Délégations et Offices
Table des matières
- OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)
OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)
Mardi 23 mars 1999
- Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président.
Contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires - Examen du rapport
L'office a tout d'abord examiné le rapport de M. Claude Birraux, député, sur le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires.
M. Claude Birraux, député, rapporteur, a fait observer que son rapport constituait, cette année, un exercice d'introspection consistant à évaluer l'influence de l'évaluateur. Depuis 1990, huit rapports consacrés à la sûreté nucléaire ont été publiés par l'office. Ils totalisent 15 volumes, 4.587 pages et 118 propositions. Ils ont permis d'aborder l'ensemble des questions. Soulignant le caractère original et innovant de la démarche de l'office, le rapporteur a fait observer que ce sujet controversé avait pu être ainsi traité, sur longue période, avec un souci constant de rigueur scientifique, et de manière prospective.
Soucieux de ne se substituer en aucune façon aux organes de contrôle compétents, M. Claude Birraux, député, rapporteur, a observé que la pérennité de sa mission avait changé la nature de ses relations avec ses interlocuteurs qui avaient compris qu'il ne se contentait pas d'une approche superficielle. L'office est ainsi devenu le lieu où l'on peut débattre, d'une manière sereine, des problèmes nucléaires. Lors des auditions publiques qui avaient été organisées sur le projet de réacteur franco-allemand (EPR), les participants venus d'Allemagne se sont déclarés surpris de ce que le dialogue ait pu se dérouler aussi sereinement entre les industriels, les politiques, les écologistes et les syndicalistes. La reconnaissance du rôle de l'office dans le domaine de la sûreté nucléaire se traduit par la participation de scientifiques de haut niveau aux auditions publiques, par l'invitation du rapporteur à des conférences scientifiques nationales, européennes ou internationales, où il a représenté l'office à trente-quatre reprises, et par l'attribution du prix de la " IVe Journée de médecine nucléaire " de l'institut Gustave Roussy.
Le nouveau rapport, présenté par M. Claude Birraux, député, contient un relevé des suites données à ses recommandations. Il mesure, en particulier, les progrès de la " transparence ", dont un exemple a été récemment fourni par la question des rejets d'effluents radioactifs dans les étangs de Saclay : la polémique n'a pu se développer car tous les éléments d'appréciation nécessaires se trouvaient dans le rapport publié par l'office en 1996.
Sur les cent dix-huit propositions qu'il a formulées depuis 1990, le rapporteur a noté que soixante-treize étaient entrées, ou en voie d'entrer, dans les faits, en particulier la mise en place d'une direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) et d'un office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI), l'orientation des recherches vers l'incinération des déchets et le projet Rubbia.
Par ailleurs, lorsque les recommandations de l'office n'ont pas été suivies, comme pour les pays d'Europe centrale et orientale, la pertinence et la justesse des analyses ont été confirmées par les faits.
M. Claude Birraux, député, rapporteur, s'est félicité de ce que l'autorité de sûreté, la DSIN, et son appui technique, l'institut de protection de la Sûreté nucléaire (IPSN), aient assis leur autorité et renforcé la transparence. Les réformes en préparation ne doivent pas fragiliser cet édifice qui a fait ses preuves, la question à se poser portant plutôt sur l'extension de son domaine de compétences aux installations secrètes. S'agissant du commissariat à l'énergie atomique (CEA), les résultats enregistrés au niveau de la sûreté des sites, ainsi qu'en matière de rejets d'effluents, ont été jugés encourageants par le rapporteur. De plus, la manière dont le CEA a su, en un an, remettre de l'ordre dans le recensement de ses sources radioactives, est remarquable. Enfin, en se recentrant sur ses missions, le CEA offre une meilleure lisibilité de son rôle.
A propos d'Électricité de France (EDF), M. Claude Birraux, député, rapporteur, a rappelé que le nombre d'incidents avait fortement décru depuis une dizaine d'années. Mais le récent rappel à l'ordre de l'autorité de sûreté a montré que l'entretien d'une culture de sûreté nécessitait une vigilance de tous les instants, excluant toute autosatisfaction.
