Table des matières
DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mardi 20 novembre 2001
- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.
Bureau - Election d'un vice-président
La délégation a tout d'abord complété son bureau en désignant par acclamation Mme Danièle Pourtaud au poste de vice-président demeuré vacant.
Nomination d'un rapporteur
Elle a par ailleurs nommé M. Serge Lagauche comme rapporteur de la proposition de loi n° 17 (2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme du divorce, dont elle a été saisie par la commission des lois.
Conférence annuelle des délégations parlementaires à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes des Etats membres de l'Union européenne - Communication
Puis la délégation a entendu une communication de Mme Maryse Bergé-Lavigne à la suite de sa participation à la conférence annuelle des délégations parlementaires à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes des Etats membres de l'Union européenne, qui s'est tenue à Stockholm du 25 au 27 octobre 2001.
Rappelant que cette conférence est traditionnellement organisée par le pays qui assure la présidence de l'Union, mais que la Suède remplaçait cette année la Belgique, qui a accueilli la première réunion en 1997, Mme Maryse Bergé-Lavigne, qui composait la délégation française avec Mme Hélène Mignon, députée, a indiqué que tous les pays membres de l'Union n'étaient pas représentés à Stockholm et qu'il y avait en revanche une importante délégation du Parlement européen et des représentants des nombreux pays candidats à l'intégration : Bulgarie, Chypre, Pays baltes, Hongrie, Malte, Roumanie, Slovénie, Turquie. Les délégations des pays candidats à l'élargissement de l'Union européenne, a-t-elle souligné, ont été très assidues et manifestement heureuses de participer aux travaux, qui se sont déroulés dans une excellente ambiance, grâce notamment à une très bonne organisation de la part des autorités suédoises.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a indiqué que la première journée de la conférence s'était ouverte sur un constat quelque peu désenchanté des représentantes suédoises quant à l'évolution de l'égalité entre les hommes et les femmes. Dans leur pays, pourtant pionnier en la matière, où l'égalité politique est depuis longtemps affirmée (45 % des membres du Parlement et 50 % des ministres sont des femmes), le principe d'égalité est loin de s'appliquer tant dans la vie domestique que dans le monde de l'entreprise ou l'administration. Patent en termes de pouvoir, le déséquilibre s'exprime aussi dans le différentiel de rémunération pour un même travail (28 % en moyenne au niveau européen) ou encore par les violences faites aux femmes dans tous les domaines. Les délégués à la conférence se sont alors interrogés sur les moyens à mettre en oeuvre pour favoriser un meilleur équilibre hommes/femmes dans tous les pays de l'Union.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a rappelé à ce propos le concept de « mainstreaming », stratégie-cadre communautaire destinée à intégrer l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans l'ensemble des politiques et actions communautaires, et susceptible d'être déclinée au niveau des Etats membres par les législations nationales. La conférence de Stockholm a été la seconde à traiter de ce concept, qui applique à tout le travail législatif une grille de lecture particulière tendant à promouvoir l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Le « mainstreaming » conduit à une obligation de résultat et nécessite par conséquent une évaluation permanente, comme le fait dès à présent la Suède par le biais d'un rapport au Parlement et d'un débat annuel.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a indiqué que la conférence avait entendu une communication de Mme Teresa Rees, universitaire à Cardiff, consacrée au « mainstreaming » et au respect des différences entre les individus. Relevant que les années 70 avaient été celles de la revendication de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, que les années 80 avaient préconisé des programmes d'actions positives en faveur des femmes, et que les années 90 avaient conduit à l'émergence du concept de « mainstreaming », qui prend en compte les différences entre les hommes et les femmes, Mme Teresa Rees a illustré par de nombreux exemples l'utilité de la mise en oeuvre de ce concept dans le monde du travail. Suggérant de renforcer la mixité des secteurs qui emploient majoritairement des femmes afin d'en valoriser le travail, Mme Teresa Rees a conclu sur la nécessité de disposer d'une information véritable sur le processus de formation des salaires. Mme Maryse Bergé-Lavigne a fait observer à ce propos que la présidence belge s'attachait précisément à mettre en place des critères afin de renforcer, dans les statistiques européennes, l'information sur ce processus.
