MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE DE DRESSER LE BILAN DE LA DECENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMELIORATIONS DE NATURE A FACILITER L'EXERCICE DES COMPETENCES LOCALES
Table des matières
Mardi 16 mars 1999
- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président.
Audition de M. Émile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation
La mission a procédé à l'audition de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation.
Le ministre a tout d'abord souligné la volonté du Gouvernement de poursuivre la décentralisation, au moyen de trois projets de loi complémentaires, relatifs à l'aménagement durable du territoire, à la coopération intercommunale et aux interventions économiques des collectivités territoriales.
Il a rappelé l'installation récente, en février 1999, du Conseil national de l'évaluation des politiques publiques, dont les travaux seront utiles aux collectivités territoriales. Il a noté qu'un nombre croissant de politiques publiques nécessitait la mise en oeuvre de moyens à l'échelle intercommunale.
S'agissant de la modernisation des finances locales, il a souligné que le contrat de croissance et de solidarité renforcerait la péréquation entre collectivités et que la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle favoriserait les petites entreprises créatrices d'emplois.
Il a souhaité que l'approfondissement de la décentralisation respecte les libertés locales, l'unité nationale et l'efficacité administrative.
M. Emile Zuccarelli a déclaré que la réforme de l'État -à la fois national et territorial- était nécessaire pour recréer le pacte républicain. Se présentant comme un " jacobin décentralisateur ", il a affirmé que la décentralisation n'était pas un partage de souveraineté. Il a rappelé que le pacte républicain était fondé sur l'égalité d'accès aux services publics et il a souligné le rôle de l'Etat pour mettre en oeuvre les nécessaires solidarités, prenant l'exemple du projet de couverture maladie universelle (CMU).
Il a noté que le préfet devait fédérer l'ensemble des compétences de l'Etat pour une meilleure gestion de proximité et que la déconcentration, outil de modernisation de l'administration, devait permettre de passer d'une logique de moyens à une logique de résultats au niveau local.
Il a préconisé le développement de la contractualisation des politiques publiques, apte à concilier l'esprit de la décentralisation et la solidarité républicaine, et donné en exemple les " maisons des services publics ", dont le cadre juridique est précisé dans le projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
M. Emile Zuccarelli a ensuite souligné que l'approfondissement de la décentralisation devait s'exercer de manière pragmatique, sans opposer Paris et province, rural et urbain, secteur privé et fonction publique.
Il a reconnu que l'enchevêtrement des compétences constituait un problème réel auquel ne pouvait être apportée de réponse simple.
A propos du projet de loi relatif aux interventions économiques des collectivités territoriales, il a observé que dans ce domaine, intéressant a priori la région, la notion de " bloc de compétences " s'était révélée irréaliste, puisque tous les niveaux de collectivités participaient au soutien de l'activité économique, sur des bases juridiques au demeurant fragiles.
Observant que la notion d'intervention économique était difficile à cerner, il a annoncé que le projet de loi supprimerait la distinction artificielle entre aides directes et aides indirectes.
Il a indiqué qu'en 1996, les interventions économiques des collectivités territoriales s'étaient élevées à 14 milliards de francs, à comparer au budget total des collectivités locales qui s'élevait à près de 800 milliards de francs, les communes occupant le premier rang avec 5,7 milliards, les régions versant 4,7 milliards et les départements 3,3 milliards de francs.
Bien qu'une simplification du système institutionnel puisse paraître opportune à certains, il a écarté l'idée de remettre en cause le nombre de niveaux de collectivités territoriales.
En matière de répartition des compétences, il a également préconisé le pragmatisme tout en reconnaissant qu'une meilleure lisibilité serait souhaitable.
Il a indiqué que le projet de loi relatif aux interventions économiques protégerait les collectivités territoriales contre les pressions et les inciterait à la mutualisation des risques en limitant le niveau des aides en fonction de leur budget, un pourcentage plus important étant réservé aux groupements, en particulier les communautés d'agglomération.
