MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE DE DRESSER LE BILAN DE LA DECENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMELIORATIONS DE NATURE A FACILITER L'EXERCICE DES COMPETENCES LOCALES
Table des matières
- Mardi 18 mai 1999
- Audition de M. Gérard Christol, président de la conférence des bâtonniers
- Audition de M. Maurice Wynen, maire de Paziols (Aude)
- Audition de M. Yves Charpenel, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice
- Audition de M. Jean-Jacques Israel, membre du Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Paris, et de M. Michel Ceoara, membre de la commission de droit administratif de l'Ordre des avocats au Barreau de Paris.
- Audition de Me Régis de Castelnau, président de l'Association française des avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales
Mardi 18 mai 1999
- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président.
Audition de M. Gérard Christol, président de la conférence des bâtonniers
La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Gérard Christol, président de la conférence des bâtonniers.
M. Gérard Christol a considéré que la question de la procédure pénale applicable aux élus locaux connaissait une évolution préoccupante.
Il a rappelé que les élus locaux et les avocats avaient pour caractéristique commune d'être confrontés à des situations humaines qui échappaient aux normes et règles sociales habituelles.
Il a admis que, dans un premier temps, l'action des élus locaux avait dû être mieux encadrée sur le plan pénal pour corriger certains dysfonctionnements peu conformes à la " vertu républicaine " ; en revanche, il a considéré qu'il était devenu maintenant urgent de mieux préciser la nature des infractions commises par les élus afin de les soustraire à une évolution manifestement perverse qui conduisait à élargir exagérément le champ de leur responsabilité.
S'agissant des statistiques sur les élus condamnés ou mis en examen, M. Gérard Christol a estimé que la réalité était sans doute plus importante que les données avancées par la Chancellerie dans la mesure où le nombre de mises en examen augmentait quotidiennement.
Il a regretté la satisfaction de l'opinion publique à voir des élus " cloués au pilori " sans qu'il ne soit tenu compte de la gravité des faits qui leur étaient reprochés ni du caractère intentionnel ou non de la faute commise.
Il a estimé que les dispositions de la loi du 13 mai 1996, invitant les juges à apprécier les moyens concrets dont disposent les élus locaux dans l'exercice de leur mission, n'étaient pas encore intégrées dans la jurisprudence.
Prenant l'exemple de décisions de justice portant sur des accidents survenus lors de fêtes locales, il a estimé que les tribunaux n'admettaient pas qu'il soit parfois impossible de maintenir certaines pratiques culturelles sans une certaine marge de risque que des normes générales et impersonnelles ne peuvent prendre en compte.
A propos de la notion de délit non intentionnel, il a souhaité que les tribunaux tiennent compte du fait qu'un maire ne pouvait veiller à tout dans sa commune. Il a estimé qu'en cas d'accident, il faudrait tout d'abord examiner si le maire avait bien pris les mesures qu'il lui appartenait de prendre dans le cadre " de la gestion d'un père de famille " et si la faute éventuellement commise était détachable de l'activité municipale.
Il a considéré que la justice devrait déterminer si un litige était d'ordre administratif ou pénal avant de déclencher la procédure de mise en examen.
Concernant les dérives constatées en matière d'exercice de l'action civile par les associations, il s'est inquiété d'une certaine " atomisation de la République ", révélatrice d'une crise de la représentativité, qui conduit à ce que chacun s'octroie le droit de perturber, au nom d'un intérêt réputé collectif, le fonctionnement régulier de l'action publique. Il a souhaité un encadrement plus précis des conditions dans lesquelles les associations peuvent se porter parties civiles.
Concernant les garanties supplémentaires à apporter dans le cadre de la procédure pénale, il a regretté tout d'abord le caractère " incantatoire " de la notion de présomption d'innocence en raison des fuites dans la presse sur les affaires judiciaires en cours. Estimant que la procédure " accusatoire " de tradition anglo-saxonne n'était efficace que pour les affaires les plus importantes, il s'est prononcé en faveur du maintien de la procédure inquisitoire assortie de techniques accusatoires.
Il a insisté sur la nécessité d'éviter la mise en examen dès lors que l'élu n'avait pas commis de faute intentionnelle ainsi que sur le respect du secret de l'instruction.
Concernant la notion de responsabilité pénale de la collectivité locale en tant que personne morale, il a souligné la difficulté que posait la définition législative des cas dans lesquels cette responsabilité de la personne morale pourrait être engagée à la place de celle de l'élu.