Si EDF a donné une suite positive à certaines recommandations de l'office, en particulier par une clarification des relations avec les sous-traitants dans le domaine de la maintenance, la réflexion sur la répartition des tâches entre celles qui relèvent de l'exploitant, et celles qui peuvent être sous-traitées, devrait être approfondie.
Dans le domaine de la radioprotection, le rapporteur a relevé les progrès accomplis : création de l'office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI) et renforcement de ses moyens, meilleur suivi des travailleurs, protection des intérimaires, prise en compte sérieuse des directives européennes, création d'une section " radioprotection " au conseil supérieur d'hygiène publique.
M. Claude Birraux, député, rapporteur, a critiqué l'incapacité de la Commission européenne à conduire la mission d'aide à la sûreté des centrales des pays d'Europe centrale et orientale. S'il est vrai que les services de la Commission ne sont pas assez étoffés, le rapporteur s'est étonné qu'elle revendique en permanence un élargissement de compétences qu'elle n'a pas les moyens d'exercer, ce qui aboutit à déléguer ses missions à des consultants. Le rapporteur a observé que ses analyses avaient été confirmées par le récent rapport de la Cour des comptes européenne. Il a estimé que le rôle de la Commission devrait être d'impulser et de coordonner les compétences existant dans les États membres.
Constatant que les principales crises suscitées par les installations nucléaires étaient liées à la radioprotection, le rapporteur a estimé que la création d'un simple bureau au sein de la direction générale de la santé (DGS) ne saurait être tenue pour une réponse suffisante, et qu'il conviendrait de constituer un pôle sanitaire de radioprotection, dont l'OPRI serait le bras séculier.
M. Claude Birraux, député, rapporteur, a évoqué la question du démantèlement des installations nucléaires, insistant sur la nécessité de constituer, à cette fin, d'authentiques provisions comptables. Cependant, quel que soit le mode de financement retenu, aucune certitude ne peut être donnée sur la pérennité des provisions destinées au démantèlement. Comme le souligne la Cour des comptes, " le volume des actifs financiers spécifiquement destinés à la couverture des charges futures du parc nucléaire est jusqu'à présent limité, et le lien établi avec ces charges est fort ténu ". Une clarification s'impose donc pour garantir la bonne fin des provisions.
S'agissant des effluents radioactifs, le rapporteur a constaté que des progrès très sensibles avaient été enregistrés, et que le véritable problème était celui du caractère des normes de rejet : la France a une conception infractionnelle des normes, alors que ces dernières sont d'abord des signaux d'alerte. Elles se situent en effet à des niveaux suffisamment bas pour qu'un léger dépassement ne comporte pas de danger pour la santé humaine. Mais, au sein de l'Union européenne, certains États dépourvus d'installations nucléaires semblent enclins à exiger, hors toute considération de santé publique, la fixation de seuils extrêmement bas, de nature à handicaper l'industrie nucléaire, par exemple pour le tritium, pour lequel l'organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le seuil d'alerte se situe à 7.800 becquerels, quand des groupes d'experts de l'Union européenne recommandent de le fixer à 400 becquerels.
Estimant que la seule question importante en matière de rayonnement était celle des conséquences sanitaires pour la population, M. Claude Birraux, député, rapporteur, a regretté l'absence d'une autorité de radioprotection capable d'arbitrer, de dire le droit et la manière d'interpréter les normes, par exemple pour ce qui concerne les normes à respecter dans les transports, ainsi que pour les résidus miniers.
En conclusion, tout en faisant observer que la base législative de l'activité nucléaire était, dans notre pays, extrêmement ténue, contrairement à la situation qui prévaut chez nos voisins, le rapporteur s'est félicité de ce que l'office ait pu jouer un rôle positif dans le domaine du contrôle de la sûreté nucléaire, faisant ainsi oeuvre novatrice dans les méthodes du travail parlementaire.
