OPECST : bulletin
OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)
Mardi 22 juin 2004
- Présidence de M. Claude Birraux, député, président.
Télécommunications à haut débit et Internet au service du système de santé - Examen du rapport
L'Office parlementaire a procédé à l'examen du rapport de MM. Jean Dionis du Séjour, député, et Jean-Claude Etienne, sénateur sur « les télécommunications à haut débit et Internet au service du système de santé ».
Pour M. Jean-Claude Etienne, sénateur, rapporteur, le rapport sur « l'Internet à haut débit et les systèmes de santé », demandé par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, se trouve au coeur de l'actualité : le débat en cours sur la maîtrise des dépenses du système de santé impose en effet de revoir en profondeur l'architecture de notre système de soins. Or, l'assimilation par la médecine des nouvelles technologies de l'information (NTIC) va transformer en profondeur l'organisation de la médecine, aussi bien au niveau de la mise en oeuvre des thérapeutiques, de la conception de l'hospitalisation que des rapports entre les malades et le corps médical.
La révolution numérique va s'exercer à travers deux outils : l'Internet et les équipements de télémédecine.
M. Jean Dionis du Séjour, député, rapporteur, a relevé que le développement des nouvelles technologies de l'information va transformer les rapports que les patients entretiennent avec les professionnels de santé. Mieux informé, « propriétaire » de son dossier médical, associé à la définition du projet thérapeutique qui va lui être administré, capable d'aller chercher de l'information médicale le concernant, le patient redevient l'acteur de sa maladie et se trouve ainsi en position de mieux apprécier la stratégie thérapeutique. L'échange devient à la fois plus exigeant et mieux documenté, avec toutefois un risque réel de dérapage vers un comportement consumériste, qui risque de poser des problèmes en termes de rapports humains.
S'agissant du « Web », il convient de bien distinguer les sites professionnels des sites destinés au grand public. Ces derniers sont souvent fort utiles, mais présentent des dangers, dans la mesure où ceux qui les consultent n'ont pas la compétence pour évaluer la qualité des informations qui leur sont communiquées.
En outre, le modèle économique viable en matière de sites « e-santé » pour le grand public reste encore à bâtir et il est probablement nécessaire d'aller au-delà des règles de déontologie posées par la CNIL, par exemple en obligeant les sites à préciser la nature de leurs liens avec les fournisseurs des produits donnés en référence.
La téléconsultation reste aujourd'hui interdite en France. Le problème est donc bien celui de la frontière à établir entre la délivrance d'une information générale sur un problème médical, d'une part, et une consultation qui conduirait à établir un diagnostic à distance, d'autre part.
S'agissant des sites réservés aux professionnels, le développement des expériences de réseaux de soins va renforcer le développement de ces sites et sera probablement un facteur important du décloisonnement entre la médecine hospitalière et la médecine libérale.
Le rapporteur a ensuite mis l'accent sur les problèmes de qualification des sites Web, sur la nécessité de mettre en place des organismes de veille ainsi qu'un système de labellisation.
S'agissant de la mise en place du dossier médical informatisé du patient, les rapporteurs ont constaté l'existence d'un large consensus sur l'intérêt de cet outil pour rendre plus cohérent notre système de santé. Toutefois, les rapporteurs ont noté la nécessité, pour faciliter la mise en commun des données détenues par les acteurs du système de santé, d'utiliser le numéro d'inscription au répertoire des personnes physiques (plus communément appelé numéro INSEE).
L'insertion d'un dispositif législatif propre au dossier médical partagé dans la loi « informatique et liberté » permettrait de résoudre les problèmes de coordination entre les règles protectrices du patient et les règles de déontologie.
Après avoir défini latélémédecine, qui a pour vocation de soigner le malade à distance, M. Jean-Claude Etienne, sénateur, a relevé que cette médecine est aujourd'hui au point, mais que son développement est entravé par bien des obstacles, alors qu'elle peut considérablement améliorer le confort et la qualité de prise en charge du patient.
En France, l'Ordre des médecins réprouve les consultations par téléphone. C'est pourquoi la télémédecine est aujourd'hui un outil réservé aux hôpitaux car il permet de mieux gérer les pénuries de personnels médicaux et d'apporter à la population un accès à un service public de qualité indépendamment de la localisation géographique.
Il est d'ailleurs probable que l'installation de stations de télémédecine constitue le seul moyen de sauver les hôpitaux de proximité. L'intérêt de la télémédecine se situe à trois niveaux : elle permet d'assurer la continuité de l'accès aux soins pour une partie importante de la population ; elle est un outil précieux pour traiter des urgences médicales ; sa mise en oeuvre favorise les réseaux multidisciplinaires dont la médecine de demain aura besoin.
