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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)

Mardi 9 mars 1999

- Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président.

Audition de Mme Catherine Bréchignac, directeur général, et des directeurs membres du conseil scientifique du Centre national de la recherche scientifique

L'office a procédé à l'audition de Mme Catherine Bréchignac, directeur général du conseil scientifique du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), accompagnée deMM. Jean-Claude Bernier, directeur du département des sciences chimiques, Yves Farge, conseiller auprès du directeur général, Jean-Jacques Gagnepain, directeur du département des sciences de l'ingénieur, Maurice Gross, directeur des relations avec l'enseignement supérieur, Mme Marie-Claude Maurel, directeur du département des sciences de l'homme et de la société, MM. Jean-François Minster, directeur du département des sciences de l'univers, Jean-Paul Pouget, directeur du département des sciences physiques et mathématiques, Jacques Samarut, directeur du département des sciences de la vie, Jacques Sevin, directeur de la stratégie et des programmes, Jean-Pierre Souzy, secrétaire général.

Après avoir rappelé que l'une des missions de l'office était d'établir des passerelles entre le Parlement, le monde industriel et les organismes de recherche, M. Henri Revol, sénateur, président, s'est réjoui de ce que cette nouvelle réunion de travail entre l'office et la direction du CNRS se tienne, pour la première fois, dans une enceinte parlementaire.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président, s'est à son tour félicité de l'organisation de cette rencontre qui, a-t-il rappelé, s'inscrit dans une tradition désormais bien établie depuis huit ans.

Puis, M. Henri Revol, sénateur, président, a invité chacun des participants à se présenter.

A l'issue de cette présentation, Mme Catherine Bréchignac, directeur général du CNRS, a rappelé les missions de son établissement et retracé l'évolution de son budget. Elle a noté que l'évolution des dépenses ordinaires directement liées aux dépenses de personnel avait suivi strictement l'évolution du produit intérieur brut (PIB), tandis que les autorisations de programme finançant les actions proprement dites, et les investissements, stagnaient. Ce décalage a conduit le CNRS à rechercher des financements externes au travers de partenariats avec des industriels et, surtout, auprès des régions, devenues peu à peu des partenaires essentiels. Le directeur général du CNRS a donné des précisions sur ses priorités à l'horizon 2010 : gestion des ressources humaines, renouvellement des chercheurs, méthodes pour définir les priorités scientifiques, communication. Dans le but de s'informer des expériences d'autres grands établissements, Mme Catherine Bréchignac a indiqué qu'elle s'était notamment entretenue avec les responsables de la RATP. Elle a souhaité faire émerger les jeunes chercheurs, forces vives des laboratoires, au travers du soutien d'actions innovantes et du développement des relations avec les industriels.

Mme Catherine Bréchignac a ensuite présenté les différents axes de recherche du centre :

- recherche pour la connaissance (astronomie, linguistique, génomique, imaginaire et abstraction...) ;

- recherche pour améliorer les conditions de vie (médecine, santé, environnement) ;

- apport de services et d'outils aux petites et moyennes entreprises ;

- axes interdisciplinaires tels que le vivant et ses enjeux, l'environnement, la dynamique de la société, les télécommunications et la cognition, les matériaux et les technologies ;

- enfin, l'évaluation ; sur ce point, elle a noté que changer de partenaire financier conduisait le CNRS à changer de méthode d'évaluation.

A propos des liens entre le CNRS et les universités, Mme Catherine Bréchignac a fait observer qu'ils étaient très anciens, mais que les mobilités devaient être développées dans les deux sens : soit par le biais d'enseignants-chercheurs, soit par celui des chercheurs-enseignants. Concernant le partenariat CNRS/entreprises, elle a insisté sur l'importance du point de vue des industriels dans la conduite de la politique scientifique, sur la valorisation des brevets ou licences, et sur l'aide à la création d'entreprises. Elle a noté sur ce point un frémissement puisque, depuis le début de l'année, quinze chercheurs avaient demandé cette aide. Elle a toutefois regretté que le transfert de technologies avec les PME ne fonctionne pas de façon satisfaisante.

Mme Catherine Bréchignac a conclu son exposé en présentant un graphique illustrant l'impact de la recherche sur la croissance depuis le début du XIXe siècle. Elle a indiqué que, grâce notamment à quelques grandes découvertes qui ont un effet immédiat et marqué sur la croissance, la recherche était à l'origine d'un supplément de croissance de 1 % par an en moyenne sur un siècle, cet effet moyen étant cependant inégalement réparti dans le temps puisqu'il se concentre sur quelques périodes de durée relativement brève.