Après que M. Henri Revol, sénateur, président, eut remercié le rapporteur pour son travail de longue haleine, M. Robert Galley, député, s'est interrogé sur l'intérêt éventuel d'une organisation européenne de la radioprotection. En réponse, M. Claude Birraux, député, rapporteur, a émis la crainte que, par le biais de la radioprotection, ne fût engagée une stratégie de contournement du traité Euratom, la discussion étant en effet difficile entre les pays qui ne produisent pas d'énergie nucléaire. Citant l'exemple de la Lituanie, il a regretté le manque de lisibilité de l'action de la Commission européenne.
En réponse à M. Serge Poignant, député, qui s'interrogeait sur l'utilité d'une loi-cadre, M. Claude Birraux, député, rapporteur, a reconnu que l'absence de base législative faisait difficulté, et que le législateur en venait à recourir à un texte portant diverses mesures d'ordre social pour transposer des directives européennes sur les normes de protection radiologique. Il a souhaité que la gestion du nucléaire médical reste sous la tutelle du ministère de la santé.
A la suite d'une observation de M. Henri Revol, sénateur, président, sur un projet " d'auto-réforme " du conseil supérieur de l'information nucléaire, M. Claude Birraux, député, rapporteur, a estimé que cet organisme devrait être le forum des commissions locales d'information, et qu'il n'avait pas à s'ériger en nouvel organe d'expertise.
Enfin, M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président, a rappelé les propositions qu'il avait formulées en 1998 dans le cadre de la mission que lui avait confiée le Gouvernement, jugeant souhaitable de lier radioprotection et sûreté, et indispensable de préserver le pouvoir régalien de l'État.
Au terme de la discussion, l'office a adopté, à l'unanimité des membres présents, le rapport présenté par M. Claude Birraux, député.
Évaluation de l'ampleur des changements climatiques, de leurs causes, et de leur impact prévisible sur la géographie de la France à l'horizon 2025, 2050 et 2100 - Examen de l'étude de faisabilité
L'office a ensuite examiné l'étude de faisabilité présentée parM. Marcel Deneux, sénateur, rapporteur, sur " l'évaluation de l'ampleur des changements climatiques, de leurs causes, et de leur impact prévisible sur la géographie de la France à l'horizon 2025, 2050 et 2100 ".
M. Henri Revol, sénateur, président, a tout d'abord rappelé que ce thème d'étude résultait de la fusion de trois saisines : celle de la commission des finances du Sénat sur " les effets prévisibles d'un réchauffement de la planète sur le cycle de l'eau ", et celles du bureau du Sénat et du bureau de l'Assemblée nationale sur le sujet finalement retenu qui englobe le thème de la première saisine.
M. Marcel Deneux, sénateur, rapporteur, a ensuite rappelé l'état actuel des connaissances sur le sujet, puis proposé des axes de recherche et suggéré les moyens nécessaires à l'étude.
M. Marcel Deneux, sénateur, rapporteur, a d'abord insisté sur quelques données de base parfois oubliées. En effet, sans l'effet de serre, c'est-à-dire en l'absence du piégeage du rayonnement infrarouge dans les basses couches de l'atmosphère, ce qui assure l'adoucissement habituel du climat de la planète, la terre serait inhabitable, la température moyenne serait inférieure d'environ 30 ° à la température moyenne actuelle, soit environ -15°.
Ce n'est donc pas l'effet de serre en lui-même qui est à redouter mais l'intensification de celui-ci.
De même, le gaz carbonique (CO2) ne devrait pas être uniquement considéré comme nocif, puisqu'il est la matière première de la croissance des plantes et améliore le rendement de leur consommation d'eau.
Enfin, le CO2 n'est pas le seul gaz à effet de serre : la vapeur d'eau, le méthane (CH4) les chlorofluorocarbures (CFC), l'ozone (O3) et l'oxyde nitreux (N2O) contribuent également à l'absorption des rayons infrarouges ; parmi ceux-ci, la vapeur d'eau est le gaz à effet de serre qui produit l'effet le plus important.
Le rapporteur a alors évoqué les conclusions résultant des rapports de l'Académie des sciences sur " l'effet de serre " (rapports n° 25, octobre 1990, et n° 31, novembre 1994) ; l'importance du rôle de l'effet de serre dans l'évolution des climats et la réalité de l'impact des activités humaines dans la concentration des principaux gaz à effet de serre (gaz carbonique, chlorofluorocarbures-CFC, méthane) y étaient reconnues.
