COM (2002) 181 final
du 28/05/2002
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 10/07/2002Examen : 23/07/2002 (délégation pour l'Union européenne)
Texte signalé caduque le 12 mars 2003.
Politique agricole et de la pêche
Communication de M. Jacques Oudin sur les propositions
de
réforme de la politique commune de la pêche
Textes
E 2039 à E 2041 et E 2044 à E 2046
(Réunion du 23 juillet 2002)
À la fin de l'année dernière, le Sénat avait été saisi du Livre vert de la Commission sur l'avenir de la politique commune de la pêche. Dans ce Livre vert, la Commission avait présenté un certain nombre d'orientations en indiquant qu'elle ouvrait ainsi un débat.
Nous sommes entrés dans ce débat avec un esprit tout à fait ouvert et nous avons d'ailleurs approuvé certaines des orientations suggérées par la Commission :
- le remplacement de la fixation annuelle des totaux admissibles de capture (TAC) par une gestion pluriannuelle, de manière à avoir plus de souplesse et d'efficacité dans la gestion de la ressource halieutique ;
- le maintien du principe de la stabilité relative, selon lequel les TAC sont répartis en quotas nationaux en fonction de références historiques ;
- enfin l'harmonisation des contrôles et des sanctions, car à l'heure actuelle l'intensité des contrôles est très variable, et les sanctions ne sont pas toujours prononcées quand elles seraient justifiées.
Nous avions également formulé des critiques à l'égard des orientations de la Commission et fait des propositions. Nos deux grandes critiques concernaient, d'une part, le dispositif d'encadrement des flottes et, d'autre part, le volet externe de la politique commune de la pêche.
Sur le premier point, nous nous étions opposés à la réduction drastique des capacités de pêche proposée par la Commission, en considérant que si les TAC étaient fixés sur une base rationnelle et si les contrôles étaient harmonisés, il n'y avait aucune raison que la Commission intervienne dans la gestion des flottes.
Sur le second point, nous nous étions inquiétés de la tendance à remettre en cause des accords de pêche avec les pays en développement.
Enfin, nous avions fait des propositions constructives :
- pour la fixation des TAC, nous avions demandé une véritable concertation, avec un débat contradictoire sur le plan scientifique, et une consultation des professionnels ;
- pour les contrôles et les sanctions, nous avions proposé de créer une agence communautaire, de manière à ce que les règles soient appliquées partout de la même façon ;
- nous avions demandé que la pêche minotière, qui constitue un prélèvement important sur la ressource halieutique, soit limitée ;
- enfin nous avions demandé que le rôle de la pêche dans l'aménagement équilibré du territoire soit reconnu.
Sur cette base, nous avions adopté une proposition de résolution qui a été approuvée, en décembre dernier, par la commission des Affaires économiques et du Plan, après un excellent rapport de notre collègue Alain Gérard, et qui est ensuite devenue résolution du Sénat. J'ajouterai que nous étions très largement en communauté de vue avec le Gouvernement de l'époque : sur les problèmes de la pêche, il peut y avoir ici et là des nuances, mais il n'y a pas de clivage politique sur le plan national.
Le projet définitif de la Commission comprend plusieurs communications assorties de plusieurs projets de règlement qui nous ont été soumis dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.
Si l'on examine ces textes, on peut constater que la plupart de nos observations n'ont été aucunement prises en compte : sur plusieurs points, nous n'avons même pas reçu un début de réponse, si bien qu'on peut se demander ce que la Commission entend vraiment par « concertation ». Si le seul but des consultations autour d'un Livre vert, c'est de pouvoir dire qu'on a fait une consultation, tandis que, sur le fond, on ne tient aucun compte des critiques, au point de ne même pas y répondre, alors on peut se demander quel est l'intérêt de participer à cette procédure. Ces derniers temps, la Commission a beaucoup parlé de « bonne gouvernance » ; elle a annoncé qu'elle pratiquerait beaucoup la concertation : mais si la concertation sert uniquement à confirmer un point de vue déjà arrêté, autant se dispenser de cet exercice.
