économiques d'intérêt général ;
Considère non souhaitable d'harmoniser davantage les obligations sectorielles de service public au niveau communautaire ;
Se déclare favorable à un renforcement des échanges des meilleures pratiques et de leur étalonnage pour les questions relatives à l'organisation des services d'intérêt général dans l'Union ;
Estime qu'il ne convient pas de privilégier un mode spécifique de financement des services d'intérêt général.