COM (95) 172 final
du 10/05/1995
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 04/07/1995Texte rendu caduc par notification du 25 juin 2004
RÉUNION DE LA DÉLÉGATION DU 31 JANVIER 1996
E 443
Présentation par M. Philippe François d'un rapport d'information :
La Commission a proposé en 1992 une taxe communautaire harmonisée perçue pour moitié sur les émissions de dioxyde de carbone et pour moitié sur les énergies non renouvelables ainsi que sur celles produites par les barrages les plus importants.
Devant l'impossibilité de réunir l'unanimité au Conseil, nécessaire en matière fiscale, la Commission a remplacé cette proposition par une version modifiée publiée le 10 mai 1995.
La Commission propose un cadre harmonisé fixant des objectifs de taux pour la taxe, dont l'institution par les Etats membres demeurerait facultative jusqu'à l'an 2000. Il n'est plus prévu de suspendre la mise en vigueur de la taxe à l'instauration de mesures équivalentes de la part des autres Etats membres de l'O.C.D.E.
Les exonérations en faveur des énergies renouvelables sont précisées (solaires, éoliennes, marémotrices, géothermiques ou issues de la biomasse).
La proposition de directive prévoit encore que la taxe serait généralisée à tous les Etats membres, selon des taux harmonisés à compter du 1er janvier 2000 et que les Etats doivent diminuer d'autres prélèvements, à concurrence du produit de la taxe afin que son instauration ne se traduise pas par une augmentation de la charge fiscale globale.
La proposition modifiée ne semble pas plus devoir faire l'unanimité.
Selon les estimations mêmes de la Commission, le produit de la taxe à plein régime devrait avoisiner les 50 milliards d'Ecus, soit 325 milliards de francs.
Devant l'importance du prélèvement, et du renchérissement de l'énergie qui s'ensuivrait ; devant également la difficulté de dégager des baisses d'impôts compensant la nouvelle taxe, la plupart des Etats membres maintiennent leurs réserves.
De fait, l'institution de la nouvelle taxe ne paraît pas l'approche la plus appropriée :
- d'une part, son effet sur les émissions de CO2 demeure largement incertain ;
- d'autre part, il existe d'autres moyens de parvenir à la stabilisation voire à la réduction des pollutions atmosphériques, moyens plus efficace et plus respectueux du principe de subsidiarité.
Une décision du Conseil du 24 juin 1993 a institué un mécanisme communautaire de surveillance des émissions de CO2, selon des programmes nationaux comportant des engagements et un calendrier précis.
Compte tenu notamment des performances enregistrées en France par les diverses mesures nationales de réduction de la pollution atmosphérique (taxes sur les carburants, « vignettes » progressives sur les véhicules à moteur, taxes sur la pollution atmosphérique perçues au profit de l'Agence des économies d'énergie ou encore incitations fiscales aux économies d'énergie), il convient d'abord d'encourager ces politiques. Leur efficacité est établie puisque, par exemple, la France a réduit ses émissions totales de CO2 d'un tiers depuis 1980.
Puisque la réalisation des engagements des Etats membres par rapport à l'objectif commun de stabilisation des émissions de CO2 d'ici à l'an 2000 peut être contrôlée au niveau communautaire par le mécanisme de surveillance mis en place et déjà opérationnel, il n'est pas opportun de s'engager, même progressivement, sur le chemin de l'instauration d'une taxe communautaire.
La structure même de la taxe proposée pourrait fournir un cadre tout prêt pour l'instauration d'un prélèvement directement perçu au profit des Communautés européennes, ce qui était l'inspiration initiale de cette taxe.
Enfin, la gestion de la taxe harmonisée selon la procédure du « comité des accises », c'est-à-dire par décisions arrêtées à la majorité qualifiée, selon les pondérations de l'article 148 du Traité, pourrait aboutir à ôter toute autonomie aux Etats membres dans leurs choix en matière de ressources énergétiques, puisque la modulation des taxes décidées au niveau communautaire orienterait à l'évidence ces choix et de façon décisive.
Aussi, je vous suggère d'inviter le Gouvernement français à maintenir ses réserves vis-à-vis de la proposition de directive modifiée tout en encourageant la réalisation des programmes nationaux de réduction des émissions de CO2 par le recours aux mesures qui semblent les plus appropriées à chaque Etat sous le contrôle de la Commission européenne. Parallèlement, il me semble souhaitable de développer, tout en renforçant leur cohérence, les programmes de modernisation du secteur énergétique des pays d'Europe centrale et orientale « responsables » aujourd'hui du quart des émissions mondiales de CO2. Il y a là un « gisement » de réduction des pollutions atmosphériques dont l'exploitation est absolument prioritaire.
