Table des matières
Mercredi 4 avril 2001
- Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président.
Les effets des métaux lourds sur l'environnement et la santé - Examen du rapport
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a procédé à l'examen des conclusions de l'étude présentée par M. Gérard Miquel, sénateur, sur "les effets des métaux lourds sur l'environnement et la santé ".
M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, après avoir rappelé que ce rapport faisait suite à une saisine de l'Assemblée nationale sur les dangers pour la santé découlant de la présence de mercure dans des amalgames dentaires, a présenté les objectifs de l'étude. Le rapporteur a considéré que celle-ci constituait d'abord un élément du débat citoyen en mettant à la portée du grand public des informations techniques et scientifiques et une synthèse sur les principaux métaux lourds (plomb, cadmium, mercure). Il a estimé que l'étude pouvait également être un support de réflexion pour les scientifiques en leur permettant d'aborder des sujets connexes à leur domaine de compétence et en les mettant en contact avec les problèmes de société. Enfin, il a souhaité que l'étude puisse être une aide à la décision pour les responsables politiques.
M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a ensuite exposé la première partie du rapport consacrée à l'amalgame dentaire.
Après avoir rappelé que des associations militantes, relayées par des politiques, demandaient la suppression de l'utilisation des amalgames, le rapporteur a distingué trois questions principales.
En premier lieu, sur la toxicité réelle des amalgames, il a indiqué que la quasi totalité des études scientifiques internationales étaient plus que nuancées sur ce point, aucun lien direct n'ayant pu être établi entre l'amalgame et les troubles neurologiques ou néphrologiques des patients soignés à l'amalgame dentaire. Il a précisé qu'il avait souhaité donner une place importante à l'étude dite de Tübingen, bien connue du camp des anti-amalgames, en estimant qu'elle présentait toutefois certaines faiblesses méthodologiques. Mais il a indiqué qu'il avait été sensible aux affirmations répétées de plusieurs personnes qui se plaignaient de maux divers et qui s'étaient trouvées incontestablement mieux, selon leurs dires, après la dépose des amalgames. Il a estimé qu'il y avait sur ce sujet un courant d'opinion qui devait être reçu comme une donnée médicale et politique.
En second lieu, le rapporteur a évoqué les matériaux de substitution à l'amalgame. Il a donné des indications sur le composite fabriqué à partir de résine. Il a rappelé que le composite avait un incontestable avantage esthétique et médical puisqu'il était mis en place sans que le dentiste ait besoin de creuser la dent, mais qu'il avait aussi des inconvénients majeurs, soit d'ordre thérapeutique, n'étant pas adapté à tous les types d'obturation, soit d'ordre pratique. Le rapporteur a relevé que, depuis que les composites étaient apparus, ils avaient sans cesse été modifiés, ce qui empêchait d'avoir le recul suffisant pour en apprécier les caractères.
Le rapporteur a estimé que rien ne serait plus dangereux que de préconiser la dépose systématique d'amalgame pour les remplacer par des composites, dans la mesure où les risques de dégagement mercuriel sont au maximum lors de la pose mais surtout de la dépose des anciens amalgames. Il a relevé que ces risques pouvaient être limités par quelques précautions techniques, mais que tous les praticiens ne paraissaient pas suffisamment familiarisés avec les techniques de pose des composites pour que ces sécurités soient garanties. En tout état de cause, le rapporteur a estimé que la vigilance devait être accrue pour quelques groupes à risques, en particulier les jeunes enfants et les femmes enceintes.
En troisième lieu, M. Gérard Miquel, sénateur, s'est intéressé aux déchets d'amalgames. Il a indiqué que cette question supposait un total changement d'optique qui nécessitait notamment de passer de l'individuel au collectif. Il a évalué le montant de mercure dans la bouche des Français à 100 tonnes, et l'importance des déchets mercuriels entre 15 et 20 tonnes.
A cet égard, le rapporteur a rappelé que, depuis 1998, les dentistes devaient équiper leur cabinet d'un séparateur d'amalgame pour récupérer les déchets mercuriels. Il a observé que la mise en place de ces séparateurs était cependant beaucoup moins rapide que ce qui était prévu et que l'efficacité de la collecte était incertaine. Il a indiqué que les entreprises qui s'étaient positionnées sur cette filière de recyclage étaient extrêmement déçues des collectes et qu'il était possible que les déchets d'amalgame, au lieu de passer dans les canalisations, finissent désormais en fumées d'incinérateur.
