Délégations et Offices

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)

Mercredi 16 décembre 1998

- Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président.

Audition de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie

L'office a procédé à l'audition de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Henri Revol, sénateur, président, a d'abord remercié le ministre de sa présence en notant qu'il était un interlocuteur privilégié de l'Office.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a considéré que les grands enjeux de la recherche requièrent un certain consensus malgré des divergences naturelles entre les groupes politiques. Il a déploré que le calendrier parlementaire ne laisse pas beaucoup de place au nécessaire débat sur les orientations de cette recherche, débat que l'Office pourrait, sans se substituer aux commissions compétentes, organiser, éventuellement en s'ouvrant à tous les parlementaires intéressés.

Il a ensuite jugé que la recherche française n'était pas mauvaise et que des grands progrès avaient été accomplis en vingt ans, la compétition mondiale étant devenue cependant intense.

Il a jugé que le problème crucial de notre pays résidait dans la faible mobilité des chercheurs vers l'enseignement, alors que des études internationales établissent que la rentabilité maximale de la recherche est atteinte dans les pays à recherche universitaire prédominante.

Il a alors rappelé que sa démarche avait d'abord consisté à augmenter les postes dans les institutions de recherche, 5 000 en 1997 et en 1998 et, ensuite, à demander à celles-ci de faire des propositions en matière de mobilité des chercheurs vers les universités et les entreprises. Il a aussi noté qu'il avait souhaité que plus de responsabilités soient données aux jeunes chercheurs dans les laboratoires.

Il a estimé que le problème de base était constitué par les chercheurs " à vie ", des organismes ayant cependant commencé à réagir. Il a donné en exemple l'Institut national de recherche agronomique (INRA), dont 50% des équipes sont associées et la politique de transfert vers l'industrie agro-alimentaire ancienne. Après avoir noté que le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) avait commencé à entreprendre des réformes internes, il a estimé que les efforts du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en la matière restaient modestes, tandis que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) demeurait trop isolé du monde des médecins et du médicament. Il a aussi mentionné les problèmes du Centre national d'études des télécommunications (CNET), liés à l'autonomie croissante de France Télécom, et le secteur des biotechnologies, où le gouvernement précédent avait réalisé de bonnes choses.

Après avoir souligné que les orientations stratégiques de l'État étaient notamment mises en oeuvre à travers le fonds national de la science et celui de la recherche et de la technologie, M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a rappelé que l'ensemble du gouvernement avait déjà débattu par deux fois de la politique de la recherche et qu'un nouveau conseil interministériel se tiendrait en janvier prochain. Il a rappelé qu'il avait constitué un Conseil national de la science comprenant un tiers d'industriels et 40% de personnalités européennes. Il a noté qu'avaient été mis en place des conseils de coordination entre organismes de recherche, celui sur les sciences du vivant ayant déjà remis son rapport.

Il a déclaré ne pas vouloir intervenir dans la direction des organismes de recherche, tout en souhaitant que leur politique soit transparente, ce souhait l'ayant conduit à rendre publique la lettre de cadrage qui leur a été adressée.

Évoquant deux problèmes d'actualité, M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a regretté que le CNRS n'ait guère évolué depuis trente ans. Il a souhaité que cesse la dyarchie entre le président et le directeur général de cet organisme et que son conseil scientifique accueille des industriels et des personnalités issus d'autres pays européens. Il a également préconisé que l'évaluation, au sein de cet organisme, se fasse plutôt au niveau des équipes qu'à celui des gros laboratoires, ce qui permettrait de donner des responsabilités aux jeunes chercheurs.

À propos du statut des chercheurs, le ministre a envisagé que leur soit imposée une obligation de mobilité dans l'industrie ou à l'université, pour pouvoir être nommé directeur de recherche. Après avoir déclaré qu'il n'était pas dans ses intentions de modifier le Comité national de la recherche, il a souhaité une souplesse accrue des statuts des chercheurs, dont le contenu devrait relever plus du règlement intérieur que du décret. Il a enfin préconisé que des logiciels de gestion communs soient adoptés par les organismes pour diminuer les coûts.

