OPECST : bulletin



OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)

Mercredi 29 juin 2005

- Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président.

Nucléaire - Gestion des déchets - Audition de la Commission nationale d'évaluation

L'Office parlementaire a procédé à l'audition de la Commission nationale d'évaluation relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, qui lui a présenté son 11e rapport annuel.

M. Henri Revol, sénateur, président, après avoir accueilli M. Bernard Tissot, président de la Commission nationale d'évaluation (CNE), et les membres de celle-ci, a souligné l'importance du travail effectué par la Commission sur une période de plus de dix ans, en application de la loi du 30 décembre 1991. Peu de commissions ont été mobilisées pendant une durée aussi longue sur des sujets aussi difficiles. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a été saisi, pour sa part, à plusieurs reprises, sur le déroulement des recherches de la loi de 1991. Les travaux de la CNE lui ont été utiles, en particulier à MM. Christian Bataille et Claude Birraux, députés, pour la préparation de leur rapport publié en mars dernier.

Si l'avenir à très long terme de l'énergie se prépare avec le projet ITER dont l'implantation à Cadarache a été récemment annoncée, l'énergie nucléaire de fission continuera d'être irremplaçable pour plusieurs décennies. La loi de programme sur les orientations de la politique énergétique, adoptée définitivement par l'Assemblée nationale et le Sénat le 23 juin 2005, définit trois objectifs essentiels : d'abord la maîtrise de l'énergie, ensuite le caractère incontournable de la production d'électricité nucléaire et enfin le développement des énergies complémentaires renouvelables. L'énergie nucléaire devant continuer à jouer un rôle majeur à l'avenir, la mise en place de solutions pour les déchets est fondamentale pour l'opinion, qui attend des décisions de gestion à long terme.

M. Henri Revol a ensuite demandé à M. Bernard Tissot d'exposer les conclusions du 11e rapport de la commission qu'il préside.

M. Bernard Tissot, président de la Commission nationale d'évaluation, a indiqué que, même si les rapports de recherche sur l'ensemble de la période devaient être transmis officiellement aux ministres concernés le 30 juin 2005 par les acteurs de la loi, la CNE était en mesure de présenter, dans son 11e rapport, une évaluation d'ensemble, grâce aux informations fournies au préalable par l'ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) et au rapport de synthèse remis par le CEA (Commissariat à l'énergie atomique) en décembre 2004.

Le bilan des recherches sur la séparation et la transmutation (axe 1 de la loi du 30 décembre 1991) comporte des résultats dont l'application pratique relève d'échelles de temps différentes, les travaux sur la séparation ayant bien avancé et ceux sur la transmutation correspondant à des recherches à long terme.

En tout état de cause, la séparation a bénéficié d'avancées scientifiques majeures. Sa faisabilité technique n'est toutefois pas encore prouvée sur des quantités importantes. Au demeurant, la mise en service de la chaîne de traitement construite dans l'installation Atalante pour des opérations portant sur des quantités de l'ordre de la dizaine de kilos est récente.

La séparation et la transmutation faisant partie d'un cycle global, la mise en oeuvre des procédés de séparation sans qu'ils puissent se poursuivre par la transmutation entraînerait toutefois des difficultés en aval, la gestion d'actinides mineurs séparés, notamment du curium, étant complexe.

La faisabilité scientifique de la transmutation est aujourd'hui établie à petite échelle dans des réacteurs à neutrons rapides. Il existe un long chemin à parcourir pour mettre au point la transmutation à échelle industrielle. La destruction des radioéléments à vie longue nécessiterait de toute façon des recyclages successifs.

