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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mercredi 26 juin 2002

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Egalité salariale entre les hommes et les femmes - Audition de Mme Marie-France Boutroue, représentante de la Confédération générale du travail (CGT), membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, auteur d'une réflexion sur « la réduction des écarts de rémunération »



La délégation a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Marie-France Boutroue, représentante de la Confédération générale du travail (CGT), membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, auteur d'une réflexion sur « la réduction des écarts de rémunération ».

Mme Gisèle Gautier, présidente, a noté en préambule que les femmes étaient, de manière générale, plus diplômées que les hommes, mais moins bien rémunérées sur le marché du travail, inégalité qui s'explique par un ensemble de paramètres, notamment culturels, et qui doit continuer à être combattue en dépit de la légère progression de l'égalité des salaires qui semble être enregistrée.

Mme Marie-France Boutroue a indiqué qu'un bilan précis des avancées en matière d'égalité salariale manquait et relevé les difficultés d'application de la loi Roudy de 1983, en faisant toutefois observer que ces difficultés ne signifiaient pas que les textes existants étaient insatisfaisants. Quand la loi est appliquée, a-t-elle déclaré, les résultats sont là, en faisant observer que l'implication des salariés était un facteur déterminant pour faire évoluer la situation.

Elle a évoqué le travail de mobilisation mené sur le thème de l'égalité salariale par les fédérations auprès des organisations syndicales relevant de la CGT. Elle a estimé que la forte proportion d'hommes au sein de ce mouvement syndical constituait un frein à la mise en oeuvre des avancées législatives en matière d'égalité entre les sexes.

Elle a regretté que le travail de nuit des femmes soit le seul aspect de l'égalité entre hommes et femmes examiné dans les accords professionnels qui viennent aujourd'hui en extension.

Mme Gisèle Gautier, présidente, rappelant que les distorsions de rémunération sont moindres dans le secteur public que dans le secteur privé, s'est demandé s'il ne convenait pas d'utiliser le premier comme levier pour encourager les évolutions dans le second.

Mme Marie-France Boutroue a indiqué que les deux systèmes comportaient trop de différences pour suivre cette voie et souligné la très grande hétérogénéité du secteur privé. Elle a suggéré de revenir aux négociations de branche sur les salaires réels comme avant 1982, les négociations au niveau de l'entreprise étant trop disparates. Elle a appelé de ses voeux un audit de la situation au niveau des branches d'activité, qui puisse donner un cadrage aux négociations.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'interrogeant sur les causes des discriminations existantes et Mme Monique Cerisier ben Guiga sur les secteurs et les catégories socio-professionnelles où les disparités sont les plus grandes, elle a apporté les précisions suivantes :

- les plus fortes disparités de rémunération ne concernent pas les salariés au bas de l'échelle qui perçoivent tous le salaire minimum, mais plutôt les employés, les agents de maîtrise et les cadres, les carrières des femmes progressant moins vite dans ces catégories, notamment en raison de la maternité et des charges familiales ;

- les métiers où les femmes sont sur-représentées sont moins bien rémunérés : le travail des femmes est moins valorisé et elles exercent parfois un travail qualifié non reconnu en tant que tel (dans l'aide à domicile ou les services, par exemple) ; à cet égard, la validation des acquis professionnels apparaît comme un moyen de progrès possible ;

- les avancées interviennent là où l'on se préoccupe réellement du problème et, fait nouveau, les jeunes hommes peuvent jouer un rôle moteur, tout particulièrement ceux qui ont bénéficié du récent congé de paternité et se disent déjà attachés à la mesure.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a reconnu que les revendications gagnaient généralement en crédibilité lorsque les hommes étaient partie prenante.

Mme Marie-France Boutroue a jugé, pour sa part, que certains comportements féminins « n'aidaient pas » la cause de l'égalité ; elle a regretté que certains hommes n'aient vécu le débat sur la parité politique que comme la signification pour eux d'un retrait forcé et déploré la même vision des choses dans le monde syndical.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a avoué que son jugement s'était modifié : hostile au départ au recours de la loi pour imposer la parité, elle reconnaît aujourd'hui que, sans intervention du législateur, la situation n'aurait pas progressé.

