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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mercredi 19 décembre 2001
- Présidence de Mme Gisèle Gautier, vice-présidente.
Audition de Mme Brigitte Grésy, chef du service des droits des femmes et de l'égalité, sur le bilan du programme TRACE (Trajet d'accès à l'emploi)
La délégation a tout d'abord entendu Mme Brigitte Grésy, chef du service des droits des femmes et de l'égalité, sur le bilan du programme TRACE (Trajet d'accès à l'emploi).
En introduction à son exposé sur le contenu et la méthode d'approche du programme TRACE, Mme Brigitte Grésy a rappelé que l'article 5 de la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions avait fixé un objectif « d'égalité d'accès » des jeunes gens et jeunes filles aux actions, d'accompagnement personnalisé et renforcé, mises en oeuvre dans le cadre de ce dispositif et de « mixité des emplois ».
Mme Danièle Pourtaud a précisé que c'est à l'initiative du Sénat qu'avait été introduite cette exigence dans la loi.
Précisant que le nouveau programme de lutte contre les exclusions présenté en juillet 2001 avait porté le flux d'entrée du programme TRACE de 60.000 à 120.000 jeunes par an, Mme Brigitte Grésy a souligné que la proportion des jeunes femmes avait augmenté progressivement, passant de 47 % en 1998 à 48,5 % en 1999 puis à 51,8 % en 2000, les dernières indications connues évaluant à 52,6 % le chiffre pour 2001. Elle a indiqué que le profil comparé des jeunes femmes et des jeunes hommes dans le programme TRACE faisait apparaître six différences majeures :
- même si l'on observe une tendance au rajeunissement des jeunes filles, leur âge reste en moyenne plus élevé d'un ou deux ans par rapport à celui des jeunes hommes ;
- les jeunes filles sont plus souvent de nationalité non-européenne que les jeunes hommes (9 % contre 7 %) ;
- une différence plus significative, a-t-elle estimé, est le meilleur niveau de formation scolaire des jeunes filles à l'entrée du programme TRACE, 8,2 % d'entre elles ayant un niveau IV ou plus (c'est-à-dire le baccalauréat), 41,4 % un diplôme de niveau V -elles sont donc 49,6 % à avoir un niveau V et plus- contre, respectivement, 4,1 %, 32, 8 % et 37, 9 % pour les jeunes hommes. Elle a indiqué qu'un certain nombre de jeunes femmes avaient été refusées dans le programme TRACE en raison d'un niveau de diplôme trop élevé, et évoqué un comportement paradoxal, mais couramment observé chez les jeunes filles, d'acceptation d'une déqualification lors de l'accès à l'emploi ;
- plus souvent en vie maritale que les jeunes hommes (15 % des cas contre 5 %), les jeunes filles sont également plus indépendantes, a noté Mme Brigitte Grésy, puisque un quart d'entre elles, contre un dixième des jeunes hommes, vivent en dehors du domicile parental. Ayant à faire face à des charges de famille et à l'autonomie financière, les jeunes filles voient ainsi atteintes leurs possibilités de choix professionnels ;
- la faible mobilité des jeunes du programme TRACE est encore plus importante chez les jeunes filles, qui sont 64 %, contre 60 % chez les jeunes garçons, à manifester une réticence à se déplacer en dehors de leur canton de résidence ;
- enfin, parmi les 3 % des effectifs de TRACE qui perçoivent l'allocation de parent isolé, les jeunes femmes sont largement majoritaires (9 cas sur 10).
Puis évoquant les sorties du programme TRACE et rappelant que l'objectif initial était celui d'un accès à l'emploi de la moitié des jeunes entrés dans le dispositif, Mme Brigitte Grésy a relevé qu'en dépit d'un niveau de diplôme plus élevé et d'une meilleure adaptation dans le parcours, les jeunes filles étaient moins nombreuses que les jeunes garçons à accéder à la vie professionnelle (48 % contre 60 %). En outre, a-t-elle précisé, les jeunes femmes occupent plus souvent que les jeunes hommes des emplois aidés du secteur non-marchand, ce qui correspond de manière générale à une insertion plus fragile et un statut plus précaire.
Elle a précisé qu'à la sortie du dispositif TRACE, la ventilation des emplois s'établit comme suit : 14,6 % des jeunes femmes signent un contrat emploi-solidarité (7,8 % pour les hommes) ; 2,8 % un contrat d'emploi consolidé (1,6 % pour les hommes) ; 3 % un contrat-initiative-emploi, le CIE étant par nature plus proche de l'emploi marchand (4 % pour les hommes) ; 5,5 % un contrat à durée déterminée à temps partiel (1,1 % pour les hommes) et 18,3 % signent un contrat à durée indéterminée à temps complet (23 % pour les hommes). Les contrats en alternance, qui ont plus que doublé entre 1999 et 2000 (14 % des jeunes, contre 6,4 %), concernent moitié moins les jeunes filles que les garçons.
