COM (2001) 181 final
du 03/04/2001
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 27/01/2003
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 12/06/2001Examen : 23/04/2002 (délégation pour l'Union européenne)
Justice et affaires intérieures
Accueil des demandeurs
d'asile
Texte E 1743 - COM (2001) 181 final
(Procédure écrite du 23 avril 2002)
Cette proposition de directive s'inscrit dans un ensemble de propositions visant à établir un régime d'asile européen commun, conformément à l'objectif fixé par les chefs d'État et de Gouvernement lors du Conseil européen de Tampere, d'octobre 1999.
Cette proposition est fondée sur l'article 63 du traité instituant la Communauté européenne, tel qu'il a été modifié par le traité d'Amsterdam, qui a « communautarisé » le domaine de l'asile.
Elle concerne plus particulièrement les conditions d'accueil des demandeurs d'asile au sein de l'Union européenne, et elle vise à harmoniser les législations des États membres en la matière, en recourant à des normes minimales, dans un double objectif :
- d'une part, assurer des conditions d'accueil dignes aux personnes qui sollicitent l'asile dans l'esprit des principes fondamentaux reconnus par l'ensemble des États membres ;
- d'autre part, limiter les mouvements secondaires des demandeurs d'asile, que l'on pourrait qualifier d'« asile à la carte », influencés par la diversité des conditions d'accueil.
Présentée le 3 avril 2001 par la Commission européenne, cette proposition a fait l'objet de difficiles négociations entre les représentants des États membres et son contenu a beaucoup évolué. Les principales difficultés portent sur son champ d'application et sur les dispositions relatives à la liberté de circulation et à l'accès au marché du travail. Sur ce dernier point, le compromis auquel sont parvenus les représentants des États membres, mérite un examen approfondi, au regard de la législation et de la situation de l'asile en France.
I - LA PROPOSITION INITIALE
Le texte vise uniquement les demandeurs d'asile qui sollicitent la reconnaissance du statut de réfugié ou d'apatride, en vertu de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York de 1967. Il ne s'applique donc pas, en principe, aux demandeurs d'asile qui sollicitent une autre forme de protection, telle que l'asile territorial, sauf si les États en décident autrement.
Il fixe les conditions de l'accueil. Les demandeurs d'asile devraient être informés des avantages dont ils bénéficient et des obligations qui leur incombent. Ils recevraient un certificat attestant de leur condition de demandeurs d'asile, qui serait renouvelable jusqu'à la notification de la décision sur la demande d'asile.
De plus, en présence de graves raisons humanitaires nécessitant leur présence dans un autre pays, les États membres pourraient leur fournir un document de voyage. La rétention ne serait permise qu'aux fins de vérifier l'identité du demandeur d'asile. En principe, les États membres devraient reconnaître au demandeur le droit de circuler librement sur le territoire ; toutefois, la liberté de circulation pourrait être limitée à une partie du territoire. En tout état de cause, un droit de recours serait permis contre ce type de limitation.
Les États membres seraient tenus de garantir aux demandeurs d'asile :
- certaines conditions d'accueil matérielles, notamment le logement, la nourriture, l'habillement, qui seraient fournis en nature ou sous forme d'allocations financières ou de bons. Les allocations seraient suffisantes pour empêcher que le demandeur tombe dans une situation d'indigence ;
- les dispositions appropriées afin de préserver l'unité familiale ;
- les soins médicaux et psychologiques ;
- l'accès au système éducatif pour les enfants mineurs, ainsi qu'à des cours de langue, lorsque cela est nécessaire pour assurer une scolarité normale ;
- les États membres ne pourraient pas interdire aux demandeurs d'asile l'accès au marché du travail et à la formation professionnelle après six mois à partir de l'introduction de la demande. Les États membres pourraient, toutefois, déterminer les types d'emploi auxquels les demandeurs d'asile pourraient accéder.
Ces conditions d'accueil matérielles seraient garanties pendant toute la durée de la procédure et quel que soit le type de celle-ci (normale, de recevabilité, accélérée, de recours).
Par ailleurs, des dispositions spécifiques, telles que des soins médicaux et psychologiques particuliers, devraient être garantis à certaines catégories particulières de demandeurs, tels que les mineurs, les femmes enceintes, les handicapés et les victimes de viol.