Toutefois, ces rapports notaient l'existence de très nombreuses incertitudes, parmi lesquelles : la mauvaise connaissance du cycle du gaz carbonique, la modélisation insuffisante de la circulation océanique, la difficulté d'élaborer des prévisions relatives à la nébulosité, la mauvaise connaissance des calottes polaires -d'où une incertitude concernant la hausse du niveau des mers-, l'absence aussi de certitudes sur les capacités d'adaptation à long terme du monde vivant à des modifications rapides du milieu, la difficulté de prévision des variations climatiques régionales en fonction des modèles globaux de circulation atmosphérique " dont les mailles sont trop grandes ".
Le rapporteur a noté que la multiplicité et l'importance des incertitudes énumérées ci-dessus suffisaient à relativiser les conclusions souvent hâtives tirées ça et là des conséquences de l'accroissement de l'effet de serre.
De plus, selon l'Académie des sciences, les variations d'accroissement de cet effet de serre au cours des dernières années à travers la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère n'avaient pu donner lieu à aucune explication vérifiée. Quant au bilan du cycle du carbone, il n'était toujours pas éclairci ; " une quantité considérable est manquante ".
Par ailleurs, l'observation de l'accroissement de l'effet de serre serait brouillée par les effets des aérosols dus aux émissions soufrées, dans la mesure où leurs effets de refroidissement du climat vont dans le sens inverse de l'intensification de l'effet de serre. La variation de température moyenne observée n'étant qu'un solde dont il est difficile de tirer des conclusions.
En outre, si la diminution de la quantité d'ozone stratosphérique contribuait à un refroidissement de la surface de la terre, ce phénomène était compensé par l'augmentation locale de l'ozone troposphérique. Toutefois, la pénétration des rayons ultraviolets du soleil dans la troposphère créait globalement, par photodissociation, des espèces chimiques très oxydantes renforçant la concentration de certains gaz à effet de serre dont l'évaluation restait à effectuer.
Enfin, l'Académie des sciences insistait sur les limites de la modélisation des phénomènes climatiques, en particulier des phénomènes climatiques régionaux.
De même, si l'étude des climats du passé a progressé grâce à l'analyse des calottes glaciaires, l'incertitude demeurait sur les périodes interglaciaires de forte intensité et de courte durée : dans le passé, des changements extrêmement rapides du climat sont intervenus : c'est ainsi que, il y a plus de 10.000 ans, la température du Groenland s'est élevée d'environ 10 ° en moins de cinquante ans.
En conclusion de son second rapport, l'Académie des sciences notait que le climat des 11.000 dernières années a permis l'épanouissement de l'agriculture et des civilisations humaines, mais elle avertissait : " On ne pourra pas indéfiniment, jusqu'à la moitié ou la fin du siècle prochain, déverser tant de gaz à effet de serre dans l'atmosphère sans que des conséquences sur les climats ne se fassent jour, qu'il s'agisse d'événements climatiques, exceptionnels et extrêmes, de phénomènes régionaux, d'accroissement de phénomènes climatiques défavorables aux activités humaines ou de variations brusques de certains phénomènes climatiques ".
Le rapporteur a observé que les sociétés humaines étaient très sensibles à de telles variations brusques, mais qu'elles n'étaient préparées ni à l'idée de cette éventualité, ni à la survenance de celle-ci.
Il a cité une observation de M. Jean Dercourt, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, selon laquelle nul ne peut se risquer à prédire l'avenir du climat car " aujourd'hui, nous ne savons pas si les gaz à effet de serre produits par l'homme combattent un refroidissement qui commence ou s'ils créent un réchauffement " (" Le Monde " du 26 février 1999).
M. Marcel Deneux, sénateur, rapporteur, a ensuite retracé les conclusions des rapports du groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC en français, IPCC en anglais " Intergouvernemental Panel of Climate Changes "). Ce groupe d'experts, créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale et par le Programme des Nations-unies pour le développement (PNUD), a remis un rapport en 1990, un autre en 1995, et devrait en publier un troisième.
