MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE DE DRESSER LE BILAN DE LA DÉCENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMÉLIORATIONS DE NATURE À FACILITER L'EXERCICE DES COMPÉTENCES LOCALES
Table des matières
Mardi 29 juin 1999
- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président.
Audition de M. Jacques Fournier, membre honoraire du Conseil d'Etat
La mission d'information a procédé à l'audition de M. Jacques Fournier, membre honoraire du Conseil d'Etat, auteur d'un rapport sur la responsabilité pénale des agents publics en cas d'infractions non intentionnelles.
Rappelant les objectifs retenus par la mission d'information, M. Jean-Paul Delevoye, président, a mis en évidence le risque de paralysie de la chaîne de commandement public, en raison des excès de la pénalisation de la vie publique, la prise de risque étant découragée par les recours abusifs. Il a remarqué que 800 postes de proviseurs n'étaient pas pourvus, les enseignants craignant l'engagement de leur responsabilité personnelle alors même qu'ils n'auraient pas les moyens de remplir leur mission. Il a estimé que la pénalisation était due à trois phénomènes, le besoin de comprendre, la demande d'indemnisation, revendications légitimes des victimes, mais aussi la soif de vengeance.
M. Jacques Fournier a rappelé les circonstances dans lesquelles avait été remis le rapport du Conseil d'Etat sur la responsabilité pénale des agents publics en cas d'infractions non intentionnelles, sur commande du Premier ministre M. Edouard Balladur. Il a observé que la question de la responsabilité des élus locaux ne se posait pas dans les mêmes termes que celle des fonctionnaires, et que le Sénat avait mené en parallèle une réflexion sur ce sujet à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi sénatoriale.
M. Jacques Fournier a noté que les mises en examen d'agents publics pour des faits d'imprudence ou de négligence commis dans l'exercice de leurs fonctions avaient suscité de vives réactions dans les corps concernés, en particulier les proviseurs et les préfets, conduisant le Gouvernement à commander au Conseil d'Etat une expertise juridique. Il a indiqué que la réflexion confiée à la section du rapport et des études avait été réalisée par un groupe de travail composé de membres du Conseil d'Etat mais aussi de personnes extérieures, en particulier des magistrats de l'ordre judiciaire et des praticiens de l'administration.
M. Jacques Fournier a observé que la réflexion du groupe d'étude avait été menée en liaison avec les administrations, au moyen de " correspondants administratifs " désignés à cet effet. Au regard de la mesure statistique des poursuites pénales pour des faits non intentionnels, il a remarqué que la médiatisation de ces affaires avait considérablement amplifié le phénomène, et que le problème se posait dès la mise en examen de l'agent, même en l'absence de condamnation.
M. Jacques Fournier a insisté sur la spécificité de l'action publique, dont les juges ne tenaient pas suffisamment compte pour apprécier la responsabilité personnelle des agents. Il a jugé que cette spécificité était liée aux pouvoirs de décision et de réglementation, à la diversité des objectifs poursuivis dans l'intérêt général, à l'impératif de continuité du service public et à la complexité des procédures et du fonctionnement de l'administration.
M. Jacques Fournier a indiqué que, malgré cette spécificité, le groupe d'étude n'avait jugé ni juridiquement possible, ni politiquement acceptable, de réserver un sort particulier aux agents publics. Il a rappelé l'évolution historique en vertu de laquelle la situation des agents publics s'était rapprochée du droit commun, depuis la suppression du privilège de juridiction.
Il a ajouté que l'étude ne se limitait pas au seul domaine pénal mais examinait les aspects administratifs de la responsabilité des agents publics, et recherchait les moyens de clarifier les responsabilités dans le fonctionnement quotidien de l'administration. Il a souligné la nécessité de réformer l'indemnisation par la juridiction administrative des victimes de dommages dus à des imprudences ou négligences, et la protection des fonctionnaires par l'administration.
M. Jacques Fournier a ensuite résumé les recommandations formulées par l'étude du Conseil d'Etat, articulées autour de quatre pistes de réflexion, la prévention des dommages par une meilleure organisation des services, les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité pénale, l'indemnisation des victimes par une voie non contentieuse ou une voie contentieuse non pénale, enfin la protection légale des fonctionnaires définie à l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
Il a souligné que la loi du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence avait donné une suite quasi immédiate à certaines recommandations convergentes du groupe d'étude du Conseil d'Etat et du groupe de travail du Sénat.
M. Jacques Fournier a estimé que la pénalisation croissante de la vie publique n'appelait pas de réponse spécifique aux agents publics mais une réflexion générale sur l'application du droit pénal. Il a donc jugé que, si la législation devait être modifiée, elle devrait évoluer à l'égard de l'ensemble des justiciables.
