COM (2000) 898 final  du 13/02/2001

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 09/03/2001
Examen : 13/06/2001 (délégation pour l'Union européenne)


Institutions communautaires

Communication de M. Yann Gaillard sur le texte relatif au statut et au financement des partis politiques européens
Texte E 1691

(Réunion du 13 juin 2001)

Si l'article 191 du traité accorde aux partis politiques européens le rôle éminent d'être facteur « d'intégration au sein de l'Union », élément « de formation d'une conscience européenne » et moyen « d'expression de la volonté politique des citoyens de l'Union », il ne prévoit pas pour l'instant de financement spécifique leur permettant d'oeuvrer en ce sens.

Jusqu'à présent, les ressources financières dont ils disposaient provenaient des groupes politiques du Parlement européen octroyant à leurs partis d'origine des moyens, soit en subventions, soit en personnels. Dans les deux cas, ces fonds étaient in fine à la charge du budget du Parlement européen. Or, en juin 2000, la Cour des comptes a considéré qu'une telle procédure était irrégulière, en l'absence, justement, de base juridique spécifique. C'est pourquoi l'article 191 du traité a fait l'objet d'une modification dans le traité de Nice précisant que les partis européens disposeront désormais d'un statut et pourront obtenir des financements communautaires : « Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251, fixe le statut des partis politiques au niveau européen et notamment les règles relatives à leur financement. »

Ce faisant, le traité de Nice n'ayant pas encore été ratifié, son nouveau texte est inopérant en l'espèce. Il a toutefois été considéré comme urgent de clarifier sans attendre une situation délicate pour éviter le risque de l'existence de détournements de fonds et pour faciliter dès à présent l'action des partis européens, tant pour tenter de corriger le peu d'appétence dont ont fait preuve les électeurs européens lors du dernier renouvellement du Parlement européen que dans la perspective de l'élargissement prochain de l'Union.

C'est l'objet du présent texte et la tâche n'est pas aisée, ne serait-ce qu'en raison de la grande diversité des conceptions du « parti politique européen » qui règne dans les différents États membres. Il en résulte des prouesses rédactionnelles très remarquables.

1. Comment devient-on un « parti politique européen » ?

Le texte propose une réponse claire : un parti politique européen obtient le statut de parti politique européen auprès du Parlement européen si, cumulativement :

- il est établi dans l'Union européenne ;

- il a constitué un groupe politique au Parlement européen ou a l'intention de s'adjoindre à un groupe existant, voire d'en constituer un en propre, suivant l'intérêt qu'il aura su susciter auprès des électeurs ;

- il respecte, dans son programme et ses activités, les principes fondamentaux inscrits dans le traité (démocratie, Etat de droit...).

L'exposé des motifs précise par ailleurs que l'objet européen du parti politique européen peut parfaitement être la défense et la promotion de thèses anti-européennes.

Le texte vise donc aussi bien les partis confirmés que les candidats « débutants », l'obtention du statut de parti politique européen n'étant pas subordonné à une quelconque réussite aux élections européennes. Il faut souligner enfin qu'il peut s'agir non pas d'un seul parti européen, mais d'une union de partis politiques européens, avec l'espoir que cette union ait vocation à durer et qu'elle ne soit pas affaire de circonstances, dictée par la seule recherche de financement communautaire.

Enfin, s'il y a contestation du classement ou du non-classement en parti politique européen, le Parlement européen statue, conformément à l'avis d'un « comité des sages » dont les membres sont nommés tous les cinq ans par les trois institutions (Conseil, Commission, Parlement européen).

2. Comment bénéficier d'un financement communautaire ?

Une fois son statut acquis, ledit parti doit ensuite faire la preuve de la crédibilité et de la bonne réception de son message, c'est-à-dire :

- soit disposer d'élus au Parlement européen ou dans cinq États membres (élus nationaux ou régionaux, précise le texte) ;

- soit avoir réuni, aux dernières élections européennes, au moins 5 % des votes dans au moins cinq États membres (on doit probablement comprendre dans chacun de ces cinq États membres).

Il n'est pas proposé d'explication particulière à l'usage persistant de ce chiffre cinq.

3. Comment seront répartis les fonds ?

Il faut d'abord préciser que l'enveloppe annuelle est fixée, à la suite d'une estimation sans doute scientifique, à 7 millions d'euros. Il s'agit toutefois d'une dépense non obligatoire susceptible de croître au fil des ans.