S'agissant des moyens d'inciter les plaignants à recourir en priorité à la voie civile pour obtenir réparation d'un préjudice, il a considéré qu'il serait nécessaire de rendre la procédure civile aussi peu coûteuse et aussi rapide que la procédure pénale, tout en soulignant que cette dernière aurait toujours un retentissement médiatique plus important.
S'agissant du recours à l'expertise juridique dans la gestion locale, il a souligné que le recours à un conseil juridique à titre préventif et permanent était un bon moyen pour le maire d'une commune modeste de lever certaines inquiétudes.
En conclusion, il a souligné que l'excès de réglementation était " desséchant " et immobilisant pour les décideurs publics et qu'un élu devait conserver une certaine marge d'initiative pour exercer ses fonctions.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a évoqué les inconvénients de l'inflation des textes et règlements.
Audition de M. Maurice Wynen, maire de Paziols (Aude)
La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Maurice Wynen, maire de Paziols (Aude).
M. Jean-Paul Delevoye, président, a indiqué que la mission commune d'information avait souhaité entendre un maire mis en examen pour une faute non intentionnelle. Il a précisé que l'association des maires de France estimait que le cas de M. Maurice Wynen illustrait particulièrement bien les dérives actuelles des procédures judiciaires.
M. Maurice Wynen a indiqué qu'il était maire de la commune de Paziols d'environ 500 habitants, située dans le département de l'Aude. Il a indiqué que le 9 novembre 1998 un incendie s'était déclaré dans la décharge municipale, régulièrement agréée par l'ADEME. Il a précisé que cette décharge avait vocation à disparaître en raison de l'ouverture prochaine d'une déchetterie municipale.
Les pompiers étaient immédiatement intervenus sur le lieu du sinistre puis étaient venus présenter leur rapport à la mairie. Ils avaient indiqué que, même si l'incendie était éteint, le feu pouvait continuer à couver sous les cendres pendant huit à neuf jours et ils avaient donc demandé que la municipalité mette en place, autour de la décharge, un coupe-feu de dimension réglementaire en cas de nouveau départ d'incendie.
M. Maurice Wynen a indiqué que les services municipaux avaient pris les mesures requises dès le lendemain matin, comme l'avait au demeurant constaté un rapport de gendarmerie effectué le jour même des travaux.
Le 11 novembre 1998, un fort vent s'étant levé, le feu avait repris avec violence, rendant totalement inopérant le coupe-feu. Le feu s'était propagé dans la garrigue aux alentours de la décharge municipale et douze hectares avaient brûlé, nécessitant une seconde intervention des sapeurs-pompiers.
M. Maurice Wynen a souligné qu'aucune plainte n'avait été déposée. En revanche, à la suite du rapport de gendarmerie qui avait été transmis au parquet, le procureur de la République avait décidé de poursuivre le maire de la commune de Paziols en faisant valoir sa responsabilité dans l'incendie de la garrigue.
M. Maurice Wynen a vivement regretté de n'avoir pas pu s'exprimer autant qu'il le souhaitait au cours de l'audience du tribunal lors de son procès. Il a souligné que tout s'était passé comme s'il était accusé d'avoir lui-même allumé le feu à l'origine de l'incendie. Il a noté qu'il lui était reproché de n'avoir pas pris les mesures nécessaires bien qu'aucune autorité, y compris judiciaire, ne lui ait clairement indiqué ce qu'il aurait dû faire en tant que maire face au problème qui se présentait à lui.
Il a indiqué qu'il avait été condamné à 5.000 francs d'amende sans sursis et qu'il avait fait appel de cette décision, bien qu'il se soit agi d'une peine moins sévère que la peine maximale, car il estimait que sa responsabilité était à tort mise en cause devant ses concitoyens.
M. Maurice Wynen a remarqué que le caractère trop fréquent de ce type d'accident dans sa commune avait été évoqué à l'audience. Il a rappelé que le précédent incendie dans la commune s'était déclaré en 1989 et qu'une moyenne d'un incendie tous les dix ans n'apparaissait pas d'une gravité anormale.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a regretté que les juges n'aient pas tenu compte de la bonne volonté manifeste du maire. Il a estimé qu'une solution serait de mettre en place l'équivalent d'un tribunal des conflits au niveau départemental qui serait chargé d'apprécier si la commune devait être poursuivie en tant que personnalité morale ou si le maire, à l'origine de la faute, devait être poursuivi à titre personnel.
