OPECST : bulletin
OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)
Mardi 10 mai 2005
- Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président.
M. Henri Revol, sénateur, président, a rendu compte des décisions prises lors de la réunion du Bureau qui s'est tenue le 4 mai.
Le risque épidémique - Examen du rapport
M. Jean-Pierre Door, député, et Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, ont alors présenté leur rapport sur le « risque épidémique », établi sur la saisine de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale.
A leurs yeux, l'apparition du sida et plus récemment celles du SRAS et de la grippe aviaire ravivent l'angoisse multiséculaire devant le risque épidémique, qu'on avait cru voir disparaître dans les années 1970, quand des maladies comme la variole avaient été éradiquées.
Or, aujourd'hui, le poids des maladies infectieuses dans la mortalité reste considérable. Les germes pathogènes font preuve d'un dynamisme d'adaptation permanent : ils restent et resteront « compagnons de route » de l'humanité, prenant sans cesse de nouvelles formes. Une révolution conceptuelle est apparue avec les maladies à prions car les scientifiques n'imaginaient pas jusqu'alors qu'une protéine seule, sans acide nucléique, puisse constituer un agent infectieux et qu'en modifiant la forme d'une autre protéine, normale, elle puisse créer une pathologie.
La très forte chute de la mortalité liée aux épidémies, au cours du 20e siècle, résulte d'abord de l'amélioration de l'hygiène qui, pour bon nombre de scientifiques, a eu un impact supérieur au progrès médical. La surpopulation et la pauvreté, en particulier dans les pays du sud, sont souvent à la base de la sinistre séquence « dénutrition et infection » qui fait des ravages à travers le paludisme, les maladies entériques, les fièvres hémorragiques...
Le réchauffement climatique aura des effets sensibles, bien avant que l'on constate l'élévation du niveau des océans, par la remontée vers le nord de maladies tropicales.
La vulnérabilité de la population des pays occidentaux s'accroît également du fait du vieillissement de la population car les défenses immunitaires déclinent avec l'âge. Certaines maladies infectieuses touchent de ce fait beaucoup plus durement les personnes âgées, ainsi pour la légionellose, la tuberculose ou la grippe.
Or contre les virus, on ne dispose que d'un nombre limité de molécules antivirales et des résistances apparaissent (résistance du VIH aux trithérapies, notamment). Les parasites sont ou deviennent résistants à de nombreuses drogues, tel le plasmodium, et leurs vecteurs sont ou deviennent résistants aux insecticides (le moustique anophèle devient résistant au DDT).
L'accroissement de la résistance aux antibiotiques est un phénomène naturel, aggravé par un abus de prescriptions, le non-respect des posologies et l'alimentation animale, qui risque de poser des problèmes redoutables. Cette situation implique la réalisation d'études comportementales approfondies, pour mieux l'analyser, mais aussi le développement de la recherche dans le domaine de l'antibiothérapie.
Les maladies infectieuses et parasitaires restent très prévalentes dans les pays en développement. De nouvelles maladies infectieuses émergent ou réémergent de façon permanente, tant dans les pays en développement (fièvres hémorragiques...) que dans les pays industrialisés (coqueluche, diphtérie, tuberculose, maladies sexuellement transmissibles...).
Les pouvoirs publics ont aujourd'hui pris à bras le corps le risque épidémique. La crainte devant l'apparition du sida, de l'hépatite C, du SRAS ou d'un attentat bioterroriste, a sans doute joué un rôle majeur dans cette prise de conscience.
La mission de service public pour laquelle l'Etat finance les grands instituts de recherche doit donc être réaffirmée en mettant l'accent sur la recherche en épidémiologie et en infectiologie.
Les pouvoirs publics doivent organiser un partenariat à long terme avec les industriels. Il existe des domaines où il faudrait développer rapidement des vaccins -- la lutte contre le bioterrorisme, par exemple, ou les maladies endémiques des pays du sud -- pour lesquels il n'existe pas toujours une demande ou une clientèle solvable. La mise à disposition par le gouvernement français de nouveaux vaccins permettant de protéger les populations constituerait sans aucun doute une action forte de la France dans le domaine de la coopération internationale.
Après la présentation du rapport sur le risque épidémique et des recommandations formulées par les rapporteurs, M. Henri Revol, sénateur, président, a souligné l'excellence du travail accompli et a ouvert le débat.
M. Christian Cabal, député, après avoir relevé la qualité remarquable de l'ensemble du rapport, a indiqué que la recommandation relative à la révision périodique du caractère obligatoire des vaccins posait toutefois un problème : il a craint que la remise en cause, tous les cinq ans, du caractère obligatoire des vaccins, conjuguée au principe de précaution, ne conduise à remettre en cause l'obligation vaccinale elle-même. Il a redouté que les ligues « anti-vaccinales » ne s'appuient sur les conclusions des rapporteurs pour demander la remise en cause systématique du caractère obligatoire des vaccins.