Le rapporteur a pris l'exemple de la médecine pénitentiaire car l'organisation des unités de soins aux détenus n'est pas satisfaisante. Il existe un problème majeur de santé publique et de sécurité et il serait souhaitable que, dans le délai le plus bref possible, toutes les infirmeries des prisons françaises soient dotées de stations de télémédecine.
Par ailleurs, les rapporteurs ont souligné que l'émergence de la télémédecine allait considérablement complexifier le droit de la responsabilité médicale, qui va être confronté à l'application de plusieurs législations et à leurs contradictions.
Les craintes tenant au travail en réseau découlent en partie de ces incertitudes, dans un contexte de fort développement de la responsabilité médicale.
En outre la télémédecine est parfois perçue comme de nature à aggraver la distance entre l'exercice de la médecine spécialisée et celle de la médecine générale.
M. Claude Birraux, député, président, a interrogé les rapporteurs sur les aspects techniques de la télémédecine, par exemple pour permettre aux détenus d'accéder à des scanners. Dans sa réponse, M. Jean-Claude Etienne, sénateur, a indiqué que ce n'était pas tant le problème d'accès au scanner qui se posait, mais plutôt celui de l'évaluation de l'utilité de procéder à ce type d'examen. Dans cette perspective, le fait que les stations de télémédecine puissent permettre un meilleur diagnostic éviterait le recours à des examens inutiles et diminuerait les files d'attente, facilitant ainsi la réalisation des scanners lorsque ces derniers sont réellement indispensables.
M. Jean Dionis du Séjour, député, évoquant la mission qu'il avait réalisée aux Etats-Unis, a souligné l'absolue nécessité de doter les prisons de stations de téléconsultations.
M. Claude Birraux, député, président, s'est interrogé sur la formation continue des médecins travaillant dans les hôpitaux de proximité, assujettis à un très grand nombre de gardes et de permanences et qui, de ce fait, ont du mal à dégager le temps nécessaire à une telle formation. Il a évoqué l'articulation entre les CHU et les petits hôpitaux en matière de formation.
M. Jean Dionis du Séjour, député, a indiqué que le « e-learning » médical ne présente pas de spécificités et que la part des enseignements à distance va augmenter, en particulier dans le cadre du CNED (Centre national d'enseignement à distance).
Pour M. Jean-Claude Etienne, sénateur, la remise à niveau des praticiens doit être déclinée au nombre des missions des CHU qui peuvent donner aux jeunes médecins des formations par télémédecine. Au-delà, ces méthodes constituent une aide très précieuse en matière de pédagogie qui trouve là une dimension nouvelle. Au vu de son expérience, il considère que la téléformation dans le domaine médical offre un mieux perçu pédagogique.
M. Jean-Pierre Door, député, évoquant son expérience personnelle, a souligné l'existence de permanences de soins virtuelles, qui permettent aux médecins isolés d'être reliés à un centre régulateur. Ces méthodes sont particulièrement utiles en matière d'urgence, par exemple cardiologique, car le malade peut être mieux pris en charge et mieux orienté. Il a pu également mesurer l'utilité de la télémédecine à travers le réseau de surveillance du cancer du sein qui permet aux radiologues de transmettre par ADSL des mammographies. Il a relevé que la formation continue des médecins allait devenir obligatoire, ce qui va gêner considérablement les médecins des cantons ruraux qui peuvent difficilement être remplacés. Internet leur permettra d'effectuer une formation validée à leur domicile et sera l'un des outils de lutte contre les manques de la démographie médicale.
Pour cela, il est toutefois nécessaire que les régions prennent en charge l'équipement du territoire en ADSL.
M. Jean Dionis du Séjour, député, a souligné que, d'une manière générale, la desserte du territoire en haut débit était impérative mais que, dans le domaine médical, le haut débit n'était pas d'une utilité absolument indispensable.
Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, a souligné le paradoxe qu'elle avait relevé dans un hôpital où le médecin de proximité avait, aux yeux du malade, une image dévalorisée par rapport aux médecins spécialistes.
Elle a craint que ces avancées technologiques ne produisent une nouvelle génération de médecins très axés sur la technologie et moins sur l'écoute du patient. Elle a fait part également de sa crainte de stigmatisation de certaines populations défavorisées qui n'auraient plus accès aux médecins que par l'intermédiaire de machines.
M. Jean-Claude Etienne, sénateur, a souligné qu'il n'avait pas l'intention de ressusciter les mânes de Charles Bovary, c'est-à-dire les officiers de santé. L'exemple de la psychiatrie montre que la distance peut parfois être utile et permettre de recueillir des informations qu'il n'aurait pas été possible d'obtenir autrement. Mais rien ne saurait se substituer à ses yeux, à l'examen clinique. Il faut réhabiliter celui-ci dans la formation des médecins qui n'ont que trop tendance à renvoyer à des examens complémentaires.
