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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)

Mercredi 8 novembre 2000

- Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président.

Nomination d'un rapporteur

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a tout d'abord désigné M. Christian Kert, député, comme rapporteur de l'étude de faisabilité de la saisine émanant de la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale sur " l'apport de nouvelles technologies dans l'enfouissement des lignes électriques à hautes et très hautes tensions ".

Conférence interparlementaire de l'initiative Eurêka - Communication

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a ensuite entendu une communication de M. Claude Birraux, député, sur la Conférence interparlementaire de l'initiative Eurêka.

Après avoir rappelé qu'il avait participé à plusieurs conférences interparlementaires de l'initiative Eurêka, M. Claude Birraux a émis certains doutes sur l'efficacité de cette conférence, dans la mesure notamment où les textes à y étudier n'étaient connus qu'au moment de la séance, où beaucoup de participants tentaient de faire passer des idées personnelles par trop disparates eu égard aux objectifs d'Eurêka, où la coordination avec le secrétariat permanent français était assez superficielle et où le conseil des ministres semblait ne jamais tenir compte -même à travers une simple mention- des résultats de la conférence interparlementaire.

Il s'est demandé si ces éléments n'expliquaient pas la participation décroissante des parlementaires français à cette conférence.

M. Claude Birraux, député, a regretté que, lors de la dernière conférence, il n'ait pas vraiment été possible de faire prendre en compte les conclusions du sénateur Pierre Laffitte sur le programme-cadre européen, notamment sur le manque de coopération entre Eurêka et l'Union européenne, malgré des recouvrements thématiques évidents, et sur la diminution du financement d'Eurêka par les Etats.

Il s'est également demandé si les représentants des pays d'Europe centrale et orientale ne se contentaient pas simplement de venir chercher des transferts de technologie à la conférence et il a rappelé que celle-ci devrait mener un contrôle approfondi et critique de l'action des gouvernements.

Il a noté, par ailleurs, avec satisfaction que certains résultats pouvaient être observés chez les industriels. Pour l'avenir, M. Claude Birraux a souhaité que le président de l'Office écrive au président des Cortès pour qu'un bilan de l'action menée jusqu'alors soit établi et adressé aux participants à la conférence, qu'un communiqué final soit élaboré en concertation, et que les conclusions du sénateur Pierre Laffitte établies en accord avec le ministère de la recherche puissent être exploitées. Faute d'une telle coordination, la Conférence interparlementaire de l'initiative Eurêka risquerait de devenir un exercice vide de sens.

Le président Henri Revol a remercié M. Claude Birraux de la précision de son compte rendu et a rappelé qu'outre les membres de l'Office, les parlementaires membres de la délégation pour l'Union européenne, les rapporteurs au fond et pour avis des crédits de la recherche et les membres des commissions des affaires culturelles des deux Assemblées étaient systématiquement invités à participer à la Conférence interparlementaire de l'initiative Eurêka.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, a souhaité qu'une lettre soit adressée aux présidents de chacune des assemblées pour que les parlementaires empêchés d'assister à la Conférence interparlementaire de l'initiative Eurêka puissent être systématiquement remplacés afin que la délégation parlementaire atteigne un niveau optimal.

Audition du Centre national d'évaluation de la recherche (CNER)

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a enfin entendu une délégation du Centre national d'évaluation de la recherche (CNER) composée de M. Jean Dercourt, président, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, de Mme Anny Cazenave (CNES), représentant la communauté scientifique et technique, de M. Georges-Yves Kerven, personnalité choisie en raison de sa compétence dans les domaines économique, social, culturel, scientifique et technique, Mme Nicole Questiaux, personnalité choisie en qualité de membre du Conseil d'Etat, M. Jacques Giscard d'Estaing, personnalité choisie en qualité de membre de la Cour des comptes et M. Patrice Van Lerberghe, secrétaire général du CNER.

Après avoir rappelé l'intérêt que l'Office portait aux travaux du Centre national d'évaluation de la recherche, M. Henri Revol, sénateur, président, a souhaité connaître les thèmes et orientations prioritaires des travaux récents et actuels du CNER.