Le rapporteur a indiqué que le GIEC travaillait sous forme de rapports rédigés à la suite d'une longue procédure contradictoire et que le résumé final de ces travaux était approuvé, mot à mot, à l'unanimité lors des assemblées plénières des conférences internationales intergouvernementales sur le climat.
De ce fait, ces travaux reflétaient un double consensus : scientifique et politique.
Le rapporteur a signalé qu'il résultait de ces travaux que si l'on stabilisait aujourd'hui les émissions de CO2, cette politique n'aurait d'effet tangible qu'à un horizon de l'ordre du demi-siècle.
En effet, la stabilisation du CO2 dans l'atmosphère prendrait plusieurs décennies, ce qui implique que le réchauffement se poursuivrait durant cette période, et que le niveau de la mer continuerait de monter pendant plusieurs siècles -la fonte des calottes glaciaires étant très progressive.
Le rapport établi en 1995, intitulé " les impacts régionaux du changement du climat ", a étudié par grandes régions du monde (Afrique, Arctique et Antarctique, Asie désertique, Australie, Europe, Amérique latine, Amérique du nord, îles -Malte, Chypre, Bahamas, Kiribati, Maldives, Marshall- Asie tempérée, Asie tropicale), la vulnérabilité de celles-ci aux changements climatiques ; cette vulnérabilité reflétait à la fois la sensibilité aux changements climatiques de telle ou telle région, et sa capacité à s'adapter auxdits changements.
Il y est rappelé que certaines activités humaines -comme la combustion des énergies fossiles- entraînaient un réchauffement de l'atmosphère, tandis que d'autres -l'usage d'aérosols- refroidissaient l'atmosphère.
Cependant, ces deux actions en sens inverse ne s'annuleraient pas, les aérosols n'ayant pas une longue durée de vie et leur émission se limitant à certaines régions de la planète ; en revanche, le gaz carbonique possédant une durée de vie d'une quarantaine d'années environ, sa diffusion atteindrait toute la planète.
D'après des modèles d'évolution des climats, la température moyenne annuelle pourrait augmenter de 1° à 3,5° vers 2100, tandis que le niveau moyen des mers s'élèverait de 15 à 95 cm.
L'augmentation de température qui en résulterait serait supérieure à celle observée depuis 10.000 ans.
L'impact de ces évolutions serait très différent selon les régions et le rapport s'est attaché à étudier ses effets sur la santé humaine, les équilibres écologiques, les secteurs socio-économiques au sens large (hydrologie, ressources en eau, agriculture, économie côtière, lieux d'implantation humaine...).
L'étude a montré que certaines régions du monde pâtiraient du changement climatique, tandis que d'autres en tireraient quelques bénéfices.
Pour s'en tenir à la situation de l'Europe, le rapport du GIEC a noté, par exemple, que les écosystèmes et les espèces se trouvant en altitude seraient particulièrement vulnérables, puisqu'elles ne pourront trouver d'espaces plus élevés pour migrer ; que l'hydrologie et les ressources en eau seraient modifiées du fait de la dégradation de la qualité de l'eau des fleuves, déjà pollués, et du fait de l'augmentation de la demande en eau au cours d'étés plus chauds -même si la croissance du besoin d'irrigation était en partie compensée par l'amélioration de la fertilité agricole résultant de l'augmentation du CO2 ; en outre, plus de 95 % des glaciers alpins pourraient disparaître d'ici à 2100 affectant, par exemple, les ressources en eau en été, et limitant les possibilités de tourisme hivernal ; que les cultures d'hiver pourraient être pratiquées sur des zones plus étendues en Europe centrale et du sud ; que les cultures d'été deviendraient possibles en Europe centrale et de l'est, mais plus difficiles en Europe de l'ouest, mais que ces changements accroîtraient la compétition entre les divers usagers de l'eau (personnes privées, agriculteurs, industriels)-, que les zones côtières seraient particulièrement touchées, notamment aux Pays-Bas, en Allemagne, en Ukraine et en Russie, de même que certains deltas méditerranéens et les côtes de la Baltique ; que les lieux d'implantation humaine -les infrastructures, les villes, les immeubles- conçus pour des climats plus froids devraient être adaptés au réchauffement, plus particulièrement à des vagues de chaleur, ce qui s'accompagnerait de risques de glissement de terrains et d'inondations ; que les problèmes de santé humaine liés à la pollution de l'air s'accroîtraient.
