Travaux de la délégation aux droits des femmes
- DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mardi 18 janvier 2005
- Présidence de Mme Janine Rozier, vice-présidente.
Violences envers les femmes - Audition de M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces, et de Mme Marielle Thuau, chef du bureau de l'aide aux victimes et de la politique associative du service de l'accès au droit et à la justice et de la politique de la ville
La délégation a procédé à l'audition de M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces, et de Mme Marielle Thuau, chef du bureau de l'aide aux victimes et de la politique associative du service de l'accès au droit et à la justice et de la politique de la ville au ministère de la justice.
Mme Janine Rozier, présidente, a souhaité la bienvenue aux intervenants et évoqué les travaux accomplis par la délégation et par sa présidente, Mme Gisèle Gautier.
M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces, a indiqué que sa direction apportait un regard judiciaire sur la question de la lutte contre les violences au sein du couple qui s'est imposée comme une priorité interministérielle à laquelle le ministère de la justice participait amplement.
Il a noté que les violences au sein du couple donnaient lieu à un contentieux de masse. Certes, le casier judiciaire national ne comporte pas d'indications sexuées sur les violences, mais le ministère de la justice dispose de statistiques selon lesquelles, en 2003, 6.961 condamnations pénales pour infraction volontaire sur le conjoint avaient été prononcées, soit environ 20 % des condamnations pour violences prononcées par les juridictions correctionnelles. Il a précisé que ce chiffre avait augmenté après une baisse constante au cours des dernières années : 7.284 condamnations pénales en 2000, 6.700 en 2001 et 4.700 en 2002.
M. Jean-Marie Huet a ensuite essayé d'expliquer cette évolution des statistiques, notamment par le fait qu'en 2003 les victimes de violences au sein des couples ont pu déclarer, plus facilement, les agressions. Il a cependant reconnu que le dépôt de plainte par une femme victime de violence conjugale demeurait difficile en raison de ses éventuelles conséquences familiales et sociales, mais aussi de la qualité de l'accueil qui lui est réservé par les services de police ou les services judiciaires, et que, dès lors, un certain nombre de faits pourraient échapper à la police et à la justice.
Il a insisté sur la priorité du ministère de la justice consistant à réduire au maximum les cas dans lesquels les victimes ne sont pas suffisamment écoutées et comprises. A ce titre, il a rappelé que, lors de la réunion du Conseil national de l'aide aux victimes du 21 octobre 2003, présidée par le ministre de la justice, il avait été décidé de créer un groupe de travail pluridisciplinaire sur les violences au sein du couple auquel avait participé le ministère de la justice. Il a noté que ce groupe de travail avait abouti à l'élaboration d'un guide de l'action publique intitulé « La lutte contre les violences au sein du couple », diffusé à partir de septembre 2004 dans l'ensemble du réseau judiciaire. Il a précisé que ce guide comportait, notamment, un ensemble de recommandations pour les enquêteurs, par exemple en ce qui concerne la trame des auditions ou les examens médicaux légaux. De même, ce guide préconise certaines mesures susceptibles d'être prises par le parquet pour éviter à tout prix un classement sans suite : l'ensemble des possibilités à la disposition du procureur de la République est ainsi décliné. En effet, l'appréciation par le ministère public, dans ce type d'affaires, de l'opportunité des poursuites est très délicate, en raison notamment de fréquents retraits de plaintes. Aussi bien, a-t-il précisé, des efforts de formation au niveau de l'accueil des plaintes ont-ils été entrepris.
M. Jean-Marie Huet a estimé que le contexte actuel d'accélération de la procédure pénale rendait nécessaire une très bonne connaissance des conditions d'existence des femmes qui viennent porter plainte, afin de prendre la décision optimale. Il a ainsi indiqué que, dans certains parquets, des magistrats référents, spécialisés dans l'approche de ces problèmes, avaient été nommés. De même, les procureurs nouent des liens avec le milieu associatif de manière à établir un maillage permettant qu'aucun de ces faits n'échappe à la justice. Il a également insisté sur la nécessité de limiter le recours à la « main courante » d'un service de police ou de gendarmerie et de prendre des décisions plus avancées. Enfin, dans l'hypothèse où le juge aurait le choix entre des mesures adaptées, le parquet dispose d'un large choix de mesures alternatives. Toutefois, lorsqu'un conjoint violent a été éloigné du domicile conjugal, il faut disposer de solutions en urgence (foyers...).
M. Jean-Marie Huet a considéré qu'une meilleure prise de conscience du phénomène et une implication plus grande de la police et de la justice dans son traitement pouvaient expliquer la meilleure faculté de révélation des violences au sein du couple que traduisent les statistiques les plus récentes.