Le résultat de cette absence de véritable dialogue, c'est qu'on est en présence d'un projet déséquilibré, qui se préoccupe uniquement de limiter les captures par des moyens souvent discutables, et qui ignore totalement la fonction socio-économique de la pêche.
Pour justifier ce jugement, je vais partir des quatre principaux problèmes que doit traiter la politique commune de la pêche :
- la conservation de la ressource,
- les contrôles,
- la gestion de la flotte,
- les accords avec les pays tiers.
1. La conservation de la ressource
La conservation de la ressource est le seul point sur lequel nos observations ont eu un peu d'écho. Le projet mentionne en effet la nécessité d'avis scientifiques « sérieux » pour la fixation des TAC, ce qui ne nous avance guère, mais constitue implicitement la reconnaissance qu'il existe un problème ; par ailleurs, la Commission propose de renforcer le rôle du comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP), qui serait consulté plus largement, et de créer des « conseils consultatifs régionaux », qui seraient chargés de mieux associer les acteurs locaux à l'élaboration et à la mise en oeuvre des mesures. C'est un pas dans le sens de la concertation plus grande que nous avions réclamée.
En revanche, le projet définitif de la Commission dénature, à mon avis, l'idée d'une gestion pluriannuelle dont nous avions approuvé le principe. En effet, ce que nous souhaitions, c'était la gestion pluriannuelle des TAC adaptée à chaque espèce ; au contraire, la Commission propose de mettre en place pour la plupart des espèces les mêmes « plans de gestion » contenant des règles, très lourdes et contraignantes, qui ne sont justifiées que pour les stocks très menacés.
Par ailleurs, la Commission saisit cette occasion pour demander que lui soient transférées un grand nombre de décisions qui sont actuellement prises par le Conseil : or, la gestion de la ressource ne peut se ramener à des considérations purement techniques ; une appréciation politique entre en jeu, et il ne paraît pas acceptable que les ministres n'aient pas leur mot à dire.
J'ajoute que, une fois de plus, le projet de la Commission ignore complètement deux aspects pourtant essentiels du problème de la conservation de la ressource.
D'abord, il ne propose aucune limitation de la pêche minotière, que l'on peut qualifier également de pêche industrielle. Ce type de pêche qui, en Europe, est essentiellement pratiquée par le Danemark, est pourtant une pêche non sélective effectuée par des filets à petite maille ; le Danemark la pratique en mer Baltique et en mer du Nord. La pêche minotière représente un tonnage supérieur aux prises réunies de l'Espagne et de la France, mais, curieusement, la Commission semble considérer qu'aucun mesure de limitation ne s'impose dans son cas, alors qu'elle a des conséquences non négligeables sur la chaîne alimentaire. À l'évidence, il serait nécessaire d'évaluer ces effets et d'encadrer, en conséquence, ce type de pêche. Bien au contraire, la Commission préconise sans restriction le développement de l'aquaculture, grande consommatrice de farines de poisson (un quart de la production de la pêche minotière est affecté à l'aquaculture).
Ensuite, la Commission ne dit rien du développement de la prédation naturelle, lié à la surprotection de certaines espèces. Par exemple, les phoques, dont le nombre a été multiplié par dix depuis que des mesures de protection ont été adoptées, consomment désormais à eux seuls plus de poissons que l'espèce humaine (un phoque consomme environ chaque année une tonne de poissons et crustacés).
Tout ceci montre bien qu'il faudrait une approche globale, précise et différenciée de la ressource.
2. Les contrôles et les sanctions
Sur la question des contrôles et des sanctions, le texte de la Commission marque un progrès, mais reste encore en-deçà de ce qui serait nécessaire.
