COM (97) 049 final
du 26/02/1997
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 23/10/2000
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 16/05/1997Examen : 14/10/1997 (délégation pour l'Union européenne)
Environnement
Proposition E 838
Com (97) 49 final
(Réunion de la délégation du 14 octobre 1997)
· Présentation du texte par M. Jacques Oudin :
Le texte qui nous est soumis établit un cadre communautaire pour la protection des eaux de surface et des eaux souterraines dans la Communauté.
Cette proposition constitue une réponse à la demande du Conseil et de la Commission « Environnement » du Parlement européen, présentée en juin 1995, en faveur d'un réexamen global et approfondi de la politique de l'Union dans le domaine de l'eau. A cette requête, la Commission avait d'abord réagi en adoptant, en février 1996, une communication sur la politique communautaire de l'eau recommandant l'élaboration d'une directive-cadre en la matière.
Il faut souligner que, depuis les années 70 -date à laquelle la Communauté a commencé de s'intéresser à cet aspect de l'environnement- une multitude de directives sectorielles a été adoptée : on en dénombre actuellement 32, fixant notamment des objectifs qualitatifs pour les eaux (eaux superficielles, eaux de baignade, eaux aptes à la vie des poissons, eaux conchylicoles, eaux destinées à la consommation humaine ...).
La présente proposition aura pour premier mérite de se substituer, pour partie, à cette législation abondante, complexe et parfois contradictoire.
Selon la Commission, toute politique durable dans le domaine de l'eau doit viser les quatre principaux objectifs suivants :
- Protéger l'environnement : objectif premier,
- Assurer l'approvisionnement en eau potable,
- Assurer l'approvisionnement en eau à d'autres fins économiques (agriculture, transports, énergie et tourisme)
- Réduire les conséquences des inondations et des épisodes de sécheresse.
Ces quatre objectifs doivent être atteints grâce à un ensemble de mesures adoptées au niveau des Etats membres et de la Communauté.
L'objectif de la présente proposition de directive est d'atteindre un bon état des eaux. Elle définit le cadre global au sein duquel les Etats membres et la Communauté, dans les limites de leurs compétences respectives, peuvent établir les fondements d'une utilisation et d'une protection durables de l'eau, en tenant compte notamment des problèmes de nature transfrontières.
S'agissant d'une directive-cadre, elle fixe des objectifs et laisse aux Etats membres le choix des moyens de mise en oeuvre, conformément au principe de subsidiarité.
Le calendrier, fondé sur l'hypothèse d'une adoption de la directive par le Conseil fin 1997, a pour objectif d'atteindre un bon état des eaux à la date limite du 31 décembre 2010 -sauf quelques exemptions mineures-. L'annexe V établit les critères de base de la surveillance du maintien en « bon état » de l'eau pour les eaux de surface (surveillance écologique des caractéristiques physico-chimiques, biologiques et physiques de la masse d'eau et des substances polluantes), comme pour les eaux souterraines (contrôle du volume d'eau et surveillance des niveaux de concentration des substances polluantes).
A - Les éléments nouveaux
1. La gestion par bassin
Au cours des consultations préalables à l'élaboration de cette directive-cadre, la Commission a constaté un soutien quasi-unanime au principe consistant à prendre le bassin hydrographique comme unité fondamentale et naturelle en matière de protection et d'usage de l'eau, c'est-à-dire « le territoire sur lequel toutes les eaux de ruissellement s'écoulent jusqu'à la mer, par l'intermédiaire d'un réseau de cours d'eau et de lacs, au niveau d'un delta ou d'une embouchure uniques ».
L'unité de gestion de base pour sa gestion est donc le bassin hydrographique, ce qui constitue une importante reconnaissance du bien-fondé du modèle français. Cette gestion est confiée à une « autorité responsable ».
Nous avons eu une légère inquiétude en constatant que le terme « agence de bassin » qui existait dans une version précédente du texte avait disparu dans sa version définitive. Fallait-il y voir une critique de notre dispositif national ou une remise en cause, à prévoir, des autorités françaises de gestion de l'eau ?
Après examen, il semblerait que cette modification n'ait pour but que de laisser s'appliquer le principe de subsidiarité en fonction des traditions administratives de chaque Etat membre mais, qu'en tout état de cause, nos agences de bassin répondaient parfaitement au cadre européen proposé.
2. Le contrôle quantitatif
Outre l'objectif d'améliorer la qualité des eaux figure celui d'augmenter les volumes disponibles dans l'ensemble de la Communauté.
Cette approche quantitative est nouvelle dans la politique communautaire de l'eau : aussi, le texte prévoit que les Etats membres sont responsables de la mise en place de procédures spécifiques, concernant notamment la délivrance de licence ou d'autorisation préalable pour le captage d'eau afin de prévenir toute surexploitation des eaux -de surface ou souterraines- et toute dégradation de la qualité imputable à l'abaissement du niveau des nappes phréatiques ou du débit de base des eaux de surface.