Pour M. Jean Dionis du Séjour, député, l'exemple carcéral illustre le fait que si le risque théorique peut exister, le problème immédiat est celui de l'accès à la médecine.
M. Claude Birraux, député, président, a insisté sur la nécessité d'une labellisation européenne des sites de santé.
Les rapporteurs ont indiqué qu'ils comptaient se rendre en Finlande et au CERN (Centre européen de recherches nucléaires) afin de compléter certains aspects techniques du dossier, appelés à figurer en annexe documentaire au rapport.
L'Office a adopté, à l'unanimité des membres présents, l'ensemble du rapport ainsi que les recommandations proposées par les rapporteurs.
Risque épidémique - Etude de faisabilité
L'Office parlementaire a examiné l'étude de faisabilité de M. Jean-Pierre Door, député, et de Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, sur « le risque épidémique ».
M. Jean-Pierre Door, député, rapporteur, a indiqué que la commission des affaires culturelles, familiales et sociale de l'Assemblée nationale avait saisi l'Office parlementaire d'une demande d'étude sur « le risque épidémique », qui constitue un problème majeur de santé publique à l'échelon de la planète, puisque les maladies infectieuses représentent un tiers de la mortalité observée annuellement.
Si les maladies infectieuses (peste, syphilis, choléra, tuberculose, variole, diphtérie, grippe, etc.) ont toujours représenté la première cause de mortalité, la science a cru, au début du XXe siècle, pouvoir les maîtriser. Toutefois l'optimisme engendré par cette « épopée » n'est plus aujourd'hui de mise.
Nous ne disposons contre les virus que d'un nombre très limité de molécules antivirales et des résistances apparaissent (résistance du VIH aux trithérapies notamment). Les maladies infectieuses et parasitaires restent très prévalentes dans les pays en développement, de nouvelles maladies infectieuses émergent ou ré-émergent de façon permanente tant dans les pays en développement (fièvres hémorragiques...) que dans les pays industrialisés (coqueluche, diphtérie, tuberculose...).
Plusieurs raisons expliquent un certain pessimisme :
- les bactéries ont une capacité extraordinaire d'adaptation à leur environnement, en particulier animal et humain ;
- l'augmentation rapide de la population de la planète, particulièrement dans les pays en développement, maintient une situation alarmante en matière de maladies infectieuses du fait de l'accroissement du réservoir potentiel d'agents pathogènes et de la facilité de leur transmission ;
- les modifications écologiques majeures induites dans certaines régions du globe par l'expansion territoriale de l'espèce humaine établissent des conditions, auparavant inexistantes, dans lesquelles l'homme se trouve brutalement au contact d'espèces animales ou de vecteurs lui transmettant des micro-organismes ;
- les voyages, notamment en avion, permettent aux microbes, à travers ceux qui les hébergent, de se déplacer rapidement d'un bout à l'autre de la planète.
La première tâche des rapporteurs sera de quantifier le risque infectieux, probablement sous-évalué. Un certain nombre de maladies peuvent en effet être déclenchées par des virus. Cela est le cas, par exemple, de certains cancers : au moins 16% d'entre eux sont d'origine infectieuse.
Une deuxième tâche sera d'évaluer les nouveaux facteurs de risques, en particulier le bioterrorisme, les facteurs liés à la vie sociale (nouveaux modes d'alimentation, modes de vie) et les infections nosocomiales.
Une troisième tâche sera d'évaluer l'efficacité des structures d'alerte, en particulier pour les nouveaux risques et les perspectives offertes par la recherche.
Les rapporteurs ont proposé de poursuivre l'étude sur les maladies infectieuses demandées par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale.
Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, rapporteure, a souligné la rapidité avec laquelle les microbes évoluaient et indiqué qu'elle avait l'intention d'étudier tout particulièrement le problème de la résistance aux antibiotiques.
M. Jean-Pierre Door, député, a souligné l'importance d'étudier l'évolution de la pratique médicale, par exemple l'utilisation à tort d'antibiotiques pour lutter contre la grippe.
Après les interventions de M. Claude Birraux, député, président, qui a suggéré de faire appel à l'Académie nationale de médecine à travers le comité de pilotage de l'étude et de M. Henri Revol, sénateur, premier vice-président, qui a souligné que l'Union européenne venait de constituer un réseau d'étude des maladies virales transmissibles des animaux vers l'homme, l'Office a autorisé les rapporteurs à poursuivre leur travail.