COM (1999) 566 final
du 25/11/1999
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 29/06/2000
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 08/02/2000Examen : 07/04/2000 (délégation pour l'Union européenne)
Politique sociale et santé
Lutte contre les
discriminations
Textes E 1375, E 1393 et E 1394
COM (99) 567 final,
COM (99) 565 final et COM (99) 566 final
(Procédure écrite du 7 avril 2000)
Le traité d'Amsterdam a inséré un nouvel article 13 dans le traité instituant la Communauté européenne afin de permettre au « Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, [de] prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ».
A la suite des conclusions du Conseil européen de Tampere l'invitant à prendre des mesures pour lutter contre le racisme et la xénophobie, la Commission a proposé un ensemble de mesures. Ce « paquet » est composé d'un programme d'action pluriannuel et d'un volet législatif. Ce dernier comporte deux propositions de directives relatives, d'une part, à l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, d'autre part, à la lutte contre la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique.
1) Proposition de directive relative à l'égalité de traitement en matière de travail et d'emploi
Ce texte définit un cadre général destiné à assurer dans la Communauté le respect du principe de l'égalité de traitement entre les personnes dans l'accès à l'emploi, à la promotion, à la formation professionnelle, aux conditions d'emploi et à l'affiliation à certains organismes.
Tous les motifs de discrimination visés au nouvel article 13 du traité sont couverts par ce texte, sauf celui fondé sur le sexe. En effet, deux directives de 1976 et 1986 assurent déjà le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes pour l'accès à l'emploi, qui relève de plus d'une autre base juridique (article 141 du traité CE).
· PRINCIPE
La Commission propose de poser le principe de l'interdiction de toute discrimination en matière d'emploi et de travail, qu'elle soit directe (différence de traitement fondée sur une caractéristique précise) ou indirecte (critique ou pratique d'apparence neutre, mais susceptible de produire un effet défavorable pour certaines personnes déterminées). Le harcèlement, qui crée un environnement de travail hostile ou offensant, est considéré comme discriminatoire.
Le principe de l'égalité de traitement impose également l'élimination des obstacles auxquels sont confrontées les personnes handicapées qui, moyennant des « aménagements raisonnables », sont capables d'accomplir les fonctions essentielles d'un poste.
· CHAMP D'APPLICATION
Les domaines suivants sont couverts :
- les conditions d'accès à l'emploi salarié ou non salarié, y compris les critères de recrutement et la promotion ;
- la formation professionnelle, le perfectionnement et la formation de reconversion ;
- les conditions d'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération ;
- l'affiliation et l'implication dans une organisation d'employeurs ou de travailleurs ou dans toute autre organisation professionnelle.
· DÉROGATIONS
Ce texte prévoit d'autoriser certaines différences de traitement :
- « l'exigence professionnelle essentielle » peut être prise en compte lorsque la nature d'un poste ou les conditions de travail nécessitent une caractéristique particulière ;
- les différences fondées sur l'âge peuvent également être acceptées lorsqu'elles sont justifiées objectivement, appropriées et nécessaires à la réalisation d'objectifs légitimes sur le marché du travail (comme l'exigence d'une certaine durée d'expérience professionnelle, les restrictions fondées sur la nécessité de protéger les travailleurs jeunes ou âgés...).
La proposition de directive encourage les Etats à adopter des « actions positives » en faveur de la lutte contre les discriminations, c'est-à-dire des mesures destinées à prévenir ou corriger les situations d'inégalité existantes. Ils peuvent en outre appliquer des dispositions plus favorables que ne le prévoit le texte, mais ne peuvent à l'inverse s'appuyer sur ce texte pour faire régresser le niveau de protection offert à leurs administrés.
· RECOURS
Les victimes bénéficient d'un droit de recours, administratif ou judiciaire, qui peut être introduit par une association ou une personne morale.
La charge de la preuve revient à la partie défenderesse qui doit prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement.
· DIALOGUE SOCIAL
Les Etats membres sont invités à favoriser le développement du dialogue entre les partenaires sociaux, afin de promouvoir l'égalité de traitement, par la surveillance des pratiques sur le lieu de travail, par la mise en place de codes de conduite, par l'échange d'expériences et de bonnes pratiques...
2) Proposition de directive relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique
Cette proposition vise à créer un cadre minimal destiné à interdire la discrimination fondée sur la race et à fixer un niveau minimum de protection juridique pour les victimes.
· PRINCIPE
Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l'origine ethnique est prohibée.
Ce texte prévoit par ailleurs les mêmes dispositions que la directive emploi sur le harcèlement et le cas des personnes handicapées.
· CHAMP D'APPLICATION
L'égalité de traitement doit être assurée en matière d'accès à l'emploi et à la formation, d'éducation (y compris les bourses), de conditions de travail, de participation à une organisation professionnelle, de protection et de sécurité sociale, d'avantages sociaux ainsi que d'accès aux biens et services et de fourniture de ceux-ci.
· DÉROGATION
Il n'est possible de déroger à ce principe que lorsque la race ou l'origine ethnique constitue une « exigence professionnelle essentielle » (par exemple, lorsque certains services sociaux sont spécifiquement destinés à un groupe ethnique particulier).
· PROMOTION DE L'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Les Etats membres doivent assurer l'existence d'« organismes indépendants chargés de défendre à l'échelon national les droits de l'homme ou de protéger les droits des personnes », qui doivent promouvoir l'égalité de traitement entre les personnes de races différentes.
Ces organismes doivent pouvoir recevoir les plaintes des personnes victimes de discriminations, y donner suite, entamer des enquêtes ou des études, publier des rapports et émettre des recommandations.