Il prévoit certes des pénalités plus lourdes et une harmonisation des sanctions pour les infractions les plus graves, mais, pour le contrôle, il s'en tient à une structure commune d'inspection, sans aller jusqu'à une agence communautaire comme nous l'avions demandé. Est-ce que cela sera suffisant ? On peut en douter, car il y a aujourd'hui un manque de confiance évident entre les États membres. Chacun soupçonne l'autre - non sans raison - de fermer les yeux sur les dépassements de quotas par les bateaux de son pays. De même, à tort ou à raison, chacun soupçonne l'autre de contrôler beaucoup plus les bateaux étrangers que les bateaux nationaux dans ses eaux territoriales. On peut donc craindre que la mise en place d'une structure de coordination ne suffise pas pour rétablir la confiance.
3. La gestion des flottes
Pour la gestion des flottes, la Commission prévoit des mesures drastiques :
- toutes les aides publiques à la construction de navires de pêche seraient supprimées à partir du 1er janvier 2003 ;
- les aides publiques en faveur de la modernisation de la flotte seraient strictement limitées aux mesures visant à améliorer la sécurité à bord et la qualité des produits ;
- les primes à la démolition seraient augmentées pour les pêcheurs contraints à réduire leur activité ;
- les programmes d'orientation pluriannuels (POP) seraient remplacés par la fixation d'un plafond global des capacités de pêche de telle sorte que toute nouvelle entrée devrait s'accompagner d'un retrait de capacités au moins équivalent.
Ces mesures entraînerait une très forte réduction des flottes communautaires : selon le Gouvernement, elles provoqueraient pour l'ensemble de la Communauté le retrait de 8 600 navires, conduisant à la disparition de quelque 28 000 emplois.
C'est toute la profession de notre pêche côtière et hauturière qui se voit privée de perspectives d'avenir, avec de lourdes conséquences sur le plan local.
J'ajouterai que ces mesures auraient pour conséquence d'accentuer le vieillissement des navires, avec des conséquences inéluctables sur la sécurité en mer ; elles freineraient l'amélioration des conditions de travail des marins, alors qu'il existe des difficultés de recrutement dans ce secteur ; enfin, elles feraient obstacle à l'amélioration de la rentabilité des navires, alors que la Commission souligne elle-même que beaucoup d'entreprises de pêche sont dans une situation financière difficile.
4. Le volet externe
Sur le volet externe, la communication de la Commission confirme une tendance au désengagement, en indiquant que les accords de pêche avec les pays en développement devront être réorientés dans une optique de développement durable. On retrouve ici la thèse de Greenpeace selon laquelle ces accords menaceraient les stocks des pays signataires des accords, thèse dont on attend encore qu'elle soit sérieusement étayée.
De plus, la Commission estime que « les armateurs des navires bénéficiant de ces accords devraient progressivement assumer une plus grande part des compensations financières payées aux pays partenaires en échange de droits de pêche. »
Donc, l'orientation est bien celle d'une remise en cause du volet externe de la politique commune de la pêche, puisque le financement communautaire lui-même serait menacé.
Or, je rappelle que ces accords de pêche sont certes relativement coûteux - environ 200 millions d'euros par an au total - mais qu'ils constituent un apport financier appréciable pour certains pays africains : ils représentent 15 % des recettes budgétaires pour certains petits pays ; parallèlement, l'accès à ces ressources constitue un apport non négligeable pour certaines flottes (en premier lieu l'Espagne, mais aussi la France).
*
Ma conclusion sera donc que le projet de la Commission est globalement décevant, qu'il est déséquilibré et qu'il contient plusieurs aspects inacceptables.
Dans ces conditions, je crois que le Gouvernement a eu une juste approche en prenant une position ferme lors du Conseil « Pêche » du 11 juin, puis en prenant l'initiative d'une réunion du « groupe des amis de la pêche » associant six pays : Espagne, France, Grèce, Irlande, Italie, Portugal, ceci non pas uniquement dans un souci d'opposition et de blocage, mais aussi dans l'esprit de proposer une approche alternative.