Au total, malgré l'existence d'importantes capacités d'adaptation, les auteurs du rapport du GIEC ont estimé qu'il serait essentiel d'anticiper les conséquences du réchauffement climatique, d'autant qu'il se manifesterait souvent par des excès plus marqués (de chaleur, de froid, de pluie, de neige, de vent), particulièrement à craindre pour certaines régions ; les effets essentiels se feraient sentir sur l'agriculture et sur les activités directement liées à l'eau ; les écosystèmes, quant à eux, apparaissant particulièrement vulnérables.
Ce rapport a noté aussi les limites de l'approche scientifique à l'heure actuelle, notamment du fait de l'absence de longues séries statistiques sur les climats, ou de simulations des changements de précipitations, de la connaissance insuffisante des effets de l'augmentation du CO2, des différentes interactions entre secteurs économiques prenant en compte les coûts des évolutions climatiques, notamment par pays et par région.
Enfin, M. Marcel Deneux, sénateur, rapporteur, a présenté un résumé des principales conclusions du rapport de la mission interministérielle de l'effet de serre. En 1998, cette mission -qui est chargée d'élaborer le programme français de lutte contre l'accroissement de l'effet de serre, d'en suivre la mise en oeuvre, de préparer les positions françaises à défendre dans les négociations internationales et de participer à celles-ci- a publié un rapport intitulé " Impacts potentiels du changement climatique en France au XXIe siècle ".
Elle a centré son étude sur le changement climatique d'origine humaine.
A partir de l'observation de l'augmentation continue dans l'atmosphère d'au moins deux gaz à effet de serre, le dioxyde de carbone et le méthane, il a été noté quecette augmentation s'accélérait depuis le début de l'ère industrielle, tandis que la température moyenne s'était élevée de 0,3 à 0,6 °C, et que le niveau de la mer avait monté de 10 à 25 cm depuis un siècle.
Par ailleurs, les modèles numériques de prévision du changement climatique utilisés par divers pays convergeaient actuellement sur le résultat suivant : le climat se réchaufferait encore, notamment aux latitudes polaires et sur les continents.
Météo-France a établi que, dans l'hypothèse d'un doublement de la concentration de dioxyde de carbone, l'élévation de la température hivernale en France serait de 1° à 2°C en été, et de plus de 2°C en automne.
Les pluies augmenteraient en hiver et diminueraient en été. La variabilité du climat tendrait à s'amplifier.
L'impact du réchauffement climatique a donc été approché dans ses diverses conséquences, notamment celles sur le niveau de la mer : -en 2100, une hausse de 50 cm est probable- l'enneigement, les eaux superficielles et souterraines, les sols, l'agriculture, la sylviculture, les écosystèmes forestiers méditerranéens, la montagne, le tourisme, la santé.
En conclusion du rappel des études de l'Académie des sciences, du GIEC et de la mission interministérielle de l'effet de serre, le rapporteur a estimé que l'analyse des conséquences du réchauffement climatique devait être abordée en termes de risques et non de prévisions.
Après avoir rappelé l'existence de quelques publications, travaux et colloques relatifs à l'effet de serre -dont des rapports de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques qui abordaient directement ou indirectement ce thème-, M. Marcel Deneux, sénateur, rapporteur, a esquissé quelques axes de recherche, en notant tout d'abord que l'information sur l'effet de serre résultait de plusieurs sources : scientifiques, politiques, journalistiques et industrielles, mais qu'il existait un malentendu sur la nature des réponses apportées par ces divers acteurs.
En effet, la communauté scientifique ne possédait pas les réponses à toutes les questions que pose le réchauffement climatique et avait le devoir d'indiquer les incertitudes qui accompagnent les informations apportées.
Toutefois, pour passer de l'explication scientifique de l'effet de serre à l'étude de l'évolution de celui-ci et aux solutions pour en atténuer les effets, le débat ne pourrait que déborder le champ des investigations scientifiques pour pénétrer dans celui des politiques à conduire.