En réponse à M. Pierre Laffitte, sénateur, qui l'interrogeait sur les incubateurs, Mme Catherine Bréchignac a précisé qu'il n'entrait pas dans les missions du CNRS de participer à ces opérations par l'intermédiaire du capital-risque. Puis M. Jean-Jacques Gagnepain, directeur du département des sciences de l'ingénieur, a insisté sur la nécessité d'opérer dans un réseau et non pas de façon isolée, ce qui conduit à mettre en place un dispositif d'accompagnement des créations d'entreprises, " CNRS entreprendre ". Il a cependant observé que le CNRS ne pouvait être actionnaire partout, et choisissait de participer lorsque le potentiel du laboratoire permettait d'espérer un nombre de brevets suffisant. Il a indiqué qu'il existait d'autres soutiens possibles sans que le CNRS fût actionnaire, notamment par l'intermédiaire de sa filiale (FIST), société anonyme dans laquelle le centre a la majorité des parts, avec une participation minoritaire de l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR). Il a également indiqué que le CNRS n'avait pas de fonds d'amorçage national.

M. Jacques Valade, sénateur, s'est inquiété du transfert de charges vers les régions. Il a estimé qu'une telle substitution au rôle autrefois joué par l'État n'était justifiée que lorsque le CNRS engageait des programmes supplémentaires avec des retombées régionales.

Sur ce sujet, M. Ivan Renar, sénateur, a rappelé l'importance de cet enjeu budgétaire pour les régions, dans la perspective de l'élaboration des nouveaux contrats de plan.

Mme Catherine Bréchignac a observé qu'en Allemagne, les Länder intervenaient depuis longtemps dans la recherche, et qu'à partir du moment où une région devenait partenaire du centre, elle avait évidemment son mot à dire et des exigences à faire valoir, qui peuvent être formalisées dans un contrat.

Insistant sur l'utilité de contractualiser les relations CNRS (État) / régions, M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président, a estimé normaux les transferts de charges dès lors qu'il existait des retours dans la région considérée. Il a noté que cette situation se développait partout, à l'exception de l'Ile-de-France, pour laquelle l'État restait le premier financeur. Il a enfin posé une question sur les laboratoires mixtes " entreprises - CNRS ".

En réponse à cette dernière question, Mme Catherine Bréchignac a indiqué que, dans ce cas, les brevets étaient en copropriété et que le centre s'attachait à développer des structures plus souples sous forme de laboratoires communs.

M. Yves Farge, conseiller auprès du directeur général, a précisé que 40 à 50 % des effectifs de chercheurs seraient renouvelés dans les dix ans par le simple effet de la démographie et que ce changement devait être l'occasion de développer une politique régionale.

M. Jean-Claude Bernier, directeur du département des sciences chimiques, a observé que les contrats régions/CNRS avaient entraîné des changements d'orientation ou l'émergence de nouveaux sujets. Il a donné l'exemple de la société européenne de propulsion (SEP).

Mme Michèle Rivasi, députée, a relevé, à l'occasion d'une étude qu'elle avait menée sur le Ve programme-cadre de recherche développement (PCRD), que la France avait mal récupéré sa mise de fonds sur le IVe PCRD. Elle a noté qu'en Allemagne et au Royaume Uni, le désengagement de l'État avait conduit les organismes de recherche à se tourner vers les fonds européens. Elle s'est interrogée sur une éventuelle plus-value européenne dans les recherches ainsi cofinancées. Elle a jugé le système du consortium de recherche/innovation pour l'entreprise (CRI) particulièrement intéressant pour les petites et moyennes entreprises et industries (PME-PMI). Concernant les orientations du CNRS, elle a considéré que les recherches sur les conditions de vie, la santé et l'environnement, intéressaient vivement les élus et le grand public, et qu'il y avait là une véritable demande d'innovation sociale.

Mme Catherine Bréchignac a reconnu que les relations avec l'Union européenne n'étaient pas totalement satisfaisantes. Elle a observé que le centre s'impliquait dans les domaines de la santé et de l'environnement, mais qu'il existait aussi d'autres organismes de recherche plus spécialisés tels que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et l'Institut national de la recherche agronomique (INRA).

M. Jean-François Minster, directeur du département des sciences de l'univers, a donné des précisions sur les relations financières avec l'Union européenne. Il a indiqué que si, globalement, les résultats étaient médiocres, cela recouvrait des situations extrêmement hétérogènes selon les thèmes et, qu'en particulier, les retours avaient été très importants concernant les sciences de la vie et l'observation des planètes. Il a enfin donné des indications sur les activités du CNRS en matière d'environnement.

Après avoir reconnu qu'on ne pouvait implanter des laboratoires partout en France, M. Ivan Renar, sénateur, s'est demandé quelle part restait au volontarisme des élus locaux pour innover et délocaliser des unités existantes.

Mme Catherine Bréchignac a constaté que la demande de décentralisation restait forte, mais qu'un équilibre devait être trouvé entre Paris et la province. Elle a indiqué qu'en dix ans, la répartition était passée de 55/45 vers 45/55, mais qu'on ne pourrait aller plus loin que 40/60, et qu'il n'était notamment pas possible de faire de la pluridisciplinarité partout.