Pour réaliser la transmutation, les futurs réacteurs à neutrons rapides, qui font partie des réacteurs dits de Génération IV, ont leurs partisans au CEA. Les chercheurs du CNRS misent plutôt, pour leur part, sur les réacteurs sous critiques pilotés par accélérateur, de type ADS (Accelerator Driven Systems). Ces deux types de réacteurs n'existent pas à ce jour. La filière RNR ayant fait la preuve de sa faisabilité industrielle avec, notamment, le réacteur SuperPhénix, il serait certes possible de construire un nouveau réacteur de mêmes caractéristiques, mais on s'oriente plutôt aujourd'hui vers des réacteurs à haute température utilisant un caloporteur gazeux, qui n'existent pas encore aujourd'hui. Les réacteurs sous critiques (ADS) représentent aussi des projets intéressants, mais n'ont pas davantage d'existence concrète.

En définitive, en 2006 il n'existera pas d'arguments décisifs permettant des décisions scientifiques, techniques et industrielles sur la transmutation, mais seulement des espoirs relatifs à différents concepts.

S'agissant de l'avancement des recherches sur le stockage réversible ou irréversible dans des formations géologiques profondes (axe 2 de la loi du 30 décembre 1991), l'ANDRA, qui en a la responsabilité, a enregistré ces derniers mois une moisson considérable de résultats, qui seront encore complétés dans les mois qui viennent, grâce à l'installation d'équipements expérimentaux avant la fin de l'année, dans les galeries actuellement creusées à une profondeur de 490 mètres. La CNE, d'une part, s'efforcera d'intégrer les résultats les plus récents dans son rapport global d'évaluation remis avant la fin janvier 2006, et, d'autre part, continuera son travail de suivi au-delà de cette date.

En tout état de cause, l'avancement des recherches sur l'axe 2 est très supérieur à celui de l'axe 1.

Réalisés autour du laboratoire souterrain de Meuse / Haute-Marne à Bure, les forages verticaux ou dirigés (28 au total), les carottages (4,2 km dont les deux tiers dans la couche d'argile du Callovo-Oxfordien), les diagraphies et les analyses d'échantillon (5 300 analyses en laboratoire) ont livré une quantité très importante de données géologiques sur le sous-sol de Bure. L'imperméabilité de l'argile dans laquelle se trouve le laboratoire souterrain est démontrée, d'une part, par les mesures effectuées sur échantillons, et, d'autre part, par la mise en évidence d'une différence d'âge très importante entre les eaux des aquifères se trouvant au-dessus et celles qui se trouvent en dessous de la couche d'argile. Compte tenu de cette imperméabilité, le transport d'ions par des écoulements qui pourraient résulter de gradients de pression selon la loi de d'Arcy, est inexistant.

En conséquence, la diffusion éventuelle d'ions dans l'argile du Callovo-Oxfordien de Bure ne peut se produire que sous l'action de gradients de concentration et non pas de pression, ce qui correspond à des vitesses de migration très faibles. L'ANDRA présente ainsi des résultats démontrant qu'en un million d'années, le toit de la couche d'argile ne serait pas atteint par des ions relâchés à la profondeur du laboratoire, dans le cas peu probable où ils parviendraient à franchir les barrières de confinement de la matrice de verre et des parois des colis. Dans la même hypothèse improbable, la distance parcourue à l'horizontale en 200 000 ans par les actinides mineurs les plus mobiles serait de l'ordre de 30 mètres.

Avec l'imperméabilité, l'absence de failles démontrée au niveau des prélèvements effectués par carottage représente un autre caractère favorable de la roche du site de Bure.

En conséquence, la qualification de l'argile du Callovo-Oxfordien de Bure est en bonne voie d'être acquise au niveau du site.

Pour le moment limité à un quadrilatère de 2 km sur 2 km, le programme de reconnaissance devra démontrer la continuité de ces propriétés sur un quadrilatère plus étendu de 14 km sur 14 km, au nord et à l'ouest du site actuel.

En tout état de cause, grâce aux résultats expérimentaux recueillis depuis la surface, dans la niche et dans les galeries, les pouvoirs publics auront les éléments pour décider le principe du stockage géologique comme solution de référence pour les déchets de haute activité à vie longue.