Puis il a fait part des pistes qui avaient été écartées par le groupe d'étude, concernant l'appréciation de la gravité de la faute et le lien de causalité. Il a indiqué que, par opposition à la théorie de la causalité adéquate, la jurisprudence pénale retenait une conception très large de la notion de causalité, dite " théorie de l'équivalence des conditions ", selon laquelle tout acte intervenant dans la chaîne de commandement serait assimilé à une faute, à partir du moment où, s'il n'était pas intervenu, le dommage n'aurait pas eu lieu. Il a noté que ni le groupe d'étude ni le législateur n'étaient en mesure de remettre en cause cette jurisprudence séculaire de la Cour de cassation.
M. Jacques Fournier a estimé que la loi du 13 mai 1996 avait apporté une amélioration réelle mais limitée dans l'appréciation de la faute pénale. Il a appelé l'attention sur les atteintes involontaires à l'intégrité de la personne dues à une inobservation des règlements et au manquement aux obligations de prudence ou de sécurité, lesquelles engageaient auparavant la responsabilité pénale automatique de l'auteur des faits, constituant ainsi un " délit contraventionnel ". Il a rappelé que la loi du 13 mai 1996 avait supprimé cette automaticité, en demandant au juge d'examiner si le responsable public avait les moyens et la compétence d'accomplir les diligences normales, compte tenu de la nature de ses missions ou de ses fonctions. Cependant, il a jugé que les tribunaux n'avaient pas fait une application complète de la loi.
M. Jacques Fournier a proposé de remettre en cause par la voie législative la jurisprudence de la Cour de cassation établissant une équivalence totale entre la faute civile et la faute pénale. Il a appelé de ses voeux une réflexion sur la qualification de la faute pénale, considérant que la faute civile ne devait être considérée comme une faute pénale qu'à partir d'un certain niveau de gravité.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a fait part de deux pistes de réflexion, la première tendant à instaurer un filtre pré-juridictionnel, c'est-à-dire à confier à un juge, par exemple le Tribunal des conflits, le soin d'orienter les requêtes vers la voie civile, la voie pénale ou vers le juge administratif, en fonction de la nature de la responsabilité en cause ; la seconde tendant à développer la responsabilité pénale de la personne morale. Dans cette perspective, il lui a semblé que la responsabilité de la personne physique ne devait être engagée qu'en cas de faute lourde ou de faute grave. Il a souhaité une indemnisation rapide des victimes, afin d'atténuer le caractère dramatique du procès pénal.
M. Jacques Fournier s'est déclaré défavorable dans leur principe à ces orientations. Il a estimé que l'engagement de la responsabilité de la personne morale n'était pas de nature à satisfaire pleinement les requérants, dans la mesure où la condamnation administrative de l'Etat pour une faute de ses services n'était pas comparable aux yeux des demandeurs à la condamnation pénale d'un agent bien identifié. Il a souligné que seuls certains fonctionnaires, investis d'importantes responsabilités, relevant de corps particuliers ou exerçant des fonctions particulières, pourraient engager la responsabilité de l'Etat.
Il a jugé délicat de mettre en cause la responsabilité pénale des personnes morales de droit public devant les juridictions judiciaires, en raison des risques de conflits de compétences avec l'ordre administratif et mis en garde contre le nouveau pouvoir ainsi confié au juge judiciaire.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a regretté que le juge pénal prenne actuellement le pas sur le juge administratif, le régime de la preuve étant beaucoup plus facile à mettre en oeuvre devant le juge pénal. Il s'est interrogé sur la coexistence de deux ordres de juridiction était envisageable. Puis il a souhaité interroger M. Jacques Fournier sur les délégations de compétences et de responsabilités d'un maire à un adjoint.
M. Jacques Fournier a rappelé l'impératif de mieux clarifier les responsabilités dans le fonctionnement même de l'administration. Il a estimé que la responsabilité pénale ne devait pas être confondue avec la responsabilité politique. Citant l'exemple de la Cour de justice de la République, il a estimé que certains actes des collaborateurs d'un ministre étaient de nature à engager la responsabilité politique du ministre, mais que la responsabilité pénale de ce dernier ne pouvait être engagée sans un examen précis des moyens dont il disposait pour connaître les agissements de ses collaborateurs.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a conclu en soulignant les avancées débattues au Sénat lors de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à la protection de la présomption d'innocence, notamment la procédure de témoin assisté. M. Jacques Fournier a rappelé qu'en 1995 le groupe d'étude du Conseil d'Etat avait déjà mené une réflexion sur l'amélioration de la procédure pénale, incluant le recours accru au témoin assisté.