Certes, les décideurs politiques aimeraient posséder des réponses scientifiques exemptes d'incertitudes pour évaluer le réchauffement climatique, mais ils seraient en général moins désireux de s'y référer strictement pour mettre en place des politiques restrictives nationales ou internationales.
La tentation serait grande de repousser à plus tard la réduction de consommation d'énergie ou d'attendre que d'autres pays aient donné l'exemple.
Quant à l'information diffusée par la presse, elle donnait un large écho au thème du réchauffement de la planète, en privilégiant l'aspect sensationnel du phénomène physique, tout en laissant croire à la possibilité d'une solution politique internationale résultant de conférences comme celles de Rio de Janeiro, de Kyoto ou de Buenos Aires.
Naturellement, les dissonances produites par les discours de ces trois séries d'acteurs ont été amplifiées par les enjeux industriels, à peine masqués par l'aspect scientifique de cette question.
A ce stade, M. Marcel Deneux, sénateur, rapporteur, a insisté sur la multiplicité des retombées du réchauffement climatique qui iraient de la disparition d'espèces animales ou végétales à de nouveaux équilibres ou déséquilibres géostratégiques, à des exodes de population, des épidémies, des famines liées ou non à la multiplication des catastrophes naturelles, à des modifications des zones de culture et d'habitat se traduisant par de nouvelles exigences d'aménagement du territoire.
Il serait important que l'office tente d'approfondir les analyses entreprises, secteur par secteur.
Pour s'en tenir à quelques exemples, le rapporteur a estimé que même si le réchauffement résultait notamment de l'augmentation continue dans l'atmosphère du dioxyde de carbone et du méthane, il importerait de recenser les effets, non seulement de ces deux gaz, mais encore de tous les gaz à effet de serre.
De même, lorsqu'il est annoncé qu'au-delà de l'élévation de la température, il y aurait une augmentation des précipitations, ce seraient les conséquences de la variabilité du climat qu'il faudrait analyser.
Quand, par ailleurs, une élévation du niveau de la mer de 50 cm a été évoquée à l'horizon de l'an 2100, la carte des nouveaux paysages qui en résulterait devrait être dressée, les projets d'aménagement revus en conséquence et, surtout, de nouveaux projets envisagés. A cet égard, il a pu être estimé qu'avec une augmentation d'un mètre du niveau de la mer, l'Égypte perdrait 1 % de ses terres émergées, les Pays-Bas 6 %, le Bangladesh 17,5 % et l'atoll Majuro des îles Marshall 80 %.
L'impact sur l'agriculture et les écosystèmes qui risqueraient de résulter d'un déplacement vers le nord des courbes des températures identiques -les isothermes- de 150 kilomètres à 500 kilomètres, et, en altitude, de 150 mètres à 550 mètres devrait être analysé finement région par région, voire par unité géographique moins étendue au regard de la capacité des espèces à migrer, d'après les vitesses maximales de leur capacité de déplacement et le fait que ces vitesses seraient, ou non, supérieures aux nécessités dictées par les changements climatiques.
Il apparaît donc que le devenir de tous les cycles biogéochimiques et de leurs interactions dans le sol, dans la plante et dans l'atmosphère, dont le cycle essentiel de l'eau mais aussi ceux du carbone et de l'azote, seraient modifiés, rendant particulièrement difficile toute intervention humaine sur l'un d'entre eux.
A titre d'exemple, pour illustrer la difficulté de maîtrise des interactions des cycles biogéochimiques, le rapporteur a indiqué qu'il a pu être recommandé, afin de limiter l'effet de serre, d'économiser l'énergie fossile, et donc, de diminuer les rejets de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Dans ce but, le recours au biocarburant semblait à prescrire. Mais la production de carburant à partir de colza nécessitant des apports d'engrais qui, à certaines périodes de l'année, entraînent des excédents de nitrate dans le sol, une dénitrification naturelle pouvait alors se produire, émettant de l'oxyde nitreux (N2O) à fort effet de serre.