La deuxième journée de la conférence de Stockholm a été consacrée à l'examen de la situation démographique de déclin de la natalité en Europe en relation avec les politiques d'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Tout en rappelant la baisse quasi générale des taux de fécondité, à la notable exception de la France, Mme Maryse Bergé-Lavigne a indiqué qu'il était désormais prouvé qu'une étroite corrélation existait entre le taux de natalité et le taux d'activité des femmes : les pays, comme en premier lieu la France, où le taux de natalité est le plus fort, sont aussi ceux où le taux d'activité des femmes est le plus élevé. Dans cette perspective, les délégués ont estimé indispensable de promouvoir le travail des femmes afin d'inverser la tendance actuelle au vieillissement de la population européenne, qui risque de conduire à une baisse de la croissance économique et à une crise de l'Etat-providence. Dans le cadre des ateliers qui ont suivi, a souligné Mme Maryse Bergé-Lavigne, la délégation française a été beaucoup interrogée sur nos dispositifs sociaux relatifs à la famille, à l'enfance ou encore aux droits des femmes, la France étant désormais considérée comme une référence par une partie de l'Europe et par les pays candidats.
Mme Dinah Derycke, présidente, est revenue sur l'intervention de Mme Teresa Rees et sur le concept de « mainstreaming » et la prise en compte des particularismes des hommes et des femmes. S'appuyant sur les travaux de la délégation lors de l'examen de la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle, elle a rappelé que tous les spécialistes s'accordaient à reconnaître, comme le rapport Colmou, que la nature même des programmes et des épreuves aux concours d'entrée aux grandes écoles ou dans l'administration, qui sont essentiellement conçus par des hommes, conduisait, non de manière délibérée mais en pratique, à une exclusion des femmes, et que la délégation avait recommandé en conséquence la mixité des jurys des concours et la modification des épreuves.
Relevant que la création des délégations de l'Assemblée nationale et du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes avait en grande partie résulté de la première conférence européenne qui s'était tenue à Bruxelles en 1997 et qui avait révélé que seules la France et la Grèce ne disposaient pas de telles structures, Mme Danièle Pourtaud a souligné l'intérêt de ces rencontres internationales qui permettent de s'appuyer sur les « bonnes pratiques » développées par nos partenaires, lesquels ont longtemps été en avance sur la France en matière d'égalité entre les hommes et les femmes. Elle a cependant fait observer qu'aujourd'hui notre pays était le plus avancé en matière d'égalité d'accès aux fonctions politiques et qu'il paraissait également l'être en ce qui concerne la vie professionnelle et la natalité.
Puis Mme Danièle Pourtaud a manifesté son accord avec le concept de « mainstreaming », dont elle a rappelé qu'il avait « émergé » dans le cadre de la préparation du traité de Maastricht, et estimé qu'il constituait le moyen d'action principal des délégations parlementaires à l'égalité des chances. Relevant qu'il impliquait de prendre en compte la dimension de l'égalité hommes/femmes dans tous les textes de loi et pas seulement dans ceux qui sont spécifiques aux femmes, elle a souligné qu'il rendait nécessaire un ajustement des moyens aux ambitions. Elle s'est déclarée plus réservée sur la notion de prise en compte des différences entre hommes et femmes, estimant qu'elle devait être maniée avec prudence car elle pouvait être porteuse d'effets pervers.
En réponse, Mme Maryse Bergé-Lavigne a cité deux exemples de politiques municipales fondées sur le concept de « mainstreaming » évoqué lors de la conférence de Stockholm : la construction d'un équipement collectif spécifique pour les femmes concomitamment à la construction d'un stade de rugby dans une commune proche de Cardiff, et les pratiques de la municipalité de Göteborg où toutes les politiques de la ville, toute approbation de projet budgétaire, sont « passées à la grille du mainstreaming ».
Evoquant sa propre expérience au Conseil de l'Europe, Mme Josette Durrieu a elle aussi constaté et déploré la faible évolution des mentalités en faveur de l'égalité hommes-femmes, y compris dans les pays scandinaves. Elle a estimé que, si l'on cherche « ce qui fait la force de l'homme », la force physique, qui imprègne encore les rapports entre les sexes dans toutes les sociétés et dans tous les milieux, s'impose faute de meilleure explication. Considérant que les moeurs sont incapables d'évoluer de manière spontanée, elle a jugé indispensable une démarche volontaire en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes, comme jadis pour instaurer la démocratie, et estimé que le concept de « mainstreaming » était un bon vecteur. Par ailleurs, elle a dit croire, quant à elle, à la notion de différences, dont l'affirmation permet aussi de se positionner, avant de déclarer son attachement à la mixité qui a été, au sein du système scolaire, un puissant facteur pour l'évolution des mentalités des jeunes et qui doit conduire à une généralisation de la parité, laquelle ne peut se limiter au seul champ politique, comme le démontre l'exemple des pays scandinaves.