Jeudi 1er juillet 1999
- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président. -
Audition de MM. Alain Larangé, inspecteur général de l'administration et Sébastien Combeaud, inspecteur de l'administration
La mission a procédé à l'audition de MM. Alain Larangé, inspecteur général de l'administration et Sébastien Combeaud, inspecteur de l'administration, auteurs d'un rapport sur les conséquences des normes techniques pour les collectivités locales.
A titre liminaire, M. Jean-Paul Delevoye, président, a indiqué que la question des normes était au coeur des préoccupations de la mission d'information, en raison des contentieux provoqués par leur entrée en vigueur mais également de leur conséquences macro-économiques sur le niveau de l'investissement public et leur capacité à orienter les flux d'investissement.
Il s'est demandé s'il n'existait pas deux types de normes, celles qui répondaient à la nécessité de concilier efficacité économique et protection des citoyens, et celles qui résultaient de l'influence de groupes de pression.
M. Alain Larangé a rappelé que le ministre de l'intérieur l'avait chargé, ainsi que M. Sébastien Combeaud, de rédiger un rapport sur les conséquences des normes pour les collectivités locales, que ce rapport avait été remis au ministre au mois de mars 1999 et avait fait l'objet d'une communication devant le groupe de travail sur les normes animé, au sein du comité des finances locales, par M. Philippe Adnot, sénateur.
Avant de présenter les grandes lignes de ce rapport, M. Alain Larangé a formulé deux remarques liminaires. En premier lieu, il a distingué deux types de normes, les normes issues d'un texte législatif ou réglementaire d'une part, et les normes professionnelles, issues d'une démarche volontaire et établies par l'association française de normalisation (AFNOR), d'autre part.
En second lieu, il a déclaré que la poursuite du processus de normalisation lui apparaissait inéluctable dans une société au sein de laquelle la notion de risque était de moins en moins tolérée mais a estimé que, en contrepartie, il était nécessaire de mieux associer les collectivités locales à l'élaboration des normes.
M. Alain Larangé a ensuite présenté les grandes lignes du rapport remis au ministre de l'intérieur.
Résumant les enjeux du développement des normes, il a rappelé que le stock de normes établies par l'AFNOR, dont toutes ne concernaient pas les collectivités locales, s'élevait à 20.000 et qu'il s'enrichissait de 1.800 nouvelles normes chaque année.
Il a précisé que, si les normes applicables en France étaient encore principalement d'origine nationale, 85% des nouvelles normes de l'AFNOR avaient une origine européenne ou mondiale et qu'il convenait de s'interroger sur les moyens adéquats pour mieux associer les collectivités locales à leur préparation.
M. Alain Larangé a estimé que les normes aux conséquences potentiellement les plus coûteuses pour les collectivités locales étaient les normes d'origine législative ou réglementaire, notamment en matière d'environnement et de sécurité. Toutefois, il a regretté l'absence d'étude globale permettant d'évaluer les conséquences financières des normes, les chiffrages disponibles étant soit sous-évalués, car ne prenant pas en compte le coût de l'entretien des équipements, soit surévalués, car retenant le coût global des équipements et non seulement le surcoût lié aux normes.
Il a indiqué que, indépendamment des chiffrage globaux pour un domaine déterminé, il était possible de chiffrer le coût des normes par type de collectivité et, à ce titre, a salué l'étude récemment publiée par la fédération des maires de villes moyennes, qui faisait état d'un coût de 100 milliards de francs d'ici à 2005.
De manière générale, M. Alain Larangé a considéré que la mesure a priori de l'impact financier d'une nouvelle règle était difficile et encore trop rarement effectuée en amont de la décision. Il a qualifié de souvent "indigentes", car souffrant de l'absence de méthodologie rigoureuse, les études d'impact obligatoirement jointes aux projets de loi et aux décrets en Conseil d'Etat.
Puis, M. Alain Larangé a abordé la question de la participation des collectivités locales à l'élaboration des normes, qu'il a jugé insuffisante.
Il a rappelé que le processus de production de normes était dominé par une logique technicienne, fortement sectorisée, et que les intérêts des collectivités locales n'étaient pas représentés. Il en a conclu que le payeur final était donc absent de l'élaboration des règles à l'origine des coûts.
Il a constaté que, pour faire face au développement des normes, les collectivités locales étaient nombreuses et dispersées, et a estimé possible que le nombre élevé de collectivités en France explique le décalage entre la perception du problème des normes en France et dans les autres pays européens.