Dans cette approche, il a donné des indications sur les rejets de mercure par les crémations et précisé que si cette pratique devait progresser au rythme de ces dernières années, des mesures de limitation de ces rejets devraient être recommandées.
Puis M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a présenté la seconde partie du rapport, consacrée aux effets des métaux lourds sur l'environnement.
Il a rappelé que les métaux lourds sont des élément naturels, mais que l'homme avait modifié leurs concentrations et leurs modes de dispersion et analysé les différentes sources d'émission, naturelles et anthropiques.
Le rapporteur a ensuite évoqué les difficultés du recyclage. Il a observé que les plus grosses applications étant en diminution, voire en voie d'extinction, l'offre de matières premières secondaires, liée au recyclage des déchets, serait bientôt plus importante que les besoins de l'industrie, notamment pour le mercure. Il a présenté les difficultés particulières à chaque filière telles que les batteries automobiles (récupération du plomb), les piles (récupération du cadmium) et les tubes fluorescents (récupération du mercure).
Le rapporteur a ensuite analysé les difficultés liées à la présence de métaux lourds dans les boues. Il a rappelé que les analyses étaient globalement rassurantes, que la nécessité de l'épandage était admise par tous et que la qualité des boues s'était sensiblement améliorée. Il a, cependant, estimé que ces avancées n'empêchaient pas une certaine inquiétude. Il l'a illustrée par ce qu'il a appelé la technique du " parapluie gigogne ", suivant laquelle chacun, à son niveau (Etat, industriel, agent de plaine, agriculteur), prenait sa marge de sécurité, et durcissait les normes demandées pour l'épandage des boues.
Il a estimé que les industriels et les collectivités locales allaient être de plus en plus souvent confrontés aux refus d'épandage par les agriculteurs. Il a considéré que l'utilisation des boues de stations d'épuration n'était pas a priori incompatible avec une agriculture durable, mais qu'un tel choix supposait de mettre en place un système de contrôle infaillible, afin d'éviter les comportements déviants ou frauduleux qui pourraient porter atteinte à la crédibilité de cette filière de recyclage. Le rapporteur a préconisé un archivage systématique des échantillons de sols afin de pouvoir faire des bilans dans quelques années.
M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a ensuite présenté la troisième partie du rapport consacrée aux effets des métaux lourds sur la santé publique.
Le rapporteur a décrit les effets toxiques du mercure, du plomb et du cadmium, en faisant la synthèse des publications techniques et scientifiques sur le sujet. Il a rappelé que la démarche française reposait sur l'évaluation des risques, distincte de l'évaluation du danger.
Il a noté que la fixation des valeurs limites suscitait des débats scientifiques, dans la mesure où les seuils sont calculés en prenant en compte un coefficient d'incertitude, très variable selon les cas.
Il s'est également interrogé sur l'opportunité de transposer les normes d'un pays à un autre, dans la mesure où un pays qui ne produit rien veut évidemment des produits les plus sains possibles, et en tout cas avec le minimum de contaminants, alors qu'un pays producteur doit composer avec les héritages des déversements sur son sol et dans son sous-sol. Le rapporteur a considéré que l'approche par les normes et les seuils était une approche du passé, dans la mesure où la fixation des normes est toujours en retard par rapport au progrès des mesures et estimé, qu'à terme, la connaissance des gènes entraînerait un saut qualitatif fondamental en permettant une approche individuelle des risques liés aux contaminants.
M. Gérard Miquel, sénateur, a abordé les risques de contamination liés à l'alimentation. Il a rappelé qu'il n'y avait pas de risque pour un consommateur moyen, mais que l'analyse des risques devait aujourd'hui être plus ciblée sur des minorités situées dans certaines régions sensibles ou avec des consommations alimentaires à risque. Par exemple, certaines régions devraient être surveillées, en particulier la région PACA et les DOM-TOM, qui ne disposaient que de peu d'installations de traitement des déchets, de telle sorte que les métaux s'accumulaient et finissaient par être absorbés par la population.