M. Jean Dercourt, président du CNER, a rappelé que les thèmes traités par le CNER concernaient tous les ministères. A titre d'illustration, il a indiqué qu'une saisine récente avait visé l'évaluation de la recherche nationale en océanographique qui portait à la fois sur l'évaluation scientifique des programmes en océanographie et sur la question du renouvellement éventuel de certains des navires de l'IFREMER, et que, par ailleurs, le CNER avait évalué la fonction de transfert de la recherche dans l'industrie, ce qui avait amené le Centre à situer la France au sein de la recherche européenne en évaluant aussi bien les critères de comparaison ou les programmes que les équipes ; étant rappelé que le Centre n'a pas pour mission de mener une évaluation générale de la recherche, mais seulement d'apprécier celle-ci dans le cadre des études menées.

Il a rappelé que le Gouvernement avait décidé de placer les sciences de la vie et le sciences de l'information et de la communication au centre de ses préoccupations, alors que la physique avait jusqu'alors la priorité, ce qui a conduit à mener des recherches sur l'animal, à contrôler les produits d'origine animale et à étudier leur influence sur la santé de l'homme, notamment à travers la question suivante : l'animal peut-il transférer des maladies graves à l'homme ? Sur ce sujet, un rapport du CNER devrait être remis fin janvier 2001.

Il a noté ensuite que les investissements industriels dans la recherche avaient augmenté, ce qui était venu compenser le recul des crédits militaires à ce secteur. Il a relevé que les crédits d'incitation accordés par le Gouvernement étaient plutôt mal acceptés par les organismes qui préféraient sélectionner eux-mêmes leurs thèmes de recherche.

D'un point de vue général, M. Jean Dercourt a estimé que le paysage des chercheurs s'était modifié considérablement du fait, notamment, de la concentration des entreprises et de l'internationalisation de celles-ci. Si, d'après le rapport du Commissariat général au Plan, leurs dépenses extérieures en recherche et développement (DERD) atteignaient 12 % en 1985, elles s'élevaient à 20 % en 1996. A l'intérieur de ces crédits, 22 % étaient destinés à des équipes étrangères, dont 60 % à des équipes européennes.

A l'importante question de la " réactivité " de l'appareil national de recherche et de développement technologique face aux demandes du Gouvernement et à la demande sociale, la loi du 1er juillet 1998 avait répondu par la création d'agences : l'Institut de veille sanitaire, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Toutefois, dans la perspective du long terme et de la sauvegarde d'un environnement durable, il conviendrait, de plus en plus, d'envisager des réponses européennes.

M. Jean Dercourt a relevé également que le renforcement du dispositif d'expertise, la clarification du statut des experts et la garantie d'une expertise plurielle et contradictoire s'imposaient, mais que ces objectifs demeuraient très difficiles à atteindre, surtout lorsque le problème posé était au coeur d'une actualité brûlante.

Enfin, il a noté que les préoccupations éthiques avaient évolué au cours des dernières années, la science n'étant plus perçue automatiquement comme synonyme de progrès. De même, l'homme ne semblant plus être au centre des préoccupations de la société, cela s'est traduit par la forte émergence des préoccupations éthiques relatives à l'expérimentation scientifique, notamment par de nouvelles précautions à prendre pour se livrer à des expérimentations sur les animaux.

Après avoir remercié le président du CNER pour cet exposé, M. Henri REVOL, sénateur, président, a souhaité connaître la part de la recherche relevant des institutions européennes.

Mme Nicole Questiaux a répondu que l'essentiel des financements provenait d'ailleurs, comme si, seules, les affaires industrielles de second rang bénéficiaient des crédits européens.

M. Claude Birraux, député, s'est interrogé sur l'initiative Eurêka, notamment sur la possibilité de redynamiser celle-ci en la rapprochant des actions-clés du programme-cadre de recherche et développement (PCRD) puisqu'actuellement l'Union européenne intervenait sur Eurêka sans financer ses programmes.

Le secrétaire général du CNER, M. Patrice Van Lerberghe a évoqué les relations d'Eurêka avec l'Union européenne, notamment à travers le quatrième programme-cadre de recherche et de développement, à la lumière des leçons tirées des trois premiers programmes. Il a noté que certains pays, dont l'Allemagne, étaient maintenant réservés sur l'initiative Eurêka et que les petites et moyennes entreprises étaient maintenant davantage intéressées par cette initiative. Il a ensuite souhaité qu'Eurêka puisse se rapprocher des programmes mis en oeuvre par l'Union européenne et il a noté que, depuis 1997, il avait été prévu une procédure d'évaluation d'Eurêka pour l'année en cours, puis trois ans et cinq ans plus tard.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, a estimé les cerveaux en fuite à 1 100 scientifiques français en séjour post-doctoral aux États-Unis d'Amérique et a rappelé le coût élevé de la formation française de ces jeunes qui s'expatrient.

