Travaux de la délégation aux droits des femmes
DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mardi 15 novembre 2005
- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.
Familles monoparentales et familles recomposées - Audition de M. Dominique de Legge, délégué interministériel à la famille, accompagné de Mme Géraldine Chicanot-Rousset, chargée de mission à la délégation interministérielle à la famille
La délégation a procédé à l'audition de M. Dominique de Legge, délégué interministériel à la famille, accompagné de Mme Géraldine Chicanot-Rousset, chargée de mission à la délégation interministérielle à la famille.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a d'abord informé la délégation que l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, de la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple, adoptée à l'unanimité par le Sénat le 29 mars dernier, était envisagée pour la séance du 13 décembre prochain. Puis, rappelant que la précédente réunion de la délégation avait été consacrée à l'approche statistique des familles monoparentales et recomposées, elle a rappelé les grandes étapes de la carrière du délégué interministériel à la famille.
M. Dominique de Legge a d'abord présenté la délégation interministérielle à la famille, créée à l'issue de la conférence de la famille de 1996 et opérationnelle depuis 1998. A cet égard, il a souligné l'intérêt que les gouvernements, par-delà les alternances politiques, portent à la famille.
Il a rappelé les trois principales missions de la délégation interministérielle à la famille :
- la préparation, l'organisation et le suivi de la conférence annuelle de la famille, cette mission étant inscrite dans le décret constitutif de la délégation ;
- une vocation interministérielle qui consiste à s'assurer que la dimension familiale est prise en compte dans l'activité de l'ensemble des départements ministériels. La délégation interministérielle est ainsi régulièrement sollicitée par d'autres ministères que celui en charge de la famille pour apporter son éclairage, par exemple, sur l'assiduité des élèves pour le ministère de l'éducation nationale, sur les enfants fugueurs à la demande du garde des Sceaux, ou encore sur l'exploitation sexuelle des enfants pour le ministère du tourisme ;
- une activité quotidienne avec le ministère en charge de la famille.
Il a cependant noté que la délégation interministérielle à la famille ne gérait aucun crédit budgétaire et que ses moyens en ressources humaines étaient limités à une dizaine de personnes au total, d'origine diverse, essentiellement des fonctionnaires mis à disposition.
M. Dominique de Legge a ensuite fourni quelques données chiffrées sur les familles monoparentales. Il a indiqué qu'entre les deux recensements de la population de 1990 et de 1999, le nombre de familles monoparentales comprenant au moins un enfant de moins de 25 ans était passé de 1,175 million à 1,495 million, soit une augmentation de 27,2 %. Il a ajouté qu'entre ces deux dates, le nombre d'enfants vivant au sein d'une famille monoparentale avait augmenté de 22 %, passant de 2,248 millions à 2,747 millions. Il a noté qu'en France, une naissance sur deux avait lieu hors mariage et a rappelé qu'un tiers des mariages en France, et la moitié en région parisienne, se terminait par un divorce. Il a précisé que les parents de familles monoparentales sont plus souvent des femmes, à hauteur de 86 %, et que ces familles sont moins fréquemment des familles nombreuses, seules 14 % d'entre elles comportant trois enfants ou plus contre 22 % pour l'ensemble des familles. Il a indiqué que les familles monoparentales sont deux fois plus touchées par le chômage que les autres. Enfin, il a rappelé que 186.000 familles monoparentales bénéficiaient de l'allocation de parent isolé (API) et que 50 % des bénéficiaires de ce minimum social percevaient le revenu minimum d'insertion (RMI) une fois leurs droits à l'API épuisés.
Sur la base de certaines études, dont celle de Mme Marie Choquet de l'INSERM, il a indiqué que les performances scolaires des enfants de familles monoparentales étaient moins bonnes que celles des autres enfants, sans que la monoparentalité soit nécessairement la cause directe de cette situation, les conditions de la séparation des parents pouvant également avoir des répercussions sur les résultats scolaires.