M. Gérard Christol a estimé qu'il fallait effectivement distinguer les dommages résultant de l'intention coupable d'un individu, qui relevaient de la justice pénale, et les dommages " non intentionnels " qui relevaient de la responsabilité civile. Il s'est inquiété que des cas de cette nature ne " créent un fossé " entre le barreau et la magistrature ainsi qu'entre la justice et les élus locaux.
M. Maurice Wynen, revenant sur les moyens qui auraient dû être mis en oeuvre en l'espèce, a rappelé que sa commune n'était pas en mesure de financer un quatrième employé communal en plus des trois personnes déjà embauchées pour surveiller la décharge durant la période où le feu couvait ; il a observé en outre que cette mission de surveillance aurait dû incomber aux sapeurs-pompiers.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a souligné qu'il était impossible de réclamer à un maire de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter tous les accidents sur le territoire de sa commune. Il a remarqué que dans diverses instructions actuellement en cours, les maires éprouvaient le sentiment que la justice les soupçonnait d'avoir délibérément fait preuve de carence alors que, dans la réalité, les mairies ne disposent pas de tous les moyens financiers, humains et techniques qui permettraient de faire face aux dangers potentiels.
Concernant les réformes législatives envisageables, M. Jean-Paul Delevoye a émis l'hypothèse de la création d'un tribunal des conflits départementalisés qui permettrait de distinguer les contentieux pénaux des contentieux purement civils.
M. Maurice Wynen a indiqué que parmi les peines auxquelles il aurait pu être condamné, figurait une peine d'inéligibilité. Il a observé qu'il ne lui avait pas été accordé de sursis, ce qui aggravait la nature de la sanction.
Il a indiqué que, compte tenu des événements précités, il avait dû refuser d'autoriser les traditionnels " feux de la Saint-Jean " dans sa commune, en raison des risques d'incendie, tout en notant que sa décision avait mécontenté les habitants de sa commune.
M. Gérard Christol a estimé qu'il n'était pas possible de maintenir certaines fêtes locales sans accepter un minimum de risque, et qu'une société qui refuserait les aléas de la vie serait une société " morte ". Il a considéré que les maires ne devraient pas être poursuivis ou que les poursuites devraient être interrompues lorsqu'il n'était pas établi que la faute avait été commise intentionnellement.
M. Maurice Wynen a souligné qu'en raison de l'augmentation de la puissance des équipements électriques utilisés, il était de plus en plus difficile de remplir toutes les conditions de sécurité lors de fêtes locales.
Il a estimé que lorsqu'un maire était poursuivi pour un dommage causé sur le territoire de sa commune, aucune condamnation ne devrait être prononcée avant qu'une enquête précise et objective ait été conduite.
M. Gérard Christol a constaté, qu'en l'espèce, l'enquête était constituée par le rapport de gendarmerie au vu duquel le procureur de la République avait décidé d'engager des poursuites contre M. Maurice Wynen.
M. Maurice Wynen a souligné qu'en l'espèce le procureur avait décidé de sa propre initiative d'engager des poursuites, le seul propriétaire d'une vigne touchée par l'incendie ne s'étant pas porté partie civile.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a estimé anormal que l'élu mis en examen doive par ses propres moyens assurer la prise en charge de sa défense alors qu'en règle générale les fonctionnaires sont défendus aux frais de leur administration en cas de procès.
M. Michel Mercier, rapporteur, s'est interrogé sur la notion de faute non intentionnelle en droit pénal.
En réponse à une observation de M. Guy Vissac, M. Maurice Wynen a confirmé que la décharge de Paziols était agréée par l'ADEME et que la commune de Paziols adhérerait à un syndicat intercommunal de ramassage et de traitement des ordures ménagères dès que la déchetterie, actuellement en construction, entrerait en fonctionnement.
Audition de M. Yves Charpenel, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice
La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Yves Charpenel, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a souhaité interroger M. Yves Charpenel sur les effets de la loi du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence et de négligence, ainsi que sur la contradiction entre l'inflation des normes de sécurité et la part de risque inhérente à la vie publique.
