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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)
Mardi 13 mai 2003
- Présidence de M. Claude Birraux, député, président de l'Office.
La durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs - Examen du rapport
L'Office a examiné le rapport présenté par MM. Claude Birraux et Christian Bataille, députés, sur la saisine émanant de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale et portant sur la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs.
Prenant la parole alternativement, les rapporteurs ont tout d'abord rappelé que la France a construit son parc électronucléaire de 58 réacteurs en un temps très court, d'où résulte un «effet de falaise», qui a pour conséquence que, si la durée d'exploitation effective de ces réacteurs ne dépassait pas la durée de vie de conception initiale, soit 40 ans, 13 réacteurs seraient arrêtés d'ici à 2020 et 24 réacteurs supplémentaires entre 2020 et 2025.
Il n'existe pas, en France, de limitation de la durée de vie dans le décret d'autorisation de création d'une installation nucléaire, mais un réexamen de sûreté peut être demandé par l'Autorité de sûreté qui, en pratique, en a fixé la périodicité à 10 ans. Ainsi, des rendez-vous réglementaires périodiques sont fixés sous la forme de visites décennales et de réexamens de sûreté associés.
La fin des 30 premières années de fonctionnement étant considérée par l'Autorité de sûreté comme une étape fondamentale, les décisions de non-opposition à la prolongation d'exploitation seront prises au cas par cas. S'il est indispensable de privilégier la sûreté et de respecter les prérogatives de l'Autorité de sûreté, il semble nécessaire, toutefois, d'étudier les moyens de modifier la réglementation française dans le sens d'une meilleure visibilité pour la conduite de la politique énergétique.
D'une manière générale, la robustesse à 30 ans des réacteurs d'EDF est en ligne avec les prévisions. L'objectif des 40 années de fonctionnement, voire davantage, ne semble pas impossible à atteindre pour la majorité des réacteurs d'EDF. Toutefois, sur les 58 réacteurs du parc EDF, il n'est pas exclu que certains réacteurs ne puissent pas raisonnablement, c'est-à-dire à un coût économique acceptable, être prolongés au-delà de 40 ans.
L'extension de la durée de vie des réacteurs est un enjeu majeur, l'économie de coûts de production de l'électricité avec un réacteur amorti économiquement s'élevant à 100 millions d'euros par an. Mais il ne s'agit pas du seul enjeu, dans la mesure où, compte tenu de l'ouverture à la concurrence des marchés européens de l'électricité, il est impératif pour EDF d'améliorer encore ses performances.
En tout état de cause, la prolongation de la durée de vie et la préparation d'une solution de remplacement sont deux stratégies complémentaires, de manière à disposer d'une garantie par rapport aux aléas techniques, réglementaires et économiques.
Pour ne pas être obligé de rééditer le « sprint » de 10 à 15 ans qui a été effectué par l'industrie nucléaire française dans les années 80, il est indispensable que de nouveaux réacteurs puissent entrer en fonctionnement, c'est-à-dire en service industriel, dès 2020. Ceci suppose que la France dispose, dès 2015, d'un réacteur ayant déjà fonctionné pendant quelques années.
EDF a pris ses responsabilités d'industriel en indiquant son souhait de lancer le plus rapidement possible la construction du démonstrateur « European pressurized water reactor » (EPR), le projet de réacteur proposé par Framatome-ANP, dont la sûreté et la compétitivité sont encore améliorées par rapport aux réacteurs actuels.
On ne voit pas sous quel motif EDF pourrait se voir interdire la possibilité de bénéficier d'une garantie industrielle et de lisser le renouvellement de son parc électronucléaire.
Au demeurant, la construction du démonstrateur EPR, qui serait compétitif par rapport au cycle combiné à gaz, même avec une série de 4 tranches, favoriserait son succès sur les marchés étrangers, en particulier en Finlande qui prépare la construction de son 5e réacteur et sur les autres marchés européens ou américain, dont on prévoit le redémarrage en 2015.
Pour autant, il convient aussi de préparer, par un effort de recherche et développement important, les réacteurs nucléaires de la génération suivante.
Plusieurs sauts technologiques devront être réussis pour cette nouvelle génération, de façon à encore améliorer la sûreté d'exploitation, à réduire la quantité de déchets radioactifs produits ou recycler les déchets issus des autres filières, à confirmer la possibilité d'une conception éventuellement modulaire afin de pouvoir s'adapter à tous types de réseau et à élargir les débouchés de l'énergie nucléaire à la cogénération de chaleur et d'électricité, à la désalinisation de l'eau de mer et à la production d'hydrogène à partir de l'eau.
A l'évidence, le choix à l'horizon 2030 de nouveaux réacteurs doit accorder la plus grande importance à la minimisation des déchets de haute activité à vie longue. Mais un tel choix ne suffira pas à résoudre le problème des déchets générés par les réacteurs actuellement en fonctionnement. Il conviendra donc aussi de disposer de réacteurs pour la transmutation des déchets à haute activité et à vie longue. A ce sujet, il existe un débat dans la communauté scientifique au sujet de la priorité à accorder au développement, respectivement des réacteurs hybrides de type « Accelerator driven system » (ADS) et des réacteurs à neutrons rapides, débat qui mérite d'être rapidement approfondi.