Le rapporteur a ensuite détaillé les contaminations des poissons et des coquillages, qui ont pour caractéristiques de bioconcentrer et bioamplifier les métaux lourds. Il a rappelé que, en dépit de leurs qualités nutritives incontestées, certains poissons étaient des capteurs de mercure, tandis que les huîtres et les moules concentraient parfois des quantités non négligeables de cadmium.
Le rapporteur a ensuite détaillé les modes d'exposition au plomb liés à l'habitat, que ce soit par l'intermédiaire des canalisations d'alimentation en eau potable ou par le biais des peinture en plomb dans les immeubles anciens.
Après avoir décrit les résultats du dépistage en Ile-de-France, il a relevé que les directions régionales des affaires sanitaires et sociales semblaient inégalement motivées par ces questions. Il a donc suggéré quelques actions d'information et d'aménagement dans les logements à hauts risques et a estimé que le coût de ces actions serait très inférieur aux 70 milliards annoncés pour la suppression des canalisations en plomb, mesure dont l'efficacité est incertaine.
Concernant la situation en Guyane, outre le rôle de l'orpaillage dans la contamination au mercure, le rapporteur a présenté les résultats des dernières recherches montrant l'influence déterminante des travaux, des déboisements et des lacs artificiels qui libèrent le mercure naturel dans le sol et le transforment en une forme organique, toxique pour l'homme. Le rapporteur a conclu sur ce point en considérant que la population amérindienne était emblématique de nos choix de société face aux risques liés aux métaux lourds.
Il a enfin rappelé que le problème des métaux lourds était planétaire et supposait une réponse mondiale.
Le rapporteur a souligné que l'affaire du thiomersal (conservateur au mercure utilisé pour les vaccins) illustrait les difficultés de la communication sur des sujets techniques et donnait lieu à des polémiques.
En conclusion, M. Gérard Miquel, sénateur, a présenté 70 propositions relatives notamment à l'amalgame, aux plombs de chasse, au recyclage des métaux et à l'archivage des échantillons.
M. Marcel Deneux, sénateur, s'est préoccupé de la présence des métaux lourds dans les boues. Il a rappelé les circonstances qui avaient conduit la société Bonduelle à mettre quelques réserves à l'épandage des boues. Il a estimé que ce dossier posait le problème des relations entre la ville et la campagne, aujourd'hui en situation d'accusée.
Il n'a pas exclu que les agriculteurs soient de plus en plus réticents à accepter l'épandage sans contrepartie. Il a ainsi évoqué l'exemple récent d'une organisation agricole qui avait mis dans la balance la présence de viande de boeuf dans les cantines des villes contre l'acceptation des boues dans les campagnes. Il a rappelé que le monde agricole était traumatisé par la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).
Il a également souligné qu'un produit pouvait être régulièrement utilisé pendant une période donnée et apparaître toxique 10 ou 20 ans plus tard.
M. Claude Gatignol, député, a insisté sur la distinction entre le risque et le trouble effectif. Il a rappelé que la présence de métaux lourds n'induisait pas nécessairement de risque, et qu'il était surtout très difficile d'établir des relations de cause à effet incontestables. Il a considéré que l'étude des risques devait surtout porter sur les populations sensibles telles que les femmes enceintes et les jeunes enfants. Il a interrogé le rapporteur sur le nombre de personnes intoxiquées aux métaux lourds et sur le traitement de ces intoxications.
En réponse à cette dernière question, M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a indiqué qu'il n'y avait pas de statistiques, dans la mesure où les effets des métaux lourds sont peu repérables au stade initial. Il a précisé que les problèmes éventuels se posaient sur une petite partie de la population, dans certaines régions, que les statisticiens repèrent dans ce qu'ils appellent le 95ème percentile, c'est-à-dire les 5 % de la population les plus imprégnés. Les risques effectifs seraient très localisés. La seule évaluation qui avait été faite concerne le risque de saturnisme lié aux peintures dans l'habitat ancien. L'évaluation habituelle est de 30 000 enfants potentiellement exposés.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, a insisté sur l'importance d'établir une cartographie des zones à risques. Il a estimé que la connaissance des gènes n'était pas, à court terme, une alternative de l'approche par les normes, liée à la capacité d'analyse du moment. Il a demandé que les inconvénients du composite soient mieux précisés dans la conclusion. Il a rappelé qu'à l'inverse des risques non avérés, les risques liés aux métaux lourds étaient parfaitement connus, et qu'il était souhaitable de présenter ces risques, mais aussi de les relativiser.