Il a ajouté que le projet de loi étendait aux départements la possibilité de participer au capital de sociétés de capital-investissement à hauteur de 20 %, rappelant que la région pouvait intervenir à hauteur de 50 %. Il a précisé que les aides seraient, en outre, différenciées selon la taille et l'implantation géographique des entreprises et pourraient ainsi varier de 7,5 à 25 % du montant de l'investissement.
M. Emile Zuccarelli a ensuite évoqué les projets du Gouvernement en matière de fonction publique territoriale. Il a jugé que le dispositif statutaire élaboré en 1984 était désormais achevé, mais qu'il était possible d'améliorer le recrutement, la formation et le déroulement de carrière des fonctionnaires territoriaux, afin d'établir une réelle parité avec la fonction publique de l'Etat.
Il a relevé que les administrateurs territoriaux bénéficieraient d'une mobilité sur des postes d'administrateurs civils avant fin 1999. Il a indiqué que les propositions contenues dans le rapport de M. Rémy Schwartz seraient soumises au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale le 30 mars 1999, précisant qu'il s'agissait d'améliorer la gestion des emplois supérieurs, d'abaisser de 5.000 à 3.500 habitants le seuil des emplois fonctionnels, d'assouplir les quotas de promotion interne, de permettre le recrutement d'un secrétaire général adjoint dès 10.000 habitants, et de réformer les concours, en particulier les concours sur titres, pour s'adapter à l'évolution des métiers et aux besoins des collectivités locales.
En matière d'aménagement et de réduction du temps de travail, il a déclaré que le rapport remis par M. Jacques Roché ferait l'objet d'une concertation et d'un débat au sein des Conseils supérieurs des trois fonctions publiques, puis que le Gouvernement présenterait ses conclusions au Parlement.
En conclusion, il a déclaré que les réformes conduites pour approfondir la décentralisation et réformer l'État avaient pour objet de permettre aux décideurs de faire face à leurs responsabilités dans un pays en profond changement.
M. Jean-Paul Delevoye, président, ayant souhaité obtenir des précisions sur les projets du ministre en matière de réforme de l'Etat et de déconcentration, M. Émile Zuccarelli a rappelé qu'il avait présenté au conseil des ministres une charte pour la réforme de l'Etat le 5 novembre 1997. Tout en souhaitant réaffirmer le pouvoir de coordination des préfets sur les services déconcentrés, il a noté que l'autorité des préfets ne pouvait s'exercer de la même façon à l'égard des différents services et d'un département à l'autre. Il a jugé préférable de proposer une " boîte à outils ", incluant la déconcentration des crédits, afin que les préfets choisissent le mode d'organisation le plus adapté à leur département.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a appelé l'attention du ministre sur la nécessaire prévention des risques juridiques encourus par les maires, soulignant que les mises en cause devant la juridiction pénale pouvaient freiner l'action publique.
M. Emile Zuccarelli a signalé que des " pôles de compétences juridiques " dans les préfectures amélioreraient l'exercice du contrôle de légalité. Il a observé que la clarification des règles était nécessaire pour réduire l'insécurité juridique pesant sur les décideurs locaux, en particulier dans le domaine des interventions économiques des collectivités territoriales.
A M. Jean-Paul Delevoye, président, qui remarquait que le contrôle de légalité ne valait pas sécurité juridique, il a répondu qu'il souhaitait une homogénéisation des jurisprudences des chambres régionales des comptes.
M. Michel Mercier, rapporteur, a constaté qu'en matière d'aide sociale, les collectivités locales, appréciant la situation de chaque demandeur, apportaient une aide personnalisée, alors que l'Etat ne faisait que verser des allocations générales. Il a craint que la couverture maladie universelle (CMU), correspondant à la suppression de la compétence des départements en matière d'aide médicale, ne conduise à faire financer par les départements une compétence recentralisée, dans la mesure où la CMU serait financée par prélèvement sur la dotation générale de décentralisation des départements.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a rappelé que les communes versaient 1,5 milliard de francs aux départements au titre du contingent d'aide sociale et il a observé que la CMU priverait de justification cette contribution.