3. L'approche combinée en matière de lutte contre la pollution
Le texte propose d'apprécier la qualité des eaux sous une double « grille de lecture » : d'une part, sous l'angle des normes de qualité environnementale des eaux, d'autre part, sous l'aspect des valeurs limites d'émission. Ces deux types de mesure se renforceront mutuellement et, pour chaque cas particulier, il est prévu que l'on fera prévaloir l'approche la plus rigoureuse.
Cette disposition constitue un compromis entre les deux approches possibles d'estimation de la qualité des eaux, l'une allemande, l'autre britannique.
Il faut noter que la directive-cadre ne fixe pas elle-même de valeurs limites d'émission mais coordonne l'application de celles requises aux termes d'autres textes, en particulier la directive sur la prévention et la réduction intégrées de la pollution « PRIP » du 10 octobre 1996.
Pour les normes de qualité environnementale, elle reprend en annexe les différents indices fixés par les directives adoptées sur la base de la directive sur les substances dangereuses du 8 mai 1976, dont elle étend l'application à l'ensemble des Etats membres.
4. La surveillance et l'agence européenne de l'environnement
Une part importante de la proposition concerne la collecte de différentes données sur l'état de l'environnement et les contraintes qu'il subit.
Ces données sont principalement recueillies pour faciliter la prise de décision au niveau des bassins hydrographiques, mais elles pourraient également être utiles pour des analyses plus globales conduites par les autorités nationales, par l'agence européenne de l'environnement ou par Eurostat (l'organe communautaire chargé des statistiques) afin de déceler les grandes tendances et d'informer les différents décideurs.
5. La tarification au coût réel
Bien que non évoqué dans la communication de la Commission, le principe d'une tarification de l'eau au coût réel -y compris le coût de l'environnement et de la gestion des ressources- est apparu comme un moyen d'assurer une meilleure application de la règle du pollueur-payeur dans ce secteur.
Ainsi, l'article 7 prescrit de procéder à une analyse économique des différents usages de l'eau et l'article 12 prévoit qu'en 2010, la tarification reflète plus fidèlement les coûts économiques, en répartissant les usages de l'eau en au moins trois secteurs économiques différents : ménages, industrie et agriculture.
Les coûts économiques comprennent, d'une part, les coûts des services nécessaires à l'usage de l'eau (captage, distribution, collecte et traitement des eaux usées, prévention et lutte contre la pollution), d'autre part, les coûts environnementaux et coûts liés à l'appauvrissement des ressources (dégradations environnementales et coûts du préjudice subi par l'appauvrissement des ressources).
Ce principe du coût réel est déjà appliqué dans plusieurs Etats membres (Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Suède, Royaume-Uni) et, partiellement, dans les autres -dont la France-.
6. Cas particuliers des districts hydrographiques internationaux
Lorsqu'un bassin hydrographique s'étend sur le territoire de plusieurs Etats membres, ceux-ci doivent établir un district hydrographique international. Dans ce cas, sera désignée comme autorité compétente soit des organismes nationaux, soit des organismes internationaux existants -comme c'est déjà le cas sur le Rhin ou sur le lac Léman.
B - L'appréciation de ce texte
Cette directive-cadre est attendue depuis de nombreuses années et a fait l'objet d'une vaste consultation. Elle va être prochainement discutée au Conseil environnement du 16 octobre, et probablement adoptée à la fin de l'année 1997.
Son approche globale nous donne toute satisfaction : elle est fortement inspirée du modèle français, ce qui fait figure de reconnaissance pour les professionnels français de l'eau. Je vous propose donc de n'opposer aucun obstacle à son adoption rapide.
En revanche, je suis très inquiet -et tous les professionnels français de l'eau auditionnés en commun avec le groupe sénatorial de l'eau également- au sujet d'une autre proposition de directive qui concerne l'eau potable. Cette proposition de directive date d'avril 1995 et elle n'a pas été soumise à l'examen du Parlement sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution, car elle a été classée comme réglementaire par le Conseil d'Etat.
Cela ne s'oppose d'ailleurs pas à l'examen de notre délégation qui a vocation à étudier l'ensemble des propositions d'actes communautaires et à présenter les conclusions qui lui semblent pertinentes.
Cette directive, qui abroge et remplace un texte de 1980, impose des seuils limites d'admission pour différentes substances dans l'eau destinée à la consommation humaine.
Elle prévoit notamment une teneur maximale de 10 micro-grammes par litre pour le plomb, à échéance 15 ans, après une étape intermédiaire à 25 micro-grammes à atteindre dans les cinq ans de l'entrée en vigueur du texte. Or, actuellement, la tolérance admise est de 50 micro-grammes par litre d'eau.