L'emprise d'un éventuel stockage pourrait être plus ou moins grande, selon le temps de refroidissement des déchets HAVL (haute activité à vie longue), qui pourrait varier de 10 ans à 50 ans et selon la présence de combustibles MOX (Mixed oxide fuel) non retraités, dont le stockage s'accommoderait bien d'un temps de refroidissement d'un siècle. En tout état de cause, le paramètre dimensionnant pour le site serait le temps de refroidissement des combustibles usés.

Au-delà de la sismique 3D sur une zone élargie, des recherches devront être conduites sur l'évolution mécanique des galeries, une tendance à leur ovalisation ayant été remarquée au Canada, même s'il s'agit là de conditions différentes. Enfin, des études devront porter sur le creusement des puits. Il s'agira en effet de manipuler des charges de 40 tonnes dans un environnement minier. Avec les engins nécessaires, les charges à descendre pourraient atteindre 80 tonnes, ce qui nécessitera un gabarit supérieur à celui des puits actuels du laboratoire souterrain, qui ont été dimensionnés pour la descente de personnels et d'appareils scientifiques de moindre taille. Le dernier puits de mine ayant été creusé en France en 1983 à Gardanne et le gabarit des puits étant classiquement calculé pour permettre la remontée de wagonnets d'environ 3 mètres de longueur, il faudra accorder, le cas échéant, une grande attention au génie minier.

S'agissant des recherches sur le conditionnement et l'entreposage de longue durée (axe 3 de la loi du 30 décembre 1991), la fabrication et l'entreposage de colis industriels sont bien maîtrisés. Les colis de déchets de haute activité à vie longue et de déchets de moyenne activité à vie longue issus du retraitement sont actuellement entreposés d'une manière satisfaisante. S'il était nécessaire de construire un entreposage de longue durée recevant les colis de déchets vitrifiés pour une durée d'une centaine d'années, le mieux serait de prolonger les entreposages industriels actuellement en service, à condition toutefois que la COGEMA accepte la présence de déchets sur son site pour une aussi longue période.

Pour stocker à grande profondeur les déchets radioactifs, il sera nécessaire de regrouper les conteneurs dans des sur-conteneurs, qui sont en cours de développement par le CEA et l'ANDRA. Fabriqués récemment, les démonstrateurs pour les déchets HAVL (haute activité à vie longue), MAVL (moyenne activité à vie longue) et les combustibles usés, doivent encore subir des tests, notamment de résistance aux altérations et de durabilité.

Le CEA a par ailleurs développé des modèles d'entreposage de longue durée en surface ou en « sub-surface », conçus pour le moment sur une base générique, c'est-à-dire sans prendre en compte la nature du sol ou du sous-sol. Une installation souterraine comme celle du PC de la force stratégique à Taverny donne une bonne idée de ce que pourrait être un entreposage de « sub-surface ». En tout état de cause, pour aller plus loin, il sera nécessaire de tenir compte, d'une part, de la nature du sous-sol pour un entrepôt de « sub-surface », et, d'autre part, de la nature du substratum pour un entrepôt en surface.

Il faut par ailleurs faire mention de la galerie de démonstration construite récemment par le CEA à Marcoule. Creusée par excavation depuis la surface et rebouchée ensuite, cette galerie donne une idée précise de la taille des conteneurs à manipuler dans une telle installation. Il apparaît toutefois impossible pour le moment de suggérer la solution la meilleure pour un entreposage de longue durée, aucune entreprise de BTP ne pouvant donner actuellement des garanties pour la tenue des bétons au-delà d'une centaine d'années. À cet égard, la situation est la même que l'année dernière.

En conséquence, l'entreposage de longue durée apparaît comme une strate de gestion des déchets radioactifs qui ferait peser une lourde charge sur les générations futures.