Par ailleurs, il a déclaré avoir apprécié les travaux du CNER, mais regretté de ne pas y trouver de réelles évaluations des établissements de recherche. Il s'est demandé s'il ne serait pas envisageable de fusionner le CNER avec le Comité national d évaluation de l'enseignement afin de créer un grand organisme d'évaluation. Il a enfin déploré le retard français dans les sciences du vivant alors que les chercheurs français se trouvaient plutôt en avance il y a plusieurs années.

M. Jean Dercourt, président du CNER, a approuvé le chiffre cité par M. Jean-Yves Le Déaut, et a estimé qu'il était prudent de s'en tenir aux 1 100 scientifiques répertoriés par l'Ambassade de France aux États-Unis tout en se demandant si ceux-ci pouvaient espérer de véritables perspectives de retour car, dans le cas contraire, il s'agirait plus d'une relégation à l'étranger que d'une expatriation. En effet, plutôt que de cerveaux en fuite, il conviendrait de parler d'une prolongation de formation assortie de difficultés de retour. Il serait souhaitable, au contraire, de faciliter ce retour en validant les expériences à l'étranger et en atténuant la répulsion des organismes français à accueillir des cerveaux formés ailleurs. Au-delà du flux annuel des 1 100 chercheurs, on pourrait estimer leur stock à environ 5 000, la durée moyenne des séjours étant de cinq ans.

Mme Nicole Questiaux a confirmé que presque toutes les carrières avaient à pâtir d'une réaction de rejet à la suite d'une expérience à l'étranger.

Quant à la possibilité d'associer le CNER au Comité national d'évaluation de l'enseignement, M. Jean Dercourt a rappelé qu'une grande partie de la recherche française s'effectuait en dehors des universités et que trois catégories de chercheurs coexistaient : ceux de l'industrie, ceux des établissements publics, soit scientifiques et techniques, soit industriels et commerciaux, et, enfin, ceux des universités, chaque domaine étant marqué par une forte technicité et une ouverture limitée aux autres. C'est ainsi qu'une recherche sur l'animal et la santé de l'homme menée par une université ne pourrait qu'associer le monde vétérinaire et le ministère de l'agriculture.

Toutefois, des coopérations pourraient être envisagées chaque fois que possible. Déjà, le Comité national d'évaluation a demandé au CNER de coopérer avec lui pour une évaluation à mener à Grenoble et une autre dans le Languedoc.

A ce propos, M. Patrice Van Lerberghe a rappelé que le CNER avait été fondé en 1989 pour être une structure légère et interministérielle tandis que le Comité national d'évaluation était moins interministériel et réunissait des acteurs d'horizons moins variés.

Mme Anny Cazenave a souligné que l'indépendance du CNER était fondamentale, mais a regretté que les impacts de l'évaluation ne soient pas assez forts.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, a regretté l'absence d'une autorité morale et indépendante susceptible de donner une direction aux suites de l'évaluation.

Mme Nicole Questiaux a observé qu'avant de créer une nouvelle instance, il faudrait tirer les conséquences des évaluations menées par le CNER, étant observé, de plus, que l'indépendance quasi-constitutionnelle des universités empêcherait l'action d'une telle autorité. Elle a déploré que les préoccupations d'évaluation soient davantage centrées sur les procédures que sur les résultats. Elle a regretté le caractère lacunaire de la réflexion théorique sur ce que devrait être l'évaluation.

M. Claude Birraux, député, s'est demandé si c'était bien à la suite de l'évaluation du CNER que l'Institut français de recherche scientifique pour le développement en coopération (ORSTOM) avait changé de nom, pour devenir l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Il a souhaité savoir s'il existait une évaluation mondiale de la recherche, l'Europe lui semblant être plus performante aux États-Unis d'Amérique dans ce domaine, sauf en technologies, et la Communauté des Etats Indépendants (CEI) lui semblant n'effectuer plus qu'une part symbolique des recherches mondiales -autour de 1 %- malgré l'existence d'équipes de bon niveau dans ce groupe de pays.