La proposition prévoit, en outre, un certain nombre de limitations ou de retrait des bénéfices de l'accueil en raison d'un comportement négatif du demandeur.
Enfin, le texte prévoit un certain nombre de mesures sur la mise en oeuvre du dispositif. Ainsi, les États membres désigneraient des points de contact afin de renforcer leur coopération. La Commission envisage, pour sa part, d'instituer un comité de contact qui faciliteraient la transposition de la directive par les États membres, et qui s'assurerait ensuite de la mise en oeuvre de la directive grâce à des consultations régulières sur tous les problèmes pratiques qui pourraient découler de son application. Le comité pourrait également formuler des suggestions sur les modifications éventuelles qui pourraient être apportées à la directive.
II - LE TEXTE ACTUEL TEL QU'IL RÉSULTE DE L'EXAMEN DU CONSEIL ET LES DIFFICULTÉS QU'IL SOULÈVE
Les négociations sur la proposition de la Commission entre les représentants des États membres se sont avérées longues (le texte est en discussion depuis un an) et difficiles.
Le texte initial a été assez largement modifié. Par exemple, le rôle des organisations non gouvernementales, qui était assez ambigu dans la proposition initiale, a été clarifié.
Dès les premières négociations, il est apparu que le texte soulevait trois difficultés principales, qui n'ont, jusqu'à présent, pas été réglées. En premier lieu, certains États souhaitent élargir le champ d'application du futur instrument aux autres formes de protection internationale, notamment l'asile territorial ou diplomatique. D'autres s'y opposent au motif que la protection subsidiaire doit faire l'objet d'une initiative distincte de la Commission. Toutefois, un compromis selon lequel la présente directive serait applicable aux demandeurs d'asile qui sollicitent une protection subsidiaire de celle reconnue par la Convention de Genève, dès lors qu'un accord sera intervenu sur la définition de cette protection subsidiaire, permettrait de concilier ces points de vue.
La seconde difficulté porte sur la liberté de circulation et, en particulier, sur la question de savoir si les États membres peuvent être autorisés à maintenir les demandeurs d'asile dans des zones d'attente, ou à fixer leur lieu de résidence pour des raisons d'intérêt national ou liées à l'ordre public. Les organisations humanitaires sont, en effet, très sensibles à la question des zones d'attentes et s'opposent, en règle générale, à ce dispositif. La proposition de la Commission européenne autorise, cependant, le maintien en rétention des demandeurs d'asile. Par ailleurs, la question de la limitation de la liberté de circulation et de la fixation du lieu de résidence soulève des difficultés pour les États où la compétence pour l'examen des demandes d'asile relève des collectivités décentralisées.
En dernier lieu, l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail a fait l'objet de positions divergentes de la part des délégations nationales. La délégation française, en étant d'abord opposée au principe de l'accès même des demandeurs d'asile au marché du travail, est apparue très isolée. En définitive, le Gouvernement a accepté un compromis selon lequel l'accès au marché du travail serait autorisé aux demandeurs d'asile, sous certaines conditions, en particulier lorsqu'il n'a pas pu être statué sur la demande dans un délai raisonnable, qui serait un délai d'une année.
III - L'AVIS DE LA DÉLÉGATION
L'harmonisation des conditions d'accueil des demandeurs d'asile au sein des États membres est une impérieuse nécessité et elle constitue la première étape vers un régime d'asile européen commun, auquel il est urgent de parvenir. Les États membres sont, en effet, confrontés à une véritable explosion du nombre de demandeurs d'asile et il est évident que la réponse ne peut venir qu'au niveau de l'Union européenne, au regard, notamment, des mouvements secondaires des demandeurs d'asile. On ne peut donc qu'accueillir avec satisfaction les initiatives proposées par la Commission européenne. Il convient de rappeler, à cet égard, que la délégation a pris des positions plutôt en avance sur celles du Gouvernement sur certaines de ces propositions, en particulier sur le fonds européen pour les réfugiés et la directive relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées. Cette dernière a, notamment, fait l'objet d'une proposition de résolution de notre collègue Paul Masson, le 19 octobre 2000, qui demandait au Gouvernement, qui était au départ plutôt réticent, d'accepter en la matière la règle de la majorité qualifiée, ce qu'il a ensuite approuvé. Plus généralement, on ne peut que déplorer les retards et l'absence de progrès dans les négociations sur ces propositions et demander une accélération des travaux en cours.