Il a noté que le veuvage ne concernait plus que 11 % des situations de monoparentalité, celle-ci étant de plus en plus fréquemment la conséquence de la rupture d'unions formalisées ou non. Dans certains cas, la monoparentalité peut même apparaître comme « choisie », par exemple par certaines femmes cadres.
M. Dominique de Legge a ensuite abordé la question des familles recomposées. Il a noté que leur nombre était passé de 646.000 en 1990 à 708.000 en 1999, soit une hausse de 9,6 %. Il a précisé que le nombre d'enfants vivant au sein de familles recomposées avait progressé de 10 % sur la même période, passant de 1,429 million à 1,583 million. Il a également indiqué que, contrairement à la situation constatée pour les familles monoparentales, les parents des familles recomposées étaient souvent plus jeunes que dans les familles traditionnelles, ce qui s'explique notamment par la plus grande fréquence des ruptures à des âges plus jeunes qu'auparavant, rendant plus facile la possibilité de former une nouvelle union. Il a par ailleurs observé une surreprésentation des familles nombreuses parmi les familles recomposées, celles-ci regroupant des enfants issus de plusieurs unions. Enfin, il a noté la présence plus grande du père au sein des familles recomposées et précisé que 37 % des enfants se trouvant dans une famille recomposée vivaient avec leur père et leur belle-mère.
M. Dominique de Legge a ensuite abordé la question des conditions de vie de ces nouvelles formes de famille.
S'agissant des familles monoparentales, il a indiqué que 30 % à 40 % des femmes connaîtraient, pendant au moins un an, à un moment de leur vie, une situation de monoparentalité. Il en a déduit qu'une famille monoparentale n'était pas appelée à perdurer et qu'elle avait vocation à se recomposer, beaucoup de familles recomposées ayant d'ailleurs connu préalablement une période de monoparentalité.
M. Dominique de Legge a insisté sur trois caractéristiques des familles monoparentales.
Il a d'abord fait observer que les mères de familles monoparentales rencontraient plus de difficultés dans l'organisation au quotidien, notamment en termes de garde des enfants. Il a estimé qu'une femme seule avec ses enfants n'était pas encouragée à retourner vers l'emploi, surtout si celui-ci est organisé selon des horaires atypiques. Il a fait observer que ces femmes avaient davantage recours à un mode de garde, formel ou informel, pour s'occuper de leurs enfants quand elles travaillaient. Notant que le recours aux crèches pouvait poser problème, notamment pour le respect du rythme des enfants, il a considéré qu'il conviendrait de développer des systèmes de garde adaptés aux horaires atypiques et des services à la personne tels que des assistantes maternelles pour aller chercher les enfants à l'école.
Il a ensuite abordé la question de la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle des mères de familles monoparentales, ce sujet ayant été inscrit à l'ordre du jour de la dernière conférence de la famille, en septembre dernier. Il a fait observer que la France était le pays où le congé parental était le plus long, mais pas le mieux rémunéré, cette situation pouvant durablement éloigner les femmes du marché du travail. Il a indiqué que la dernière conférence de la famille avait proposé l'institution, à titre expérimental, d'un congé parental court, d'un an au lieu de trois dans le régime de droit commun, mais mieux rémunéré, à hauteur de 750 euros par mois au lieu de 500 euros, étant rappelé que le montant du SMIC est d'environ 1.000 euros par mois. Il a noté que cette proposition était reprise dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, en cours d'examen devant le Parlement, et qu'elle devrait faire l'objet d'une évaluation.
En ce qui concerne les ressources des familles monoparentales, il a rappelé que l'API, minimum social mis en place en 1976, bénéficiait actuellement à 186.000 personnes, contre 70.000 en 1982. Il a estimé que la condition de l'isolement n'était pas toujours facile à vérifier, certains allocataires s'installant dans leur situation afin de continuer à percevoir l'API, alors même que leur isolement n'est pas toujours avéré. Il a également posé la question de la nécessité de mieux articuler l'API et le RMI, notant qu'une personne seule avec un enfant percevait 722 euros par mois au titre de l'API mais 638 euros au titre du RMI. Il s'est dès lors demandé si l'API était incitative à la recherche d'une insertion professionnelle.