Évoquant la politique spatiale, M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a tout d'abord rappelé que la France avait un rôle moteur dans ce domaine. Puis il a passé en revue un certain nombre de problèmes :

- le niveau trop élevé des coûts ;

- l'orientation de la politique du Centre national d'études spatiales (CNES) et de l'Agence spatiale européenne (ESA), de plus en plus déterminée par la technologie et l'industrie, plutôt que par les besoins scientifiques ;

- la politique des vols habités et la station spatiale, qu'il juge sans grand intérêt pour la science, tout en arrimant trop étroitement l'Europe aux États-Unis ; il a néanmoins assuré que la France respecterait les engagements antérieurement pris concernant les programmes de vols habités déjà décidés.

Il a jugé nécessaire une réorientation de la politique spatiale de la France donnant la priorité à l'observation de la Terre, aux télécommunications et à la navigation, dans la perspective notamment de disposer d'un système de GPS (Global Positioning System) indépendant. Il a également évoqué le programme d'observation des océans avec les États-Unis, et le projet d'envoyer des robots sur Mars pour prélever des échantillons de sol.

Tout en reconnaissant les grandes qualités de la fusée Ariane 5, le ministre a reconnu qu'elle était trop puissante pour le lancement de satellites en orbite basse, dont le besoin se fait sentir très fortement. Il a évoqué une proposition de coopération formulée par l'Italie. Estimant que les gros satellites touchaient probablement sur leur fin, il a indiqué que la décision de réaliser Spot 5 n'avait été prise qu'après hésitation et que le CNES avait été incité à s'engager sur la voie des petits satellites.

À propos du coût des tirs d'Ariane 5, le ministre a souhaité que le prix de revient soit ramené de 800 millions de francs à 400 millions de francs, sous peine de perdre toute compétitivité dans ce domaine. Il a ainsi noté que M. Daniel Goldin, administrateur de la NASA, avait réussi à diviser les prix de revient par quatre, un tel résultat paraissant difficile à atteindre en Europe, où les industriels européens bénéficient d'un marché captif.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a ensuite évoqué la préparation d'un projet de loi sur l'innovation qui s'inscrit dans le prolongement des travaux préparatoires engagés par le précédent secrétaire d'État à la recherche, M. François d'Aubert. Le ministre a indiqué que ce projet avait pour but de donner plus de liberté aux chercheurs pour créer des entreprises, faire partie de conseils d'administration ou avoir un rôle de conseil. Il a reconnu que, dans cette perspective, le mécanisme des stock options pouvait permettre d'alléger le poids de la masse salariale dans les entreprises nouvellement créées. Le ministre a exprimé l'intention de présenter le projet de loi en premier lieu au Sénat, et a souhaité une adoption définitive la plus rapide possible compte tenu de l'urgence de la situation.

Évoquant le lancement d'un concours pour la création d'entreprises innovantes, le ministre a donné des précisions sur les possibilités d'allouer des aides à la préparation juridique des dossiers de création d'entreprises et a préconisé la mise en place de " structures d'incubation ". Il a insisté sur la nécessaire transparence des procédures d'aide, précisant que l'octroi d'une aide de l'État devrait être lié à un effort financier réel des bénéficiaires.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président, s'est interrogé sur le lieu de débat et d'interface le plus adéquat entre chercheurs et politiques. Il a préconisé des formules souples associant toutes les personnes intéressées et formulé des recommandations allant dans le sens :

- d'une plus grande marge d'initiative des jeunes chercheurs ;

- d'un élargissement au niveau européen des procédures d'évaluation ;

- des transferts de technologie ;

- d'un développement du capital-risque, domaine dans lequel il a regretté que les collectivités locales ne puissent pas, sauf exception, intervenir.

En réponse, M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a indiqué que des mesures facilitant les initiatives des collectivités locales seraient incluses dans le projet de loi sur les interventions économiques. Il a annoncé que 200 millions de francs seraient consacrés aux fonds d'amorçage et aux incubateurs d'entreprises.

Après que M. Claude Gatignol, député, eut appelé à la prudence concernant la participation des collectivités locales aux fonds de capital-risque, M. Charles Descours, sénateur, a insisté sur la nécessité de favoriser la prise de risque en France.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a répondu qu'il avait sollicité le CNRS dans ce sens et que l'INSERM avait fait quelques efforts. Après avoir constaté que cette matière ne relevait pas du domaine de la loi, il a affirmé que le principal obstacle n'était pas d'ordre financier mais tenait au fait qu'il existait, chez les personnes désirant se lancer dans la création d'une entreprise, un doute sérieux de réussite, compte tenu du nombre extraordinaire de procédures administratives nécessaires. Il a alors proposé que soit réuni un petit groupe de travail sur cette question.