Au cours du débat qui a suivi la présentation par M. Philippe François de son rapport d'information, M. Jacques Oudin a déclaré partager pleinement les observations du rapporteur et a posé deux questions, l'une de fond, l'autre de forme. Il a tout d'abord indiqué qu'il lui semblait complètement inopportun de prendre le risque d'alourdir les taux de prélèvements obligatoires, spécialement en France où ils sont parmi les plus élevés de la Communauté, se demandant si les fonds structurels ne pourraient pas être mis à contribution pour aider les entreprises responsables du plus gros des émissions de dioxyde de carbone à améliorer les processus de production et à renforcer leur « efficacité énergétique ». Ensuite, il a souhaité que dans ses conclusions la délégation ne se borne pas à inviter le Gouvernement « à maintenir ses réserves » vis-à-vis de la proposition de directive mais, plus nettement, à « manifester son opposition ». La délégation a approuvé cette proposition.
M. Xavier de Villepin a également manifesté son approbation à l'égard des observations du rapporteur et s'est interrogé sur l'éventuelle influence de certains secteurs d'activités, tels les chemins de fer, en faveur d'un durcissement de la réglementation antipollution ; il a en outre souligné la nécessité d'éviter de surenchérir les prix européens.
M. Philippe François, rapporteur, a rappelé le climat dans lequel était née la proposition de la Commission : celle-ci a été mise au point pendant la préparation du « sommet de Rio », alors qu'on pouvait escompter un engagement de la part de tous les Etats de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Le retrait américain a sans doute déséquilibré la traduction en normes internationales de la prise de conscience générale des risques de modification du climat. Les entreprises de transport ferroviaire ne sont venues que récemment au soutien de ce mouvement.
M. Charles Metzinger s'est déclaré d'accord avec les réserves du rapporteur vis-à-vis de toute proposition qui pourrait entraîner une augmentation des prélèvements obligatoires. Il s'est cependant interrogé sur l'efficacité de mesures nationales pour atteindre à elles seules l'objectif de la taxe, à savoir la stabilisation des émissions de CO2. Il s'est demandé s'il ne conviendrait pas d'instituer la taxe communautaire comme une « menace » pour amener les entreprises les plus polluantes à respecter les valeurs limites fixées. Il a indiqué que l'objectif de réduction des pollutions demeurait intrinsèquement souhaitable, pour la France comme pour la Communauté.
M. Philippe François, rapporteur, a indiqué qu'il existait un mécanisme communautaire de surveillance qui, même s'il est dépourvu de pouvoirs de police, peut alerter la Commission et le Conseil sur le non-respect des engagements des Etats au regard des objectifs souscrits au niveau communautaire.
Le rapporteur s'est encore fait l'avocat du développement des carburants de substitution, rappelant les travaux menés en ce sens par la commission des affaires économiques et du plan du Sénat dont il a conduit une mission aux Etats-Unis, et exposant que, si l'on intégrait tous les coûts des énergies fossiles, les bio-carburants apparaîtraient comme rentables.
M. Denis Badré ayant rappelé son expérience des conseils « Environnement » sous présidence française au premier semestre de 1995, a souligné que la proposition soulevait des débats de fond tenant à la politique de l'énergie, à la politique des transports, à l'équilibre des relations internationales entre, d'une part, l'Union européenne et le sous-continent Nord-américain ou le Japon et, d'autre part, le Nord et le Sud. Il a indiqué que l'esprit de Rio ne s'était pas complètement dissipé, comme en témoigne l'inscription d'une clause de protection de l'environnement dans le Traité de l'Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA). Les préoccupations environnementales se développent donc, même si le contexte économique et politique est difficile. Le débat existe même entre les Etats européens, et notamment entre les partisans et les adversaires de l'énergie nucléaire, la France pouvant occuper un rôle de pivot dans plusieurs de ces débats.
M. Denis Badré a alors formulé les trois critères d'appréciation à appliquer aux mesures envisagées : en premier lieu, le niveau des prélèvements, qu'il convient non seulement de contenir mais sans doute d'abaisser ; en second lieu, le niveau de la pollution atmosphérique dont la réduction est certainement souhaitable et, enfin, l'effet des mesures choisies, notamment à l'égard de la compétitivité des Etats-membres et de l'Union européenne en général. Soulignant que le choix entre taxes et normes était lourd de conséquences, il a déclaré sa préférence pour la fixation de valeurs limites par des normes, et a indiqué qu'il convenait d'agir sans relâche pour amener nos principaux partenaires à la prise en compte de ces normes, en particulier dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce, plutôt que d'abaisser les normes communautaires.
Au terme de ce débat, la délégation a adopté à l'unanimité le rapport, après en avoir modifié les conclusions dans le sens souhaité par M. Jacques Oudin.
Le rapport de M. Philippe François :
Une écotaxe communautaire : quels effets environnementaux, économiques et institutionnels ?
a été publié sous le n° 210 (1995-1996)