M. Christian Bataille, député, a remercié la Commission nationale d'évaluation pour son travail persévérant, qui se traduit par un onzième rapport d'évaluation réalisé par des experts, des scientifiques et des experts étrangers de haut niveau sur des recherches de dimension européenne, d'une ampleur et d'une importance particulières. Il a souligné combien la loi du 30 décembre 1991, les recherches subséquentes et le travail de la CNE ont été ambitieux afin de préparer le travail parlementaire de 2006. Au reste, rarement, un travail parlementaire aura été préparé avec un appui technique et une ouverture d'esprit comparables, les avis des chercheurs et de la CNE étant essentiels pour les parlementaires, dans une démarche au total exemplaire.

Dans d'autres lieux, par exemple autour des responsables de la Commission nationale du débat public, des opinions sont formulées selon lesquelles le Parlement ne fonctionnerait pas de manière démocratique. En réalité, il n'existe pas de méthode plus démocratique que celle initiée par la loi du 30 décembre 1991. La démocratie n'est pas un forum à la cantonade. C'est l'examen d'un dossier avec le maximum d'éléments, dont font partie, en l'espèce, les rapports de la CNE. La connaissance approfondie d'un dossier n'est pas contraire à la démocratie.

Selon la CNE, les recherches sur la séparation-transmutation ont entraîné des développements et des progrès qui représentent de véritables avancées scientifiques, même si des débouchés pratiques ne sont pas attendus avant une trentaine d'années. Il est possible, en conséquence, de considérer que la recherche a produit des données de base qui permettront peut-être d'apporter des solutions de transmutation.

Les retards enregistrés jusqu'à une date récente pour la recherche géologique ont provoqué des inquiétudes, mais le programme expérimental évolue à un bon rythme. Le programme scientifique s'exécute de façon telle que dans un an, les parlementaires disposeront d'éléments scientifiques solides leur permettant d'avancer.

Pour l'entreposage de longue durée, force est de constater la prudence de la CNE, en particulier pour la sub-surface et les coûts.

Pour sa part, l'Office parlementaire a été plus allant, en proposant l'entreposage de longue durée pour les déchets de moyenne activité à vie longue et les combustibles irradiés non retraités. Au total, l'avis de la CNE présente toutefois des éléments dont le Parlement s'inspirera.

M. Claude Birraux, député, a également remercié le président et l'ensemble des membres de la Commission nationale d'évaluation pour leur travail persévérant et approfondi. Le regard extérieur de la Commission et ses compétences pluridisciplinaires ont déterminé l'Office à en proposer le prolongement au-delà de 2006.

M. Claude Birraux a ensuite formulé trois questions.

La première question porte sur l'apport de l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) à la problématique de la gestion des déchets. Que pourra apporter, en tant qu'appui technique, l'IRSN à l'Autorité de sûreté nucléaire, lorsque celle-ci devra instruire des dossiers de sûreté relatifs à de futures installations pérennes de gestion des déchets radioactifs ?

La deuxième question porte sur les combustibles irradiés non retraités et les combustibles MOX dont les délais de refroidissement semblent, selon certaines sources, très longs. Pour sa part, le CEA indique, d'une part, que le retraitement des MOX est possible sous un délai de 5 à 10 ans, leur charge thermique n'étant pas rédhibitoire, et, d'autre part, que les combustibles MOX peuvent être retraités plusieurs fois, voire un nombre de fois illimité. Quel est le point de vue de la CNE à ce sujet ?

La troisième question porte sur l'entreposage de longue durée, dont la CNE a estimé qu'il représenterait une lourde charge pour les générations futures. Le stockage en formation géologique profonde devrait-il concerner les seuls déchets de haute activité à vie longue ou bien également les déchets de moyenne activité à vie longue ? Quelle destination faudrait-il, en définitive, assigner aux déchets de moyenne activité à vie longue, la loi du 30 décembre 1991 ne portant pas sur cette catégorie de déchets ?

En réponse à cette troisième question, M. Bernard Tissot a estimé que le stockage géologique constitue une solution de gestion type pour les déchets de moyenne activité à vie longue. Il s'agit en effet de déchets ultimes qui ne seront jamais retraités ni transmutés et l'on ne peut envisager de les stocker en surface comme les déchets de faible activité à vie courte, du fait même de leur longue période de radioactivité.