Mme Marie-France Boutroue a rappelé qu'en ce qui les concerne, les syndicats s'étaient opposés à l'instauration par la loi de la parité pour les élections professionnelles, mais estimé qu'il faudrait recourir à des moyens coercitifs si on ne constatait pas d'avancées.

A M. Serge Lagauche, qui lui demandait si la CGT était prête à modifier ses statuts pour favoriser la parité, Mme Marie-France Boutroue a répondu que depuis 1992, et surtout 1997, une évolution se faisait vers la mixité et qu'ainsi les organes dirigeants de la CGT étaient aujourd'hui paritairement composés d'hommes et de femmes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué le problème des « familles monoparentales » dont le chef est une femme dans une écrasante majorité des cas, en estimant que les employeurs devaient en tenir compte dans leurs recrutements.

Mme Marie-France Boutroue a rappelé que les données relatives au recrutement avaient vocation à figurer dans les bilans d'égalité hommes/femmes, avant d'évoquer le « frein culturel » existant à l'égard de la prise en compte de certains indicateurs permettant de mesurer l'égalité entre les sexes dans les entreprises, et d'estimer que la présence des femmes dans les instances de négociations était de nature à renforcer l'attention portée aux problèmes rencontrés par la main-d'oeuvre féminine.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a souligné, en conséquence, l'importance de l'effort à conduire pour promouvoir les femmes aux postes de responsabilités.

Mme Danièle Pourtaud a demandé si la loi Génisson avait contribué efficacement à la publication, par les entreprises, des données sur les parcours professionnels des hommes et des femmes, permettant d'établir, d'ores et déjà, un bilan de l'égalité entre les deux sexes.

Mme Marie-France Boutroue a répondu que des efforts étaient conduits pour faire vivre ce texte applicable depuis un an mais qu'il était trop tôt pour pouvoir établir un bilan. Elle a regretté que le bilan de la négociation collective auquel il vient d'être procédé contienne peu d'informations sur l'égalité hommes/femmes. Elle a approuvé la nécessité de la promotion des femmes aux emplois de direction, tout en faisant observer qu'il convenait d'éviter les « nominations-alibi » de femmes dans des équipes à dominante masculine.

Mme Monique Cerisier ben Guiga a souhaité que l'exemple de certaines grandes entreprises qui mettent à la disposition des familles des structures de garde des enfants, notamment lorsqu'ils sont malades, soit généralisé.

M. Serge Lagauche s'est intéressé aux mesures prévues en matière de validation des acquis professionnels ou de formation continue des femmes afin de faciliter la progression de leurs carrières professionnelles, cependant que Mme Danièle Pourtaud souhaitait savoir si l'on disposait d'un premier bilan du congé de paternité.

Mme Marie-France Boutroue a indiqué que les bilans d'égalité devaient permettre de rendre compte de toutes ces questions, avant d'insister sur la nécessité d'appréhender le travail en termes de territorialité afin d'optimiser la conciliation entre vies professionnelle et familiale. Elle a mentionné, à ce propos, les expériences conduites à Rennes et à Poitiers, ainsi qu'en Italie.

Elle a ensuite souligné qu'un certain nombre de femmes, immigrées ou employées à temps partiel notamment, ne bénéficiaient jamais de formation et qu'il conviendrait de leur donner la priorité en la matière. Elle a par ailleurs souhaité que les femmes puissent avoir accès à la formation professionnelle pendant le congé de maternité ou le congé parental « afin de ne pas perdre pied ». Elle a enfin appelé de ses voeux une plus grande rigueur de la part de l'éducation nationale pour diversifier l'orientation des jeunes filles, laquelle se concentre actuellement sur cinquante métiers (sur un total de 450).

S'agissant du congé de paternité, elle a indiqué qu'un premier bilan, établi par la DARES, semblait très positif.

Audition de Mme Béatrice Majnoni d'Intignano, professeur des universités à Paris XII -économiste-, membre du Conseil d'analyse économique

Puis la délégation a entendu Mme Béatrice Majnoni d'Intignano, professeur des universités à Paris XII -économiste-, membre du Conseil d'analyse économique.