Après avoir rappelé son expérience de procureur général, M. Yves Charpenel a souligné le contraste entre le caractère très récent de la mise en cause de la responsabilité des élus locaux pour des faits non intentionnels et son appréhension par les magistrats au moyen de principes généraux du droit pénal, parfois vieux de plusieurs siècles.
Il a noté la disproportion entre la cinquantaine de condamnations d'élus pour faute non intentionnelle et le fort degré d'insécurité juridique ressentie.
Il a rappelé qu'aux 183 procureurs de la République s'ajoutait le grand nombre de magistrats habilités à engager des poursuites, cause de l'hétérogénéité des pratiques judiciaires. Bien que ne disposant pas de statistiques précises concernant les élus locaux, il a fait part de la stabilisation du nombre de poursuites à leur encontre, sauf en matière de délits intentionnels, le nombre de mises en examen ayant augmenté au cours de la période récente. Il a indiqué que le taux de relaxes pour les délits non intentionnels était très élevé par rapport à d'autres contentieux, tout en reconnaissant que le préjudice subi par les élus résidait moins dans la condamnation elle-même que dans la mise en examen. Il a souligné que le nombre important de catégories d'associations habilitées à se constituer partie civile, une dizaine pouvant mettre en oeuvre l'action publique, était principalement à l'origine de l'augmentation de ces poursuites, la procédure de la constitution de partie civile imposant aux procureurs de la République la mise en examen, sans possibilité d'appréciation sur son opportunité.
M. Yves Charpenel a rappelé que le juge pénal suivait un raisonnement fondé sur trois éléments : l'existence de l'infraction, son imputabilité à une personne identifiée et le lien de causalité entre le préjudice et l'infraction.
Il a souligné les mérites de la circulaire prise en application de la loi du 13 mai 1996 pour appeler l'attention des parquets sur la nécessité d'un examen approfondi " in concreto ", afin d'apprécier si l'élu mis en examen pour délit non intentionnel avait eu les moyens matériels et financiers lui permettant de prendre toutes les précautions utiles. En conséquence, les parquets poursuivaient moins les élus depuis l'adoption de la loi du 13 mai 1996, sans effet, en revanche, sur les procédures engagées par les associations. Par ailleurs, a indiquéM. Yves Charpenel, les nouveaux moyens offerts par la loi du 13 mai 1996 semblaient peu utilisés par les élus mis en examen pour leur défense.
M. Yves Charpenel a indiqué que la chancellerie allait engager une réflexion sur les moyens de renforcer la sécurité juridique des élus, confiée à un groupe de travail composé de magistrats des trois ordres -civil, pénal et administratif- dont le garde des sceaux avait récemment annoncé la création devant le Sénat.
Il a appelé de ses voeux une meilleure information réciproque des parquets et des magistrats habilités à engager des poursuites, pour appliquer la politique pénale du Gouvernement.
Il a suggéré que le nouveau code pénal, qui en 1994 avait rappelé les grands principes généraux du droit pénal, s'adapte aux évolutions de la société, en particulier concernant la présomption d'innocence.
Faisant état des rapports entre le droit pénal et le droit administratif, il a jugé difficile d'introduire dans le droit pénal les notions de faute lourde et de faute détachable du service, tout en préconisant un rapprochement des différents droits qui préserverait la personnalisation des peines, fondement du droit pénal.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a souligné les effets déplorables de la " condamnation médiatique " subie par les élus mis en examen, la sanction politique étant à certains égards plus dommageable que la sanction finalement prononcée par le tribunal.
M. Yves Charpenel a relevé l'originalité de la plainte récemment déposée par un élu contre un procureur de la République à l'occasion de ses fonctions, constatant l'absurdité juridique de cette démarche, mais sa pertinence pour attirer l'attention sur l'absence de communication préalable à la mise en examen. Il a regretté que les magistrats aient actuellement des difficultés à concilier leur devoir de réserve et le secret de l'instruction avec la liberté de la presse.
Il a approuvé, dans le projet de loi relatif à l'action publique, l'obligation pour les parquets d'organiser au moins une fois par an des conférences publiques sur la politique pénale du Gouvernement et son adaptation aux particularités de leur ressort, ces conférences permettant de sortir les magistrats de leur confinement.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a souligné l'intérêt d'une bonne communication entre responsables locaux et parquet, citant l'exemple des réunions organisées par l'Association des maires de France au niveau départemental.
M. Yves Charpenel a observé que le privilège de juridiction, supprimé en 1993, avait constitué une garantie pour les élus locaux.