M. Robert Guillaumont, membre de la CNE, s'est ensuite interrogé sur la portée de la loi du 30 décembre 1991 vis-à-vis des déchets de moyenne activité à vie longue. La lecture du texte de la loi montre que celle-ci prend en compte effectivement les déchets de haute activité et à vie longue, qui figurent par ailleurs explicitement dans les filières définies par la DGSNR (Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection). La Commission nationale d'évaluation estime que les déchets de moyenne activité à vie longue, en tant que déchets ultimes, sont justiciables d'un stockage direct, de même que les déchets dits C constitués de verres qui sont aussi des déchets ultimes, ne pouvant jamais être repris sauf à risquer de disperser des radioéléments. Aussi bien la CNE préconise-t-elle le stockage géologique des premiers et des seconds.

Quant au retraitement du MOX, il est possible après 5 à 10 ans, à condition d'être effectué en dilution. Il serait toutefois difficile de réaliser plusieurs retraitements-recyclages des fortes irradiations provoquées par la formation progressive d'actinides lourds, qui sont de forts émetteurs de neutrons, entraînant des difficultés de manutention.

M. Christian Bataille a alors indiqué qu'il est facile de vérifier, par la lecture de son rapport sur le projet de loi relatif aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, que les recherches de la loi du 30 décembre 1991 portent sur les déchets ayant la double qualité d'être de haute activité et à vie longue.

M. Jean-Paul Schapira, membre de la CNE, a précisé que les déchets de haute activité contiennent à la fois des radioéléments à vie courte, mais aussi à vie longue.

Pour M. Bernard Tissot, la notion de déchets de moyenne activité à vie longue s'éclaircit si l'on examine les différentes dispositions pratiques que l'on peut prendre à leur égard. En tout état de cause, il s'agit de déchets qui, n'étant pas acceptables dans un stockage du type du centre de Soulaines, doivent être pris en charge dans un autre type d'installation.

M. Jean Lefevre, membre de la CNE, a rappelé que la CNE avait débattu de la question des déchets de moyenne activité à l'occasion de la préparation de son premier rapport, publié en 1994, en examinant si ces derniers devaient faire l'objet d'un stockage identique à celui des déchets de haute activité vitrifiés ou au contraire d'un stockage spécial. Le fait est qu'il n'existe pas, pour ce type de déchets, d'autre issue possible que le stockage géologique, qui doit donc nécessairement les prendre en compte, ainsi que cela a été dit dans le premier rapport de la CNE.

M. Christian Bataille a estimé que la consultation du rapport relatif au projet de loi et des comptes rendus de la discussion en séance permet d'éclaircir cette question.

M. Jean Lefevre est revenu sur le retraitement du MOX. La faisabilité du retraitement des combustibles des réacteurs à neutrons rapides, plus riches en plutonium que les MOX, a été démontrée dans le passé. Le retraitement des MOX est ainsi encadré, c'est-à-dire garanti, par la double possibilité démontrée techniquement de retraiter, d'une part, les combustibles usés à l'oxyde d'uranium, et, d'autre part, les combustibles des réacteurs à neutrons rapides à teneur élevée en plutonium. Les installations de retraitement actuelles ne sont toutefois pas conçues pour retraiter des MOX irradiés, ce qui exige en conséquence qu'une opération de ce type soit faite en dilution de combustibles classiques. Nécessitant des installations adéquates, le retraitement industriel des MOX est, de facto, reporté à la mise en service des usines futures. Si les procédés chimiques sont maîtrisés, l'intérêt de retraitements successifs des combustibles MOX est toutefois limité par la dégradation du plutonium et la concentration croissante d'actinides mineurs, puisque la réutilisation des éléments lourds est difficile.

M. Jean-Paul Schapira a précisé que le recyclage du plutonium est limité par les effets négatifs des isotopes pairs du plutonium sur les performances des combustibles, d'où la volonté actuelle d'EDF de ne pas aller au-delà d'un à deux recyclages.