Après que Mme Maryse Bergé-Lavigne lui eut indiqué que tous les Parlements des pays candidats à l'Union européenne ne possédaient pas de délégation aux droits des femmes, en tant que telle, et avoir fait un parallèle, quant aux méthodes de travail, entre la délégation aux droits des femmes pour la mise en oeuvre du concept de « mainstreaming » et la délégation du Sénat pour l'Union européenne pour analyser l'impact de la politique communautaire sur la politique nationale, M. Robert Del Picchia a évoqué, s'agissant du principe de mixité, le récent remplacement des coopérants à l'étranger par le volontariat civil international (VCI). Relevant qu'on ne comptait, dans le passé, qu'environ 140 jeunes filles parmi les 8 000 coopérants, car on les décourageait à suivre cette voie, et qu'elles étaient cantonnées dans quelques domaines spécifiques (aide sociale, médecine), il a indiqué qu'aujourd'hui, il y avait plus de filles que de garçons à devenir VCI après l'appel préparatoire à la défense auquel sont soumis tous les jeunes Français. Enfin, abordant la question de la réussite aux concours, M. Robert Del Picchia a rappelé que les grandes écoles ont connu plusieurs majors de sexe féminin après Mme Anne Chopinet pour l'Ecole Polytechnique, il y a trente ans.
Réagissant à cette dernière réflexion, Mme Dinah Derycke, présidente, a fait observer qu'en pourcentage et en cohorte, les garçons constituaient encore l'immense majorité des élèves des grandes écoles, sauf peut-être ces dernières années dans les écoles de commerce, et qu'en tout état de cause, ce différentiel ne pouvait s'expliquer que par la conception même des épreuves aux concours d'entrée puisque les filles réussissent globalement mieux leurs études secondaires que les garçons.
Un débat s'est engagé, auquel ont pris part Mmes Dinah Derycke, présidente, Hélène Luc, Maryse Bergé-Lavigne, Josette Durrieu et Gisèle Printz, sur la référence à la force physique pour expliquer, « en désespoir de cause », la domination masculine dans les mentalités collectives, et ce dans presque toutes les sociétés et quelles que soient les époques. Mme Dinah Derycke, présidente, a estimé que même si nos sociétés occidentales ne veulent pas évoquer la force, celle-ci est encore très prégnante, et elle a insisté sur l'importance du vécu, les notions d'autorité, d'éducation et de rapport au travail, en souhaitant que la délégation entende des chercheurs sur ces points. Mme Maryse Bergé-Lavigne a rappelé qu'en Suède, le législateur avait dû imposer aux hommes le congé de paternité de trois mois, qui, sinon, n'était jamais sollicité parce qu'il était mal vu qu'un homme s'absente de son travail, Mme Gisèle Printz faisant observer quant à elle que, pendant la guerre, les femmes avaient remplacé les hommes dans les travaux de force.
Après avoir souhaité disposer de statistiques sur la corrélation positive entre travail des femmes et taux de natalité, M. Jean-Guy Branger a évoqué le vieillissement de la population de l'Union européenne et les perspectives de cette dernière d'avoir à accueillir d'ici quinze à vingt ans quelque 30 millions de migrants, en souhaitant qu'une prise de conscience anticipée de ce phénomène permette de mieux faire face à cet accueil que par le passé.
Ayant souligné qu'une déléguée allemande à la conférence de Stockholm avait fait remarquer que les trois Etats de l'Union européenne qui connaissaient le plus faible taux de natalité étaient l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, c'est-à-dire les trois anciennes dictatures fascistes, Mme Maryse Bergé-Lavigne s'est interrogée sur le poids de l'histoire dans le comportement des femmes de ces pays au regard de la maternité. Elle a en outre rappelé le faible taux d'activité des allemandes, qui cessent en général de travailler dès la naissance de leur premier enfant.
S'agissant de l'intégration des futurs migrants, Mme Gisèle Gautier a estimé qu'elle serait, comme pour toutes les générations précédentes, plus difficile pour les femmes que pour les hommes, et qu'il y avait là un sujet de réflexion pour l'avenir. Revenant sur le problème de la domination masculine, elle a évoqué l'expression de « prince consort » qui exprime combien la société est rétive à l'idée qu'une femme ait un statut social supérieur à celui de son mari.
Affaires étrangères - Afghanistan - Communication
Puis Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité que la délégation adresse au secrétaire général de l'ONU une lettre invitant cet organisme et ses agences spécialisées, en particulier l'UNIFEM, à se préoccuper particulièrement, dans le processus de paix en Afghanistan, du sort des femmes qui ont été les premières victimes du régime des taliban.
A la suite d'un débat, auquel ont participé Mmes Dinah Derycke, présidente, Josette Durrieu, Maryse Bergé-Lavigne, Gisèle Gautier, Hélène Luc et M. Robert Del Picchia, la délégation a décidé à l'unanimité des présents de donner suite à la proposition de Mme Maryse Bergé-Lavigne.