Il a remarqué que les parquets coopéraient de plus en plus avec les partenaires locaux, dans le cadre de la politique de la ville, lors de la création de maisons de la justice et du droit, de comités locaux de prévention de la délinquance ou lors de la conclusion des contrats de plan Etat-Région. Il a jugé utile que les procureurs et les élus puissent discuter des règles de marchés publics, d'urbanisme ou de délégation de service public ailleurs que dans un prétoire.
M. Michel Mercier, rapporteur, a regretté qu'ait été élargie la possibilité offerte aux associations constituées en partie civile d'engager l'action publique, préférant une prérogative exclusive du parquet, seul chargé d'appliquer la politique pénale du Gouvernement.
M. Yves Charpenel a rappelé que les procureurs n'étaient pas favorables à la possibilité pour les associations d'engager les poursuites pénales, mais a relevé que les dispositions des articles 2 et suivants du code de procédure pénale étaient de la responsabilité du législateur.
Il a souhaité que la procédure pénale s'inspire de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, dissuadant les requérants de présenter des recours abusifs. Soulignant que le droit d'engager des poursuites était un droit démocratique et constituait un contre-pouvoir en cas de refus du procureur, il a préféré ne pas limiter l'accès au juge, quitte à utiliser a posteriori la poursuite pour dénonciation calomnieuse.
Il a ensuite fait part de trois propositions de nature à éviter le recours systématique au juge pénal pour mettre en cause la responsabilité publique.
Le statut de témoin assisté, prévu par le projet de loi relatif à la présomption d'innocence, lui a paru un moyen d'éviter la mise en examen automatique des élus pour des fautes non intentionnelles, à condition de ne pas devenir une " mise en examen du riche ".
Il a évoqué la possibilité pour l'élu de se faire représenter au tribunal correctionnel, au lieu d'une citation directe, dans les cas où la requête serait manifestement mal fondée, cette mesure évitant la " condamnation médiatique ".
Enfin, il a réaffirmé la nécessaire prise en compte des droits des victimes, et il a estimé que leur indemnisation au civil devrait précéder le procès pénal, qui serait ainsi abordé dans des conditions plus sereines, dans un moindre souci de vengeance, rappelant l'expérience du procès dit " de Furiani ".
M. Jean-Paul Delevoye, président, a fait observer que le législateur devait faire prévaloir l'action sur l'immobilisme, et apporter aux procureurs les solutions qu'ils attendaient.
Audition de M. Jean-Jacques Israel, membre du Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Paris, et de M. Michel Ceoara, membre de la commission de droit administratif de l'Ordre des avocats au Barreau de Paris.
La mission a ensuite entendu M. Jean-Jacques Israel, membre du Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Paris, et M. Michel Ceoara, membre de la commission de droit administratif de l'Ordre des avocats au Barreau de Paris.
M. Jean-Jacques Israel s'est déclaré préoccupé par " l'hyper-pénalisation " de la vie publique, les mises en examen d'élus locaux et de fonctionnaires territoriaux étant passées d'une centaine en 1995 à environ huit cents aujourd'hui. Il a fait état du colloque international organisé sur ce sujet par le Barreau de Paris, puis évoqué les raisons sociologiques à l'origine de ce phénomène.
Il a souhaité la restauration de chaque type de responsabilité dans sa sphère, regrettant que la responsabilité civile ait perdu la place qu'elle occupait, occultée par la mise en cause systématique de la responsabilité pénale, ce déplacement s'expliquant en partie par des raisons juridiques.
Il a en effet rappelé que la responsabilité pénale était beaucoup plus facile et plus rapide à mettre en oeuvre que la responsabilité civile, tant pour des raisons de procédure qu'au fond.
M. Jean-Jacques Israel a fait observer que le juge pénal n'était pas en mesure d'appréhender les spécificités de l'action publique et du droit administratif, si bien que les mises en examen systématiques des élus devant les tribunaux pénaux se soldaient régulièrement par des relaxes en appel.
Après avoir rappelé les travaux du Conseil d'Etat et du Sénat préalables à l'adoption de la loi du 13 mai 1996, il a constaté que certaines voies devaient être écartées, en premier lieu le rétablissement du privilège de juridiction supprimé par la loi du 4 janvier 1993, en second lieu la dépénalisation de la vie publique et l'exonération de la responsabilité des élus locaux.
