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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)

Mardi 27 juin 2000

- Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président.

Présentation du sixième rapport d'évaluation de la commission nationale d'évaluation relatif aux travaux de reconnaissance pour l'étude des possibilités de stockage souterrain

M. Bernard Tissot, président de la commission nationale d'évaluation, a tout d'abord rappelé, qu'après le moratoire de 1990, la commission nationale d'évaluation (CNE) issue de la loi de 1991, dite " loi Bataille ", avait été mise en place en 1994 afin d'étudier les possibilités offertes pour gérer les déchets radioactifs, ces travaux devant aboutir pour 2006. Il a noté que, depuis 1994, des avancées avaient été enregistrées, mais que certains points continuaient à poser des problèmes.

A propos de la première orientation de la loi, dite " axe 1 ", visant à réduire la radiotoxicité des déchets nucléaires par séparation des radionucléïdes à vie longue les plus nocifs, l'échéance de 2006 peut être considérée avec optimisme. En effet, le bilan des nouvelles séparations chimiques est très fourni et les procédés mis au point par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sont prometteurs. A l'opposé pour la transmutation, un problème de calendrier apparaît. En effet, la transmutation opérée à partir de réacteurs hybrides est un projet de recherche fondamentale à longue durée et, si l'on peut estimer qu'un réacteur expérimental sera mis au point d'ici 2010 ou 2020, un réacteur industriel ne devrait pas pouvoir être réalisé avant les années 2030 voire 2050. Il sera ainsi nécessaire d'entreposer les substances séparées qui attendront pour être transmutées. La filière séparation-transmutation reposant sur des procédés complexes et coûteux ne s'adressera qu'aux déchets de haute activité et à vie longue les plus nocifs (déchets C). Quant aux déchets de moyenne activité à vie longue (déchets B), ils représenteront environ 100 000 m3 en 2020 et ne pourront donc pas bénéficier de la séparation-transmutation limitée à quelques milliers de mètres cubes ; ils devront donc être stockés.

A propos de la seconde orientation de la loi, dite " axe 2 ", M. Bernard Tissot a indiqué que la commission d'évaluation avait déjà relevé que le délai imparti à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) - pour étudier en laboratoire souterrain les possibilités de stockage dans des formations géologiques des déchets pour lesquels aucun traitement ultérieur n'est prévu - était trop tendu. En particulier, si on le comparait aux expériences similaires menées dans d'autres pays, qui ont souvent nécessité une quinzaine d'années. Il a aussi noté que les connaissances acquises par l'ANDRA en tant que participant ou responsable d'expériences menées dans l'argile à l'étranger (au Montterri en Suisse, notamment) pouvaient être très utiles au moment du lancement du creusement du site de Bure. Il a insisté sur l'importance du lien entre le produit à stocker et le lieu du stockage, qui nécessite le recours à plusieurs disciplines scientifiques, parmi lesquelles la modélisation numérique qui a pris du retard et devrait faire l'objet d'un effort accru.

Si le rythme des travaux de l'ANDRA était maintenu pour le stockage en milieu argileux, il devrait permettre de respecter l'échéance de 2006. En revanche, pour ce qui concerne le site granitique, le retard pris par les travaux laisse peu d'espoir de présenter en 2006 des conclusions scientifiques étayées sur des recherches effectuées en laboratoire souterrain sur le territoire national. L'ANDRA risque donc d'être conduite à présenter un dossier reposant essentiellement sur les travaux génériques auxquels elle a participé dans des laboratoires étrangers, dont l'environnement géologique est différent.

A propos de la troisième orientation, dite " axe 3 "de la loi, concernant l'entreposage et la mise en conteneurs des déchets, l'évaluation globale de cet axe nécessite des clarifications quant aux interactions entre les différents partenaires de la loi de 1991, et à la finalité et à la durée de l'entreposage à long terme. S'agit-il de cinquante ou de soixante-dix ans ? de trois cents ans ? Or, durant toute la période d'entreposage, tout repose sur les conteneurs et actuellement, la France n'en dispose pas contrairement, par exemple, au Canada. Lors des premières présentations de conteneurs à la commission nationale d'évaluation, effectuées au mois de mai 2000, si le conteneur destiné au combustible usé paraissait de conception raisonnable, celui prévu pour les déchets nucléaires de moyenne activité recueillait une opinion contraire et devait faire l'objet d'une nouvelle réflexion.

