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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)

Mardi 18 novembre 2003

- Présidence de M. Claude Birraux, député, président de l'Office.

Auditions sur la recherche en matière de sécurité routière

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a procédé à l'audition de trois organismes qui concourent à la recherche dans le domaine de la sécurité routière en entendant :

- M. Guy Bourgeois, directeur général de l'Institut national de la recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS),

- M. Jacques Roudier, directeur général du laboratoire central des ponts et chaussées (LCPC),

- et M. Bernard Duhem, secrétaire permanent du programme national de recherche et d'innovation dans les transports (PREDIT), accompagné de Mme Marie-Claire de Franclieu, conseillère technique auprès du délégué interministériel à la sécurité routière, et de M. Armel de la Bourdonnaye, conseiller technique auprès du directeur de la recherche du ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Claude Birraux, député, président, a rappelé que si la mission première et la plus connue de l'Office était la production d'études, son souci d'information le conduisait à procéder à des auditions et à rencontrer périodiquement des organismes de recherche, comme le CNRS, le CEA, l'INRA et l'INSERM.

Il a indiqué que c'était dans ce cadre que se déroulait aujourd'hui cette audition consacrée à la recherche dans le domaine de la sécurité routière.

M. Guy Bourgeois, directeur général de l'institut national sur les transports et leur sécurité (INRETS)

M. Guy Bourgeois, directeur général de l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS), après une brève présentation de l'institut, a exposé que, selon lui, la base de la sécurité routière reposait sur le triangle « véhicule, constructeur, infrastructure ». La recherche sur les véhicules est le domaine privilégié des constructeurs, celle conduite par l'INRETS porte sur l'homme envisagé sous deux aspects, l'homme « biologique » ou « biomécanique » et l'homme « social », qui transgresse ou non la loi et, enfin, la recherche sur les infrastructures menée par le laboratoire central des ponts et chaussées.

Il a indiqué que huit des dix sept laboratoires de l'institut étaient dédiés à la sécurité routière et que leurs recherches étaient articulées autour de quatre thèmes : l'accidentologie, la biomécanique, les sciences psychologiques et sociales et, enfin, la sécurité primaire et les aides à la conduite.

Les études relatives à l'accidentologie portent sur la connaissance macroéconomique des conséquences des accidents, l'épidémiologie des accidents par l'analyse de la manière dont ils affectent la santé et la microaccidentologie qui permet une meilleure connaissance de l'accident et le retour d'expérience.

Les recherches en « biomécanique » portent, par exemple, sur la résistance aux chocs des différentes parties du corps humain, ce qui est très important pour la conception des véhicules. Deux laboratoires travaillent sur ce thème, l'un à Marseille et le second à Lyon ; il est possible, grâce à des reconstitutions d'accidents, de numériser le corps humain pour simuler des situations de chocs, en ne se cantonnant pas au cas type de l'homme d'1m 75 et 70 kilos, et d'étudier des cas tels que l'impact des chocs sur des enfants.

Le troisième thème de recherche, celui des sciences psychologiques et sociales, concerne la capacité cognitive de l'homme à se comporter en milieu dangereux. Deux laboratoires travaillent sur ces sujets et il a pu être démontrer par exemple que la difficulté de la conduite dans le brouillard était provoquée plus par une mauvaise estimation des distances que par la vitesse ou que, s'agissant du téléphone portable, le problème posé était plus l'occupation de l'esprit que les problèmes de manipulation, ce qui avait conduit le Japon à interdire l'usage des portables au volant.

Le dernier thème porte sur les aides à la conduite et à la sécurité primaire ; par exemple, sur l'intelligence embarquée et sa capacité à pallier les défaillances humaines en réagissant dix fois plus vite que l'homme avec la mise au point de systèmes qui interdisent le démarrage à un feu rouge si un obstacle survient.

Le directeur général de l'INRETS a estimé que les enjeux de la sécurité routière dans les prochaines années étaient au nombre de quatre. Un enjeu culturel, à un moment de basculement de l'opinion publique qui prend conscience que l'insécurité routière, loin d'être une fatalité, pourrait être maîtrisée. D'où l'importance, pour son établissement, de participer à la vulgarisation des connaissances acquises. Un enjeu de la route « intelligente », « sûre » et « communicante » qui pose un problème nouveau, car elle implique un partenariat entre constructeurs automobiles et bâtisseurs de route. Il a estimé, à cet égard, que la plate-forme technologique de Satory pourrait être le laboratoire de la route sûre et intelligente de demain. Un enjeu de numérisation et de simulation, permettant, par exemple, par des simulateurs de conduite, aux jeunes conducteurs de gérer les situations de risques sans y être exposés et de mieux apprécier les capacités physiques des conducteurs sans avoir recours à la seule notion d'âge. Un enjeu institutionnel enfin, avec la mise en place de mécanismes de financement de la recherche. Sur ce point, M. Guy Bourgeois s'est félicité des nouveaux outils mis en place par la loi de finances et a émis le voeu que son organisme contribue à la création de la fondation nationale pour la sécurité routière.