Cette production d'oxyde nitreux était alors susceptible d'annuler le gain écologique de biocarburant, les effets négatifs de l'oxyde de carbone non émis ayant été remplacés par ceux, également nocifs, de l'oxyde nitreux.
Compte tenu de la multiplicité des impacts du réchauffement climatique et de la complexité de leurs interactions, l'office pourrait avoir à préconiser certaines études comme, par exemple, celles associant les impacts sur la santé publique aux caractéristiques de l'habitat.
Le rapporteur a relevé que la généralisation des systèmes de climatisation comportait des risques de contamination qui seraient accrus par le réchauffement, et l'extension de la climatisation qui ne pourra manquer d'en résulter. De plus, la climatisation, en tant que telle, consomme de l'énergie.
Le rapporteur s'est particulièrement inquiété des nouvelles rivalités que le réchauffement climatique risquait de provoquer, par exemple entre usagers individuels et agriculteurs autour de l'irrigation, entre producteurs d'électricité causant des pollutions immédiates (centrales thermiques au charbon, voire au lignite) et ceux qui sont à l'origine de risques de pollution différée (centrales nucléaires), entre les utilisateurs du rail et ceux de la route, entre les partisans des modes de transport individuel ou ceux des transports collectifs.
Les calculs de coûts économiques devraient s'opérer à partir de valeurs différentes : le transport, par exemple, ne pourra plus jouer le rôle de variable d'ajustement, d'autant moins qu'au cours des vingt dernières années, la distance domicile/travail a doublé en France.
Concluant à la faisabilité de l'étude qui lui a été confiée, M. Marcel Deneux, sénateur, rapporteur, a donné à l'office des indications sur le programme de travail qu'il allait suivre, et le " comité de pilotage " qu'il se proposait de constituer. Il a notamment proposé l'organisation d'une journée d'auditions publiques au cours du premier trimestre 2000, dont le compte rendu serait annexé au rapport final. Il a également suggéré que ce rapport soit accompagné de l'édition d'un CD-ROM.
M. Henri Revol, sénateur, président, a remercié le rapporteurpour l'exhaustivité de son exposé et le grand intérêt du programme de travail proposé.
M. Robert Galley, député, a insisté sur l'utilité d'étudier les variations climatiques du passé, à l'évidence indépendantes de l'activité humaine, et l'augmentation du niveau de gaz carbonique dans l'atmosphère à partir de 1750 environ. Il a aussi rappelé les développements relatifs à ce thème, contenus dans le rapport qu'il a présenté avec M. Christian Bataille, député, sur l'aval du cycle nucléaire.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président, a approuvé le programme du rapporteur, et a recommandé que des pistes de travail soient bien délimitées, vu l'ampleur du sujet. Il a rappelé que le rapport qu'il avait présenté, voici neuf ans, sur l'Antarctique, contenait quelques développements qui pourraient être utiles au rapporteur.
M. Serge Poignant, député, a exprimé à son tour son intérêt pour le rapport proposé par M. Marcel Deneux, et a approuvé l'idée de le centrer sur le cas de la France, sans négliger pour autant le caractère mondial de l'effet de serre.
M. Marcel Deneux, sénateur, rapporteur, a indiqué que l'étude détaillée des impacts des changements climatiques sur la France n'empêchait nullement d'évoquer, par exemple, le grave problème de la déforestation de la forêt équatoriale ou la croissance de la consommation d'énergie en Chine. M. Robert Galley, député, a alors rappelé que les rizières dégageaient beaucoup de méthane qui est un gaz à effet de serre, et il a fait état de ses propres observations relatives au recul des glaciers alpins depuis une cinquantaine d'années.
M. Louis Boyer, sénateur, a confirmé ces observations en citant le glacier des Bossons à Chamonix, et a également rappelé que le Bangladesh ou les Maldives risquaient de voir une partie de leur territoire submergée du fait de l'élévation du niveau des océans.
M. Henri Revol, sénateur, président, a souhaité, à son tour, que des données de paléoclimatologie figurent dans le rapport.
Au terme du débat, les membres de l'office ont approuvé, à l'unanimité des présents, l'étude de faisabilité qui leur était soumise.