Travaux de la délégation aux droits des femmes
- DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mardi 29 novembre 2005
- Présidence de Mme Janine Rozier, vice-présidente.
Familles monoparentales et familles recomposées - Audition de Mme Chantal Lebatard, administratrice à l'Union nationale des associations familiales (UNAF), de M. François Edouard, secrétaire général de la Confédération syndicale des familles (CSF), et de Mme Patricia Augustin, secrétaire confédérale de la Fédération syndicale des familles monoparentales
La délégation a procédé à l'audition de Mme Chantal Lebatard, administratrice à l'Union nationale des associations familiales (UNAF),de M. François Edouard, secrétaire général de laConfédération syndicale des familles (CSF),et de Mme Patricia Augustin, secrétaire confédérale de la Fédération syndicale des familles monoparentales.
Mme Janine Rozier, présidente, après avoir excusé l'absence de Mme Gisèle Gautier, présidente de la délégation, a présenté les intervenants et évoqué brièvement les actions de l'Union nationale des associations familiales.
Mme Chantal Lebatard a tout d'abord rappelé que le législateur avait confié à l'UNAF, par l'ordonnance du 3 mars 1945 et la loi du 11 juillet 1975, la mission de représenter l'ensemble des familles vivant en France. Elle a précisé que selon les termes de la déclaration des droits de la famille adoptée par l'UNAF le 11 juin 1989, la famille se définissait comme une unité composée de personnes, fondée sur le mariage, la filiation ou l'exercice de l'autorité parentale.
Elle a ensuite évoqué la multiplicité des modes de vie familiaux en insistant sur le fait que la distinction entre la conjugalité et la parentalité constitue un des traits majeurs de l'évolution intervenue au cours des dernières décennies. Elle a ensuite abordé la question des droits de l'enfant, en insistant sur l'importance de la famille et le droit de l'enfant d'être élevé par ses deux parents. Elle a précisé que cette conception correspondait au principe de coparentalité inscrit dans la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, et à la définition d'un ensemble de droits et de devoirs des parents à l'égard de leurs enfants.
S'agissant des familles monoparentales ou recomposées, elle a souligné la diversité des situations vécues avant de rappeler que dans les années 70, l'UNAF avait décidé d'accueillir en son sein une fédération de « familles monoparentales », aux côtés des associations plus anciennes comme la Fédération des associations de conjoints survivants (FAVEC) et l'Association d'entraide des veuves et orphelins de guerre (AEVOG)
Elle a décrit les situations de monoparentalité en distinguant trois grands phénomènes à l'origine de ces situations : le veuvage, le divorce ou la séparation et les mères célibataires.
Elle a noté que les associations familiales, les sociologues, et plus généralement les institutions avaient moins de recul pour analyser les familles recomposées et en cerner la réalité. Elle a précisé que les familles recomposées ou « mosaïque » étaient bien souvent dans des situations de fait qui ne correspondent pas à des catégories juridiques bien déterminées.
En réponse à une question de Mme Gisèle Printz sur la prise en compte du pacte civil de solidarité (PACS), Mme Chantal Lebatard a indiqué que le PACS n'avait pas de conséquence juridique sur la famille et n'interférait pas avec l'exercice de l'autorité parentale à l'égard des enfants.
Puis elle a signalé la toute récente admission par l'UNAF du mouvement « SOS Papa », une association de pères divorcés ou séparés.
Mme Chantal Lebatard a ensuite indiqué que les familles monoparentales s'étaient regroupées en association pour défendre des intérêts communs, notamment au sein de la Fédération syndicale des familles monoparentales. Elle a en revanche noté qu'il n'existait pas, à l'heure actuelle, d'association de familles recomposées, en expliquant que la diversité de leurs situations ne leur avait pas permis de dégager une approche commune. Elle a cependant fait observer que les préoccupations de ces familles « mosaïque » étaient prises en compte par l'UNAF avec une attention particulière.
Au titre des problèmes spécifiques aux familles monoparentales, elle a souligné que ces familles étaient bien souvent fragilisées au plan économique. Les questions des ressources et de l'accès à l'emploi sont cruciales, ce qui explique et justifie l'intervention spécifique du législateur dans ce domaine. Elle a ajouté que l'exercice de l'autorité parentale par un seul parent pouvait également constituer une source de difficultés dans certaines familles. Pour compléter ce cadrage général, elle a brossé un panorama des difficultés spécifiques à ces familles en termes de logement, de cadre de vie, d'autorité parentale et de réorganisation familiale.