M. Jean-Jacques Israel a proposé de mieux définir la responsabilité pénale pour faute non intentionnelle, en modifiant la loi du 13 mai 1996, jugée peu conforme au principe, affirmé par la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, selon lequel les qualifications pénales sont d'interprétation stricte et se fondent sur les notions de faute volontaire et de responsabilité personnelle. Il a regretté que cette loi semble méconnaître les principes généraux du droit pénal et le principe de sécurité juridique.
Il a préféré la notion de " faute caractérisée " à celles de faute détachable et de faute lourde, soulignant l'obligation de motivation imposée par la loi du 13 mai 1996 au juge pénal. Il a en effet estimé que la notion de faute lourde pourrait être interprétée comme une exonération partielle de la responsabilité des élus locaux.
Il a ensuite souhaité l'organisation d'un filtre juridictionnel des requêtes, rappelant le débat qui avait eu lieu à propos de la Cour de justice de la République. Il a proposé que dans chaque cour administrative d'appel soit créée une " commission des conflits ", composée de magistrats des ordres judiciaire et administratif, qui donnerait un avis ou même autoriserait les poursuites pénales.
Afin de développer la responsabilité civile comme alternative à la mise en jeu systématique de la responsabilité pénale, il a suggéré une aide aux victimes pour orienter leur action.
M. Jean-Jacques Israel a préconisé le développement de la responsabilité pénale des personnes morales, actuellement limitée à quelques cas, dont les délégations de service public.
Il a évoqué l'idée d'une meilleure définition des délégations de compétence et de signature et une mise en cohérence des responsabilités des élus et des fonctionnaires.
Le recours à une expertise voire à une " certification " lui a paru réaliste sur le plan technique, mais difficilement applicable sur le plan juridique. Il a souligné que le conseil aux collectivités locales pouvait être apporté par des avocats, spécialisés en droit public.
M. Michel Ceoara a remarqué que l'ensemble des questions actuellement soulevées avait déjà été abordé lors de l'adoption de la loi du 13 mai 1996 et que les solutions actuellement envisagées n'avaient pas été retenues à l'époque.
Il s'est prononcé contre une exigence de faute lourde en matière pénale, lui préférant la notion de faute caractérisée, liée à la notion de causalité. Il a noté l'opposition entre délit non intentionnel et théorie de la causalité, la recherche de la responsabilité personnelle passant aujourd'hui au second plan, alors que la solution résiderait sans doute dans une meilleure appréciation par le juge de la prévisibilité des dommages.
M. Michel Ceoara a préconisé une différenciation des critères de mise en jeu de la responsabilité pénale personnelle des élus et de la responsabilité de la collectivité territoriale, estimant que la première était justifiée si l'élu avait eu connaissance des dommages prévisibles qui pouvaient résulter de ses agissements, tandis que la faute simple ou la faute de service suffiraient pour mettre en cause la responsabilité de la personne morale, l'Ordre des avocats étant favorable à une extension des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des personnes morales.
Il a approuvé la proposition de loi déposée par M. Jean-Paul Delevoye visant à permettre l'intervention d'associations d'élus pour éclairer le magistrat instructeur et la formation de jugement sur les conditions réelles d'exercice du mandat par le maire mis en examen. Il a regretté la totale méconnaissance des conditions concrètes de fonctionnement des services publics et des contraintes liées à ces fonctions, par les juges judiciaires n'ayant pas reçu de formation en ce sens.
Quant au recours à l'expertise et à la certification, il a estimé qu'un protocole, élaboré et diffusé par les associations d'élus, pourrait être mis à disposition des élus locaux afin de leur indiquer les précautions utiles.
Il a insisté sur la nécessité de formation, les élus devant être sensibilisés à la culture judiciaire, tandis que les magistrats répressifs et les avocats pénalistes chercheraient à mieux connaître le fonctionnement et l'organisation des administrations.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a conclu en rappelant l'importance de la notion de faute caractérisée et en remarquant que les délégations de compétences ne libéraient pas les maires de leur responsabilité personnelle.
Audition de Me Régis de Castelnau, président de l'Association française des avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales
La mission a ensuite procédé à l'audition de Me Régis de Castelnau, président de l'Association française des avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales.
Me Régis de Castelnau a d'abord souligné que la pénalisation des rapports sociaux pesait beaucoup trop lourdement sur la gestion locale.