Les autres dispositions de la proposition de directive sont identiques à celles du premier texte.
3) Proposition de décision du Conseil établissant un programme d'action communautaire de lutte contre la discrimination
Ce programme vise à favoriser la coopération transnationale entre certains acteurs de la société civile et politique (Etats membres, autorités régionales et locales, organismes chargés de la lutte contre la discrimination, ONG, médias, partenaires sociaux...) sur un certain nombre de thèmes pertinents au niveau européen.
Les trois objectifs recherchés sont les suivants :
- « faire mieux comprendre les questions liées à la discrimination en améliorant la connaissance et l'appréciation de ce phénomène et en évoluant l'efficacité des politiques et des pratiques » : par exemple, par l'élaboration de statistiques, par l'analyse des législations et pratiques antidiscriminatoires... ;
- « développer la capacité des acteurs cibles à s'attaquer à la discrimination avec efficacité » ;
- « promouvoir et diffuser les valeurs et pratiques qui sous-tendent la lutte contre la discrimination », notamment par l'organisation de conférences ou de manifestations à l'échelon européen ou par la création d'un site Internet contenant des exemples de bonnes pratiques, un forum d'échange d'idées et une base de données de partenaires susceptibles de participer à des actions d'échange transnational.
La Commission est chargée d'assurer la mise en oeuvre de ce programme, assistée par un comité consultatif. Elle doit rendre un rapport sur l'application de ces mesures au plus tard le 31 décembre 2005. Elle est aussi chargée de veiller à la cohérence globale du dispositif de lutte contre la discrimination avec les autres politiques, instruments et actions de l'Union.
Le coût de ce programme serait de 98,4 millions d'euros pour la période 2001-2006.
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Lors du Conseil Travail-Affaires sociales du 13 mars dernier, la présidence portugaise a exprimé son souhait d'aboutir à un accord politique sur ce paquet de mesures avant la fin de son mandat. Elle est soutenue par la plupart des Etats membres et notamment par le Gouvernement français qui a rappelé la nécessité d'une action européenne en matière de lutte contre les discriminations.
Toutefois, malgré cette volonté politique commune, les discussions au niveau du groupe des questions sociales sont délicates, car elles reflètent des approches différentes du sujet.
1) Sur le programme d'action
Plusieurs Etats, dont la France, ont manifesté leur souhait que la Commission soit assistée d'un comité de gestion, et non pas simplement d'un comité consultatif, pour mettre en oeuvre le programme. Certains pays se sont aussi prononcés pour que la Commission rende un rapport intermédiaire au bout de 3 ou 4 ans.
2) Sur les articles communs aux deux directives
· Le concept de « harcèlement » fait l'objet d'interrogations de la part de plusieurs Etats membres, notamment sur la définition de l'auteur (uniquement l'employeur ou aussi les collègues). Le Gouvernement français a insisté, lors des négociations, sur la nécessité d'actes graves pour justifier une incrimination. A ce propos, on notera que, à la suite du dépôt d'une proposition de loi par le groupe communiste de l'Assemblée nationale, le ministre de l'Emploi et de la solidarité a indiqué, le 8 mars dernier, que le Gouvernement préférait saisir le Conseil économique et social avant de légiférer sur le harcèlement.
· Au sujet des handicapés, la Commission a souligné, lors des discussions, que l'approche qu'elle préconise (les « aménagements raisonnables ») relevait d'une analyse au cas par cas pour trouver un équilibre entre les intérêts économiques de l'entreprise et l'intérêt de la personne handicapée : le coût est certes un critère, mais il faut aussi prendre en compte la taille de l'entreprise, sa possibilité de bénéficier ou non de subventions...
· Sur la notion d'« exigence professionnelle essentielle », certains Etats s'interrogent sur l'utilisation d'une même notion pour des motifs de discrimination différents : alors que les exceptions doivent être très limitées pour la race, elles peuvent être plus nombreuses pour le handicap.
3) Sur la directive « emploi »
Le Gouvernement français soutient la Commission dans sa volonté de définir avec précision les discriminations, alors que d'autres Etats préféreraient éviter l'apparition de définitions communautaires et souhaiteraient que ce point relève du droit national.
Par ailleurs, certains Etats s'opposent à l'emploi du mot « race » dans le texte de la directive.
4) Sur la directive racisme
Un point pose particulièrement des difficultés : celui des « organismes indépendants » chargés de promouvoir la lutte contre la discrimination liée à la race.
Certains pays, comme la Suède et le Royaume-Uni, ont déjà un organisme qui assure la double fonction prévue par le texte de la directive (prévention et information d'une part, réception des plaintes et assistance d'autre part). En Suède par exemple, les quatre « ombudsman » (compétents respectivement sur le handicap, l'égalité entre les sexes, l'orientation sexuelle et le racisme) peuvent saisir la justice. D'autres Etats, au contraire, s'interrogent sur cet aspect des propositions de la Commission.
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Les objectifs de ces textes ne pouvaient manquer d'être approuvés par la délégation. Il en est de même de la volonté du Gouvernement de parvenir à un texte plus précis et, surtout, d'obtenir que la mise en oeuvre du programme d'action soit surveillée par un comité de gestion, qui garantit un contrôle plus efficace des Etats membres. Le point qui paraît le plus susceptible de susciter des réserves est l'obligation de créer un « organisme indépendant » chargé de promouvoir l'égalité de traitement entre les personnes de race différente : la nécessité d'un tel organisme pourrait être laissée à l'appréciation de chaque Etat membre, dans un esprit de subsidiarité, en fonction du jugement porté sur son utilité. La délégation a estimé que cette réserve ponctuelle n'était cependant pas de nature à justifier une intervention sur ce texte de caractère consensuel.