Sur cette masse, la répartition proposée est la suivante :

- 15 % (soit 1,05 million d'euros) partagés à égalité entre les partis « qui remplissent les conditions et qui en ont fait une demande dûment justifiée » ;

- les 85 % restants pour les seuls partis représentés au Parlement européen à proportion de leur élus effectifs suivant une formule mathématique complexe.

Toutefois, ces financements communautaires ne peuvent excéder 75 % du budget total du parti, celui-ci devant prouver qu'il reçoit 25 % au moins de son budget d'une autre source (dont la provenance n'est d'ailleurs ni précisée, ni limitée, ni encadrée).

4. Quelles sont les dépenses finançables ?

Au préalable, il faut souligner que l'exposé des motifs du texte, reprenant le texte de la déclaration annexée au traité de Nice (1(*)

), renvoie au principe de subsidiarité, dont le respect imposerait d'

« éviter d'aboutir au financement de partis nationaux... ou des campagnes électorales, nationales ou européennes de ceux-ci ».

Par ailleurs, il est précisé que les fonds communautaires sont réservés « à des dépenses destinées à réaliser un objectif prévu au statut du parti politique européen concerné », ce qui est heureux.

On ne dispose donc d'aucune définition de la nature des dépenses visées, mais le texte illustre son propos de quelques exemples : frais administratifs, frais liés au support technique ( ?), aux réunions, aux études, à l'information et aux publications.

5. Mesures de contrôle

Bien évidemment, le projet prévoit la transparence des financements, la publicité des comptes des partis, la déclaration des sources de financement à la Cour des comptes et les procédures classiques de comptabilité et de vérification.

*

En première lecture, il apparaît que ce texte est très imparfait : ses dispositions sont floues, les définitions inexistantes, et les différents taux ou seuils paraissent ne reposer sur aucune logique.

Le point le plus curieux, toutefois, et que j'ai souhaité garder pour la fin est celui de sa base juridique, dont je vous disais, en introduction, qu'elle n'existait pas encore, dans l'attente de l'entrée en vigueur du Traité de Nice.

Pour justifier son intervention, la Commission s'est donc rattachée, une fois encore, à l'article 308 du Traité qui sert bien souvent - trop souvent - de « béquille » en l'absence de disposition expresse des textes. Que dit cet article ? « Si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les mesures appropriées. »

A l'évidence, le financement des partis ne constituant pas l'un des objectifs de la Communauté, cette condition n'est pas remplie ici : il n'existe donc aucune base juridique permettant l'adoption de ce texte tant que le Traité de Nice n'est pas entré en vigueur. C'est d'ailleurs à cette même conclusion qu'ont abouti nos collègues britanniques de la Chambre des Lords lorsqu'ils ont procédé à l'examen de cette proposition de règlement.

Et pourtant, il est étonnant de constater que, dans ces circonstances, on poursuive l'examen de ce texte et que la présidence suédoise envisage son adoption avant la fin de son mandat (ce qui ne semble guère concevable car elle nécessite l'unanimité des États membres).

*

Dans le même sens, le Parlement européen, réuni en session plénière le 17 mai dernier, a adopté, à une très large majorité (345 voix pour ; 80 contre et 17 abstentions), le rapport de Mme Ursula Schleicher (PPE - Allemagne) qui accepte les principes essentiels de la proposition initiale de la Commission. Le débat a été particulièrement agité : certains petits groupes parlementaires ayant fait valoir le caractère contestable de la base juridique retenue, la présidence a passé outre cette opposition. Il faut s'attendre, semble-t-il, à un recours de leur part devant la Cour de justice.

Si le Parlement européen n'est que consulté en la matière, il va de soi que, étant concerné au premier chef par ce texte, son opinion devrait être prise en considération.

Globalement, les amendements qui ont été adoptés corrigent quelques-unes des critiques que je vous signalais et répondent à certaines des interrogations françaises. Il faut donc souhaiter qu'ils emportent la conviction du Conseil et soient intégrés au texte définitif. Or, trois États membres ont d'ores et déjà opposé une réserve générale sur cette proposition : l'Italie, momentanément, parce qu'elle se trouvait alors en situation pré-électorale et ne voulait pas prendre position sur ce sujet ; l'Autriche et le Danemark, en raison de la faiblesse de la base juridique présentée et pour éviter certaines difficultés avec leurs petits partis régionaux ou nationaux n'ayant pas d'assise européenne.