Mme Gisèle Gautier, présidente, estimant que les mentalités, quant à la représentation des métiers, devaient évoluer, notamment de la part des familles et des employeurs, s'est interrogée sur les moyens à mettre en oeuvre pour que cette transformation devienne effective.
Mme Danièle Pourtaud a dénoncé à ce propos un problème culturel, évoquant le sexisme qui se manifeste jusque dans les cadeaux de Noël destinés aux filles et aux garçons et dans les manuels scolaires. Insistant sur l'importance des stéréotypes professionnels, elle a souligné les responsabilités en la matière de l'école, des parents et des médias, estimant nécessaire, s'agissant de ces derniers, d'améliorer l'image de la femme qu'ils véhiculent.
Mme Gisèle Gautier, présidente, étant intervenue à son tour sur le rôle des médias pour constater la permanence des stéréotypes, mais aussi quelques avancées, Mme Brigitte Grésy a indiqué que de nombreuses mesures incitatives et normatives avaient été prises dans le secteur public pour lutter contre les préjugés professionnels et notamment favoriser l'égalité d'accès aux filières scientifiques, citant en exemple la convention conclue avec le ministère de l'éducation nationale. Elle a cependant souligné les réticences existant en la matière de la part du secteur marchand, qu'il s'agisse de l'édition ou de l'industrie du jouet. Elle a souhaité que l'éducation nationale puisse influencer, en tant que donneur d'ordre, la prise en compte de l'objectif d'égalité des sexes dans les manuels scolaires.
S'agissant des médias, Mme Brigitte Grésy a rappelé qu'un rapport avait été remis à la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle sur l'image des femmes dans la publicité et insisté sur la nécessité de combiner les mesures normatives avec les campagnes de communication pour lutter contre les préjugés professionnels. Elle s'est félicitée des avancées obtenues sur le plan normatif en matière de droits des femmes dans les deux dernières années et a salué le travail des délégations parlementaires aux droits des femmes.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a regretté l'inapplication sur le terrain de la loi Génisson sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Mme Brigitte Grésy a rappelé que la loi Génisson prolongeait la loi du 13 juillet 1983, dite loi Roudy, qui avait introduit un dispositif satisfaisant en matière de non-discrimination professionnelle, mais n'avait prévu aucune sanction. Elle a indiqué qu'après parution des décrets d'application, le dispositif de sanction de la loi Génisson pourrait être effectif à partir de 2002. Elle a fait observer que les partenaires sociaux s'étaient eux-mêmes « emparés du problème de la parité » et que le sujet de l'égalité hommes/femmes qui autrefois prêtait à sourire était devenu « politiquement correct ».
Mme Danièle Pourtaud a jugé par trop optimiste ce diagnostic et insisté sur la nécessité de demander au Gouvernement un bilan sur la mise en oeuvre de la loi Génisson d'ici un ou deux ans. Elle a jugé indispensable de maintenir en permanence la dynamique du débat public qui semble aujourd'hui marquer une pause après les récentes avancées en matière de parité politique.
Mme Brigitte Grésy a fait remarquer, à propos de la refonte de la nomenclature de la loi de finances, que la définition d'une unité de vote, sous forme de mission, regroupant les crédits affectés à la politique en faveur des femmes était déjà contestée, alors qu'une telle mesure permettrait notamment un examen annuel de cette politique et le suivi de ses crédits par des rapporteurs budgétaires spécifiques.
Evoquant les enjeux à venir, Mme Brigitte Grésy a indiqué qu'une circulaire était en cours de rédaction à la délégation interministérielle à l'insertion professionnelle et sociale des jeunes en difficulté (DIIJ) et que le service des droits des femmes et de l'égalité souhaitait qu'elle ait une approche plus spécifique des femmes au travers de trois éléments : un renforcement de la présence des femmes dans TRACE au niveau de leur représentation dans les missions locales (53,27 %), des objectifs quantifiés d'accès à l'emploi à la sortie et la nécessité de favoriser l'insertion vers l'emploi marchand et le moins précaire possible. De plus, doivent être pris en compte la situation spécifique des familles monoparentales, l'accompagnement des jeunes filles enceintes et les problèmes de santé propres aux femmes. Enfin, les aides accordées par l'intermédiaire du fonds d'aide aux jeunes (FAJ) doivent permettre le financement des gardes d'enfants. Elle a aussi souhaité un « chaînage plus fin » entre les missions locales et les centres d'information sur les droits des femmes.
Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur la part de responsabilité des employeurs à l'égard des problèmes d'insertion des jeunes femmes, mais aussi sur les raisons pour lesquelles ces dernières refusent certains emplois, en souhaitant que des analyses soient menées sur le sujet et que des moyens soient mis en oeuvre pour aider les intéressées.
Mme Brigitte Grésy a indiqué qu'on manquait de données précises en la matière -tout en évoquant un lien avec les problèmes de garde d'enfants- et que, faute de telles données, les cas de refus d'emploi étaient assimilés au manque de mobilité.