Il a fait observer que cette pénalisation de la vie publique se caractérisait par quatre facteurs essentiels. Tout d'abord, la réforme du code pénal est récente et cela a pour conséquence que la jurisprudence n'a pas encore fait son travail d'interprétation et de clarification. D'autre part, avec le nouveau code pénal et plus particulièrement le livre IV, les élus cessent d'être des citoyens comme les autres, car pèsent sur eux désormais des responsabilités particulières plus importantes. Enfin, le nouveau code pénal protège plus les personnes que les biens (ce qui constitue un renversement par rapport à l'ancien code) et cela a pour conséquence une plus grande vigilance et une plus grande sévérité du juge quand il y a atteinte même non intentionnelle à l'intégrité physique de la personne.
Me Régis de Castelnau a poursuivi en estimant qu'un deuxième facteur de la pénalisation croissante venait du fait que l'Etat ne jouait plus son rôle de régulateur, car il avait cédé sa place aux juges. On pouvait même voir dans cette pénalisation croissante un véritable outil de recentralisation indirecte par délégation du contrôle aux procureurs de la République. D'autre part, Me Régis de Castelnau a rappelé que l'Etat produisait des normes juridiques dont l'application ne lui appartenait pas, particulièrement dans le domaine de la sécurité, ce qui entraînait la déresponsabilisation du producteur de normes.
Selon Me Régis de Castelnau, le troisième facteur de la pénalisation croissante tient au développement du contrôle juridictionnel de l'action locale. En effet, le juge administratif ne jouant plus son rôle, une bonne partie du contrôle est désormais exercée par le juge pénal et par les chambres régionales des comptes.
Me Régis de Castelnau a poursuivi en évoquant comme quatrième facteur de la pénalisation de la vie locale le rôle des particuliers et des associations. Partant du constat que les affaires mettant en cause les élus ont pour 70 % à l'origine une constitution de partie civile, il s'est interrogé sur la trop grande facilité de constitution de partie civile et sur le fait que cette faculté était ouverte à un nombre toujours plus grand d'associations. Il a poursuivi en considérant que la constitution de partie civile ouverte aux individus comme aux associations était peut-être aujourd'hui une procédure dépassée et il a appelé de ses voeux une procédure où la décision de mise en examen ou de classer soit entièrement du ressort des procureurs qui, aujourd'hui, ne peuvent plus classer une affaire dès lors qu'il y a constitution de partie civile. Il a ajouté que la simple mise en examen consécutive à une constitution de partie civile, même si elle ne débouchait pas systématiquement sur une condamnation était déjà un préjudice important pour un élu.
Abordant le cas particulier des infractions non intentionnelles, Me Régis de Castelnau a considéré que les critères d'incrimination contenus dans le nouveau code pénal (article 221-6 et suivants) étaient trop larges. D'autre part, le juge pénal utilise une théorie ancienne dite de " l'équivalence des conditions ", ce qui signifie qu'en pratique il va rechercher tous les actes accomplis qui pourraient avoir eu pour conséquence d'aggraver le dommage. Or, à cette théorie, il conviendrait de préférer une autre théorie opposée, celle de la " causalité adéquate " qui conduit à rechercher uniquement la cause prioritaire. En s'attachant à la première théorie, le juge pénal en vient à rechercher qui a fait quoi et qui devait faire quoi et il finit par contrôler l'organisation de la vie publique locale et l'ensemble de la gestion publique, ce qui oblige les élus locaux à organiser leurs services en fonction du risque pénal.
Interrogé sur la loi du 23 mai 1996, Me Régis de Castelnau a reconnu qu'il avait d'abord jugé ce texte superfétatoire puisqu'on pouvait supposer que le juge faisait déjà le travail d'appréciation concrète qu'on lui prescrivait dans la nouvelle loi. Or, dans la pratique, Me Régis de Castelnau a reconnu que la loi de 1996 avait obligé avocats et juges à travailler beaucoup plus sur les conditions concrètes dans lesquelles les accidents étaient survenus. Cependant, Me Régis de Castelnau a ajouté que cette loi générait des effets pervers puisqu'elle encourageait là aussi le juge à se pencher sur la question de " qui aurait dû faire quoi ? " et à rechercher la responsabilité de chacun, la répartition des compétences et l'organisation de la collectivité territoriale mise en cause. Le juge pénal en venait à poser la question de savoir si le maire avait bien organisé ses services (domaine où il ne devrait pas s'immiscer) entraînant ainsi une généralisation du contrôle juridictionnel.