Quels sont les amendements adoptés qui nous paraissent utiles ?

· l'octroi de la personnalité juridique aux partis politiques européens, point sur lequel la France était très isolée puisque dans nombre d'États membres (Grèce, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique...) les partis n'en disposent pas. La demande française est motivée par le souhait que, quel que soit le pays d'implantation du parti européen, la règle applicable soit la même pour tous ;

· l'interdiction de financement des partis européens par des entreprises publiques ou privées pour ce qui concerne la « part autonome » de 25 %, cette approche correspondant à notre conception des choses ;

· l'intégration de la référence à la Charte des droits fondamentaux et une plus grande transparence dans les procédures de rendu des comptes et de contrôle (mais ces deux points semblent acceptés par tous les États membres).

*

Par ailleurs, deux autres modifications ont été adoptées, qui ne soulèvent pas de difficultés fondamentales :

· le Parlement européen a souhaité remplacer le « comité des Sages » par son propre Bureau, considérant qu'il était apte à juger lui-même des cas controversés de constitution d'un parti européen ;

· il a proposé de porter de « cinq États membres » au « quart des États membres » le nombre requis pour atteindre le seuil critique de « parti européen » éligible aux fonds communautaires, lorsque l'Union aura été élargie.

*

Globalement, l'avis du Parlement européen va donc dans le sens des positions françaises. C'est pourquoi je vous propose d'adopter des conclusions, au nom de notre délégation, afin de soutenir, dans la négociation en cours, les améliorations proposées. Il aurait sans doute été justifié que nous déposions, sur un texte d'une telle importance, une proposition de résolution, mais les contraintes du calendrier et la proximité des échéances électorales liées au renouvellement triennal du Sénat risquent d'empêcher son examen en commission en temps utile. La formule que je vous propose est certes moins solennelle, mais elle permet de faire connaître, sans délai, le sentiment de notre délégation.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Oudin :

Parmi toutes les questions que vous avez évoquées, celle qui me semble la plus importante concerne la possibilité qui sera accordée, ou non, aux entreprises de financer les partis politiques européens. La législation nationale des différents États membres varie, en effet, sur ce point et il est à craindre que certains de nos partenaires s'opposent à cette disposition de crainte de devoir transposer une nette interdiction de principe dans leur ordre interne.

Auriez-vous des informations sur la manière dont le financement des partis est assuré dans les quinze États membres ?

M. Yann Gaillard :

Les réglementations nationales sont en effet très variables et je puis vous dresser une sorte de tableau comparatif des différents cas de figure.

Cela dit, la proposition de la Commission européenne précise bien que son texte n'a pas vocation à entraîner des modifications dans les règles internes de financement de partis nationaux et se borne à organiser le financement des seuls partis politiques européens tels qu'ils ont été définis par elle.

*

A l'issue du débat, la délégation a adopté, à l'unanimité, les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation pour l'Union européenne,

Approuvant le principe de doter les partis politiques européens d'un statut et d'organiser les conditions de financement de ceux-ci :

Observe qu'aucune base juridique pertinente n'existe actuellement dans les traités et que, s'il est utile d'arrêter d'ores et déjà une réglementation, le texte définitif de celle-ci ne pourra être adopté qu'après la ratification du traité de Nice ;

Souhaite que les partis politiques européens disposent de la personnalité morale afin d'établir des règles statutaires communes au sein des États membres, répondant ainsi à l'objectif assigné à la présente proposition ;

Demande que soient précisées les conditions de financement autonome des partis politiques européens, hors budget communautaire, et qu'il soit notamment interdit de recourir à des fonds provenant des entreprises publiques et privées ;

Se déclare favorable à l'insertion d'une référence expresse aux principes définis par la Charte des droits fondamentaux pour apprécier le caractère démocratique des partis politiques européens.


* (1) Déclaration relative à l'article 191 du traité instituant la Communauté européenne :

« La Conférence rappelle que les dispositions de l'article 191 n'impliquent aucun transfert de compétences à la Communauté européenne et n'affectent pas l'application des règles constitutionnelles nationales pertinentes.

Le financement des partis politiques au niveau européen par le budget de la Communauté ne peut pas être utilisé pour le financement direct ou indirect des partis politiques au niveau national.

Les dispositions sur le financement des partis politiques s'appliquent sur une même base à toutes les forces politiques représentées au Parlement européen. »