M. Alain Larangé a déploré que, en matière de normes professionnelles, les collectivités locales ne se prononcent pas sur la pertinence des normes avant leur entrée en vigueur. Il a pris acte de l'accroissement de l'investissement des associations d'élus locaux dans ce domaine, mais l'a encore jugé insuffisant. Il a ajouté que les collectivités locales étaient souvent représentées par des techniciens sans mandat précis.
M. Alain Larangé a jugé nécessaire de passer d'une phase de contestation a posteriori à une phase d'organisation et de participation active à l'élaboration des normes. Il a signalé qu'une brochure conjointe du ministère de l'intérieur, du ministère de l'industrie et de l'AFNOR avait fait le même constat dès 1991 et que, pour peser au niveau européen, les collectivités locales devraient, à l'image des consommateurs, se regrouper en associations supranationales.
En matière de normes édictées par voie législative et réglementaire, M. Alain Larangé a indiqué qu'il existait, indépendamment de structures telles que le comité des finances locales, des organes de concertation spécialisés mis en place dans certains secteurs sensibles, tels que le comité national de l'eau et le conseil national du bruit. Il a déploré que la concertation ne soit pas aussi systématique dans d'autres domaines.
M. Alain Larangé a observé que, au niveau européen, le comité des régions, qui avait pourtant vocation à représenter les collectivités locales, n'avait pas choisi de faire de la maîtrise de la prolifération des normes un axe fort de son action et que, au contraire, les avis du comité prônaient souvent un renforcement de la réglementation.
M. Alain Larangé a également souhaité que l'Etat prenne mieux en compte les préoccupations des collectivités locales et que, en tant qu'autorité de tutelle de l'AFNOR, il inscrive ce souci dans le contrat d'objectifs pluriannuels de l'association. Il a également préconisé une meilleure participation de la direction générale des collectivités locales au travail interministériel de préparation des normes.
Puis M. Alain Larangé a présenté les principales propositions contenues dans le rapport remis au ministre de l'intérieur.
Il a tout d'abord évoqué des mesures susceptibles d'améliorer la maîtrise des prescriptions opposables aux collectivités locales. S'agissant de l'aménagement de l'obligation de référence aux normes dans les marchés publics, il a suggéré d'inciter les collectivités locales à utiliser plus systématiquement les cahiers des clauses techniques générales qui dressent la liste des normes applicables à un domaine considéré, d'associer davantage les collectivités locales aux travaux d'élaboration de ces cahiers et de leur rappeler qu'elles avaient la possibilité de déroger aux normes non obligatoires dans le cadre des cahiers des clauses techniques particulières.
Pour permettre une modération du rythme de révision des normes, M. Alain Larangé a proposé de ne réviser aucune prescription, sauf raison impérieuse de sécurité, avant la fin de la période d'amortissement "comptable" des équipements concernés et de ne pas augmenter le niveau d'exigence avant l'échéance fixée à l'origine pour l'application d'une prescription technique. Il a également estimé que le développement de la coopération intercommunale était de nature à favoriser une meilleure maîtrise et une meilleure utilisation de la normalisation par les collectivités locales.
M. Alain Larangé a ensuite présenté des pistes pour l'amélioration de l'information et de la transparence sur les normes. Il a jugé utile de mettre à disposition le texte des normes professionnelles au coût du support, de proposer en libre accès, sur Internet par exemple, la liste des principales normes intéressant les collectivités locales et, pour tirer les conséquences de l'échec des travaux de codification des normes techniques entrepris en application de la loi de décentralisation de 1982, de réviser dans un sens plus réaliste les dispositions des articles L. 1111-5 et L. 1111-6 du code général des collectivités territoriales.
M. Alain Larangé a suggéré de réaliser un vade-mecum et des fiches thématiques à l'intention des élus locaux, de prévoir une formation des agents territoriaux dans le cadre du centre national de la fonction publique territoriale, d'informer les agents de l'Etat en fonction dans les services producteurs de réglementations techniques des conséquences des normes sur les collectivités, de sensibiliser les élèves de l'école nationale de la magistrature, et d'organiser dans les collectivités un réseau de correspondants en matière de normalisation chargés des fonctions d'alerte, de formation et d'information.
M. Alain Larangé a également jugé indispensable de développer les études d'impact, de manière à évaluer les conséquences financières d'une norme et à en déduire les délais appropriés de mise en conformité. En matière de normes techniques, il a proposé de doter les départements ministériels des instruments méthodologiques nécessaires et de prévoir une étude d'impact pour les textes réglementaires de tous niveaux. Il a également suggéré d'inscrire, dans le prochain contrat d'objectifs de l'AFNOR, l'obligation de réaliser des études d'impact pour les normes professionnelles.