S'agissant des familles recomposées, M. Dominique de Legge a fait observer que les problèmes rencontrés par ces familles étaient quelque peu différents et se posaient essentiellement en termes juridiques, eu égard aux relations qu'entretiennent les enfants avec leurs beaux-parents. Il a également considéré qu'il conviendrait de procéder à l'évaluation des modalités de la garde alternée. Il a estimé que l'évolution de la législation sur la famille depuis vingt ans avait privilégié les relations entre les parents mais avait négligé les enfants, alors que ces derniers se trouvent livrés à eux-mêmes au moment de la séparation de leurs parents, ce qui n'est pas sans conséquence, notamment sur leurs résultats scolaires.
Un débat s'est ensuite instauré.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a remercié le délégué interministériel pour la qualité de son exposé.
Mme Annie David a présenté un certain nombre d'observations générales sur les familles monoparentales et recomposées connaissant des situations difficiles. Elle s'est, en particulier, interrogée sur le lien entre le malaise de ces familles et la fréquence du suicide des adolescents. S'agissant des modes de garde des enfants, elle a souhaité que les entreprises fassent évoluer leurs horaires de travail pour tenir compte des rythmes de vie de leurs salariés. En ce qui concerne le congé parental, elle a marqué sa préférence pour le maintien d'un congé parental de longue durée, articulé avec un effort de formation professionnelle permettant au salarié de réintégrer l'entreprise dans des conditions adaptées à l'issue d'un congé parental. Elle a également jugé souhaitable de ne pas se focaliser sur la « chasse aux tricheurs » en matière d'API et de se concentrer sur l'amélioration des moyens attribués aux familles pour leur assurer un niveau de vie décent.
Mme Sylvie Desmarescaux, à propos des horaires atypiques, a évoqué les contraintes de travail en milieu hospitalier et indiqué que le bon fonctionnement de certains services publics, plus encore que celui des entreprises du secteur privé, nécessitait un recours à des horaires de travail inhabituels. Elle a précisé que le Sénat, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, venait d'adopter une mesure permettant de réduire la durée du congé parental tout en augmentant sa rémunération. Evoquant son expérience professionnelle dans le secteur des caisses d'allocations familiales, elle a souligné les difficultés de réinsertion des mères de famille parfois tentées, selon leur propre témoignage, de préférer une nouvelle maternité accompagnée du prolongement du versement de l'API à une insertion professionnelle. Elle a enfin évoqué les conséquences trop souvent néfastes des recompositions familiales sur la vie des enfants.
Mme Gisèle Printz a regretté que le nouveau dispositif de congé parental, raccourci mais mieux rémunéré, soit limité aux parents de trois enfants et plus. Puis elle a insisté sur la nécessité de prévoir une formation professionnelle en fin de congé parental pour permettre une reprise d'activité dans des conditions satisfaisantes. Elle s'est enfin intéressée à la réalité que recouvre la notion de monoparentalité choisie.
Mme Janine Rozier a fait observer que la formation professionnelle constituait d'ores et déjà un droit pour le salarié en congé parental.
Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur la proportion de familles monoparentales qui ne se recomposent pas par la suite.
En réponse aux diverses intervenantes, M. Dominique de Legge a apporté les précisions suivantes.
Il a précisé que le congé parental demeurait d'un an renouvelable deux fois et que la réforme en cours introduisait une souplesse supplémentaire sous la forme du versement d'une allocation majorée articulé avec un congé non renouvelable d'une durée plus courte, fixée à un an dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
S'agissant de la limitation de l'accès à ce nouveau dispositif aux parents de trois enfants et plus, il a indiqué qu'à l'heure actuelle aucune analyse ne permettait de prévoir l'impact d'un élargissement du champ d'application de cette mesure aux parents de deux enfants. Il a expliqué que c'était la raison pour laquelle les pouvoirs publics avaient décidé, dans un premier temps, une expérience sur un nombre limité de familles, celles de trois enfants et plus. Il a à cet égard rappelé qu'il avait été procédé à l'extension de l'allocation parentale d'éducation (APE) et de la PAJE progressivement, du troisième au second enfant, puis au premier.