Puis Me Régis de Castelnau a envisagé les solutions qu'il était possible d'apporter pour remédier à la trop grande pénalisation de la vie locale et il a d'abord proposé une modification du droit pénal qui consisterait à ajouter à l'article 221-6 du code pénal le mot " directement ". L'article serait ainsi rédigé :
" Le fait de causer directement, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 300.000 francs d'amende ".
Cette modification, a-t-il estimé, attendue par tous ceux qui sont en charge de sécurité et pas seulement les élus, serait cohérente avec les dispositions du code qui précisent que pour se constituer partie civile, il faut qu'il y ait un " dommage direct ", et, combinée avec la loi de 1996, elle aurait pour conséquence salutaire de rétablir une certaine sérénité.
D'autre part, concernant la prise illégale d'intérêt et le délit de favoritisme, Me Régis de Castelnau a considéré qu'il s'agissait d'infractions trop largement définies.
Selon lui, la prise illégale d'intérêt mériterait d'être recaractérisée. Le délit de favoritisme est également trop largement défini, mais on constate que le juge exige que la violation des règles soit consciente et à l'origine de l'attribution du marché. Aussi n'est-il pas utile de préciser un texte que le juge applique avec discernement.
D'autre part, Me Régis de Castelnau a considéré qu'il serait utile de travailler sur l'articulation entre responsabilité et culpabilité ; il a jugé que localement il n'y avait pas démission de la part des élus et que la responsabilité existait encore. Ainsi pouvait-on imaginer que ce soit la responsabilité politique des exécutifs locaux qui soit mise en cause par les assemblées délibérantes concernées. Cela permettrait de substituer la responsabilité politique à la responsabilité personnelle. Il a jugé intéressant le recours à la notion de " faute détachable ". Il a fait valoir que l'introduction de cette notion permettrait de distinguer la responsabilité personnelle du citoyen - élu local de sa responsabilité en tant qu'élu.
Afin de renforcer la protection des élus, Me Régis de Castelnau s'est prononcé en faveur du statut de " témoin assisté " qui aurait pour mérite d'éviter à l'élu l'opprobre de la mise en examen.
Sur la prise en charge par la collectivité territoriale des frais de défense de l'élu, dans le cas d'une faute non intentionnelle, Me Régis de Castelnau a rappelé que la jurisprudence du Conseil d'Etat considérait que pour les fonctionnaires mis en cause, c'était l'administration qui payait les frais de défense quand la faute n'était pas détachable du service.
Me Régis de Castelnau a également proposé comme solution une restriction de la possibilité de déclencher l'action civile : ce déclenchement devrait, selon lui, n'appartenir qu'aux procureurs.
Enfin, Me Régis de Castelnau, tout en reconnaissant que le juge devait conserver la place centrale qu'il occupait dans notre société, a souhaité que soit renforcé le contrôle de la justice par elle-même, qu'on puisse critiquer une décision de justice et enfin que les magistrats soient mieux formés afin de posséder une vraie connaissance des réalités locales. Il a appelé de ses voeux un dialogue entre tribunaux et avocats, l'ouverture des tribunaux sur l'extérieur et l'obligation pour le procureur d'annoncer les grands principes de leur action chaque année.
Interrogé sur la possibilité de mettre en cause la responsabilité pénale des personnes morales, Me Régis de Castelnau a déclaré qu'il ne croyait pas à cette solution, car la condamnation pénale ne pouvait avoir une valeur exemplaire et dissuasive qu'à l'égard des personnes physiques. Dans le cas d'une personne morale, la pénalité ne pouvait être que d'ordre pécuniaire ce qui revenait à pénaliser les contribuables locaux et non la collectivité locale. Enfin, avec le rythme des élections locales et la lenteur de la justice, une condamnation de la collectivité risquait d'intervenir sous le règne d'une équipe autre que celle à qui on reprochait les faits.
Me Régis de Castelnau a recommandé que pour cerner la responsabilité des élus, on passe par une redéfinition de la faute. Enfin, il a rappelé que le phénomène de pénalisation était aussi en grande partie dû au fait que le justiciable s'était tourné vers la procédure pénale parce que le juge administratif était trop lent et trop peu efficace.