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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)
Mercredi 20 février 2002
- Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l'Office.
Toxicomanie - « Impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs » - Examen du rapport
L'Office a procédé à l'examen du rapport sur l'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs.
Malgré les difficultés de méthodologie soulignées par M. Christian Cabal, député, rapporteur, l'apport de la biologie, avec l'étude des mécanismes dits de récompense du cerveau, ainsi que les possibilités offertes par les nouveaux appareils d'imagerie médicale, ouvrent des perspectives remarquables. Aussi existe-t-il, aux yeux du rapporteur, aujourd'hui, une approche de la toxicomanie plus axée sur les sciences exactes, qui a renouvelé une approche longtemps marquée par la psychanalyse. Mais, beaucoup reste à faire dans ce domaine. Par exemple, les travaux sur les effets à long terme des drogues sur le cerveau sont encore très loin d'avoir été menés à leur terme sur des sujets pourtant essentiels, tels que l'atteinte des neurones des consommateurs ou les modifications suscitées par la dépendance.
M. Christian Cabal, député, rapporteur, a souligné qu'il existait un consensus scientifique sur la description des mécanismes de récompense du cerveau. Car tous les produits qui peuvent déclencher une dépendance chez l'homme ont en commun une propriété : ils augmentent la quantité de dopamine disponible dans une zone du cerveau, plus communément appelée le circuit de récompense.
Cette molécule, la dopamine, qui est un neurotransmetteur du système nerveux central synthétisé principalement par les neurones de la région mésencéphalique, joue un rôle essentiel dans l'action des drogues, car elle est le support des circuits neuronaux du plaisir.
Des études sur les rongeurs ont pu établir que la prise de produits psychoactifs se traduit par une augmentation de la dopamine contenue dans le cerveau.
Un point important résulte du fait que l'effet du cannabis, contrairement à la plupart des drogues, ne présente pas une activité psychotrope toujours identique. Suivant la dose absorbée, la forme de consommation, l'expérience que le consommateur a du cannabis, la structure de sa personnalité, son état d'esprit du moment, et le contexte dans lequel la consommation s'insère, des effets parfois opposés peuvent se produire simultanément ou successivement.
Il est frappant de constater que nous ne savons pas grand chose des effets du cannabis pris à fortes doses sur la santé mentale à long terme : les neurobiologistes ne savent pas en effet si les troubles de dissociation sont révélés par le cannabis ou si ce dernier en est la cause, à la différence de l'héroïne et de la cocaïne, qui ont des effets biens connus.
L'honnêteté commande donc de souligner qu'il n'existe pas aujourd'hui de réponse claire sur le rôle du cannabis. Des travaux scientifiques récents semblent toutefois établir l'existence d'une dépendance physique au cannabis.
La question de la dangerosité routière du cannabis est posée. L'inaptitude à la conduite automobile ou à l'exercice d'une activité à risque durant cette période ne fait guère de doute aux yeux du rapporteur.
La dépendance à la cocaïne est très rapide, car il s'agit d'une des drogues les plus addictives. On estime que 10 % des personnes ayant une consommation récréative deviendront des consommateurs abusifs ou dépendants.
Beaucoup de gens jeunes soumis à une forte pression professionnelle en consomment, car ils doivent être performants en permanence. Ils prennent ce produit comme dopant et connaissent un passage à vide en cas d'arrêt. Il existe des milieux où cette consommation est fréquente. Or, le contrôle de sa propre consommation est beaucoup plus difficile pour la cocaïne que pour l'alcool.
La polyconsommation est systématique chez les cocaïnomanes, ce qui complique sérieusement le diagnostic, car la difficulté d'isoler les effets de ce seul produit est réelle pour les scientifiques.
Mais la destruction à long terme des cellules neuronales par la cocaïne est prouvée sur le singe.
Si les bouffées délirantes sont relativement fréquentes, de rares psychoses sont prouvées, sans pour autant être toujours irréversibles ; le véritable danger de ces produits réside dans des dépressions parfois très importantes qui suivent la prise de ce produit, et le risque de suicide qu'elle peut impliquer.
L'ecstasy, qui a été synthétisée pour la première fois en 1912 dans le cadre d'une recherche de produits coupe-faim, s'apparente à la fois aux psychostimulants et aux hallucinogènes du type LSD.
Des chercheurs auditionnés par M. Christian Cabal, député, rapporteur, lui ont indiqué que l'ecstasy peut entraîner une mort subite, mais pose un problème surtout avec la dépression de la semaine suivante. Les jeunes sont sensibles à cet aspect, et également à l'association avec les médicaments qui implique des « voyages » qu'ils ne contrôlent pas, de ce fait ils n'ont plus la même image de l'ecstasy. Ces propriétés en font un produit toxique, indépendamment de tout abus. Les experts concluent à la nécessité d'une information rigoureuse sur cette toxicité.
De fait, si le débat scientifique sur les effets à long terme de l'ecstasy n'est pas réglé, en particulier sur le développement de maladies de type Alzheimer, car la consommation de masse est trop récente, cette drogue est objectivement un poison, susceptible de nuire gravement à la santé mentale, et il existe un véritable consensus scientifique sur ce point.
En outre l'ecstasy n'est pas utilisée toute seule, et ces mélanges entraînent fréquemment des altérations intellectuelles qui perdurent : l'ecstasy présente un danger intellectuel à travers l'état de panique, la dépression et un vécu persécutif qui dure longtemps après la prise et renvoie à la vulnérabilité intellectuelle.
Abordant ses recommandations, M. Christian Cabal, député, rapporteur, a souligné qu'en dehors des études fondamentales dans des domaines comme la biologie, des études épidémiologiques de grande ampleur doivent être engagées très rapidement sur les troubles scolaires liés aux drogues.
Aucune stratégie de dynamisation de la recherche ne pourra intervenir si nous ne disposons pas d'hommes pour la mettre en oeuvre. Ce préalable indispensable implique la mise en oeuvre de plusieurs moyens.
Le premier, qui est à la base de tous les autres, repose sur l'enseignement. Malgré le caractère massif des problèmes de santé publique posés par les drogues, ces matières sont peu enseignées à l'université et les médecins, en particulier les généralistes, peu formés pour y faire face.
Il convient donc d'opérer des redéploiements au sein des chaires universitaires, et, lorsque cela est impossible, de procéder à des créations limitées de postes pour développer ces enseignements.
Les autopsies médico-scientifiques ont fortement diminué à la suite de la nécessité pratique d'obtenir l'accord écrit de la famille. Une réflexion doit être engagée pour dégager des voies permettant de respecter la volonté des défunts et de leur famille et de développer la recherche scientifique.
L'agence nationale de recherche sur les drogues, dont le rapporteur demande la mise en place, ne serait pas un organisme bureaucratique, mais une agence de moyens qui, à l'instar de l'agence nationale pour le SIDA, centraliserait les moyens de la recherche scientifique.
Après l'exposé du rapporteur, M. Jean-Yves Le Déaut, député, président, est intervenu pour souligner l'intérêt de ce travail, et M. Daniel Raoul, sénateur, a demandé au rapporteur de lui préciser les processus biologiques internes au cerveau.
Puis l'Office a autorisé, à l'unanimité des membres présents, la publication du rapport et approuvé les recommandations du rapporteur.