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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mercredi 13 novembre 2002

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Egalité salariale entre les hommes et les femmes - Audition de Mme Dominique Méda, chef de la mission Animation de la recherche à la direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques du ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité

La délégation a procédé à l'audition de Mme Dominique Méda, chef de la mission Animation de la recherche à la direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques du ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, écrivain, auteur de l'ouvrage Le temps des femmes : pour un nouveau partage des rôles, Flammarion 2001.

Mme Dominique Méda a tout d'abord indiqué qu'elle suivait de manière transversale les questions liées aux inégalités entre hommes et femmes et qu'elle s'efforçait, en particulier, d'étudier les conséquences de la réduction du temps de travail sur les modes de vie.

Présentant quelques données générales sur le travail des femmes, elle a rappelé, d'une part, que le taux d'activité féminin entre 25 et 49 ans, était de 80 % et, d'autre part, que le niveau de formation des femmes, s'était considérablement élevé ces dernières décennies, les femmes étant aujourd'hui plus diplômées que les hommes. Mme Dominique Méda a indiqué qu'au total, le « stock de capital humain » et donc de connaissances et de compétences des femmes, notamment celui des femmes actives, était plus élevé que celui des hommes ; ainsi, en mars 1998, 25 % des femmes actives détenaient un diplôme supérieur au baccalauréat contre 20 % des hommes.

Elle a indiqué que depuis quelques années, un certain nombre d'études ou d'analyses statistiques avaient été consacrées, en France, à la question des inégalités salariales et en a résumé les principales conclusions.

Selon un rapport du Conseil d'analyse économique de 1999, a-t-elle indiqué, malgré la progression spectaculaire du salaire moyen féminin par rapport au salaire masculin, des écarts significatifs subsistent ; on compte 85 % de femmes parmi les salariés dont les salaires sont les plus faibles et seulement 27 % parmi les salariés les mieux payés ; d'autre part, en 1997, le salaire net moyen des hommes était supérieur de 25 % à celui des femmes, pour les emplois à temps complet ; à niveau de qualification identique, les hommes ont un salaire de 13 % plus élevé que celui des femmes : elle a conclu qu'une partie des écarts de salaire était donc liée à des différences d'accès aux emplois les mieux rémunérés.

Mme Dominique Méda a ensuite présenté le résultat des études réalisées par la Direction de l'animation et de la recherche des études et des statistiques (DARES) du ministère des affaires sociales : en 1997, pour l'ensemble des salariés, l'écart salarial était de 27 % en faveur des hommes. Les différences de durée du travail hebdomadaire, a-t-elle signalé, expliquent les deux cinquièmes de cet écart. Les autres différences structurelles expliquent encore deux autres cinquièmes. Reste un cinquième qui correspond à une discrimination salariale inexpliquée. Lorsqu'on réduit l'analyse aux seuls salariés à temps complet l'écart salarial se réduit à 11 %, mais la part expliquée n'est plus que de moitié elle aussi. Au total, parmi les salariés à temps complet, près de la moitié de l'écart salarial entre hommes et femmes peut s'interpréter en termes de discrimination salariale pure.

Elle a enfin cité une étude de l'INSEE qui précise qu'en début de carrière, l'écart entre hommes et femmes s'est accru pour les générations récentes, passant de 14,7 % en 1970 à 22,2 % en 1990 en faveur des hommes. Ce creusement des inégalités, a-t-elle indiqué, est largement dû au temps partiel : la proportion de temps partiel subi dans l'ensemble du temps partiel s'élevait, en 1992, pour les jeunes femmes de moins de 26 ans, à 53 %. En outre, même lorsque hommes et femmes occupent des emplois comparables en début de carrière, l'écart salarial en faveur des hommes est encore de 8,5 %. Enfin, au bout de cinq ans, les écarts salariaux entre hommes et femmes sont identiques pour les générations des années soixante-dix et les générations des années quatre-vingt-dix.

Elle a conclu de ces différentes études qu'il existait une discrimination salariale pure ou inexpliquée d'environ 7 % qu'il convient de réduire.

Mme Dominique Méda a ensuite analysé les facteurs de la discrimination « expliquée » qui demeure, en proportion, la plus importante, et mentionné à ce titre :

- le choix des filières d'éducation ou de formation, les femmes se dirigeant majoritairement vers des filières moins rentables et les hommes optant plus fréquemment pour les filières ou les métiers qui procurent les salaires les plus élevés ;

- la répartition des sexes entre les secteurs d'activité, avec la prédominance des femmes dans les services et la fonction publique, avec des rémunérations moindres ;

- le problème de l'accès aux postes à responsabilité, les femmes occupant peu ces emplois qui procurent des salaires élevés ; elle a précisé que parmi les cadres du privé travaillant à temps complet, les hommes travaillaient 47 heures et les femmes un peu plus de 43 heures, les femmes avec enfants de moins de six ans travaillant 41 h 30 ;

- la durée du travail qui explique une très forte proportion des écarts entre hommes et femmes ; elle a rappelé que le temps partiel s'était très fortement développé en France depuis 1992 et distingué le temps partiel subi, développé par les entreprises comme instrument de flexibilité de la main-d'oeuvre, et le temps partiel choisi.