S'agissant des familles recomposées, elle a signalé que des réflexions étaient conduites sur la définition d'un éventuel statut des beaux-parents, ou plus exactement des nouveaux conjoints du parent.
M. François Edouard a tout d'abord rappelé qu'au sein de la CSF avait été créée, dans les années 60, une association intitulée « femmes chefs de famille » et qui représentait non seulement les veuves, mais aussi les femmes divorcées et les « filles mères ». Il a précisé que la reconnaissance des familles monoparentales avait nécessité un combat long et difficile contre une tendance à la stigmatisation qui a longtemps perduré.
Il a indiqué qu'aujourd'hui les familles monoparentales avaient évolué et qu'à la différence des situations de monoparentalité permanente vécues dans les années 70, la monoparentalité actuelle était bien souvent une phase transitoire.
Après avoir estimé qu'il existait un lien entre les familles monoparentales et les familles recomposées concernant le problème de l'exercice de la coparentalité, il a exposé les diverses difficultés que rencontrent ces familles. Il a placé au premier plan des priorités dans les revendications de la CSF l'amélioration des conditions de logement de ces familles, bien souvent à faible revenu. Il a souligné la difficulté pour les parents séparés de trouver, notamment dans les grandes agglomérations, des logements suffisamment vastes pour accueillir leurs enfants, notamment au titre de leur droit de visite. A ce sujet, il a évoqué la mise à la disposition par la CSF de lieux permettant aux parents de retrouver leurs enfants dans des conditions convenables.
M. François Edouard a ensuite analysé l'insuffisance des ressources des familles monoparentales, à plus de 95 % conduites par des femmes. Il a particulièrement souligné les difficultés de ces familles en termes d'emploi, en citant le cas des métiers à horaires atypiques, comme ceux de caissière ou de personnel d'entretien. Il a également fait observer que les mères soumises à des horaires atypiques rencontraient des difficultés particulières en matière de garde d'enfants, les horaires d'ouverture des structures existantes ne correspondant pas à leurs besoins.
S'agissant de l'allocation de parent isolé (API) et de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), il a signalé un certain nombre de dysfonctionnements générateurs d'une insuffisance de ressources. À ce titre, il a préconisé l'attribution de la PAJE dans son intégralité aux bénéficiaires de l'API. Il a également souligné les difficultés d'accès aux crèches pour les mères de familles monoparentales sans emploi percevant l'API ou le revenu minimum d'intégration (RMI), les places étant réservées aux parents qui travaillent.
Il a ensuite souligné la nécessité d'accompagner les séparations par un dispositif de médiation adaptée qui permet de pacifier très largement, comme en témoigne la pratique, les relations ultérieures entre les parents.
Puis, il a évoqué l'influence bénéfique des grands-parents dans les recompositions familiales : après avoir souligné l'importance du rôle des grands-parents, il s'est interrogé sur l'opportunité de leur conférer un « statut » particulier.
Mme Janine Rozier, présidente, a alors fait observer que les grands-parents disposaient d'un droit de visite prévu par le code civil et dont l'application pouvait être ordonnée par les tribunaux.
M. François Edouard a acquiescé à cette remarque, tout en précisant que la mise en oeuvre du droit de visite des grands-parents n'était pas toujours aisée. S'agissant des difficultés scolaires rencontrées par les enfants de ces familles, il a signalé que selon les enquêtes conduites au sein du réseau de la CSF, les parcours scolaires cahoteux des enfants étaient davantage imputables à l'insuffisance des ressources financières de ces familles qu'à la nature de la structure familiale, monoparentale ou recomposée.
Un débat s'est ensuite instauré.
Mme Gisèle Printz a souhaité connaître les compétences des associations affiliées à l'UNAF et la manière dont elles pouvaient être sollicitées par les familles.