A la suite de questions de Mme Gisèle Gautier, présidente, sur l'origine des discriminations salariales hommes/femmes et l'existence éventuelle d'une responsabilité de ces dernières, « trop silencieuses », de Mme Monique Cerisier ben Guiga sur les secteurs dans lesquels un début de progrès pouvait être constaté et de Mme Anne-Marie Payet sur les difficultés rencontrées par les femmes diplômées pour trouver du travail, Mme Béatrice Majnoni d'Intignano, après avoir présenté ses diverses fonctions et ses travaux, a apporté les indications suivantes :

- les différences de salaires entre les deux sexes font l'objet d'interprétations souvent erronées : la différence moyenne, estimée à 30 %, n'a guère de signification ; il convient plutôt d'observer les écarts entre hommes et femmes à position professionnelle égale : de ce point de vue, la discrimination salariale pure peut être chiffrée entre 11 et 13 %, et elle est la même dans tous les pays ;

- cette différence peut s'analyser comme une « prime de risque » qui couvre, pour les femmes, une probabilité supérieure d'interruption de carrière et un temps de travail effectif légèrement inférieur ;

- dans l'ensemble, les inégalités se sont considérablement réduites ; les véritables disparités concernent non les salaires eux-mêmes mais les perspectives de carrière et l'accès aux postes de responsabilité, ce qui amène les économistes à constater l'existence d'un double marché du travail, avec un secteur réputé féminin, où les salaires sont plus faibles que dans les professions dites masculines.

Mme Béatrice Majnoni d'Intignano a ensuite présenté une série de statistiques faisant ressortir les constatations suivantes :

- le salaire modal des femmes, c'est-à-dire non pas le salaire moyen mais le plus fréquent, a nettement augmenté ces dernières décennies ;

- parmi les salariés à temps plein, la proportion de femmes ayant des bas salaires a diminué de 55 % à 45 % entre 1976 et 1996, tandis que la proportion d'hommes mal payés a augmenté de 28 % à 35 % au cours de la même période ;

- les effectifs de femmes salariées ont globalement augmenté, ce qui démontre une absence de rejet des femmes par le marché du travail, tandis que les hommes sans qualification connaissent un réel problème d'intégration dans l'emploi ; les professions qui se sont déféminisées sont celles qui ont perdu des emplois (agriculture, commerçants, ouvriers...) et inversement, celles qui en ont gagné sont celles qui accueillent plus de femmes que par le passé (services, professions libérales...).

Mme Béatrice Majnoni d'Intignano a ensuite souligné que l'égalité salariale entre hommes et femmes était un mythe en raison notamment de l'hétérogénéité des situations et parcours professionnels. La problématique qui a un sens, a-t-elle précisé, est celle de « l'égalité des chances vis-à-vis de la vision que chacun peut avoir de sa propre vie ».

Elle a insisté sur l'importance de la période qui se situe entre 25 et 40/45 ans, au cours de laquelle se détermine la formation professionnelle et interviennent les mobilités géographiques qui conditionnent l'accès aux fonctions de pouvoir. Or, c'est l'âge où les femmes ont des enfants. Il s'agit là du problème central qui explique que les différences hommes/femmes seront toujours très importantes.

Mme Béatrice Majnoni d'Intignano a estimé que les femmes adaptaient leur stratégie professionnelle à ces données en choisissant des secteurs (juridique ou de la communication, par exemple) qui permettent plus facilement de s'interrompre ; de même sont-elles plus souvent salariées que les hommes (+ 15 %) ou dans l'administration (où elles représentent 56 % des effectifs). Les femmes s'orientent donc vers les secteurs où l'emploi est plus protégé.

Mme Béatrice Majnoni d'Intignano a fait valoir en conséquence qu'il fallait pondérer les « différences de salaires » par des « différences de protection » et tenir compte des arbitrages faits par les femmes elles-mêmes.

A Mme Gisèle Gautier, présidente, qui s'interrogeait sur le caractère volontaire des choix professionnels des femmes, Mme Béatrice Majnoni d'Intignano a répondu que ces choix étaient en partie contraints par la société qui conduit les femmes à opérer un arbitrage entre leur projet professionnel et leur projet familial en limitant, le cas échéant, le nombre de leurs enfants. Ou elles n'ont pas d'enfant ou elles n'en ont qu'un seul et elles peuvent prétendre à la même carrière que les hommes, ou elles en ont plusieurs et travaillent dans des secteurs, notamment celui de l'Etat-providence, où l'on peut plus facilement concilier activité professionnelle et famille.