Répondant à la question posée sur l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), il a indiqué que la Commission nationale d'évaluation n'avait pas évalué les compétences de cet organisme par des auditions spécifiques. Il semble toutefois que l'IRSN ne possède pas d'expertise ni sur les réacteurs sous critiques pilotés par accélérateur de type ADS (Accelerator Driven Systems) ni sur les réacteurs à neutrons rapides de Génération IV. Les groupements de recherche Gédéon ou Gédépéon focalisés sur ces thèmes de recherche n'ont pas bénéficié de la participation d'ingénieurs ou techniciens de l'IRSN malgré les invitations faites à cet organisme d'y être représenté. Or, si la France décide la construction d'un démonstrateur d'ADS ou d'un réacteur de Génération IV, il sera indispensable que des experts de l'IRSN aient, le moment venu, la capacité de passer ces installations au crible des exigences de l'Autorité de sûreté nucléaire. Dans cette perspective, la pratique de la recherche est, au préalable, indispensable.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, après avoir souligné l'intérêt de la discussion entre parlementaires et experts chargés d'une évaluation scientifique, a posé trois questions d'ordre politique.

Première question : les propos tenus par les membres de la Commission nationale d'évaluation semblent conduire à la conclusion qu'il n'existe pas d'autre issue que le stockage en profondeur. Dans cette hypothèse, alors même qu'un point de vue identique était professé dès 1989, les recherches conduites depuis 1992 étaient-elles utiles ?

Deuxième question : la séparation et la transmutation offrent-elles de réelles perspectives de réduction des volumes de déchets de haute activité à vie longue produits à l'avenir et de reprise des déchets déjà produits ? Les chances de progrès sont-elles suffisantes pour justifier la poursuite des recherches ?

Troisième question : l'entreposage de longue durée et le stockage géologique constituant des solutions techniques essentielles, soit séparément, soit dans le prolongement l'une de l'autre, les progrès accomplis sur l'entreposage sont-ils significatifs, en particulier pour l'entreposage en sub-surface, une option importante par référence aux laboratoires prévus par la loi de 1991 ?

M. Henri Revol a alors exposé, qu'en tant que conseiller général du département de la Côte d'Or pendant 31 ans, il avait eu à connaître d'un projet routier de contournement de la ville de Dijon, dont la première version avait subi des oppositions farouches et cinq révisions, et dont la déclaration d'utilité publique, rendue trente ans plus tard, ne différait du trajet initial que de quelques mètres.

M. Bernard Tissot a rappelé les principales conclusions d'un rapport demandé par le Gouvernement sur la réversibilité d'un stockage. La réversibilité se justifie dans l'hypothèse, au demeurant peu probable, où l'un ou plusieurs des composants des déchets vitrifiés présenteraient à l'avenir un intérêt, économique ou médical par exemple, insoupçonné aujourd'hui. La reprise des déchets pourrait également s'imposer si de nouvelles possibilités techniques apparaissaient à l'avenir pour réduire leur radiotoxicité. Enfin, cette opération pourrait s'avérer nécessaire pour remédier à des erreurs humaines.

Au demeurant, la réversibilité sera assurée de facto pendant une longue période. Après une période d'une quinzaine d'années de construction, un centre de stockage ne pourrait être rempli avant soixante-dix ans. Trente années supplémentaires conduiraient à une durée totale d'un siècle à partir de la mise en service. La réversibilité serait possible au-delà, avec une fermeture par tranches, moyennant la pose de barrières et de bouchons d'argile.

La reprise des déchets stockés en formation géologique en vue de leur transmutation pourrait-elle pour autant présenter un intérêt ?

On peut en douter pour les déchets de moyenne activité à vie longue, qui sont des matières sans valeur et présentent une radiotoxicité peu élevée. Ces déchets doivent être stockés en profondeur, dans la mesure où leur activité dépasse les seuils en vigueur pour le stockage en surface, sauf à modifier la réglementation.