Cette idée a été appuyée par M. Robert Galley, député, qui a craint une dérive vers la psychose sanitaire.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, a également insisté sur l'importance de la recherche sur l'élimination des métaux lourds, que ce soit par les méthodes physico-chimiques ou biologiques.
Au terme du débat, les membres de l'Office ont approuvé, à l'unanimité des présents, le rapport qui leur était soumis.
Le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires civiles - Examen du rapport
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a ensuite procédé à l'examen du rapport, présenté par M. Claude Birraux, député, sur "le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires civiles" (Tome II).
Le rapporteur a présenté son travail consacré à la reconversion à des fins civiles des stocks de plutonium militaire et à l'utilisation des aides accordées aux pays d'Europe centrale et orientale dans ce domaine.
Pour le rapporteur, si le thème de la reconversion à des fins civiles du plutonium militaire peut apparaître, de prime abord, comme technique, il est, au contraire, extrêmement politique. A la suite de l'héritage de la guerre froide, le monde se retrouve avec un stock de plutonium de 250 tonnes, produit extrêmement dangereux s'il est inhalé, mais surtout composant essentiel d'une bombe atomique. Les Etats-Unis et la Russie ont signé le 1er septembre dernier un accord précisant l'usage qui devait être fait des 34 tonnes que chacun a déclaré en excédent.
Il apparaît que l'essentiel va être transformé en combustible " MOX " pour être brûlé dans les centrales nucléaires. Aujourd'hui, des crédits publics très importants sont engagés : 460 millions de francs ont été annoncés par le Premier ministre. Les Etats-Unis vont dépenser 4 milliards de dollars au total (pour leur programme national et l'aide à la Russie) et le projet russe représente un coût de 1,8 milliard (hors programme de construction de centrales nucléaires).
Un plan précis de financement de la partie russe de ce programme devrait être arrêté au prochain sommet du G8 à Gênes.
M. Claude Birraux, rapporteur, a présenté dans le détail les modalités de mise en oeuvre de cette politique aux Etats-Unis, en Russie ainsi que l'aide apportée par les pays européens et en particulier la France, puis il a insisté sur la nécessité de développer des concepts de réacteurs nucléaires consommateurs de plutonium, plus particulièrement le projet GTM-HR.
Après avoir rappelé les critiques de la Cour des comptes européenne sur la gestion par la Commission des crédits consacrés à l'aide à la sûreté et à la sécurité des installations nucléaires d'Europe de l'Est, il a présenté la réforme des modalités de fonctionnement de ces aides engagées par la Commission européenne et a achevé sa présentation en examinant l'action de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement).
M. Henri Revol, sénateur, président, après avoir remercié M. Claude Birraux , l'a interrogé sur l'identité des firmes conduisant le projet international GTM-HR, puis M. Jean-Yves Le Déaut a souligné la prudence qui devait prévaloir dans l'utilisation du plutonium militaire.
Au terme du débat, les membres de l'Office ont approuvé, à l'unanimité des présents, le rapport et les recommandations du rapporteur.
Nomination de rapporteurs
Puis l'Office a nommé, à l'unanimité des présents :
- M. Claude Huriet, sénateur, rapporteur de la saisine émanant du Bureau de l'Assemblée nationale portant sur " Les conséquences de l'évolution scientifique et technique dans le secteur des télécommunications - Tome II : L'incidence éventuelle de la téléphonie mobile sur la santé ".
- MM. Jean-Yves Le Déaut et Claude Birraux, députés, rapporteurs de la saisine émanant du Bureau de l'Assemblée nationale portant sur " L'état actuel et les perspectives techniques et économiques des énergies renouvelables, et sur la situation présente et l'éventuel renforcement de la recherche et de l'industrie française dans ce domaine ".
- MM. Henri Revol, sénateur, président, et Christian Bataille, député, rapporteurs de la saisine émanant de la commission de la Défense nationale et des Forces armées de l'Assemblée nationale portant sur " Les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996 ".