Compte tenu de l'importance du réseau des canalisations en plomb -notamment dans les parties privatives des habitations- le respect de cette norme obligera à des investissements massifs, évalués en France à 118 milliards de francs dont 100 milliards pour les canalisations privées. A la limite, le taux de 25 micro-grammes est acceptable et réalisable, il apportera déjà une nette amélioration sanitaire, mais il faut savoir qu'il en coûtera 8,5 milliards de francs d'investissements à la charge des collectivités distributrices, ce qui se répercutera nécessairement sur le prix de l'eau.
Cette limite nous semble d'autant plus aberrante qu'elle a été déterminée à partir d'un calcul de toxicité approximatif établi sur des évaluations de l'OMS et concernant le seuil de tolérance des nourrissons.
Or, je vous rappelle que 10 % seulement de l'eau potable distribuée en France est effectivement bue -et pas spécifiquement par les bébés pour lesquels on utilise essentiellement de l'eau minérale-. Ces nouvelles normes européennes vont donc susciter un gaspillage financier colossal pour un mieux-être sanitaire qui reste à démontrer.
Sachant que ce texte doit faire l'objet d'une position commune le 16 octobre prochain, j'ai déjà, au nom du groupe de l'eau, fait connaître aux autorités françaises notre réticence à son adoption en l'état. Il serait bon que notre délégation adopte pour sa part des conclusions qui, tout en soutenant la directive-cadre sur la politique de l'eau, invitent le Gouvernement à s'opposer, sur la limitation de la teneur en plomb, à l'adoption de la directive « eau potable ».
A l'issue de cette présentation, le président Jacques Genton a signalé que les élus locaux étaient également confrontés au problème de la présence des nitrates dans l'eau qui oblige à des opérations de traitement particulièrement coûteuses.
M. Christian de La Malène a déclaré soutenir les conclusions du rapporteur, mais s'est inquiété du fait que des directives ultérieures, éventuellement prises en application d'une directive-cadre, puissent par la suite échapper à la compétence du Parlement du fait qu'elles seraient considérées comme réglementaires par le Conseil d'Etat.
M. Michel Barnier a également soutenu la position du rapporteur, tout en insistant sur le fait qu'aucune conséquence sanitaire négative n'avait été déplorée avec l'application de l'actuelle norme de 50 micro-grammes de plomb par litre d'eau potable. Il a par ailleurs souhaité connaître la position des autres Etats membres sur cette nouvelle limitation de la teneur en plomb.
M. Jacques Oudin a précisé que si certains Etats n'étaient aucunement affectés par cette mesure, en raison de l'absence de canalisations en plomb sur leur territoire, la France, l'Italie, la Grande-Bretagne et l'Espagne subiraient les plus lourdes conséquences financières de cette disposition.
La délégation a alors adopté les conclusions proposées par M. Jacques Oudin (voir texte ci-après).
CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION
La délégation du Sénat pour l'Union européenne
1. Considérant la proposition d'acte communautaire COM (97) 49 final (n° E 838) instituant un cadre pour l'action communautaire dans le domaine de l'eau ;
Se déclare favorable à l'adoption de cette directive ;
2. Considérant la proposition d'acte communautaire COM (94) 612 final, qui a pour objet de modifier la directive n° 80/778 du 15 juillet 1980 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine ;
Considérant que ce texte détermine les normes de tolérance applicables pour certaines substances et paramètres microbiologiques, notamment la teneur en plomb de l'eau potable ;
Considérant qu'en vertu de l'application du principe de subsidiarité, les autorités de l'Union ne doivent intervenir que si les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres ; qu'en l'espèce, la qualité de l'eau potable peut être valablement appréciée au niveau des Etats membres, en fonction des spécificités locales et des habitudes de consommation nationales ;
Considérant que le taux de tolérance de 10 micro-grammes par litre proposé pour le plomb ne repose pas sur un calcul scientifique incontestable en terme de santé publique ; que le taux de 50 micro-grammes précédemment fixé par la directive du 15 juillet 1980, avec l'accord de l'OMS, n'a donné lieu à aucun incident général répertorié ;
Considérant que l'adoption de la norme de 10 micro-grammes induirait des dépenses considérables, qui entraîneraient l'abandon ou la révision à la baisse d'autres priorités plus urgentes répertoriées par la France dans le domaine de l'eau ;
Demande au Gouvernement de s'opposer à l'adoption de la valeur limite de 10 micro-grammes de plomb par litre d'eau potable applicable dans un délai de 15 ans à compter de l'entrée en vigueur de la nouvelle directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine ;
Souhaite que cette référence ne constitue qu'un objectif sanitaire à atteindre à terme, sans échéance prédéterminée.