M. René Trégouët, sénateur, a souligné que la France était le seul pays où on était chercheur à vie alors que, dans les autres pays, on l'était pendant huit ou dix ans au maximum. Il a considéré qu'un changement était tout à fait souhaitable, pour des raisons d'efficacité. Après avoir noté que beaucoup de chercheurs allaient quitter le CNRS dans un avenir proche, compte tenu du profil irrégulier de la pyramide démographique, il a recommandé que les doctorants puissent rester trois ou quatre ans dans la recherche avant de partir en entreprise. Il a enfin évoqué les problèmes posés par l'exigence du " juste retour " dans le domaine de la coopération en matière spatiale.

Dans sa réponse, M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a considéré que le principe du " juste retour " pourrait s'appliquer de façon globale et non pas projet par projet, comme actuellement. Il a reconnu que la mobilité des chercheurs était à la fois indispensable mais mal vécue, en citant les chiffres de 1998 : 10 cas de mobilité pour 11 000 chercheurs. Il a assuré qu'il n'y avait, de sa part, nulle défiance envers les chercheurs mais qu'il fallait songer à la transmission des savoir-faire avant que ces personnels partent à la retraite. Il a noté que des résistances semblables existaient au Japon et en Italie et que les États-Unis n'étaient pas exempts de difficultés de ce point de vue.

En réponse à une observation de M. Claude Gatignol, député, sur les initiatives régionales dans le domaine des aides à la recherche, le ministre a exprimé des réserves tenant au fait que les régions ne disposaient pas des instruments d'évaluation adéquats. Il a exprimé sa préférence pour une intervention des régions dans le domaine des incubateurs et des structures de transfert, car elles disposent d'une bonne connaissance du terrain.

M. Charles Descours, sénateur, s'est réjoui du prochain dépôt d'un projet de loi sur l'innovation qui permette aux chercheurs de pouvoir s'engager dans le monde de l'entreprise tout en gardant leur statut.

M. Henri Revol, sénateur, président, a interrogé le ministre sur la participation de la France au Centre européen de recherche nucléaire (CERN) et notamment au projet LHC (grand collisionneur de hadrons) en s'inquiétant de l'évolution de l'attitude de l'Allemagne à ce propos, ce pays paraissant souhaiter concentrer la recherche sur les particules à Hambourg.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a reconnu que des décisions importantes devraient être prises au sujet de la physique des hautes énergies, sachant que la Grande-Bretagne avait fait annoncer qu'elle quitterait le CERN à la fin de l'opération LHC. Il a estimé que l'Allemagne aurait des difficultés à financer son propre programme de recherche " Daisy " tout en maintenant sa participation.

Il a estimé qu'après le LHC, il faudrait certainement passer au stade d'une organisation mondiale pour la physique des hautes énergies compte tenu des coûts. Il a cependant estimé qu'il n'y avait pas à court terme de problème majeur pour le CERN, dont un Français vient d'être nommé directeur scientifique.

Répondant à une question de M. Henri Revol, sénateur, président, le ministre a évoqué le soutien apporté par la France au projet de réacteur nucléaire du Professeur Carlo Rubbia, en notant que le système envisagé paraissait être plus compliqué que prévu. Il a indiqué qu'il avait incité le CEA à étudier un réacteur qui détruirait les déchets à vie longue. Il a enfin confirmé que, pour le Gouvernement, l'énergie nucléaire resterait la première source d'énergie en France, mais qu'il ne fallait pas établir de lien avec le problème de l'aval du cycle du combustible.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président, a insisté sur la nécessité d'adjoindre une direction de la radioprotection à l'autorité indépendante chargée de veiller à la sûreté nucléaire.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a précisé que, selon les décisions du récent Comité interministériel, la recherche sur la sûreté nucléaire resterait en propre l'un des métiers du CEA, tout en étant ouverte aux experts de l'autorité indépendante. Il a ensuite confirmé que la plus grande source d'irradiation se trouvait dans les appareils à rayons X des hôpitaux, la conséquence étant que le ministère de la santé ne devait donc pas avoir un pouvoir de surveillance du CEA en la matière. Il a évoqué l'exemple de la Belgique où sont organisées beaucoup de conférences publiques sur ce thème, ainsi que des distributions de matériel de contrôle.

Au terme de la discussion, M. Henri Revol, sénateur, président, a chaleureusement remercié le ministre et a souhaité que de telles rencontres puissent, à l'avenir, se renouveler une à deux fois l'an.