S'agissant de l'entreposage de longue durée, des progrès limités ont été réalisés dans le cadre des recherches de la loi de 1991. Les entreposages de longue durée en surface développés à ce jour sont des projets « papier ». Par ailleurs, les calculs relatifs aux entreposages de longue durée en sub-surface ne prennent pas en compte la nature du sous-sol. On peut noter toutefois que des progrès ont été faits sur la thermique d'un entreposage et sur la circulation d'air par ventilation assistée.

M. Jean Lefevre a souligné l'importance des notions de déchets de haute activité à vie longue et de réversibilité. La notion de déchets ultimes est indépendante de celle d'irréversibilité. Des déchets sont considérés comme ultimes lorsque leur reprise n'a pas d'intérêt, ce qui ne signifie pas nécessairement que leur stockage soit irréversible. La réversibilité signifie que la reprise des colis de déchets de haute ou moyenne activité est possible dans des buts divers, ce qui n'a aucun lien avec leur caractère de déchets ultimes.

M. Jean-Paul Schapira est revenu sur l'avenir de la transmutation. Au préalable, la séparation des actinides mineurs et des produits de fission, au millième près, est indispensable, ce que l'on sait déjà faire. Pour la transmutation, la question majeure est de savoir quel opérateur la prendra en charge.

Le multi-recyclage du plutonium et des actinides mineurs permettrait de réaliser la transmutation avec le parc électronucléaire lui-même, à condition qu'il soit constitué de réacteurs à neutrons rapides, la transmutation par les réacteurs à eau légère paraissant exclue. Un tel schéma permettrait de réduire les volumes de déchets de haute activité à vie longue, mais présenterait l'inconvénient majeur de s'accompagner d'un inventaire de déchets complexe.

Un autre schéma est celui de la double strate. Dans ce schéma qui vaut pour le long terme, le parc électronucléaire composé de réacteurs à neutrons rapides de Génération IV a pour seul objectif la production d'électricité dans une logique économique. La transmutation est effectuée par un parc dédié de réacteurs ADS, dont l'objectif premier est la destruction des actinides mineurs.

Le choix de l'architecture du parc électronucléaire du long terme ne relève pas seulement de la technique, mais aussi de l'économie. La disponibilité technique et industrielle des réacteurs de Génération IV ou des ADS devrait intervenir à l'horizon 2030 ou 2040. Mais le calendrier de mise en service des réacteurs à neutrons rapides pourrait s'accélérer si les ressources en uranium venaient à s'épuiser plus rapidement que prévu. Ainsi, des paramètres exogènes à la transmutation pourraient influer sur la définition du système nucléaire du futur.

M. Claude Gatignol, député, a exprimé sa satisfaction de découvrir les conclusions de la CNE, qu'il a jugées d'autant plus intéressantes que sont en préparation trois débats publics, sur les déchets radioactifs, sur la construction de l'EPR à Flamanville et d'une ligne à très haute tension. La validation des colis, dans le cadre des recherches relatives à l'axe 3 (conditionnement et entreposage de longue durée), est un acquis important, même si les sur-conteneurs restent à tester et à valider. De même, les réponses données par la CNE pour l'axe 2 (stockage géologique réversible ou irréversible dans des formations géologiques profondes) sont utiles pour valider l'option géologique.

Sur un plan général, le travail effectué avec le soutien de la Commission nationale d'évaluation démontre que, contrairement aux opinions professées dans certains milieux, le Parlement prendra ses décisions avec une information de qualité et après un débat démocratique. En ce qui concerne le débat sur les déchets radioactifs, on pourrait préférer, à la terminologie actuelle, celle plus claire de résidus industriels, dont il paraît évident qu'une catégorie, celle des résidus ultimes, devrait être définitivement stockée dans des galeries souterraines. À cet égard, les déchets de moyenne activité à vie longue appartiennent clairement à la catégorie des résidus qui ne feront l'objet d'aucun traitement additionnel. Parmi les questions importantes à traiter à propos des déchets radioactifs, figurent celles des volumes et de l'importance concomitante des sites de stockage, ainsi que les délais estimés pour des progrès techniques. Même si des dates très précises ne peuvent être fixées compte tenu des aléas de la recherche, il est nécessaire que le Parlement dispose pour débattre, le moment venu, d'une vision balisée dans le temps de la gestion des déchets radioactifs.