Mme Gisèle Gautier, présidente, et Mme Odette Terrade se sont, à ce sujet, préoccupées des difficultés matérielles de transport des jeunes femmes.
Mme Brigitte Grésy a ajouté à ce facteur l'existence de « seuils de tolérance possibles » : sans tuteur, sans défense, nombre de jeunes femmes redoutent les environnements professionnels très masculinisés, et certaines d'entre elles préfèrent, pour ce motif, refuser un emploi.
Mme Brigitte Grésy, Mme Gisèle Gautier, présidente, et Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, ont enfin évoqué la nécessaire formation des professionnels de l'insertion aux problèmes spécifiques des femmes.
Réforme du divorce - Audition de Mme Brigitte Grésy, chef du service des droits des femmes et de l'égalité
La délégation a ensuite entendu Mme Brigitte Grésy sur la proposition de loi n° 17 (20001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme du divorce.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé que la disposition principale de la réforme proposée était la suppression du divorce pour faute, qui représente 46 % des cas de divorce, la procédure du consentement mutuel étant utilisée dans 52 % des cas.
Mme Brigitte Grésy a, en préambule, manifesté son accord avec le double objectif de pacification et de simplification de la réforme. Elle a ensuite insisté sur la nécessité de prendre en compte plusieurs éléments.
En premier lieu, elle a jugé nécessaire de ne pas supprimer tout mécanisme de stigmatisation, car « tous les divorces ne sont pas un constat de faillite commune ». Les femmes ont notamment besoin d'une reconnaissance des violences dont elles ont été victimes dans le prononcé du divorce. Mme Brigitte Grésy a, de ce point de vue, estimé satisfaisante la formule retenue par l'Assemblée nationale, qui prévoit dans le texte proposé pour l'article 259-5 du Code civil la « constatation dans le jugement prononçant le divorce » des « faits d'une particulière gravité » ainsi que la possibilité d'une demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du même code.
Mme Brigitte Grésy a cependant regretté que l'Assemblée nationale ait rejeté un amendement prévoyant l'information du procureur de la République par le juge du divorce qui a connaissance de violences physiques ou morales.
En second lieu, elle a jugé indispensables des mesures de protection du conjoint victime et des enfants. A ce titre, elle a approuvé le maintien sans changement de l'article 257 du Code civil qui prévoit, dans le cadre de la procédure du divorce, au titre des mesures d'urgence, que le juge peut autoriser la résidence séparée des époux, ce qui constitue une garantie fondamentale en faveur des femmes victimes de violences.
Evoquant ensuite la nouvelle rédaction proposée pour l'article 220-1 du Code civil, qui permet au juge, sans attendre le dépôt d'une requête en divorce, d'organiser la résidence séparée des époux, Mme Brigitte Grésy a regretté la limitation à trois mois de cette possibilité en insistant sur la nécessité d'accorder aux femmes victimes de violences un délai de réflexion plus long, six mois par exemple, avant de prendre une décision sur l'opportunité du dépôt d'une requête en divorce.
S'agissant du recours à la médiation, qu'elle a qualifié de « central » dans la proposition de loi, Mme Brigitte Grésy a cependant estimé qu'elle n'était pas appropriée dès lors qu'un des époux est sous l'emprise de l'autre. Elle l'a en conséquence jugé impossible dans les cas de violence et déclaré que, dans ce type de situation, il est nécessaire de maintenir le rôle traditionnel du juge qui consiste à « dire les faits, le droit et la sanction ».
Mme Gisèle Gautier, présidente, a fait observer que la violence était à l'origine de nombreuses séparations avant de s'interroger sur les pouvoirs du juge dans le dispositif proposé -pouvoirs qui semblent limités dans certaines hypothèses à une simple constatation.
Mme Brigitte Grésy a confirmé que la violence était très présente dans les divorces -même si elle ne se voit pas forcément- et souhaité que les juges soient mieux formés et sensibilisés à cette problématique.
Considérant l'accélération des procédures de divorce envisagée par le texte de l'Assemblée nationale, qui peut se traduire par la dissolution en douze mois du mariage, même si l'un des époux n'y a pas consenti, Mme Brigitte Grésy, tout en reconnaissant l'intérêt de ne pas voir les procédures trop s'éterniser, a déploré qu'on aille sans doute trop vite ; elle a noté que la pacification des conflits nécessitait souvent une certaine lenteur et craint qu'une trop grande célérité ne provoque une recrudescence des contentieux après le divorce.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a souligné le risque d'une focalisation des procédures sur les enfants, et évoqué l'effet pacificateur de la durée qui peut également permettre la réconciliation des époux.
Partageant l'essentiel des préoccupations manifestées par Mme Brigitte Grésy, Mme Danièle Pourtaud s'est néanmoins prononcée en faveur d'un règlement rapide des procédures de divorce, en estimant qu'on pouvait renverser les arguments.