En réponse à M. Claude Birraux, député, président, M. Guy Bourgeois a précisé que le montant des crédits de l'INRETS s'élevait à 35 millions d'euros, dont 30 sur fonds publics et 5 provenant de ressources contractuelles.

M. Jacques Roudier, directeur général du laboratoire central des ponts et chaussées (LCPC)

M. Jacques Roudier, directeur général du laboratoire central des ponts et chaussées (LCPC), après avoir rappelé que le LCPC avait été longtemps un service du ministère de l'équipement, a précisé qu'il était devenu, en 1998, un établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST) sous tutelle conjointe du ministère chargé de l'équipement et du ministère chargé de la recherche. Les domaines d'étude du LCPC concernent les routes, c'est-à-dire les infrastructures, les structures aéroportuaires, ferroviaires, la géotechnique et les risques naturels, les ouvrages d'art et le domaine urbain. Le LCPC comprend 600 personnes, dont 80 doctorants et post-doctorants. Il est implanté sur quatre sites, dont trois dans la région parisienne (Paris, Marne-la-Vallée, Satory), et un à Nantes, celui-ci comprenant 40 % des moyens de l'ensemble.

Pour un budget de 43 millions d'euros, 80 % du financement proviennent du ministère de la recherche, et 20 % de ressources propres, soit publiques (ministères de l'équipement et de l'environnement, PREDIT et fonds de recherche européens), soit privées (pour environ 5 %) provenant d'activités de recherche ou d'expertise.

Le LCPC conduit sa recherche en laboratoire et à partir de moyens expérimentaux surtout à Nantes, la simulation numérique jouant un grand rôle dans ses travaux. Il dispose du réseau des centres d'études techniques de l'équipement très impliqués dans la recherche.

Le LCPC compte nombre d'équipes partagées avec le CNRS, l'Ecole nationale des Ponts & Chaussées, l'INRETS, et, au niveau européen, il coopère avec l'ensemble des laboratoires de recherche routière regroupés dans une structure de droit belge, le Forum des laboratoires européens de recherche routière, et participe à des programmes européens.

En 2000, le LCPC a conclu un contrat quadriennal avec l'Etat, pour la période 2001-2004. Cinq orientations prioritaires ont été retenues : la valorisation de l'infrastructure et des ouvrages existants, la maîtrise du rôle de l'infrastructure dans la sécurité routière, la maîtrise des impacts des infrastructures sur l'environnement, l'optimisation des ouvrages de génie civil en zones urbaines, l'introduction de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies dans le génie civil et l'exploitation des infrastructures routières.

Dans sa recherche, le LCPC part de l'analyse des trajectoires des véhicules en fonction de l'environnement, puis il établit des diagnostics pour en déduire des corrections ; cela constitue à peu près 20 % de son activité.

Ces recherches sont destinées tant aux décideurs politiques, aux maîtres d'ouvrage et aux exploitants des infrastructures qu'à l'ensemble des intervenants (entreprises diverses, industriels des équipements des routes et de l'automobile).

Le LCPC étudie tout particulièrement les propriétés de la route, dont il déduit des diagnostics sur la sécurité des itinéraires ; il teste l'adaptation de la conduite à l'environnement, il mesure l'adhérence des véhicules à l'infrastructure, il étudie les conditions de la perception visuelle des situations d'urgence, et aide à la conception des poids lourds du futur.

A partir de ces recherches, le LCPC propose des produits comme, par exemple, des matériels de diagnostic d'infrastructures (véhicules instrumentés faciles à utiliser dans le flot et au rythme du trafic) pour mesurer l'adhérence des véhicules à la route, la rugosité des revêtements et l'efficacité des marquages, ou des outils d'aide et de simulation permettant de détecter les situations accidentogènes à partir de l'environnement, de simuler des éclairages ou des situations de brouillard. D'autres produits concernent la mesure de la température de la chaussée en vue de l'alerte en cas de gel, l'établissement de modèles de prévision des gelées, ou enfin l'évaluation d'aide à la conduite (limitateur de vitesse s'adaptant à la vitesse autorisée, détection d'obstacles, etc.).

M. Bernard Duhem, secrétaire permanent du programme national de recherche et d'innovation dans les transports (PREDIT)

M. Bernard Duhem, secrétaire permanent du programme national de recherche et d'innovation dans les transports (PREDIT), a indiqué que le programme de recherche et d'innovation dans les transports terrestres (PREDIT) était un cadre de recherche, d'expérimentation et d'innovation dans les transports terrestres placé, depuis 1990, sous la tutelle de quatre ministères : l'équipement, la recherche, l'industrie et l'écologie et de deux agences l'ADEME et l'ANVAR.

Il a exposé que le premier programme (1990-1994) avait été consacré essentiellement aux innovations technologiques dans les véhicules et que le second (1996-2000) s'était ouvert à l'implication des sciences de l'homme et de la société, des sciences de la vie et à l'organisation des services de transport, marchandises, interfaces portuaires. Le PREDIT 3, actuellement en cours, a fait l'objet d'un protocole d'accord en mars 2002, et a engagé des programmes sur trois objectifs visant à assurer une mobilité durable des personnes et des biens, à accroître la sécurité des systèmes de transport, et à réduire les impacts environnementaux et contribuer à la lutte contre l'effet de serre. Sur la période 2002-2006, le PREDIT devrait disposer d'une enveloppe de 305 millions d'euros, dont une cinquantaine consacrés à la sécurité.