Elle a précisé que la probabilité, pour les femmes, d'accéder à un emploi à temps complet décroissait avec l'entrée dans une vie de couple et plus encore avec la présence d'enfants, notamment en bas âge, les femmes continuant d'assurer 80 % des tâches domestiques et les deux tiers des tâches parentales, ce qui a pour effet de limiter leur investissement temporel au travail et pose le problème du choix entre l'accès aux responsabilités professionnelles et la maternité.

Elle a souligné que, pour parvenir à une égalité véritable, il convenait d'améliorer les mécanismes de conciliation des différentes tâches et des différents temps professionnels et familiaux, tout en rappelant que les enquêtes confirmaient que l'absence de conjoint et d'enfants est un atout pour la femme qui veut faire une vraie carrière professionnelle, mais qu'en revanche, être marié et avoir des enfants constitue un atout pour les hommes.

Elle a estimé que l'ensemble des institutions n'avait pas été repensé et réorganisé autour de cette nouvelle réalité qu'est le travail des femmes et en prenant en compte l'objectif de l'égalité professionnelle entre les sexes.

Mme Dominique Méda a ensuite noté que partout en Europe, la présence d'enfants s'accompagnait d'une diminution de l'activité féminine, ce phénomène s'expliquant par les imperfections de l'articulation entre les rythmes professionnels et familiaux.

Elle a souligné l'importance des inégalités dans la répartition des tâches domestiques, familiales et parentales, qui représentent un volume d'heures important, de l'ordre de 50 heures. Elle a souligné la rigidité de l'emploi du temps des femmes physiquement limité le matin et le soir, par les tâches domestiques et familiales.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a regretté que les comités d'entreprises ne consentent pas d'efforts plus importants en la matière.

Mme Dominique Méda, en se référant à des enquêtes de terrain, a noté que beaucoup de comités d'entreprises considéraient qu'il s'agit d'une affaire privée. Elle a observé que la société ne s'était pas adaptée aux besoins des femmes qui déclarent généralement manquer de temps.

Au titre des expériences étrangères présentant un intérêt particulier, Mme Dominique Méda a évoqué, en Suède, l'existence d'un congé de maternité plus long et une durée des congés accordés pour soigner des enfants malades qui peut représenter jusqu'à 60 jours par an. De manière générale, elle a observé dans les pays scandinaves l'existence d'une meilleure articulation des temps professionnels et familiaux.

Aux Pays-Bas, elle a rappelé qu'un large débat était intervenu sur l'évaluation de la durée du travail permettant un accomplissement satisfaisant des tâches parentales et que des scénarios avaient abouti à préconiser une durée de 32 heures de travail hebdomadaire pour les hommes et les femmes ; en outre, a-t-elle indiqué, une loi relative à l'adaptation du temps de travail permet au salarié de demander des augmentations ou des diminutions du temps de travail à son employeur qui doit, en cas de refus, prouver son impossibilité à satisfaire cette demande.

Mme Dominique Méda a enfin présenté trois axes de réflexions pour remédier à ces inégalités professionnelles entre hommes et femmes.

La première serait de développer massivement les services aux familles et de rendre effectif un droit à la garde des jeunes enfants.

La deuxième piste, a-t-elle précisé, serait de revoir l'organisation du travail et de mieux axer la réduction du temps de travail sur l'égalité entre hommes et femmes.

Elle a enfin estimé nécessaire de sortir de la logique de généralisation du travail à temps partiel et de s'orienter vers la réduction de la norme de travail à plein temps.

S'agissant des effets de la limitation de la durée du travail à 35 heures, elle a indiqué que les femmes ayant des enfants de moins de douze ans se déclaraient, dans les enquêtes, satisfaites, les hommes comme les femmes indiquant s'occuper plus des enfants grâce à la réduction de la durée du travail.

Mme Gisèle Gautier, présidente, après avoir estimé que beaucoup de chemin restait à parcourir pour atteindre ces objectifs, a évoqué, du point de vue des employeurs, la nécessité de bénéficier de personnels « pluridisciplinaires » pour faciliter le remplacement des salariés les uns par les autres et pallier les inconvénients de la réduction du temps de travail. Elle a estimé souhaitable une mobilisation des entreprises privées et publiques pour renforcer l'interchangeabilité des personnels.

Mme Dominique Méda a rappelé qu'un salarié sur deux avait indiqué dans les enquêtes relatives au bilan des 35 heures que sa polyvalence s'était améliorée.

M. Jean-Guy Branger a évoqué la nécessité de renforcer les possibilités de gardes d'enfants et souligné qu'il s'agissait là d'un devoir de solidarité à l'égard des femmes qui travaillent.

Mme Dominique Méda a souligné que les femmes ayant eu des enfants connaissaient une progression de carrière moins rapide que celle des hommes.

Elle a noté que les femmes très diplômées étaient de plus en plus confrontées à un choix entre leur carrière et la maternité. Elle a rappelé que l'OCDE n'insistait plus, dans ses recommandations, sur l'accentuation du travail à temps partiel mais sur l'instauration de vraies politiques de conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué certaines pratiques consistant à changer les appellations de postes lorsqu'ils sont confiés à des femmes et à leur allouer une moindre rémunération. Elle s'est ensuite demandée dans quelle mesure les femmes n'étaient pas moins « carriéristes » que les hommes.

Mme Dominique Méda a prolongé cette remarque en indiquant que le travail structure fortement la vie des hommes alors que les femmes s'assimilent moins à leur identité professionnelle.