OPECST : bulletin



OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)

Mercredi 9 juin 2004

- Présidence de M. Claude Birraux, député, président.

Nucléaire - Rapport annuel - Audition de la Commission nationale d'évaluation des recherches pour la gestion des déchets radioactifs

L'Office parlementaire a procédé à l'audition de la Commission nationale d'évaluation des recherches pour la gestion des déchets radioactifs, qui lui a présenté son rapport annuel.

M. Claude Birraux, député, président, après avoir accueilli M. Bernard Tissot, président de la Commission nationale d'évaluation (CNE) et les membres de celle-ci, a précisé qu'à l'initiative des présidents des quatre groupes politiques, le Bureau de l'Assemblée nationale a saisi, le 4 juin 2003, l'Office parlementaire d'une étude sur « l'état d'avancement et les perspectives des recherches sur la gestion des déchets radioactifs », étude dont M. Christian Bataille et lui-même ont été nommés rapporteurs le 10 juin 2003. Depuis cette date, dans le but de connaître les réalisations et les expériences étrangères, des missions ont été effectuées dans les principaux pays nucléaires, qui ont permis de rencontrer plus de 150 responsables de la gestion des déchets radioactifs et de visiter neuf installations souterraines.

M. Claude Birraux, député, président, a noté la très nette accélération, non seulement des recherches, mais aussi des résultats et des réalisations en cours, dans le domaine de la gestion des déchets radioactifs. Par ailleurs, un intérêt est de plus en plus clairement exprimé, en Suède, en Belgique et surtout aux Etats-Unis, pour le modèle français de gestion des déchets radioactifs, autour du retraitement et de la minimisation des volumes et de la radiotoxicité par le recyclage des actinides mineurs et l'incinération des déchets ultimes.

M. Bernard Tissot, président de la CNE, a tout d'abord indiqué que le 10e rapport de la Commission nationale d'évaluation a pour objectif de déterminer où en sont les recherches conduites en France en application de la loi du 30 décembre 1991 et où il est possible d'espérer qu'elles en soient au terme de la loi. En tout état de cause, les programmes de recherche, qui ont regroupé les acteurs de la loi, les centres de recherche et les universités, sont d'une grande ampleur.

S'agissant du 1er axe de la loi, les recherches sont incontestablement plus avancées pour la séparation que pour la transmutation.

Les procédés développés par le CEA pour la séparation des actinides mineurs et des produits de fission sont scientifiquement bien établis et pourraient déboucher sur la construction d'une installation pilote, à condition de disposer d'une stratégie de transmutation. Or, si depuis le début 2004, il est possible d'effectuer des tests relatifs à la transmutation avec Phénix, il n'existe pas encore de filière retenue préférentiellement pour la suite, la faisabilité des systèmes sous critiques pilotés par accélérateurs et des réacteurs de 4e génération n'étant pas encore prouvée scientifiquement. En conséquence, on ne devrait pas disposer, en 2006, de nombreux arguments scientifiques pour prendre une décision.

Pour le 2e axe de la loi, correspondant à l'étude des possibilités d'un exutoire ultime pour les déchets de haute activité à vie longue, la Commission nationale d'évaluation estime que les résultats des mesures physiques et des forages verticaux ou inclinés récemment pratiqués montrent, sous réserve des derniers travaux à réaliser, l'absence de caractères rédhibitoires défavorables pour la couche d'argile du laboratoire souterrain de Bure. La recherche devrait donc livrer, fin 2005, les éléments permettant la poursuite, ou non, de la reconnaissance du site et du secteur.

Enfin, pour le 3e axe qui a trait au conditionnement et à l'entreposage de longue durée, des progrès substantiels ont été effectués pour la définition d'un conteneur identique pour l'entreposage de longue durée et le stockage, qui permettront de disposer, en 2006, de démonstrateurs en vraie grandeur. En revanche, des données scientifiques manquent encore pour la tenue des bétons au-delà d'une centaine d'années, ce qui nécessitera des opérations de renouvellement.

En conclusion de ses propos liminaires, M. Bernard Tissot a souligné, d'une part, qu'il est classique dans le domaine de la recherche que des résultats concluants arrivent en fin de programme et, d'autre part, que la CNE a contribué à la forte mobilisation des acteurs, tout en suggérant des pistes de travail qui se sont révélées très positives.