M. Bernard Tissot a ensuite évoqué cinq problèmes.

Le premier relève de la radiobiologie (action des rayonnements sur les travailleurs concernés, sur les populations présentes et futures et sur la biosphère). La commission nationale d'évaluation a déploré le manque de moyens consacrés à l'étude des phénomènes de radiobiologie, alors même que, dans un rapport récent de l'Académie des Sciences consacré à la radiochimie, le professeur Maurice Tubiana a rappelé l'insuffisance des connaissances en la matière. Cette incertitude étant d'ailleurs augmentée par le fait que les cohortes de personnes fortement irradiées (celles d'Hiroshima et de Nagasaki), connaissent certes une mortalité plus élevée que la moyenne, mais ceci, en raison de problèmes cardiovasculaires, et non de pathologies cancéreuses.

Le deuxième problème porte sur les conteneurs renfermant des déchets de haute activité qui vont être entreposés pour des durées plus ou moins longues, pendant lesquelles la protection des travailleurs ou des populations devra être garantie par ces seuls conteneurs. Pour l'instant, la France ne dispose pas d'un conteneur garantissant le confinement pendant plusieurs milliers d'années et de nature à convaincre la population.

Le troisième problème est relatif aux solutions présentées à la commission nationale d'évaluation pour la gestion des déchets radioactifs issus des combustibles Mox irradiés conduisant à un entreposage de très longue durée, se distinguant par sa très grande charge thermique.

Le quatrième problème concerne les types de déchets extérieurs aux combustibles du parc EDF actuel (déchet tritiés, graphite, propulsion, etc.). Si des concepts de traitement et de stockage ont été étudiés, aucune réalisation n'a débuté.

Le dernier problème est relatif au conditionnement et au traitement de l'iode 129. Il serait souhaitable que les industriels se préparent, dès aujourd'hui, à de telles perspectives.

Enfin, M. Bernard Tissot a souligné que les choix d'entreposage et de stockage revenaient à s'interroger sur la pérennité des sociétés humaines, de leurs systèmes techniques et de leurs institutions, en particulier de surveillance de tels entreposages. En effet, à chaque décision de créer ou de prolonger un entreposage pour une durée raisonnable, la société fait le pari que ses institutions seront stables et fiables, et qu'elle disposera encore des technologies indispensables sur cette même durée. A l'inverse, si la géologie est considérée comme plus sûre que les institutions humaines, le stockage devrait être privilégié.

M. Christian Bataille, député, a remercié la commission nationale d'évaluation pour la présentation du rapport d'étape. Il s'est interrogé sur les chances d'une solution permettant l'élimination complète des déchets à haute activité, et qui inciterait à abandonner les autres recherches.

M. Bernard Tissot a estimé que les divers axes de la loi (transmutation, stockage, entreposage) ne devaient pas être mis en compétition, mais considérés comme complémentaires. Il a rappelé, par exemple, que les déchets B (qui représenteront plus de 100 000 m3 en 2020), constituaient une quantité excessive pour être transmutée, la complexité et le coût de l'opération devant être aussi pris en compte.

M. Jean-Paul Schapira, membre de la commission d'évaluation, a également insisté sur la complémentarité des trois axes de la loi et sur l'existence de déchets dérivés comme les graphites, le carbone 14 et l'iode, qui devraient également être traités.

M. Christian Bataille s'est alors interrogé sur les conséquences en matière de gestion des déchets de l'abandon de la filière des réacteurs à neutrons rapides (" axe 1 " de la loi).

M. Jean-Paul Schapira a répondu que si la transmutation obtenue au moyen de réacteurs à neutrons rapides était prometteuse sous réserve de leur mise en oeuvre, on devrait, dans l'immédiat, compter avec les réacteurs à eau pressurisée, même si leurs performances sont moins importantes.

M. Yves Cochet, député, a souhaité connaître le nombre de réacteurs à neutrons rapides de la taille de Superphénix qu'il aurait été nécessaire de posséder pour assurer la transmutation. Il s'est également interrogé sur la quantité de conteneurs de bonne qualité détenue par les pays étrangers, ainsi que sur les coûts de ces conteneurs.