Le marché du nucléaire dans l'avenir n'étant pas considérable, la place pour différentes technologies et pour différents constructeurs ne sera pas grande, ce qui obligera à une consolidation et à une coopération internationale, d'autant que des investissements énormes de plusieurs milliards de dollars devront être engagés pour apporter des solutions aux problèmes technologiques des différentes filières, ainsi que pour démontrer la sûreté des réacteurs et parvenir à des systèmes exploitables commercialement. Pour résoudre ce difficile problème, il conviendra de mettre en place un nouveau type de coopération, dont le modèle d'Airbus pourrait fournir un exemple.
Par ailleurs, s'agissant du choix de systèmes réacteurs-cycle du combustible pour le très long terme, des priorités devront être fixées, à l'issue d'une discussion ouverte à l'appui de laquelle une recherche pluraliste devra apporter sa contribution pour proposer, dans les meilleures conditions, une décision au Gouvernement.
Toutes les forces de la recherche française doivent donc être mobilisées pour atteindre un niveau suffisant dans la compétition internationale et pour qu'enfin s'instaure un véritable pluralisme de la recherche nucléaire, pluralisme facteur de transparence et d'efficacité. Ceci impose à l'évidence que le CNRS accorde une priorité à ce domaine de travail et lui alloue une proportion nettement accrue de ses moyens humains et matériels.
Dans la discussion qui a suivi, M. Claude Gatignol, député, a estimé que le rapport, dense, complet et bien construit, dans la ligne des rapports de référence de l'Office, permet de cerner, dans la durée, la notion de remplacement du parc électronucléaire. Il s'est demandé si, compte tenu de la standardisation du parc d'EDF, les décisions sur la durée de vie pourraient être homogènes pour les réacteurs d'un même palier.
M. Claude Birraux, député, rapporteur, a indiqué que la standardisation du parc, qui est réelle, est tempérée par d'inévitables différences à la marge dans la fabrication de certains matériaux comme les aciers de cuve. Une gestion différenciée de la durée de vie sera en conséquence inévitable pour chaque réacteur.
M. Christian Bataille, député, rapporteur, a remarqué que le principe de décision au cas par cas pour le prolongement de la durée de vie des réacteurs nucléaires, est commun à tous les pays.
M. Claude Birraux, député, rapporteur, a souligné qu'EDF devra en conséquence mettre en oeuvre une gestion différenciée de son parc. Pour accélérer la mise en place, sur une série de réacteurs, des modifications requises pour leur jouvence, il peut être conseillé à EDF de développer son organisation en réseau, voire de renforcer ses échelons régionaux.
En réponse à M. Claude Gatignol, député, qui s'était interrogé sur la possibilité de lier la durée de l'autorisation avec la qualité de l'exploitation, M. Christian Bataille, député, rapporteur, a remarqué que la gestion performante d'une centrale nucléaire est incontestablement un facteur de longévité. Ce paramètre intervient dans la décision de l'autorité de sûreté française, même si les systèmes réglementaires de certains autres pays sont moins normatifs et plus pédagogiques.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, s'est interrogé sur la possibilité réelle d'attendre la mise au point des réacteurs de génération IV pour procéder au renouvellement du parc actuellement en service.
M. Claude Birraux, député, rapporteur, a rappelé les incertitudes très grandes concernant les dates de mise au point des réacteurs pour 2035, en raison des nombreux verrous technologiques à lever. Or il est indispensable de disposer dès 2015 d'une solution éprouvée pour faire face à tout aléa économique, réglementaire ou technique.
M. Christian Cabal, député, a souligné que, même s'il est possible de prolonger la durée de vie des réacteurs à 40 ans, voire à 50 ans, il sera avantageux de lisser le renouvellement du parc. Au contraire, si l'extension ne s'avère pas possible, il sera nécessaire de disposer d'un réacteur de remplacement. L'EPR doit donc être disponible. Par ailleurs, l'implication du CNRS et des universités permettra de dynamiser et de pérenniser la recherche sur l'énergie nucléaire.
M. Claude Birraux, député, rapporteur, a souligné l'importance de voir le CNRS s'impliquer encore davantage dans ce domaine pour renforcer l'émulation, pérenniser les formations aux techniques nucléaires du fait des liens entre ses laboratoires et l'université et apporter le pluralisme de l'expertise nécessaire à la décision.
M. Christian Bataille, député, rapporteur, a indiqué que les missions effectuées à l'étranger pour la préparation du rapport ont permis de vérifier la grande réputation de la recherche française sur le nucléaire, en particulier aux Etats-Unis qui attirent nombre de ses spécialistes.
A l'issue de la discussion, le rapport a été adopté à l'unanimité des membres présents.