Enfin, M. Alain Larangé a estimé que, pour mieux associer les collectivités locales au processus de normalisation, il convenait de cibler quelques domaines prioritaires pour elles et d'organiser leur participation aux travaux des huit comités d'orientation stratégique de l'AFNOR qui les concernaient le plus. Il a ajouté qu'il convenait d'utiliser pleinement les structures existantes plutôt que de créer un éventuel "haut conseil des normes". Il a préconisé que les collectivités locales soient associées aux groupes techniques de l'AFNOR par l'intermédiaire de représentants dotés d'un mandat précis, qu'elles participent aux groupes de travail dits "miroirs" que l'AFNOR organise, parallèlement à ceux du comité européen de la normalisation, et qu'elles fassent en sorte que le comité des régions se saisisse du problème des normes.
Il a estimé que les structures de représentation pourraient être améliorées en faisant siéger un représentant des élus locaux au comité d'orientation et de programmation de l'AFNOR, en constituant au sein de l'AFNOR un pré-comité d'orientation stratégique transversal propre aux collectivités locales et en instaurant de manière contractuelle un système de veille entre l'AFNOR et les associations d'élus locaux permettant aux collectivités locales de détecter l'initiative des travaux les intéressant directement.
M. Alain Larangé a également considéré que la prise en compte des préoccupations des collectivités locales par l'Etat devait être renforcée. Il a jugé nécessaire de traduire la volonté du Premier ministre dans une circulaire rappelant l'importance qu'attache le Gouvernement à la consultation précoce des associations d'élus locaux avant l'adoption de toute nouvelle règle technique.
Il a estimé qu'il convenait de renforcer le rôle de la direction générale des collectivités locales en organisant une procédure de consultation systématique de celle-ci lorsqu'un texte réglementaire intéressant les collectivités locales était en cours de préparation, en améliorant sa capacité d'expertise, en renforçant sa représentation au sein du comité interministériel pour les questions européennes (le SGCI) et en plaçant l'un de ses agents au sein de la représentation permanente de la France à Bruxelles.
En conclusion, M. Alain Larangé a souligné que les collectivités locales devaient mieux s'organiser pour peser dans l'élaboration des normes professionnelles et en tirer le meilleur parti. En matière de prescriptions réglementaires, il a suggéré de renforcer l'implication et le rôle de la direction générale des collectivités locales, d'améliorer le contenu des études d'impact et de systématiser leur réalisation, quelle que soit la nature du texte en cours d'élaboration.
M. Sébastien Combeaud a précisé que l'instabilité était surtout une caractéristique des normes réglementaires, les normes professionnelles étant plus pérennes en raison des délais que nécessitait leur élaboration. Il a ajouté que les normes professionnelles ne s'appliquaient aux collectivités locales que lorsque des marchés étaient passés pour la réalisation d'équipements nouveaux.
Evoquant la question de la pénalisation de la vie publique, M. Sébastien Combeaud a estimé que les élus étaient peu souvent inquiétés en raison des normes, à la différence des fonctionnaires territoriaux, dont un tiers était mis en cause pour des raisons liées à l'hygiène et à la sécurité. Il a ajouté que, depuis la loi du 13 mai 1996, seulement quatre collectivités locales -communes ou groupements- avaient été condamnées pénalement.
A propos de l'échec de la codification des normes techniques, M. Sébastien Combeaud a rappelé que les lois de décentralisation prévoyaient "l'allégement de la tutelle technique" et la création d'un comité chargé de l'élaboration d'un code, que ce comité préparatoire s'était réuni mais que ses travaux n'avaient pas abouti en raison de la difficulté à définir les normes propres aux collectivités locales. Il a précisé que ces travaux avaient pris fin en 1986 et que, aujourd'hui, il convenait de privilégier la réalisation d'un vade-mecum ou celle de fiches techniques à destination des élus.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a approuvé l'idée selon laquelle il valait mieux faire évoluer les structures existantes plutôt que de créer un haut conseil des normes. En revanche, il s'est interrogé sur la possibilité d'aligner la durée d'application d'une norme sur la période d'amortissement des équipements. Il lui a semblé que les deux calendriers ne coïncidait pas toujours et a cité l'exemple de fours d'incinérations qui n'étaient plus aux normes avant même leur mise en service.
M. Jean-Paul Delevoye, président, s'est demandé comment concilier l'accélération du progrès technique, source d'une meilleure protection des individus, et la stabilité nécessaire à l'amortissement des investissements. Il a évoqué la mise en oeuvre de procédures de certification et de labellisation garantissant le respect des normes par les fournisseurs des collectivités locales.