Mme Patricia Augustin a indiqué que toutes les associations pratiquaient la tenue de permanences permettant de délivrer des informations juridiques et administratives aux familles qui les sollicitent, de plus en plus souvent avant la séparation du couple. Elle a ajouté que les associations étaient confrontées également à une forte demande de rencontres de la part de ces familles et qu'afin de les aider à sortir de leur isolement, elles étaient amenées à organiser des sorties, des divertissements, ou encore des débats avec les intervenants extérieurs, destinés surtout aux mères célibataires ou divorcées.
M. François Edouard a précisé que cette évolution était relativement récente, les associations étant par le passé surtout sollicitées pour apporter des informations juridiques. Il a expliqué que les familles connaissaient aujourd'hui beaucoup mieux leurs droits, mais que la difficulté à les mettre en oeuvre dans la pratique les poussait à vouloir agir de façon collective.
Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur les modalités de financement des associations, et notamment sur le rôle des conseils généraux en la matière.
Mme Patricia Augustin a déclaré que la Fédération syndicale des familles monoparentales « vivotait » grâce aux subventions qu'elle recevait de l'UNAF et qu'elle percevait également les cotisations de ses adhérents. Elle a ajouté que diverses demandes de financement extérieur avaient été présentées, mais qu'aucune réponse positive n'avait encore été apportée. Elle a donc considéré que le fonctionnement de la Fédération n'était actuellement possible que grâce à la tutelle de la Confédération syndicale des familles (CSF).
M. François Edouard a précisé que les communes et les conseils généraux versaient des subventions à la CSF, qui permettaient de mettre en place des lieux d'accueil tels que les crèches et les haltes-garderies, ainsi que d'assurer des permanences juridiques sur des problèmes relatifs à la consommation, au logement ou au surendettement.
Mme Chantal Lebatard a insisté sur le rôle des associations pour favoriser l'échange d'expériences communes. Elle a indiqué que ces échanges pouvaient notamment intervenir dans le cadre de réseaux d'écoute et d'appui à la parentalité. Elle a précisé que, dans quelques départements, par exemple dans le sud de la France, il existait même des groupements de parole permettant aux enfants vivant en famille monoparentale de s'exprimer, éventuellement avec l'aide d'un éducateur.
Mme Françoise Henneron s'est interrogée sur la façon dont les associations apportaient une aide matérielle et morale aux personnes vivant au sein de familles monoparentales, en particulier les enfants.
Mme Chantal Lebatard a indiqué que l'aide matérielle apportée aux familles n'était pas assurée au niveau de l'UNAF, mais à celui des unions départementales des associations familiales (UDAF), qui regroupent des associations ou participent à la création de services au niveau départemental. Elle a ainsi fait observer que les fonctions d'information des familles étaient également assurées au niveau départemental, par les UDAF et les caisses d'allocations familiales, en particulier pour les orienter vers des associations spécifiques. Elle a dès lors souligné l'intérêt de l'implantation départementale de la CSF et de la Fédération syndicale des familles monoparentales.
Elle a noté que l'UNAF intervenait pour sa part au niveau national et qu'elle présentait, par exemple, des recommandations sur l'importance du logement, notamment pour les familles séparées, chaque parent souhaitant pouvoir accueillir convenablement ses enfants, sur l'accompagnement au travail ou sur la conciliation des temps, qui est une question essentielle pour les familles monoparentales. Elle a ajouté que l'UNAF abordait aussi la question des ressources des mères isolées ou célibataires et celle des pensions alimentaires.
M. François Edouard a indiqué que la CSF comptait environ 200 groupes d'aide à la parentalité qui permettent aux familles d'un quartier de se rassembler pour discuter des difficultés d'être parent, concernant par exemple l'exercice de l'autorité, la scolarité ou les rythmes de vie. Il a fait observer que ce cadre d'échanges avait permis de s'apercevoir d'une manière générale, que les familles étaient de plus en plus considérées par les enfants comme un « self-service » et que le partage des repas en famille devenait de plus en plus difficile, ce qui contribue à désorienter certains parents. Il a estimé que ces débats mettaient en relief des difficultés vécues au sein de l'ensemble des familles et non seulement au sein des familles monoparentales. Il a également indiqué que les enfants pouvaient prendre la parole dans ces groupes d'aide à la parentalité, ce qui permet de concrétiser la solidarité familiale. Il a ainsi souligné que ces groupes produisaient du bien-être et redonnaient des perspectives à des familles déstructurées.