M. Claude Birraux, député, a estimé qu'en dépit d'une aspiration compréhensible des élus à avoir des centres de recherche dans les régions qu'ils représentent, il fallait une tradition industrielle, scientifique pour que les transplantations réussissent. Il a demandé des précisions sur le nombre de brevets et les dividendes qui en résultent. Il s'est enfin interrogé sur l'efficacité des procédures de passation des marchés.

Mme Catherine Bréchignac a indiqué que l'augmentation des redevances avait été très rapide au cours de ces cinq dernières années : vingt millions de francs en 1994, cent en 1998, provenant pour l'essentiel de douze licences sur un total de huit cents brevets porteurs de dividendes. Elle a opéré une distinction entre les brevets qui appartiennent au seul CNRS (environ 1.400), les brevets en copropriété (environ 1.200) et les brevets des entreprises pour lesquels l'apport de chercheurs du CNRS est assez important (au moins 800 connus). Elle a indiqué que la politique suivie, il y a quelques années, de dépôts systématiques de brevets, s'était avérée très onéreuse pour un résultat limité, et que l'orientation actuelle était de se limiter aux brevets qui avaient une chance d'engendrer des redevances. Elle a indiqué que les PME représentaient la moitié des partenaires, mais seulement le cinquième du montant des contrats signés. Elle a ajouté que 300 à 400 millions de francs de contrats étaient signés chaque année avec les entreprises.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président, a fait état des inquiétudes des fournisseurs de laboratoire qui se plaignaient des procédures d'appels d'offres.

M. Jean-Pierre Souzy, secrétaire général du CNRS, a donné des précisions sur les différentes procédures d'appels d'offres :

- l'approvisionnement local est décidé par les laboratoires dans la limite de 300.000 francs par fournisseur et par an, seuil classique des marchés publics ;

- les marchés publics locaux qui représentent la moitié des achats du CNRS, correspondent à des besoins identifiés par plusieurs laboratoires et suivent les circuits classiques d'appels d'offres ;

- la procédure des achats nationaux évolue. L'idée est d'avoir le meilleur marché pour l'ensemble des organismes de recherche en prévoyant, le cas échéant, des multi-attributions (plusieurs fournisseurs pour un marché sur plusieurs années). Il a indiqué que cette procédure n'était pas prévue par le code des marchés publics et qu'une réforme était en cours. Il a estimé que cette situation intermédiaire entraînait des difficultés chez les fournisseurs.

M. Maurice Gross, directeur des relations avec l'enseignement supérieur, a ensuite fait le point sur les relations entre le CNRS et les universités en distinguant trois périodes. Les relations du CNRS se sont faites d'abord avec les professeurs, puis avec les laboratoires à partir de 1967, et finalement avec les universités à partir de 1994. Les relations avec les universités sont aujourd'hui contractualisées selon un schéma en quatre zones, avec environ 300 laboratoires dans chacune. Il a détaillé le nombre d'agents collaborant directement ou indirectement au CNRS : 12.000 chercheurs, 14.000 ingénieurs, techniciens et administratifs (soit 26.000 agents), et 60.000 personnes travaillant dans les unités universitaires associées au CNRS. Il a indiqué que 92 % des chercheurs étaient aujourd'hui dans des unités partagées avec l'université. Il a souhaité faire évoluer les mobilités dans les deux sens, tout en regrettant qu'elles entraînent généralement une perte de rémunération pour les intéressés. Il a noté que beaucoup de chercheurs étaient passés récemment vers l'université, dans l'enseignement supérieur, sans incitation matérielle particulière. Il a enfin précisé que les chargés de recherche devenaient soit maîtres de conférences, soit professeurs.

En réponse à une question de M. Serge Poignant, député, qui l'interrogeait sur les chercheurs enseignants, Mme Catherine Bréchignac a indiqué qu'elle souhaitait développer de nouvelles formes de collaboration avec l'université, plus seulement dans le troisième cycle, mais aussi dans le second cycle, voire le premier cycle. Elle a également indiqué que d'autres voies étaient également à l'étude, notamment celles du " chercheur cadre " et du " chercheur manager ".

M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président, a regretté que certains chercheurs partent à la retraite sans jamais avoir transmis leur savoir et enseigné à l'université, puis il a demandé des précisions sur la procédure d'évaluation.

En réponse, Mme Catherine Bréchignac a indiqué que l'évaluation portait sur les laboratoires, et était effectuée par un comité d'audit provenant du monde industriel. Elle a ajouté que cette méthode avait été testée dans le département " chimie " et étendue cette année à l'ensemble des spécialités. Elle a noté qu'à travers l'évaluation des laboratoires, on évaluerait également, indirectement, les hommes, et qu'une évaluation régulière était nécessaire.

En conclusion, M. Henri Revol, sénateur, président, a remercié la délégation du CNRS pour le grand intérêt de ses communications et confirmé la volonté de l'office d'organiser régulièrement de semblables rencontres.