En ce qui concerne la formation professionnelle, il a souligné le caractère incitatif de l'éligibilité au crédit d'impôt famille des dépenses consenties dans ce domaine.
Il a ensuite fait observer qu'en matière d'API, la notion d'isolement était difficile à cerner et estimé peu satisfaisant que cette allocation, à la différence du RMI, ne comporte aucune dimension d'insertion, en précisant à nouveau qu'un grand nombre d'allocataires de l'API perçoivent par la suite le RMI.
Il a par ailleurs indiqué qu'aucune statistique ne permettait de mesurer la durée moyenne de la monoparentalité, Mme Géraldine Chicanot-Rousset précisant que les enfants âgés de plus de 25 ans n'étaient plus pris en compte, leurs parents isolés n'étant donc plus considérés comme rattachés à la catégorie des familles monoparentales.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué la question du logement des couples séparés et s'est demandé si le critère de la garde des enfants était pris en compte dans l'attribution des logements sociaux.
M. Dominique de Legge a indiqué que, de façon générale, les conditions de logement des familles monoparentales étaient moins satisfaisantes que celles des autres familles. Il a fait observer, en faisant référence à sa pratique de maire, que les logements sociaux de sa commune étaient en grande partie attribués à des familles monoparentales. Il a ensuite indiqué, sur la base de son expérience en la matière, que les commissions d'attribution prenaient en considération la qualité de famille monoparentale pour l'accès au logement social.
Mme Sylvie Desmarescaux a cité des cas dans lesquels la priorité est donnée à des familles avec enfants au détriment de pères devant accueillir leurs enfants de manière non permanente, généralement le week-end.
Mme Catherine Troendle a confirmé que l'accueil des enfants au cours du week-end posait des problèmes aux parents isolés qui n'ont pas d'accès privilégié à des logements sociaux de superficie suffisante.
En réponse à une question de Mme Gisèle Printz sur le niveau de vie et la pauvreté des familles monoparentales, M. Dominique de Legge a indiqué que l'équation entre monoparentalité et pauvreté n'était pas systématique. Il a insisté sur les problèmes de garde d'enfants, d'insertion professionnelle et de moindre potentiel de revenu des familles monoparentales. Il a cependant contesté l'idée selon laquelle les familles monoparentales devraient avoir systématiquement plus de droits que les autres familles.
Mme Janine Rozier a fait observer que le montant généralement faible des pensions alimentaires consécutives à un divorce, qui s'élève en moyenne à 150 €, entraînait mécaniquement des problèmes financiers pour les familles monoparentales principalement gérées par les mères.
Puis Mme Gisèle Gautier, présidente, a interrogé le délégué interministériel sur sa position à l'égard de l'idée d'un « statut » des beaux-parents.
M. Dominique de Legge a convenu qu'il pouvait paraître choquant que la société ne reconnaisse pas en tant que tels les beaux-parents qui font pourtant souvent preuve de dévouement à l'égard des enfants de leur conjoint. Il a ensuite souligné la difficulté de créer une nouvelle autorité parentale en leur faveur, ce qui nécessiterait de définir un nouvel équilibre entre les droits des parents biologiques et des beaux-parents, au risque de générer des conflits d'autorité.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a suggéré qu'une éventuelle réforme pourrait s'efforcer de mieux reconnaître la situation des beaux-parents sans enlever de droits aux parents biologiques.
Mme Janine Rozier a estimé qu'avant de légiférer sur une réforme du divorce, il aurait été opportun de chercher à consolider le mariage et à favoriser une meilleure prise de conscience des obligations des conjoints, en particulier à l'égard de leurs enfants.
M. Dominique de Legge, tout en acquiescant à cette analyse, a rappelé qu'une naissance sur deux avait désormais lieu hors mariage.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a conclu la réunion en remerciant à nouveau le délégué interministériel pour la qualité de son intervention.