Il a ajouté que l'évolution de l'opinion publique, de plus en plus exigeante en matière de normes alors que le niveau de protection n'a jamais été aussi élevé, était préoccupante, de même que les conséquences potentiellement désastreuses sur les produits artisanaux et du terroir d'une éventuelle uniformisation des standards dans l'Union européenne.
M. Jacques Bellanger a envisagé les conséquences du développement de la société d'information sur l'application des normes par les élus. Il a considéré que la publicité des projets de modifications des normes conduisait parfois à reprocher aux élus de ne pas appliquer des prescriptions qui n'étaient pas encore en vigueur. Il a douté de l'efficacité d'une évolution vers la labellisation, mettant en avant le fait que les labels seraient aussi rapidement périmés que les normes.
M. Daniel Hoeffel s'est demandé, dans l'hypothèse où la dispersion des collectivités locales françaises serait l'une des causes de leurs difficultés à appliquer les normes, quel serait le remède à ce problème.
M. Jean-Paul Delevoye, président, s'est inquiété de l'inégale capacité des Etats européens à contrôler la mise en oeuvre des normes.
En réponse, M. Alain Larangé a estimé nécessaire de prévoir, au moment où l'on définissait le contenu des normes nouvelles, des délais raisonnables pour la mise en conformité des équipements en tenant compte de leur durée d'amortissement. Il a ajouté que les procédures de certification de type ISO ne s'appliquaient qu'aux processus de production et constituaient plus des arguments commerciaux que des garanties pour les responsables publics.
Il a insisté sur la nécessité de rompre avec le caractère purement technique de l'élaboration des normes et a souhaité un renforcement de la prise en compte des préoccupations d'ordre politique, de façon à faire la part du souhaitable et du possible et à mieux " gérer " les réactions de l'opinion publique. Il a ajouté que la rupture avec les procédures exclusivement techniciennes permettrait également de remédier aux tendances à l'uniformisation.
Il a ajouté que le comité européen de normalisation était prêt à accueillir de nouveaux partenaires, mais que les partenaires possibles n'étaient pas toujours présents.
M. Alain Larangé a estimé que le développement de l'intercommunalité permettrait de remédier partiellement à la dispersion des communes.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a établi un parallèle entre le moindre développement des préoccupations liées aux normes dans les autres pays de l'Union européenne et le faible degré de pénalisation de leur vie publique.
Audition de M. Jean-Marie Pontier, professeur de droit public à l'Université d'Aix-Marseille III
La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Marie Pontier, professeur de droit public à l'Université d'Aix Marseille III.
Après avoir souligné l'actualité de la question de la décentralisation, et rendu hommage à la qualité des travaux du Sénat, M. Jean-Marie Pontier a indiqué que les contrats de plan Etat-Régions, créés par la loi de 1982 relative à la planification, avaient vu leur régime juridique clarifié par l'arrêt du Conseil d'Etat du 8 janvier 1988 (ministre du plan contre communauté urbaine de Strasbourg) dans lequel la Haute Assemblée avait conclu à la nature contractuelle de ces derniers, même si le juge administratif n'avait, jusqu'à présent, pas eu l'occasion de préciser si les contrats de plan étaient des contrats administratifs au sens plein du terme. Il a relevé que l'interprétation du juge administratif pourrait, sur ce point, s'avérer restrictive, comme semblait l'indiquer la décision du Conseil d'Etat du 25 octobre 1996 (société de Nantes experts en écologie) qui laissait supposer que les contrats de plan étaient un type particulier de contrat administratif.
M. Jean-Marie Pontier a estimé que, dans l'hypothèse où les contrats de plan seraient reconnus comme étant de véritables contrats administratifs, les cocontractants seraient alors juridiquement tenus de respecter leurs engagements. Il a indiqué qu'il serait sans doute opportun que le législateur prévoie, à cet effet, que les contrats de plan sont des contrats administratifs au sens jurisprudentiel du terme.
Il a observé qu'une loi pouvait parfaitement disposer, sans risquer d'être contraire à un principe constitutionnel, qu'en cas de manquement d'un des cocontractants -et notamment de l'Etat- à ses obligations, des sanctions pécuniaires lui soient infligées. Il a évoqué la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1988, qui n'avait pas conféré à la liberté contractuelle le rang d'un principe à valeur constitutionnelle, ce qui laissait au législateur l'entière liberté de préciser son contenu. Il a relevé que l'instauration d'une telle obligation légale ne serait pas non plus contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales, qu'elle tendait au contraire à renforcer.