Il a néanmoins souligné qu'un renforcement de la législation restait envisageable, en particulier sur deux points : d'une part, renforcer dans le code pénal les circonstances aggravantes pour le conjoint auteur de violences dans son couple ainsi que pour les anciens conjoints ou concubins ; d'autre part, en matière de contrôle judiciaire, la possibilité, pour un juge, de décider l'incarcération d'un conjoint violent qui reviendrait au domicile conjugal en dépit de l'interdiction qui lui a été notifiée.
Mme Janine Rozier, présidente, a indiqué que de nombreuses femmes victimes de violences de la part de leur conjoint exposaient leurs difficultés au maire de leur commune, qui se trouve alors souvent démuni pour leur proposer une solution. Elle s'est réjouie de la plus grande sensibilisation de la police et de la gendarmerie à ce problème de société tant il est vrai que, dans un passé récent, elles avaient pu sembler, dans certains cas, sourdes aux plaintes déposées par des femmes battues.
M. Jean-Marie Huet a reconnu que les élus locaux confrontés au drame d'une femme battue se trouvaient dans une situation délicate. Il a indiqué que le ministère de la justice avait noué des relations avec l'Association des maires de France de manière à se mettre d'accord sur les conditions d'échange entre les procureurs et les élus locaux. De ce point de vue, il a estimé qu'il s'agissait d'une évolution récente, mais sensible, même s'il existe encore des marges de progression. Il a également évoqué la mise en place d'agents référents dans les commissariats de police et les gendarmeries pour traiter ce problème. Il a insisté sur la rapidité de la réponse judiciaire apportée qui ne doit cependant pas être unique.
M. Alain Gournac a voulu obtenir des précisions sur la possibilité pour le juge de poursuivre la procédure alors qu'une femme avait retiré sa plainte.
M. Jean-Maire Huet a expliqué qu'en effet, il n'y avait pas d'automaticité entre le retrait de la plainte et l'arrêt de la procédure, car il existe des cas dans lesquels une femme redépose une plainte après l'avoir retirée. Il a indiqué que l'hésitation que traduisait ce nouveau dépôt de plainte constituait, pour l'enquêteur ou le parquet, l'existence d'un problème qu'il convenait d'explorer.
M. Alain Gournac a relevé que certains retraits de plainte par des femmes étaient la conséquence d'intimidations de la part du conjoint. Il a également insisté sur le manque de sérieux avec lequel, parfois, la police ou la gendarmerie accueille une femme venant porter plainte pour violences conjugales. Il a estimé que la réponse apportée par la justice aux violences conjugales devait être plus efficace et constituer un soutien aux élus locaux souvent démunis devant ce problème.
M. Jean-Marie Huet a rappelé que le procureur de la République réunissait régulièrement les services de police et de gendarmerie de manière à traiter les problèmes de violences conjugales, au besoin au cas par cas. Il a considéré que, depuis quelques années, la prise de conscience du phénomène s'était améliorée et a insisté sur la bonne adéquation des condamnations prononcées. A cet égard, il a souligné que l'exécution de la peine devait être diligentée dans de bonnes conditions.
M. Yannick Bodin a déclaré avoir constaté une réelle évolution des mentalités depuis quelques années. Il a néanmoins estimé que certains aspects restaient à approfondir, précisant que ces réponses relevaient parfois plus de la pratique que de la loi. Ainsi, il a considéré qu'un retrait de plainte devait constituer un signe de suspicion d'acte de violence au sein du couple et que ce retrait ne devait pas se traduire systématiquement par l'abandon des poursuites. Il a également estimé que la médiation n'était pas adaptée en cas d'agression : en effet, la violence conjugale relève moins d'un mode de résolution des conflits applicable à une « scène de ménage » que de la sanction d'une véritable agression subie par une victime. Enfin, il s'est demandé s'il ne convenait pas d'éloigner rapidement l'agresseur du domicile conjugal dès lors que les faits de violences étaient établis, un mari violent sur la défensive pouvant être encore plus brutal.
Mme Christiane Kammermann a voulu savoir si le guide pratique établi par la direction des affaires criminelles et des grâces évoquait le cas des Françaises de l'étranger, qui sont confrontées également à la violence conjugale et qui disposent de moins de recours encore qu'en France, d'autant plus que ce sont souvent des bi-nationales.
