AUDITION DU 26 MARS 1997
MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR L'ENTREE DE LA FRANCE DANS LA SOCIETE DE L'INFORMATION
Mercredi 26 mars 1997 - Présidence de M. Pierre Laffitte, président. La mission a procédé à l'audition de M. Bruno Chetaille, président de TDF, sur les perspectives de la diffusion par micro-ondes et de la diffusion numérique sur les fréquences hertziennes terrestres.
M. Bruno Chetaille a tout d'abord rappelé que les premiers travaux français concernant l'application de la technique numérique au domaine de l'audiovisuel remontaient à 1977.
Il a noté que l'emploi de ces techniques numériques permettaient de multiplier par quatre au minimum le nombre de programmes diffusés sur un même canal hertzien, tout en améliorant la qualité visuelle et sonore de ces programmes et en autorisant la diffusion d'informations associées ou non à ceux-ci.
S'agissant de la mise en oeuvre de ces techniques, M. Bruno Chetaille a précisé qu'il analyserait tout d'abord les caractéristiques de ce qui pourrait être un "scénario national" axé autour d'un engagement volontariste de l'Etat pour le déploiement d'un réseau numérique sur l'ensemble du territoire, puis présenterait les pistes d'un "scénario local" essentiellement fondé sur la technologie dite MMDS (Microwave multichannel distribution system).
En ce qui concerne le scénario national, M. Bruno Chetaille a tout d'abord souligné les avantages que présenterait le déploiement d'un réseau numérique pour les différentes parties concernées.
Il a noté que pour le consommateur, cette solution déboucherait sur une multiplication du nombre de programmes télévisés offerts et sur une amélioration de leur qualité visuelle et sonore, tout en favorisant la "portabilité" de la télévision.
Pour l'Etat, M. Bruno Chetaille a relevé que ce scénario favoriserait une bonne gestion patrimoniale de l'espace hertzien, en libérant à terme des fréquences pour d'autres usages, éventuellement les télécommunications, et constituerait un atout pour la politique culturelle.
Il a précisé que la moindre "consommation" de la technologie numérique en matière de fréquences hertziennes permettrait de valoriser, à moyen terme, l'espace qui serait libéré par la diffusion hertzienne en mode analogique.
Il a ensuite noté, qu'en termes de politique culturelle, la diffusion hertzienne numérique terrestre était le seul moyen pour la puissance publique de conserver un contrôle en la matière.
Pour les industriels, M. Bruno Chetaille a souligné que cette option présenterait l'avantage d'ouvrir un marché de masse n'exigeant aucune technologie nouvelle à l'exception de l'installation de boîtiers décodeurs chez les "consommateurs".
Du point de vue des chaînes de télévision et des opérateurs, il a relevé que ce scénario permettait la mise en oeuvre de "décrochages" locaux et qu'il autorisait une plus grande souplesse de programmation au moyen de la démultiplication des programmes (multiplex), tout en permettant la baisse des coûts de diffusion.
M. Bruno Chetaille a ensuite analysé des exemples étrangers de choix du "scénario national".
Il a indiqué que, dans le domaine de la diffusion hertzienne numérique terrestre, la Grande Bretagne avait engagé une action volontariste en adoptant une législation spécifique au mois de juin 1996, conduisant à réserver trois "multiplex", de quatre chaînes chacun, aux opérateurs existants (BBC, ITV, Channel 5) et à soumettre à la concurrence l'attribution des trois derniers "multiplex".
Il a souligné que cette politique devrait permettre de récupérer à l'horizon 2010, de 100 à 150 megahertz de bande passante restitués à l'occasion de la cessation de la diffusion analogique.
M. Bruno Chetaille a précisé que l'ouverture des réseaux numériques britanniques serait effective vers le milieu de l'année 1998.
Abordant l'exemple des Etats-Unis d'Amérique, il rappelle que ce pays avait choisi de s'orienter vers la télévision haute définition, avant de se tourner progressivement vers la télévision hertzienne numérique terrestre. Prévu pour l'année 1998, le lancement de ce mode de diffusion s'insérera dans un cadre juridique contraignant où les opérateurs analogiques existants se verront réserver la totalité des capacités nouvelles pendant une durée de dix ans avant l'ouverture à la concurrence.
Interrogé sur la part de la capacité de diffusion de ces réseaux qui serait réservée aux données, M. Bruno Chetaille a indiqué qu'en Grande-Bretagne 10 % des ressources de diffusion leur seraient dédiées. Sur ce point, il a souligné que la logique audiovisuelle restait très largement dominante.
Analysant ensuite les perspectives françaises dans ce domaine, M. Bruno Chetaille a tout d'abord relevé la faible motivation des industriels et des chaînes de télévision pour la télévision hertzienne numérique terrestre.
Il a expliqué que ce manque d'intérêt résultait très largement de l'actuelle focalisation de ces acteurs sur les développements de la diffusion télévisée par satellite.