M. Jean Dercourt a répondu que c'était bien à la suite de l'évaluation de l'ORSTOM par le CNER que plusieurs modifications avaient été apportées à cet organisme, mais qu'il était toujours plus facile d'obtenir des changements de structures que de mentalités ou d'habitudes. Répondant sur le second point, il a noté l'existence d'un paradoxe européen, l'Europe étant bonne en recherche théorique, mais à la traîne en recherche industrielle. Toutefois, la récente loi sur l'innovation devrait permettre de lever certaines barrières.

A propos de la Communauté des Etats Indépendants (CEI), il a rappelé que beaucoup de ses chercheurs avaient rejoint les États-Unis d'Amérique, que d'autres étaient venus travailler en Europe et que ceux qui demeuraient en Russie se trouvaient dépourvus de matériel performant, en dépit d'aides apportées par l'Europe et par la Fondation Soros.

M. Claude Birraux, député, a déploré l'absence d'unité de programmation pour la recherche européenne, et, en particulier, celle d'une programmation cohérente dans le domaine de la recherche spatiale du fait d'une coordination imparfaite entre l'Agence spatiale européenne (ESA) et le CNES.

Mme Nicole Questiaux a déploré la préoccupation exclusive de chaque Etat concernant un juste retour de ses investissements et la rivalité bureaucratique qui existait souvent entre les structures de l'Union européenne et celles d'Eurêka, tout en notant que le financement européen par projet était une évolution positive. Cependant, la mise en place d'une programmation stratégique au niveau de l'Europe restait à intervenir, celle-ci dépendant finalement d'une volonté politique.

M. Jean Dercourt, président du CNER, a rappelé que la recherche européenne ne se limitait pas à l'Union européenne, comme en témoignait l'exemple du CERN.

Mme Anny Cazenave a regretté la faiblesse du poids de la recherche fondamentale dans l'Union européenne, notamment dans le quatrième et cinquième PCRD, cette faiblesse entraînant aussi celle de la recherche appliquée. De plus, le privilège accordé au court terme lui a semblé excessif.

A propos des résultats des évaluations menées par le CNER, M. Jacques Giscard d'Estaing a rappelé que l'évaluation du département Sciences pour l'ingénieur du CNRS menée en 1997 avait donné lieu à l'observation du suivi des recommandations du CNER dans son rapport d'activité d'avril 2000. Des progrès ont été constatés, mais peut-être un peu lents. En revanche, certains problèmes perdurent, comme celui des hommes face aux dispositifs de transferts de technologies et celui de l'insuffisance de la circulation des hommes entre divers lieux de recherche. D'une manière générale, il serait souhaitable d'insister sur le caractère permanent de la validité des recommandations émises par le CNER.

Le président Henri Revol s'est interrogé sur l'évaluation des chercheurs à travers leurs publications, notamment celles effectuées par l'intermédiaire d'Internet.

Mme Anny Cazenave a noté qu'Internet ne modifiait pas fondamentalement la question puisqu'il n'apportait qu'un changement de support, les articles des chercheurs restant de toute façon évalués par leurs pairs.

Le président Jean Dercourt a noté que l'Union physique internationale venait de décider de rassembler tout ce qui se publiait sur Internet pour l'archiver et l'analyser, car de bonnes idées étaient lancées sur ce support, sans autre but que de les tester. De la sorte, un nouveau champ bibliographique était ouvert sans qu'il soit envisagé d'en tirer une édition sur papier, cela n'étant toutefois pas exclu, les chercheurs s'inquiétant de savoir comment s'effectuerait la consultation de leurs articles dans le futur.

M. Georges-Yves Kervern a rappelé que la recherche duale avait permis beaucoup d'avancées jusqu'alors mais que les institutions de Bruxelles n'offraient ni assez de confidentialité, ni un caractère stratégique assez marqué pour que la recherche duale soit poursuivie efficacement à ce niveau. Il a noté que les États-Unis d'Amérique étaient, à l'heure actuelle, le seul pays colbertiste, c'est-à-dire tirant partie de la synergie entre la recherche militaire et la recherche industrielle. Il a noté que, si une nouvelle instance d'évaluation était créée, elle devrait avoir accès à la partie défense des programmes de recherche, mais que, en l'état actuel de la construction européenne, les traités n'offraient pas de garanties juridiques suffisantes pour assurer la confidentialité des données ainsi recueillies.

Le président Jean Dercourt a souhaité, en conclusion, que la rencontre entre l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et le CNER soit organisée chaque année.