Mme Sylvie Desmarescaux a abordé le problème du logement, en particulier du point de vue des pères de famille qui sollicitent fréquemment les maires pour obtenir des logements suffisamment grands pour pouvoir accueillir leurs enfants le week-end. Elle a fait observer que la monoparentalité était vécue parfois toute la vie, certaines personnes changeant régulièrement de partenaire, ce qui peut contribuer à déstabiliser les enfants. Enfin, elle a estimé que les enfants ne vivaient pas la recomposition familiale de la même manière selon qu'elle intervenait après un veuvage ou après un divorce.
M. François Edouard a indiqué que la recomposition familiale la plus fréquente actuellement intervenait après un divorce, mais que le veuvage pouvait aussi déstabiliser des enfants qui ont l'impression que leur beau-père ou leur belle-mère a pris la place de leur parent défunt. Il a estimé que les modalités de la recomposition familiale étaient surtout différentes selon qu'il y avait ou non conflit entre les parents.
Mme Chantal Lebatard a estimé que la question la plus difficile posée par la recomposition familiale consistait en la recherche d'un nouvel équilibre quant au mode de vie familiale et à l'exercice de l'autorité parentale, dès lors que la structure de vie familiale est instable dans le temps. Elle a considéré que cette situation exigeait de grandes qualités de conciliation et que beaucoup de parents exprimaient leur désarroi, ainsi d'ailleurs que les enseignants. Evoquant la question des familles « puzzle » ou « mosaïque », elle a fait observer que la question du statut à donner à la personne qui assure une fonction de parent comme conjoint du parent, sans exercer l'autorité parentale, était à travailler. Elle a également indiqué que les associations intervenaient fréquemment pour aider les adultes à éviter que les enfants ne se sentent victimes de leurs choix. Elle a estimé qu'il convenait de penser d'une nouvelle manière la question des familles nombreuses dans le contexte d'une recomposition familiale, par exemple à l'occasion du temps des vacances.
Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur les éventuels risques de relations sexuelles entre les beaux-parents et les enfants au sein des familles recomposées.
M. François Edouard a estimé que la recomposition familiale exigeait des parents de grandes qualités en termes de responsabilité et de pédagogie, afin de fixer un nouveau cadre à la vie familiale et que ce phénomène « redonnait de la force au métier de parent », tout en admettant que certains parents pouvaient se trouver désorientés dans de telles situations.
Mme Chantal Lebatard, notant que, lorsqu'il y avait maltraitance au sein de la famille, le nouveau conjoint de la mère était, semble-t-il, plus fréquemment auteur de maltraitances à enfant que le père biologique, a constaté que les recompositions familiales contribuaient à brouiller les interdits et les repères.
Mme Janine Rozier, présidente, abordant le problème des pensions alimentaires, a souligné la modicité de leur montant, soit en moyenne 150 euros par enfant et par mois, ce qui est très peu, en particulier si la mère a une situation professionnelle précaire. Elle a estimé que les juges devraient prendre conscience de ce problème, et ne plus se satisfaire d'une déclaration sur l'honneur du père quant à la réalité de ses revenus. Elle a en effet considéré que les pères divorcés devraient participer de façon plus équitable à l'éducation de leurs enfants.
Mme Gisèle Printz a précisé que la pension alimentaire était fixée en fonction des revenus du père et qu'elle était établie sur la base de la communication de la fiche de paie et de la déclaration de revenus.
M. François Edouard a fait observer que l'allocation de parent isolé (API), était une allocation différentielle et que les autres prestations familiales, et notamment les éventuelles pensions alimentaires, venaient en déduction de son montant.
Mme Chantal Lebatard s'est interrogée sur la possibilité de contraindre le parent défaillant à payer sa pension alimentaire et a fait observer que l'allocation de soutien familial (ASF), destinée à compenser une pension alimentaire défaillante, était de 80,91 euros par mois, et que lorsque les pensions alimentaires étaient inférieures à ce montant, la différence n'était pas compensée. Elle a par ailleurs rappelé que plus de 20 % des enfants pauvres vivaient au sein d'une famille monoparentale.