M. Jean-Marie Huet a reconnu que ce guide ne comportait pas de références aux Françaises de l'étranger, car il se place dans le cadre de la politique pénale française, la France ne maîtrisant évidemment pas les réponses judiciaires qui peuvent être apportées par les pays étrangers. Il a néanmoins rappelé que les faits de violences commis à l'étranger par ou sur des ressortissants français pouvaient être signalés et, dans certains cas, poursuivis en France. Il a cependant considéré que ce sujet méritait une analyse spécifique.
Mme Marielle Thuau, chef du bureau de l'aide aux victimes et de la politique associative du service de l'accès au droit et à la justice et de la politique de la ville, a ensuite dressé un tableau des actions conduites par les associations et encouragées par le ministère de la justice pour apporter un soutien aux victimes. Elle a indiqué que le même groupe de travail issu de la réunion du Conseil national d'aide aux victimes s'était efforcé d'analyser, selon une logique d'ensemble, les activités du réseau associatif.
Rappelant que six « mains courantes » ou dépôts de plaintes sont statistiquement nécessaires avant que la septième ne permette d'enclencher une procédure, elle a indiqué qu'une réponse purement judiciaire ne suffisait pas à dissuader les violences au sein des couples. Elle a précisé qu'un guide, en cours de finalisation, dresserait, notamment à l'usage des victimes, un tableau des actions de soutien conduites par le réseau associatif. Elle a particulièrement insisté sur la nécessité impérieuse, pour les différents acteurs, de travailler en partenariat et souligné le caractère exemplaire des actions conduites à Nantes en la matière. Elle a fait observer que les femmes ayant vécu un traumatisme dans le cadre d'un rapport de domination n'étaient pas, le plus souvent, en mesure de faire face à la segmentation des interlocuteurs selon une logique de renvoi d'un guichet à un autre.
Mme Marielle Thuau a indiqué que des formations pluridisciplinaires avaient été mises en place et qu'elles s'adressaient à tous les intervenants médicaux, sociaux, policiers et judiciaires pour leur permettre de dresser un panorama complet des différents aspects des violences au sein des couples.
Précisant le contenu prévisionnel du guide, qui sera publié prochainement, elle a noté qu'après une partie générale, seront adjointes une trentaine de fiches exposant de façon pratique les actions conduites par les associations afin que les expériences réussies puissent servir d'exemple sur d'autres parties du territoire national. A titre d'exemple concret, elle a indiqué qu'à Pau avait été mise en place une prise en charge de la victime dès le dépôt de sa plainte avec une permanence effectuée par les associations d'aide aux victimes au sein de chaque commissariat, ce qui permet de ne pas imposer des démarches et des déplacements supplémentaires aux victimes. Elle a précisé que cette mise en contact immédiat avec un travailleur social avait pour objet de les orienter vers un logement d'urgence ou vers une aide pour trouver une assistance juridique, le rôle de l'avocat étant essentiel auprès de personnes trop souvent mal préparées à se défendre elles-mêmes. Elle a ensuite évoqué un autre exemple : à Trappes, le relevé des « mains courantes » est remis à une association qui prend contact avec les victimes pour leur proposer un soutien et les écouter. Abordant un troisième type d'action, elle a insisté sur l'importance des mesures de soutien psychologique auprès des enfants, afin, notamment, de leur permettre de ne pas être contaminés par le cycle de la violence.
Puis Mme Marielle Thuau a indiqué que, dans le cadre d'un programme financé par le Fonds social européen, des actions d'insertion des femmes dans la vie économique seraient mises en place pour permettre à celles qui en ont besoin d'acquérir une autonomie financière.
Elle a ensuite cité deux actions spécifiques. Elle a signalé que l'association « SOS femmes » de Nantes avait envoyé un kit médical dénommé « Oser en parler » à tous les médecins, un certain nombre d'entre eux ne souhaitant pas prendre parti dans un conflit opposant deux membres d'une famille dont ils assurent le suivi médical d'ensemble. Elle a également mentionné les activités de l'association « Accord 67 » qui organise un cycle de formation pluridisciplinaire.
Elle a ensuite évoqué une réflexion spécifique des associations ayant conduit à la mise en place, du côté des agresseurs, de groupes de paroles destinés aux hommes, notamment en liaison avec le parquet de Paris qui peut enjoindre les agresseurs à y participer. Elle a aussi indiqué qu'à Marseille, tout acte de violence porté à la connaissance du parquet déclenchait une enquête sociale sur l'auteur par une association qui prend également contact avec la victime.
Mme Janine Rozier, présidente, a conclu l'ensemble des débats en évoquant les travaux relatifs à la réforme du divorce et en faisant observer que le maintien du divorce pour faute avait le mérite d'inciter à rester attentif à la violence conjugale.