À l'opposé du groupe des « amis de la pêche », on trouve essentiellement les Pays-Bas, l'Allemagne et le Danemark, ce dernier soutenu au nom de la « solidarité nordique » par la Suède et la Finlande. La Belgique, le Luxembourg, l'Autriche et la Grande-Bretagne se trouvent entre les deux groupes, dans une certaine neutralité.
Dans ce contexte, je ne vous propose pas le dépôt d'une proposition de résolution pour deux raisons :
- d'une part, le Sénat s'est déjà prononcé sur le Livre vert de la Commission, et comme le projet de réforme ne fait que confirmer les orientations du Livre vert, il ne me semble pas nécessaire de demander au Sénat de se prononcer à nouveau ;
- d'autre part, la position adoptée par le Gouvernement paraît globalement satisfaisante, et il me semble suffisant, dans ces conditions, que nous lui apportions un soutien par des conclusions de la délégation.
Compte rendu sommaire du débat
M. Jean Bizet :
Quelle est l'utilisation des farines produites par la pêche minotière ? Sont-elles employées dans l'alimentation animale ?
M. Jacques Oudin :
Près des trois quarts des farines de poisson sont utilisées par l'alimentation animale, le reste pour l'aquaculture. Il serait donc possible de limiter la pêche minotière sans entraver le développement de l'aquaculture, que la Commission veut promouvoir. Ce qui me paraît souhaitable, c'est que ce type de pêche, qui constitue un énorme prélèvement sur la ressource, soit ramené à sa juste place.
M. Jean Bizet :
La démarche du Livre blanc sur la sécurité alimentaire conduit à envisager une liste positive des produits pouvant être utilisés dans l'alimentation animale. Ne faudrait-il pas exclure les farines de poisson de cette liste, comme on l'a déjà fait pour les bovins ? Ainsi, la pêche minotière serait réservée à l'aquaculture. En même temps, cela ne pourrait qu'inciter nos partenaires à prendre conscience de la nécessité de développer la production européenne de protéines végétales pour l'alimentation animale.
M. Gérard César :
J'approuve ce point de vue : la production de protéines végétales en Europe a été trop bridée par les accords de Blair House. Il faudrait parvenir à une réouverture de ce dossier.
M. Jacques Blanc :
Je souhaite que nos conclusions soulignent également la nécessité de prendre en compte les spécificités régionales et les caractéristiques des différentes zones de pêche.
*
À l'issue de ce débat, la délégation a adopté les conclusions suivantes :
Conclusions
La délégation pour l'Union européenne du Sénat,
Vu les textes E 2039 à E 2041 et E 2044 à E 2046, qui ont été soumis au Sénat dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution,
Soutient le Gouvernement dans son opposition au projet de réforme de la politique commune de la pêche tel qu'il a été présenté par la Commission européenne, et approuve la démarche constructive du « groupe des amis de la pêche », réuni à l'initiative de la France le 16 juillet 2002.
Invite le Gouvernement à mettre particulièrement l'accent sur :
- la prise en compte des aspects socio-économiques de la pêche artisanale, côtière et hauturière, ainsi que des spécificités régionales ;
- la nécessité de fonder la gestion de la ressource, qui doit faire l'objet d'une concertation avec les professionnels, sur des avis scientifiques très approfondis, soumis systématiquement à débat dans le cadre d'un développement des efforts de recherche tant à l'échelon européen qu'à l'échelon national, et sur une approche espèce par espèce et zone par zone ;
- la limitation de la pêche minotière en réservant son usage à la seule aquaculture, et le réexamen des mesures de protection conduisant à une prolifération excessive de certains prédateurs des poissons ;
- l'exigence de modernisation et de renouvellement de la flotte de pêche communautaire pour des raisons évidentes de sécurité et d'amélioration des conditions de travail, ce qui suppose le maintien des aides publiques nationales et communautaires ;
- le maintien des compétences de décision du Conseil en matière de gestion de la ressource tant que les principes d'une politique commune durable de la pêche ne seront pas définis ;
- le rôle positif des accords de pêche, qui doivent être développés.