S'agissant des interventions économiques des collectivités territoriales, M. Michel Mercier, rapporteur, a souhaité savoir si le projet de loi tiendrait compte de la circulaire du Premier ministre en date du 8 février 1999, visant à encadrer les aides publiques pour les mettre en conformité avec le droit communautaire. M. Emile Zuccarelli a répondu que le projet de loi était conforme aux dispositions du droit communautaire, en particulier la règle générale de concurrence et le principe de non-intervention. Mais il a expliqué que le plafonnement des aides pourrait faire l'objet de dérogations, à condition que l'Etat et les collectivités locales concluent une convention en ce sens et la notifient aux autorités communautaires.
Relevant que la Chancellerie se préoccupait peu du risque pénal encouru par les maires, M. Bernard Murat a demandé un engagement du Gouvernement pour faire avancer ce dossier avant les élections municipales de 2001. Il a plaidé en faveur d'un véritable statut de l'élu.
M. Emile Zuccarelli a reconnu que les élus, qui se doivent d'être aussi intègres que vigilants, étaient souvent pris au piège d'une réglementation trop complexe. Il a préconisé la simplification des règles applicables, citant l'exemple de la refonte du code des marchés publics, et mis en avant l'aide apportée aux élus par la création des pôles de compétences juridiques dans les préfectures.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a souligné qu'à la différence de la juridiction civile ou de la juridiction administrative, la juridiction pénale mettait en cause la responsabilité personnelle de l'élu. Il a souhaité que la responsabilité personnelle ne soit pas engagée en cas de risques imprévisibles.
M. Gérard Miquel a proposé d'expérimenter le regroupement des directions départementales de l'agriculture (DDA) et de l'équipement (DDE), celles-ci étant complémentaires. Il a regretté la difficulté de mettre en oeuvre l'intercommunalité, citant l'exemple de la création d'un centre intercommunal d'action sociale. De manière générale, il a craint qu'en raison des risques juridiques encourus les élus ne soient conduits à se limiter à une gestion au quotidien, au détriment de politiques plus innovantes, en particulier dans les petites communes.
M. Louis de Broissia s'est inquiété de la contradiction qui existait parfois entre l'exercice du contrôle de légalité et l'avis rendu par la chambre régionale des comptes.
En matière de fonction publique territoriale, il a souhaité la suppression des mesures discriminatoires entre les fonctions publiques, mettant en avant la difficulté pour une collectivité locale de recruter un sous-préfet.
Il a estimé que la réforme de l'Etat ne devrait pas être imposée par l'administration centrale mais résulter de propositions de simplification émises par des cercles de réflexion composés d'élus. Enfin, il a observé que l'instrument de contrôle des dysfonctionnements de la décentralisation existait, sous la forme des chambres régionales des comptes, mais qu'à l'inverse aucune institution actuellement n'évaluait la performance des élus locaux.
M. Emile Zuccarelli a fait part des possibilités nouvelles offertes aux petites communes par les projets de loi relatifs à l'aménagement du territoire et aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, puisque la commune par convention pourrait partager du personnel avec une agence postale.
S'agissant du regroupement entre DDA et DDE, il a souligné que les expériences de fusion s'étaient soldées par un échec, alors qu'elles avaient le mérite de limiter le nombre d'interlocuteurs auxquels devaient s'adresser les collectivités locales.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a souhaité savoir quelle serait la souplesse accordée aux employeurs locaux en matière de politique sociale en faveur de leurs collaborateurs, et si dans le cadre de l'intercommunalité les primes des agents seraient soumises à la règle de plafonnement. Il a regretté les divergences d'appréciation des chambres régionales des comptes selon les régions.
M. Bernard Murat ayant souhaité que les collectivités puissent recruter des salariés du secteur privé exerçant des métiers nouveaux pour lesquels n'existerait pas de filière de la fonction publique territoriale, M. Emile Zuccarelli a réaffirmé le principe de la carrière, mais a reconnu qu'il était possible de compléter les filières en fonction des nouveaux métiers.
En conclusion, M. Jean-Paul Delevoye, président, a estimé nécessaire que la prise de risque continue à caractériser l'action publique.