En ce qui concerne plus particulièrement la présente proposition, il convient d'affirmer que l'harmonisation des conditions d'accueil des demandeurs d'asile doit être fondée sur la tradition humanitaire commune des États membres et le respect des principes fondamentaux reconnus par l'ensemble des États membres. En particulier, l'instrument proposé doit avoir pour objectif d'assurer des conditions d'accueil dignes aux personnes concernées. La directive proposée représente, à cet égard, une très grande avancée, en particulier les dispositions relatives aux personnes qui nécessitent une attention particulière, telles que les mineurs, les personnes handicapées, les femmes victimes de violence sexuelle ou les femmes enceintes.
On peut toutefois s'interroger sur la question de l'accès au marché du travail des demandeurs d'asile. Le compromis qui a été accepté par le Gouvernement contraint les États membres à n'autoriser l'accès au marché du travail aux demandeurs d'asile que sous certaines conditions, notamment lorsqu'il n'a pas pu être statué sur leur demande d'asile dans un délai raisonnable, qui serait d'une durée d'un an. On peut, d'ailleurs, regretter que sur cette question d'importance politique majeure et d'une grande sensibilité dans l'opinion, le Gouvernement n'ait pas expliqué clairement les raisons de l'évolution de sa position et ses conséquences au niveau national. En outre, on ne peut être qu'étonné des récentes déclarations du Secrétaire général du Gouvernement qui, le 13 mars dernier, faisait encore état de l'opposition du Gouvernement à la reconnaissance du droit au travail aux demandeurs d'asile. Il semble que, sur cette question, le Gouvernement n'ait pas une position claire et constante. Car, en réalité, le problème ne porte pas tant sur le principe de la reconnaissance du droit au travail des demandeurs d'asile après une certaine période, mais sur l'« effet d'appel » que cette reconnaissance risque d'entraîner pour les immigrants économiques qui utilisent abusivement les procédures d'asile et sur l'adéquation de cette réforme avec la capacité des dispositifs nationaux de traiter dans un délai raisonnable et de manière équitable les demandes d'asile.
Après avoir été confrontée à une augmentation considérable du nombre de demandeurs d'asile dans les années 1980, avec un pic de plus de 60.000 nouvelles demandes déposées en 1989, la France avait réussi à diminuer notablement le nombre de demandeurs d'asile au début des années 1990, qui était retombé à environ 20.000 au milieu des années 1990, grâce à trois mesures :
- la suppression de l'autorisation de travail accordée aux demandeurs d'asile pendant l'instruction de leur demande ;
- l'institution des zones d'attente ;
- l'accélération du traitement des demandes d'asile par l'OFPRA et par la commission des recours des réfugiés par l'allocation de moyens supplémentaires à ces deux organismes.
Or, le nombre de nouvelles demandes d'asile enregistrées annuellement en France a presque triplé en trois ans, puisqu'il est passé d'environ 23.000 en 1998 à plus de 60.000 en 2001, retrouvant ainsi son niveau exceptionnel de 1989. Par ailleurs, le dispositif français d'accueil des demandeurs d'asile est saturé et au bord de l'asphyxie, comme le reconnaît le ministère des affaires étrangères et comme le soulignent un récent rapport de l'Inspection générale des affaires sociales et les différentes associations. Les demandeurs d'asile doivent ainsi patienter de six à neuf mois pour s'inscrire à la préfecture. L'OFPRA met en moyenne 7,2 mois pour statuer sur les demandes, mais avec parfois des délais beaucoup plus longs (jusqu'à 18 mois). Si on ajoute le délai du recours devant la Commission des recours des réfugiés, le délai moyen passe à vingt et un mois et peut atteindre parfois cinquante cinq mois. Or, seulement 19 % des demandes font l'objet d'une décision favorable.
Dès lors, il n'est pas certain que l'accès au marché du travail des demandeurs d'asile tel qu'il est proposé, soit la solution la mieux appropriée dans le contexte actuel et il convient de souligner que, en tout état de cause, il ne peut être accepté que sous réserve d'une réforme globale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile et d'une forte augmentation des moyens des organismes concernés, de sorte que le délai moyen d'instruction de la demande d'asile soit inférieur à un an, l'appel compris.
Sous cette réserve générale, la délégation a décidé de ne pas intervenir plus avant dans l'examen de cette proposition.