M. Jean-Marie Pontier a estimé que la logique contractuelle entre l'Etat et les collectivités locales, ou entre les collectivités locales, était non seulement conforme à l'esprit de la décentralisation, mais qu'elle en était un instrument obligé. Il a rappelé les présupposés théoriques de la relation contractuelle : l'égalité des parties, l'expression de leur liberté et la manifestation d'un pouvoir accru confié aux collectivités territoriales. Il a observé que le droit public était d'ailleurs, avant la décentralisation, imprégné de la notion d'acte unilatéral, ce dernier provenant le plus souvent de l'Etat et plus rarement des maires, dans l'exercice de leur pouvoir de police, les collectivités locales étant qualifiées de collectivités " secondaires ". Il a fait valoir que la décentralisation avait permis l'émergence d'une relation contractuelle, initialement liée à la planification d'abord centralisatrice puis décentralisée, les contrats de plan Etat-Régions ayant aujourd'hui acquis une totale autonomie par rapport à la planification d'Etat, qui n'existe plus. Il a estimé que les contrats de plan Etat-Régions devraient plus opportunément s'appeler des " contrats de décentralisation ".
M. Jean-Marie Pontier a considéré que la terminologie employée était parfois source de confusion, les " contrats de pays " n'étant en réalité pas de véritables contrats, les pays ne disposant pas de la personnalité juridique. Il a également estimé que le terme de " contrat local de sécurité " était inapproprié, cette terminologie sous-entendant une égalité des parties, qui n'existait pas en fait, l'Etat faisant prendre en charge, par cette procédure, certaines de ses responsabilités par les collectivités locales. Estimant que le terme de contrat devait être réservé aux procédures réellement contractuelles, il a relevé que le juge administratif, en raison de sa tradition centralisatrice, était par ailleurs souvent réticent à reconnaître le caractère contractuel des rapports entre l'Etat et les collectivités locales.
M. Jean-Marie Pontier a jugé intéressante la notion de " collectivité chef de file " pour l'organisation des compétences locales, l'estimant conforme à la tradition juridique française, qui excluait toute hiérarchie ou tutelle entre collectivités locales. Il a estimé que l'instauration d'un " chef de file " permettait de concilier l'exigence de l'absence de tutelle entre les différents niveaux de collectivités et celle de la cohérence de l'action publique locale. Commentant la décision du Conseil constitutionnel invalidant la disposition de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire tendant à introduire dans le droit français la possibilité de désigner par convention une " collectivité chef de file ", M. Jean-Marie Pontier a jugé que le Conseil constitutionnel n'avait pas définitivement exclu la constitutionnalité de cette notion, même s'il avait jugé que le législateur se devait de définir " les pouvoirs et responsabilités " afférents à cette fonction. Il a considéré que l'instauration d'un " chef de file " s'appliquerait mieux aux relations entre l'Etat et les collectivités locales, plutôt qu'aux actions communes à plusieurs collectivités territoriales.
M. Jean-Marie Pontier a estimé que les collectivités locales françaises n'étaient associées ni à la définition, ni à la gestion de la politique structurelle européenne, doublement centralisée, aux niveaux communautaire et national. Il a jugé que le comité des régions, à vocation exclusivement consultative, dépendait largement, pour sa composition, de l'Etat, et qu'il serait intéressant de le transformer en seconde chambre, représentative des collectivités locales, sur le modèle du Sénat, plutôt que des chambres hautes des Etats fédéraux. Il a appelé de ses voeux une meilleure coordination entre les contrats de plan Etat-Régions et les documents uniques de programmation des fonds structurels, ainsi qu'une plus grande information des acteurs locaux sur les modalités d'intervention des crédits communautaires.
Rappelant que les lois de janvier et juillet 1983 s'intitulaient lois relatives à la répartition " de " compétences entre l'Etat et les collectivités locales, il a indiqué que le législateur n'avait pas effectué de répartition globale de l'ensemble des compétences publiques, mais avait plutôt transféré certaines compétences de l'Etat aux collectivités locales, maintenant toutefois la clause générale de compétence de chaque niveau. Il a regretté que le législateur de 1983 n'ait pas procédé à un transfert des compétences culturelles, en faveur des collectivités décentralisées.
M. Jean-Marie Pontier a indiqué que la constitution de blocs homogènes de compétences, n'était à son sens ni possible, ni souhaitable, le législateur ayant lui-même prévu, lorsqu'il avait voulu en instituer, des possibilités de dérogation, comme par exemple, en matière d'enseignement, " l'appel de responsabilité " permettant à une commune d'intervenir en matière d'enseignement secondaire.