Mme Danièle Pourtaud a déclaré ne pas être choquée par ces observations qui démontrent implicitement que les femmes ont des capacités équivalentes à celles des hommes. Elle a toutefois craint qu'elles laissent peu de place aux politiques publiques. Elle s'est interrogée sur le chiffrage de la participation des femmes à la création de richesse et sur la fragilité de l'emploi féminin en phase de récession.

Mme Béatrice Majnoni d'Intignano a apporté les précisions suivantes :

- les aptitudes des femmes sont évidentes : elles font de très belles carrières dans le secteur privé, sauf dans les fonctions de pouvoir, qui exigent un sacrifice de temps élevé ;

- leur participation à la création de richesse est également manifeste : un tiers des créateurs d'entreprises en France et la moitié aux Etats-Unis sont des femmes : la croissance économique tire bénéfice d'un fort taux d'activité des femmes qui entraîne des créations indirectes d'emplois ;

- plus les femmes sont présentes dans une profession et plus l'égalité progresse (tel est le cas en médecine, par exemple).

Mme Monique Cerisier ben Guiga a estimé que l'analyse de Mme Béatrice Majnoni d'Intignano valait beaucoup plus pour les femmes très qualifiées que pour les autres catégories, avant de faire observer que les femmes étaient de plus en plus mobiles, que le retard de la maternité pouvait permettre d'amorcer une carrière et que l'attitude des conjoints s'était modifiée, beaucoup d'entre eux jugeant très important que leur femme réussisse leur vie.

Mme Béatrice Majnoni d'Intignano s'est, pour sa part, demandé si les femmes non qualifiées n'avaient pas plus de chances d'insertion que les hommes qui, placés dans la même situation, ont une propension supérieure à verser dans la délinquance.

Puis, en réponse à M. Serge Lagauche, elle a noté que beaucoup de choses avaient évolué dans les couples, à l'exception de la part que prennent les hommes dans les tâches ménagères, en notant cependant que le partage était plus équilibré lorsque les femmes avaient une qualification élevée.

En réponse à M. Gérard Cornu qui évoquait, en matière de mobilité professionnelle, la difficulté pour les hommes qui suivent leur femme de retrouver un emploi, Mme Béatrice Majnoni d'Intignano a rendu hommage aux hommes qui n'hésitent pas à suivre cette voie et estimé que c'est avant tout la qualification qui permet de retrouver du travail. Elle a fait valoir que le schéma actuel tenait au fait que le salaire de l'homme restait considéré comme dominant.

S'agissant de l'intégration des femmes sur le marché du travail, Mme Danièle Pourtaud a rappelé la conclusion des travaux de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le programme TRACE : plus diplômées, les femmes trouvent cependant moins de débouchés que les hommes et acceptent plus facilement la déqualification.

Mme Béatrice Majnoni d'Intignano a estimé que les femmes offraient aux entreprises une qualification supérieure en contrepartie du risque plus élevé de discontinuité de leur présence. Elle a également chiffré à un dixième le nombre d'hommes non qualifiés devenus inemployables parce qu'ils ont été remplacés à leurs postes par la technique -pourcentage bien moindre pour les femmes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, est revenue sur la part éventuelle de responsabilité des femmes dans le maintien des inégalités entre les sexes.

Mme Béatrice Majnoni d'Intignano a évoqué, pour sa part, la responsabilité de la publicité qui diffuse une image dévalorisante de la femme, celle des parents et de l'école qui privilégient le soutien à la réussite scolaire des garçons et leur orientation vers les études prometteuses, notamment scientifiques. Elle a enfin suggéré l'instauration d'un chèque emploi-service pour la garde des enfants qui permettrait ainsi aux femmes qui ont un projet de carrière de ne pas retarder l'âge de leur maternité.

Désignation d'un vice-président

Puis la délégation a désigné, par acclamation et à l'unanimité, Mme Sylvie Desmarescaux comme vice-présidente et a eu un échange de vues sur sa prochaine participation au troisième forum euro-méditerranéen des femmes parlementaires qui se tiendra à Madrid en octobre prochain.