M. Christian Bataille, député, a exprimé à M. Bernard Tissot et à l'ensemble des membres de la Commission nationale d'évaluation la gratitude de l'Office parlementaire pour le travail qu'ils ont effectué et qui répond pleinement à l'objectif de la loi de 1991 de ne pas dissocier la réflexion scientifique de la décision politique. Sans que l'on sache encore comment le Gouvernement interprètera les résultats de la recherche et ce que décidera le Parlement, les conclusions du 10e rapport de la CNE sont encourageantes, même s'il ne s'agit pas de certitudes. Estimant, comme la CNE, que la dimension sociétale de la gestion des déchets pourrait être étudiée avec les méthodes des sciences humaines, M. Christian Bataille s'est prononcé en faveur de la continuation, au-delà de 2006, des recherches sur la séparation et la transmutation et a souhaité que des résultats soient obtenus sur la durée de vie des bétons au-delà de cent ans.

Sur la question de la tenue des bétons, M. Claes Thegerström et M. Juan-Manuel Kindelan, membres de la CNE, ont indiqué, pour le premier, que l'installation d'entreposage souterrain du CLAB en Suède a été dimensionnée pour une durée de vie du béton de 70 à 80 ans, et, pour le second, que l'estimation technique de la durée de vie peut être supérieure à la centaine d'années, alors qu'une garantie juridique ne peut être donnée au-delà de ce terme.

En réponse à une question de M. Claude Birraux, député, président, sur la pyrochimie et la pyrométallurgie, M. Robert Guillaumont, membre de la CNE, a souligné dans ce domaine, l'avance de pays, comme les Etats-Unis et la Russie, l'intérêt du Japon et de l'Allemagne pour ces techniques et la réactivation, en application de la loi de 1991, des travaux en France, compte tenu de leurs avantages potentiels pour le retraitement sur site de combustibles utilisés dans des cycles innovants.

M. Claude Birraux, président, député, s'étant interrogé sur l'écart entre, d'une part, la position de la CNE sur l'homogénéité de la couche d'argile de Bure démontrée par l'absence de fractures et de discontinuités dans les mesures et les prélèvements réalisés in situ par des expériences récentes et celle de chercheurs de l'IRSN ayant, au contraire, fait état de failles, M. Robert Guillaumont, membre de la CNE, a indiqué qu'après la consultation des résultats, les chercheurs de l'IRSN reviendront à la position de la CNE, leur interprétation initiale étant erronée. M. Ghislain de Marsily ayant confirmé que l'hypothèse de failles traversantes émise par des chercheurs de l'IRSN est fausse, M. Claude Birraux, président, député, a souligné que l'on attend traditionnellement d'une communication scientifique qu'elle accompagne les questionnements de résultats expérimentaux suffisants et fiables. S'agissant des travaux conduits par l'IRSN à Tournemire, M. Ghislain de Marsily a estimé qu'il s'agit là essentiellement d'un terrain de test d'équipements de mesure.

En réponse à une question de M. Claude Birraux, président, député, sur l'état d'avancement du projet Myrrha de réacteur sous critique piloté par accélérateur, M. Jean-Paul Schapira, membre de la CNE, a présenté le projet EUROTRANS intégré au 6e PCRD, qui met l'accent sur le programme TRAD de test du couplage des éléments d'un réacteur de ce type et sur la mise au point du design d'un démonstrateur, qui, compte tenu de son coût estimé de construction, n'est encore qu'un projet « papier ».

M. Christian Bataille, député, s'étant interrogé sur les raisons des difficultés rencontrées à Bure pour la construction du laboratoire souterrain, M. Bernard Tissot, président de la CNE, a indiqué que les savoir-faire miniers ont été réacquis au fur et à mesure des travaux, M. Claes Thegerström, membre, ayant, pour sa part, relevé qu'un management rigoureux avait également été nécessaire pour la construction du laboratoire suédois d'Aspö, et M. Ghislain de Marsily ayant, quant à lui, noté la force traditionnelle des sociétés françaises du secteur des tunnels.

Après avoir remercié la CNE pour sa contribution à l'information du Parlement, M. Claude Birraux, député, président, a levé la séance.