M. Bernard Tissot a remarqué que, du point de vue des sciences de la terre, on ne peut parler du granite comme l'on parle d'un composé chimique, dans la mesure où il n'existe pas de granite standard. Le Canada dispose d'un bouclier granitique inchangé depuis un milliard d'années. Le granite que l'on trouve en Suède sur la majorité de son territoire date de 600 millions d'années. Les granites que l'on trouve en France ont subi, au contraire, des orogenèses successives, qui leur confèrent des caractéristiques très différentes de celles du granite canadien.

M. Jean Lefevre a, pour sa part, souhaité aborder les interactions entre les trois axes de recherche de la loi de 1991. Quel impact les opérations de séparation-transmutation pourraient-elles avoir sur le stockage géologique ? Dans quelle mesure l'entreposage de longue durée, en permettant le refroidissement préalable des colis, permettrait-il de diminuer l'emprise du stockage géologique ? Selon les calculs effectués par l'ANDRA, un refroidissement préalable de quelques dizaines d'années se traduirait par une diminution de l'emprise d'un facteur 3 ou 4, d'où des économies de construction du site considéré et la possibilité d'éviter la création d'un nouveau site. Ces facteurs techniques, qui ont un impact économique certain, échappent toutefois à la mission de la CNE.

M. Christian Bataille a formulé des remarques d'ordre général. Des échanges sans fard sont nécessaires lorsque les enjeux sont importants. Il faut rappeler que l'énergie nucléaire ne se développera que si des solutions existent pour les déchets radioactifs. Il faut dire qu'on ne disposera de solutions pour les déchets radioactifs que si le Parlement en décide ainsi et si l'opinion les accepte.

Dans ces conditions, la portée politique des arguments doit être soigneusement pesée. On ne peut en aucun cas dire que l'ensemble des déchets radioactifs relèvent d'un stockage géologique.

Il reviendra au Parlement d'arbitrer dans la ligne de la loi du 30 décembre 1991. L'Office parlementaire, par la voix de ses rapporteurs, a pu établir une ouverture et un consensus avec les élus, grâce à sa fidélité au discours tenu en 1991. Si l'on devait s'en écarter, alors ce consensus fragile serait rompu.

À la demande de M. Jean-Claude Étienne, sénateur, M. Jean-Paul Schapira a précisé la notion de déchets de haute activité et à vie longue. Il existe des déchets de haute activité et il existe aussi des déchets à vie longue. On trouve des déchets de haute activité contenant des radioéléments à vie longue, mais on trouve aussi des déchets de haute activité qui ne sont pas à vie longue. Selon lui, ces deux notions de vie longue et de haute activité diffèrent l'une de l'autre. L'expression « déchets de haute activité et à vie longue » renvoie en réalité à deux catégories de déchets, qui sont toutes deux éligibles au stockage en profondeur.

M. Jean-Claude Étienne a ensuite demandé, en se référant au 11e rapport de la CNE, quelles données sont jugées nécessaires pour démontrer définitivement que l'argile du Callovo-Oxfordien à Bure ne présente pas de fractures, alors que de nombreux résultats expérimentaux permettent déjà de le penser.

M. Bernard Tissot a précisé que des reconnaissances supplémentaires devraient être réalisées à cet effet, par sismique 3D et par des forages directionnels, sur un quadrilatère de 14 km x 14 km, en complément aux travaux déjà effectués sur un quadrilatère de 2 km x 2 km.

En conclusion, M. Henri Revol a remercié le président et les membres de la CNE pour leurs présentations et a levé la séance.