En réponse, M. Jean-Pierre Door, député, rapporteur, a précisé que la recommandation avait pour objectif de permettre une meilleure explication de l'obligation vaccinale et d'assurer ainsi son respect dans les faits, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui.
Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, rapporteure, a indiqué que la recommandation devait être appréciée de façon ambivalente : il existe des maladies, telle la rougeole, qui sont en pleine recrudescence et pour lesquelles il n'y a pas d'obligation vaccinale ; par contre, pour le BCG, l'industrie pharmaceutique est en train d'abandonner la souche actuelle à partir de laquelle ce vaccin est pratiqué sans difficulté, au profit de la souche « Copenhague » qui entraîne plus d'effets indésirables. La démarche des rapporteurs n'est pas d'apporter de l'eau au moulin des ligues « anti-vaccinales », mais de promouvoir la vaccination. Il est donc opportun de veiller à ce que la rédaction de la recommandation ne comporte aucune ambiguïté à cet égard.
Pour M. Christian Cabal, il est préférable de parler d' « actualisation » plutôt que de « révision périodique », et de ne pas prescrire un délai de cinq ans qui paraît trop court.
L'Office s'est rangé à ce point de vue et a adopté la nouvelle rédaction proposée par Mme Marie-Christine Blandin qui prévoit une « actualisation régulière » du tableau vaccinal dans le cadre d'une expertise publique transparente.
M. Pierre-Louis Fagniez, député, a estimé que, dans l'histoire du risque épidémique, on était arrivés à une césure. L'on peut se retrouver un jour confrontés à de grands fléaux analogues à ce qu'a pu être autrefois la peste, alors qu'on avait constaté la disparition de maladies telles que la rougeole ou la variole. On pensait que l'on n'aurait plus jamais à parler de sanatorium. Or, à la lecture du rapport, il faut aujourd'hui se reposer la question des lits d'aval destinés à assurer la convalescence des malades.
Ce rapport arrive à point nommé, au moment où le principe de précaution remplace la réflexion : il ne s'abrite pas derrière le principe de précaution, tranchant ainsi avec le discours que l'on entend généralement ; il tourne le dos à une pensée unique qui entrave la recherche. Selon M. Pierre-Louis Fagniez, il faut mettre l'accent sur l'importance de la recherche en épidémiologie et sur la nécessité de laisser aux chercheurs la liberté de choisir leur champ d'investigation, comme l'ont indiqué les rapporteurs.
Toutefois, M. Pierre-Louis Fagniez a déploré que les rapporteurs n'aient pas parlé de la Direction générale de la santé (DGS). Car c'est à celle-ci qu'échoit la conduite de la politique de santé publique. Il est important de prendre la mesure des besoins de cette direction, à laquelle il est demandé une multiplicité de tâches. Or, ses effectifs ne s'élèvent qu'à environ 375 personnes à Paris qui sont accaparées par la rédaction des textes réglementaires, au détriment de la réflexion sur les problèmes évoqués par le rapport. Il est nécessaire d'appeler à sa réorganisation car elle est amenée à gérer l'ensemble de ces problèmes. Par ailleurs, la DGS devrait disposer d'une dérogation d'office aux procédures d'appels d'offres afin de réagir immédiatement en cas de danger sanitaire par des campagnes de communication nécessairement menées en urgence.
L'organisation des relations entre l'État et les collectivités locales doit aussi passer par la DGS qui a une fonction de coordination.
S'agissant du contrôle sanitaire des migrants, les risques viennent sans doute davantage de l'immigration irrégulière ; l'examen médical des migrants devrait être imposé et non seulement proposé, compte tenu notamment de la diffusion de la tuberculose. Quant à la polémique sur la vaccination contre l'hépatite B, elle doit être replacée à sa juste dimension.
Mme Marie-Christine Blandin a souligné la difficulté qu'il y aurait à analyser l'ensemble des problèmes de la DGS dans le cadre du présent rapport. Elle a indiqué que les migrants étaient demandeurs d'examens médicaux et qu'ils pouvaient être freinés par le coût des visites médicales organisées par l'Office des migrations internationales, étant aussi rappelé qu'une loi récente interdit la prise en charge des migrants en situation illégale, durant un délai de trois mois suivant leur arrivée sur le territoire national.