M. Bruno Chetaille a cependant considéré que si la télévision hertzienne numérique terrestre connaissait le succès en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, il serait difficile de ne pas en tenir compte et qu'il était nécessaire de permettre aux pouvoirs publics de se déterminer en la matière dans le courant de l'année 1988. A cet égard, il a indiqué que le développement maximal du satellite ne permettrait - dans le meilleur des cas - à couvrir que 25 à 30 % de la population d'ici à 2005 et qu'il subsisterait en conséquence d'importantes perspectives pour les autres modes de diffusion.
Sur ce point, M. Bruno Chetaille a contesté le bien fondé d'une analyse malthusienne des différentes technologies de diffusion.
A cet égard, il a souligné le développement simultané des bouquets numériques par satellite et du nombre de réseaux hertziens terrestres aux Etats-Unis.
Mme Danièle Pourtaud a cependant relevé que les difficultés du câble en France suscitaient des interrogations sur la possibilité pour chaque support de trouver son équilibre financier dans un contexte de développement simultané.
M. Bruno Chetaille a indiqué que le faible développement du câble était en grande partie la conséquence de la création d'une télévision hertzienne payante. Il a ajouté qu'en outre le prix de l'abonnement au câble en France était trop élevé, rappelant qu'en Allemagne où le prix était fixé à moins de 100 francs par mois, plus de 50 % des foyers étaient reliés à un réseau câblé.
Il a conclu ce point en notant que le faible développement du câble en France résultait des limites de la capacité financière des ménages.
Enfin, dans la perspective, d'une prise de décision en 1998 au sujet de la télévision hertzienne numérique terrestre, il a insisté sur sa volonté d'éviter un "plan câble bis" ainsi que l'adoption d'une technique nationale spécifique à la France.
M. Bruno Chetaille a ensuite évoqué l'hypothèse du déploiement local des réseaux de diffusion hertzienne terrestre numérisée. Il s'agit de la technique " de diffusion multiplexée sur canal micro-ondes " désignée généralement par les initiales MMDS, dont M. Bruno Chetaille a détaillé les avantages par rapport au câble : absence des coûts de génie civil, rapidité de déploiement du réseau, utilisation possible de petites antennes. Le recours à cette technique est particulièrement approprié dans les zones d'habitat peu denses ou pour étendre les réseaux câblés existants.
Deux problèmes sont à régler. Il est d'une part nécessaire de vérifier le potentiel commercial du MMDS et l'existence d'un marché solvable. Il est d'autre part nécessaire d'identifier les fréquences qui permettront le déploiement de réseaux. Dans la plupart des pays, la banque de fréquence de 2,5 Ghz est affectée au MMDS. Elle est cependant détenue en France par l'armée qui ne souhaite pas s'en dessaisir. La bande de 3,6 à 3,8 Ghz peut être utilisée dans des conditions économiques encore satisfaisantes : les coûts d'adaptation des équipements utilisés sur les marchés étrangers pour la bande de 2,5 Ghz ne sont pas très élevés. Cependant, l'affectation au CSA de cette bande de fréquence n'est pas encore définitive.
M. Bruno Chetaille a noté que les réglementations susceptibles de ralentir le développement du MMDS étaient en cours de modification. Le projet de loi sur la communication audiovisuelle actuellement discutée par le Parlement devrait aligner la réglementation applicable à ce mode de diffusion sur celle du câble. En revanche, continuerait de se poser le problème de l'interdiction de la diffusion par micro-ondes dans les zones câblées.
Afin de favoriser le développement du MMDS, TDF a lancé un certain nombre d'expériences dans les communes de Feltin et de Prades. Des contacts sont en cours pour le lancement de nouvelles initiatives à Annonay et à Lourdes. M. Bruno Chetaille a ensuite estimé que la diffusion par micro-ondes était adaptée à des communications à grand débit et permettait l'interactivité. Les travaux en cours permettraient de tester la possibilité d'utiliser l'antenne de réception pour permettre aux abonnés de réémettre des informations.
Il a ensuite indiqué, en réponse à une question de M. Alain Joyandet, rapporteur, que sur le plan européen il était envisagé d'affecter à la diffusion en MMDS la bande de 40 Ghz mais que celle ci ne permettait de diffuser que dans un rayon de 2 à 3 km et ne présentait donc pas un intérêt économique très sensible.
Interrogé ensuite par M. Pierre Laffitte, président, sur le développement de la norme de diffusion radiophonique numérique DAB, M. Bruno Chetaille a indiqué que l'avenir de celle-ci dépendait de la capacité des industriels à produire des équipements commercialisés à un coût inférieur à 5 000 F.
A M. Alain Joyandet, rapporteur, qui lui demandait dans quel délai était envisageable, dans l'hypothèse d'un passage à la diffusion numérique hertzienne terrestre, la restitution des fréquences actuellement affectées à la diffusion analogique, il a enfin répondu que le renouvellement du matériel et le changement des habitudes des téléspectateurs demanderait au moins une quinzaine d'années et que les britanniques avaient prévu de leur coté, l'arrêt de la diffusion hertzienne terrestre analogique vers 2010.