Le président Bernard Tissot a répondu que les Suédois possédaient des conteneurs en cuivre d'une durée de vie de dix mille ans et que le coût de ces conteneurs n'était peut-être pas si élevé dans la mesure où ils n'étaient indispensables que pour les déchets de haute activité ; en revanche, il serait irréaliste d'y recourir pour des quantités approchant les cent mille mètres cubes de déchets  B en l'état actuel des techniques. Il a rappelé, une nouvelle fois, que, pendant l'entreposage comme pendant le stockage réversible, la sécurité reposait totalement sur la qualité des conteneurs. Il a également noté le coût élevé du conteneur canadien en titane.

M. Ghislain de Marcily, membre de la commission d'évaluation, a attiré l'attention des membres de l'office sur le lien entre le choix du conteneur et le lieu de stockage. Ainsi, les conteneurs suédois en cuivre, bien adaptés au stockage dans le granit, seraient en revanche inadaptés dans un sol contenant du sulfate. Quant aux techniques employées, il a relevé que les containers suédois étaient fabriqués en France.

Mme Michèle Rivasi s'est réjouie de constater que les conclusions de son rapport sur la gestion des déchets nucléaires étaient confirmées par nombre d'observations de la commission nationale d'évaluation. Elle a rappelé la difficulté née du manque de coordination entre le stockage, l'entreposage et la transmutation. Elle a insisté sur le caractère complémentaire des diverses voies à suivre, sur la nécessité d'approfondir la recherche et sur le fait que l'entreposage constituerait parfois une obligation, par exemple pour le Mox. Elle a également insisté sur l'urgence de rechercher des sites d'entreposage, sur celle de disposer de modèles de conteneurs à présenter et sur la nécessité de ne pas stocker des déchets C. Elle s'est enfin interrogée sur le coût de ces différentes voies, sur la perception de celles-ci par l'opinion publique et sur la convention OSPAR. Elle a souhaité connaître l'état de la recherche sur la réduction des effluents radioactifs des sites nucléaires et savoir si l'objectif fixé pour 2020, à savoir des rejets approchant de zéro, serait atteint.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, s'est inquiété d'une relative hypocrisie dans la réaffirmation des trois axes de la loi. Puisque la perspective de la transmutation n'est qu'esquissée, en raison de l'absence de réacteurs à neutrons rapides, que le stockage n'est pas acquis, le choix de laboratoires souterrains étant bloqué du fait des réactions de l'opinion publique et que l'entreposage apparaît actuellement comme la solution de fait retenue. Il s'est interrogé sur le problème des coûts, sur le transfert des responsabilités aux générations futures et sur l'échéance de 2006, dont le réalisme pourrait être sujet à caution.

Le président Bernard Tissot a rappelé que les déchets à vie longue et à moyenne activité n'étaient pas retraitables, qu'un avant-projet de solution de stockage géologique était probable pour 2006 et qu'il serait peut-être possible de retraiter un jour 100 000 m3 de déchets à moyenne activité, mais certainement pas dans l'immédiat, plutôt vers 2050.

Le président Henri Revol a souhaité connaître les résultats qu'il serait réellement possible d'atteindre en 2006.

Le président Bernard Tissot a de nouveau insisté sur la possibilité, concernant l'" axe 1 " d'aboutir à la séparation mais non à la transmutation si ce n'est avant un délai relativement long. Quant à l'" axe 2 ", il a rappelé qu'une perspective s'offrait pour le stockage des déchets de moyenne activité mais non pour ceux de haute activité et a relevé que pour l'entreposage (axe 3), une obligation de résultat pourrait être formulée en 2006.

M. Christian Bataille, député, a noté que la loi parlait de laboratoires au pluriel, mais n'imposait pas la nature du site géologique de ceux-ci, et ne créait donc aucune obligation de les fixer dans le granite. Il a estimé que les recherches de sites devaient être poursuivies, d'autant que plusieurs laboratoires étaient nécessaires. Il s'est demandé si, la possibilité d'implantation des laboratoires dans des gisements de sel ou dans d'autres qualités d'argiles avaient été envisagées. Il a rappelé que, pour le stockage en profondeur, il fallait aussi posséder un conteneur de qualité et a déploré le caractère insuffisant des recherches sur les conteneurs, que ceux-ci soient stockés ou en surface ou en profondeur.

Le président Bernard Tissot a une nouvelle fois insisté sur l'importance de la qualité du conteneur. Il a rappelé qu'avec des conteneurs de qualité, il était possible de stocker aussi bien en sol sec, comme au Canada, qu'en milieu humide, comme en Suède. Quant aux autres types de roches, il a écarté le sel, dans la mesure où celui-ci était utilisable pour l'alimentation ou pour l'industrie.