M. Claude Gatignol, député, a interrogé les rapporteurs sur l'ionisation des aliments par les rayons gamma qui pourrait éviter chaque année des dizaines de décès liés à la listériose. Il a indiqué que cette méthode appliquée aux épices évitait de nombreuses maladies.
En réponse, M. Jean-Pierre Door a souligné l'importance de la traçabilité des aliments pour la sécurité sanitaire et l'intérêt de disposer, grâce aux biotechnologies, de méthodes rapides de détection des germes pathogènes. Grâce à ces techniques, le diagnostic de la légionellose pourrait, par exemple, passer de 11 jours à 3 heures.
A propos des vaccinations, M. Jean-Yves Le Déaut, député, a souligné l'importance de recourir à une expertise internationale capable de réaliser la balance entre les bénéfices et les risques. Il a noté que certains parents préféraient opter pour d'autres modes de garde que les crèches afin d'éviter la vaccination de leurs enfants qui doit être pourtant considérée comme essentielle.
Il a, par ailleurs, souhaité que, dans les conclusions du rapport, figure une recommandation sur la nécessité de développer l'épidémiologie, qui permet d'évacuer les peurs irrationnelles.
Outre la recommandation portant sur l'Institut Pasteur dont les dotations publiques baissent alors que la part du financement privé augmente, il conviendrait d'accroître les soutiens à l'ensemble de la recherche contre les maladies infectieuses.
S'agissant du bioterrorisme, M. Jean-Yves Le Déaut a demandé des précisions sur les caractéristiques des experts et du réseau de laboratoires chargés de la mise en oeuvre des plans « biotox » et « piratox ».
Rappelant les propos tenus par le médecin-général Jean-Etienne Touzet lors de l'audition publique à laquelle a donné lieu son rapport sur les biotechnologies, il a considéré que l'on n'était pas prêts à faire face à une attaque bioterroriste, d'autant qu'il est possible de fabriquer des agents par génie génétique : il est donc prioritaire de mettre au point des techniques de détection rapide et il serait souhaitable que, comme pour la Direction générale de la sécurité extérieure, la présence de parlementaires soit prévue dans les organes de contrôle des organismes préparant la lutte contre le bioterrorisme.
M. Christian Bataille, député, a estimé que certaines informations classées « confidentiel défense » pouvaient être valablement partagées avec les parlementaires.
M. Henri Revol, sénateur, président, a rappelé le caractère extrêmement précis et contraignant de la réglementation sur le secret défense.
Mme Marie-Christine Blandin a indiqué que beaucoup d'éléments avaient été communiqués aux rapporteurs, mais que certains points relevaient de la sécurité nationale et qu'il était difficile de les évoquer dans un rapport public.
Puis, elle a proposé deux recommandations supplémentaires faisant suite aux observations des membres de l'Office :
-- l'une appelle à une meilleure définition du rôle de la DGS et au renforcement de ses moyens ;
-- l'autre met l'accent sur la nécessité de soutenir la recherche épidémiologique.
M. Claude Birraux, député, premier vice-président, a insisté sur la nécessité de développer l'épidémiologie et rappelé les difficultés à convaincre les pouvoirs publics de procéder à des études dans ce domaine. S'il faut bien sûr soutenir la DGS, il faut au préalable en réformer les structures car on ne peut pas gérer la santé au 21e siècle comme il y a 50 ans.
L'Office a adopté, à l'unanimité des membres présents, les recommandations proposées par les rapporteurs, ainsi modifiées et complétées, et l'ensemble du rapport sur « le risque épidémique ».
Nomination de rapporteurs
L'Office a ensuite procédé aux nominations de rapporteurs suivantes :
- MM. Christian Bataille et Claude Birraux, députés, ont été nommés rapporteurs pour la saisine de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale concernant « les nouvelles technologies de l'énergie et la séquestration du dioxyde de carbone : aspects scientifiques et techniques » ;
- MM. Christian Cabal, député, et Henri Revol, sénateur, ont été chargés de l'étude de faisabilité pour la saisine de la commission des affaires économiques du Sénat concernant « les grands domaines programmatiques de la politique spatiale du futur ».
Organisation d'auditions publiques
Enfin, l'Office a fait droit à des demandes d'auditions publiques telles que déjà pratiquées, soit dans le cadre du travail des rapporteurs pour la préparation ou le suivi de ses rapports, soit pour répondre à un besoin de débat public sur des questions majeures liées à l'actualité.
Ont ainsi été décidées trois auditions publiques :
- sur la « biométrie » : M. Christian Cabal, député ;
- sur la « gouvernance mondiale de l'Internet » : MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut, députés ;
- sur « l'expertise scientifique » : MM. Claude Saunier, sénateur, et Jean-Yves Le Déaut, député.