M. Bernard Duhem a ensuite précisé que sur les onze groupes de programmation mis en place pour 5 ans, avec réorientation possible en cours de déroulement, deux groupes étaient dédiés à la sécurité, tous les modes de transport étant confondus : le groupe 3 consacré aux nouvelles connaissances pour la sécurité, en tenant compte des comportements face au risque, santé et sécurité, le groupe 4 développant les technologies pour la sécurité, tels le contrôle commande des transports guidés, les aides à la conduite et à l'exploitation des infrastructures. Il a indiqué que ce groupe gérait l'action fédérative sur les aides à la conduite pour les véhicules particuliers (ARCOS).

Mme Marie-Claire de Franclieu, conseillère technique auprès du délégué interministériel à la sécurité routière, a souligné, en matière de sécurité routière, la nécessité de réunir l'ensemble des acteurs et de prendre en compte tous les aspects socio-économiques. Elle a noté qu'au sein du groupe 3 du PREDIT, le constat avait été fait que le compartimentage par disciplines affaiblissait la recherche et qu'il fallait, au contraire, faire dialoguer les disciplines. Après avoir indiqué que la recherche dans le domaine de la sécurité routière était devenue un sujet de recherche « noble », elle a précisé que ce groupe avait retenu 38 projets sur les 100 propositions qui lui avaient été adressées et que ces 38 projets, impliquant des chercheurs de toutes disciplines, devraient être mis en oeuvre dans les deux prochaines années.

M. Jean-Pierre Door, député, après avoir estimé que « savoir mieux conduire » et « savoir mieux se conduire » étaient deux clés de la sécurité routière, a interrogé M. Guy Bourgeois sur l'état des recherches menées par l'INRETS sur l'aptitude médicale à la conduite.

M. Guy Bourgeois, après avoir rappelé les études de l'INRETS sur le rôle de l'alcool et de la drogue, a insisté sur l'importance de la diffusion de connaissances solidement établies et validées par la communauté scientifique. Il a appelé de ses voeux une coopération plus importante avec le ministère de la santé, estimant, qu'en matière de conduite, le vieillissement n'était pas nécessairement un couperet.

En réponse à M. Henri Revol, sénateur, premier vice-président, et à M. Claude Birraux, député, président, Mme Marie-Claire de Franclieu a cité, parmi les 38 projets retenus par le groupe 3 du PREDIT, le cas d'une étude portant sur le devenir des victimes d'accident faisant intervenir plusieurs partenaires y compris les constructeurs automobiles, et ayant pour objet le suivi d'une cohorte de blessés sur huit années. Une telle étude devrait permettre de mieux mesurer le coût global, actuellement sous-estimé, des accidents de la route.

En réponse à M. Henri Revol, sénateur, premier vice-président, M. Armel de la Bourdonnaye, conseiller technique auprès du directeur de la recherche du ministère de l'équipement, a présenté les recherches entreprises et les actions envisagées en matière de déclenchement des secours aux victimes d'accidents de la route.

M. Claude Birraux, député, président s'est interrogé sur les moyens permettant de mieux faire connaître l'apport de la recherche sur la sécurité routière au-delà du cercle des décideurs.

M. Guy Bourgeois a évoqué plusieurs pistes de réflexion et tout d'abord la création de lieux permettant à toutes les parties concernées de se connaître et de se rencontrer, à l'instar de ce que permet le PREDIT. Il a aussi insisté sur la nécessité de mieux diffuser les connaissances acquises, citant, à ce propos, l'intérêt d'une diffusion de type « trafic info » par les sociétés d'autoroute tout en garantissant la qualité de l'information émise. Il a enfin estimé que la création de plateformes technologiques, comme celle de Satory, devrait permettre de mettre en oeuvre des projets portés par des partenaires qui, en tout état de cause, seront à terme appelés à y collaborer.

M. Jacques Roudier a présenté des observations sur les évolutions en cours. Après avoir souligné la multiplication des acteurs dans un domaine où chaque Français a son opinion sur la politique de sécurité routière, il a noté que, dans le champ de l'infrastructure routière, le rôle de l'Etat était de plus en plus partagé, notamment avec les collectivités territoriales et les mandataires du service public. Il a enfin évoqué les difficultés juridiques et financières rencontrées par les acteurs privés en matière de recherche sur la sécurité des transports qui s'interrogent sur les risques qu'ils prennent au regard de cette filière et la rémunération attendue.

M. Armel de la Bourdonnaye a, lui aussi, insisté sur la multiplication des acteurs ayant des angles de vue très différents, qui entraînait un changement d'échelle dans la recherche des solutions. Il a précisé, s'agissant de la route intelligente et de la voiture intelligente, que des expérimentations étaient en cours, par exemple, le limitateur de vitesse. Il a enfin insisté sur la nécessité d'intégrer les questions technologiques dans un ensemble social, économique et juridique.