M. Jean-Marie Pontier a considéré que l'organisation territoriale française n'était pas satisfaisante, en raison de la multiplication des niveaux de collectivités territoriales, du nombre de collectivités locales au sein de chaque niveau, et du nombre d'établissements publics de coopération intercommunale. Jugeant essentiel pour le maillage territorial de notre pays l'existence des communes, et insistant sur la réussite des régions -malgré un découpage purement administratif opéré dans les années 1960 et un manque consécutif d'identité de certaines régions -et de leur statut de collectivité de plein exercice, il a relevé la difficulté, pour les collectivités intermédiaires, comme le département, à définir leur rôle. Il a cité l'exemple italien, les provinces peinant à trouver leur voie entre les communes, qui délivrent les services locaux de proximité, et les régions, qui disposent de compétences étendues.
M. Jean-Marie Pontier a jugé indispensables les concours financiers de l'Etat aux collectivités locales, même s'il a estimé qu'il serait envisageable de reverser aux collectivités le produit d'un impôt d'Etat -l'impôt sur le revenu par exemple-. Il a toutefois considéré que les dotations d'Etat devaient conserver un caractère général, au rebours de la tendance actuelle à leur spécialisation. Insistant sur l'attrait conceptuel de l'exemple néerlandais, dans lequel l'Etat fournit aux collectivités locales l'ensemble de leurs ressources, il a estimé ce système peu compatible avec la tradition française. Il a détaillé les avantages de l'existence d'une fiscalité directe locale : responsabilisation des élus, possibilité d'orientation politique des prélèvements locaux, responsabilisation des citoyens en raison du nombre élevé des redevables des taxes locales, qui s'oppose à l'exemption d'une grande partie de la population du paiement de l'impôt sur le revenu.
M. Jean-Marie Pontier a dégagé quatre pistes d'approfondissement de la décentralisation :
- une rupture de l'uniformité des règles applicables aux collectivités territoriales, à son sens constitutionnellement possible, en fonction des spécificités de ces dernières, comme l'indique la décision du Conseil constitutionnel sur le statut de la Corse de 1991 ;
- une habilitation législative générale des collectivités locales à contracter, le juge administratif ne leur reconnaissant pas cette aptitude, comme le montre un arrêt annulant la décision de la région Lorraine de conventionner la gestion de certaines lignes ferroviaires avec la SNCF ;
- un financement spécifique des schémas planificateurs qui s'appliquent aux collectivités locales et une mise en oeuvre par ces dernières de leurs orientations. L'intervenant a regretté à cet égard la disparition du schéma national d'aménagement et de développement du territoire ;
- un assouplissement des règles relatives à la coopération décentralisée, actuellement limitée aux actions transfrontalières.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a estimé que le principe d'unité s'appliquait difficilement à la diversité des collectivités territoriales. Revenant sur la récente discussion au Sénat d'un amendement au projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire instaurant la possibilité de désigner une collectivité " chef de file ", il a rappelé que la Haute Assemblée avait souhaité conférer une certaine souplesse à cette notion, pour lui permettre de s'adapter à la diversité territoriale. Il a en particulier indiqué que la collectivité chef de file aurait pu être, dans cette conception, une région, un département ou une commune. Il a interrogé M. Jean-Marie Pontier sur la possibilité constitutionnelle d'instaurer un droit à l'expérimentation en faveur des collectivités locales.
M. Daniel Hoeffel a jugé que nombre des obstacles rencontrés par les collectivités locales provenaient de la conception parfois passéiste de certaines instances, qui ne tenaient pas compte des évolutions rapides à l'oeuvre. Il a estimé que cette analyse s'appliquait notablement en matière de coopération décentralisée. Il a demandé si l'élaboration du code général des collectivités territoriales avait permis d'affirmer dans l'ordre juridique la disposition expresse des lois de décentralisation établissant l'absence de tutelle d'un niveau de collectivité sur un autre.
M. Jean-Marie Pontier a précisé que si la codification avait maintenu cette disposition, elle avait toutefois rationalisé le droit en la matière, cette mention existant antérieurement dans quatre législations différentes. Revenant à la jurisprudence constitutionnelle de janvier 1995 sur la collectivité " chef de file ", il a précisé que le juge avait sanctionné " l'incompétence négative " du législateur, ce dernier devant, non pas désigner expressément la collectivité " chef de file ", mais en tout cas définir les conditions d'exercice de cette mission.
M. Jean-Marie Pontier a considéré qu'il n'existait pas d'obstacles constitutionnels à l'instauration d'un droit à l'expérimentation pour les collectivités territoriales, la décision précitée du Conseil constitutionnel sur le statut de la Corse prévoyant une possibilité de différence de traitement en cas de " spécificité " de la collectivité concernée. Il a relevé que le législateur pouvait en outre, sans méconnaître de principe constitutionnel, instaurer une législation différenciée, à condition qu'elle soit provisoire.