Délégations et Offices
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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mardi 17 octobre 2000
- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.
Audition de M. Philippe Scelles, président de la Fondation Scelles, accompagné de Mme Christiane Grosse, déléguée aux relations avec les associations, et de Mme Carole Bartoli, responsable juridique, sur le thème de la prostitution
La délégation a procédé, sur le thème de la prostitution, à l'audition de M. Philippe Scelles, président de la fondation Scelles, accompagné deMme Christiane Grosse, déléguée aux relations avec les associations, et de Mme Carole Bartoli, responsable juridique.
A titre liminaire, Mme Dinah Derycke, présidente, a rappelé que la délégation entendait aborder le thème de la prostitution de manière concrète et que, dans cet esprit, le colloque qu'elle organise le 15 novembre prochain s'intéresserait aux politiques publiques que la France, pays abolitionniste, met en oeuvre pour examiner si elles sont conformes à ses objectifs.
En introduction, M. Philippe Scelles a indiqué qu'aujourd'hui, plus de 5 millions d'êtres humains, dont 2 millions d'enfants, étaient prostitués dans le monde, que tous les pays étaient confrontés à ce phénomène -qui suscite des flux financiers estimés à 10 milliards de francs pour la France, 60 milliards de francs en Europe et 400 milliards de francs dans le monde- et que ce "commerce" s'accompagnait d'un terrible trafic d'êtres humains, lié aux mêmes réseaux que ceux de la drogue et du blanchiment d'argent sale. Insistant sur l'importance du fléau en Europe, il a regretté que les pays membres de l'Union européenne, loin d'avoir une politique uniforme en ce domaine, l'abordent même avec des approches totalement différentes. Il a cité, à cet égard, les Pays-Bas et l'Allemagne, pays "réglementaristes" qui prônent la légalisation de la prostitution et du proxénétisme et militent fortement dans les enceintes internationales pour imposer leur conception, en les opposant à la France et à d'autres Etats, qui tolèrent l'exercice de la prostitution pour ne pas pénaliser les personnes prostituées, mais en répriment l'exploitation en punissant le proxénétisme.
Mme Christiane Grosse a ensuite présenté la fondation Scelles comme étant un lien entre les associations qui combattent ce nouvel esclavage que constitue la prostitution, associations qui, actuellement au nombre de 23, sont présentes dans plus d'une cinquantaine de villes en France et, au total, sur 117 sites dans et hors notre pays, et sont animées par environ 600 salariés et plus de 700 bénévoles.
M. Philippe Scelles a précisé que la fondation s'était fixé pour double mission de débanaliser et de faire reculer l'exploitation sexuelle, sous toutes ses formes, en sensibilisant l'opinion publique par l'intermédiaire des décideurs et des leaders d'opinion, et d'agir auprès des pouvoirs publics pour renforcer les législations et leurs applications. A cet égard, il a souligné que la fondation Scelles différait des associations de terrain, lesquelles interviennent auprès des victimes en leur proposant accompagnement et assistance psychologique, économique, médicale et judiciaire, et qu'elle avait davantage pour objectif de provoquer, en agissant sur les causes, une prise de conscience individuelle et collective pour donner naissance à un "front du refus". Il a ajouté que, trait d'union entre les associations de terrain et les instances susceptibles de faire évoluer le combat contre la prostitution, la fondation participait également à des réunions européennes et internationales, et qu'elle était elle-même membre d'organisations telle que la Fédération abolitionniste internationale.
S'agissant du fonctionnement de la fondation Scelles, qui est reconnue d'utilité publique depuis 1994, M. Philippe Scelles a précisé qu'elle était animée par six permanents et une trentaine de bénévoles et que son budget, qui s'établissait à 2 millions de francs en 1999, était essentiellement financé par des dons de particuliers, auxquels s'ajoutent quelques subventions du ministère de l'emploi et de la solidarité, du service des droits des femmes et du ministère de la jeunesse et des sports. En ce qui concerne les services offerts par la fondation, M. Philippe Scelles a cité le Centre de recherches internationales et de documentation sur l'exploitation sexuelle (CRIDES), qui comprend, outre un fonds documentaire accessible aux associations, aux institutions, aux journalistes et à toute personne concernée, un observatoire international de l'exploitation sexuelle, un centre de recherches et une antenne juridique. Il a également évoqué le site internet de la fondation, qui présente la particularité d'être ouvert aux associations françaises qui travaillent en faveur des victimes de la prostitution et poursuivent des buts convergents à ceux de la fondation Scelles. Il a enfin offert les services de cette dernière à la délégation, sa documentation, en particulier les dossiers thématiques réalisés par le CRIDES, ainsi que son expérience et le bénéfice de la veille qu'elle effectue en permanence, qu'il s'agisse de l'état des lieux de la prostitution, des événements ponctuels, des activités des associations de terrain, etc.
Rappelant que l'action de la fondation Scelles s'inscrivait dans le cadre de la lutte contre l'exploitation sexuelle, Mme Carole Bartoli a précisé que ses objectifs étaient l'affirmation de l'inaliénabilité du corps humain, la reconnaissance de la prostitution comme une atteinte à la dignité de la personne humaine et le refus de l'assimilation de la prostitution et du proxénétisme à des métiers, les personnes prostituées devant avoir la possibilité de gagner leur vie autrement. Elle a rappelé que le colloque, organisé par la fondation à l'UNESCO en mai dernier, au terme d'une collaboration de dix-huit mois avec onze associations partenaires travaillant dans des domaines différents et de sensibilités diverses, avait été l'occasion de formuler des propositions concrètes à l'attention des pouvoirs publics. Si elle a en effet estimé la situation législative et réglementaire en France globalement positive, comparée à celle de nombreux autres pays, elle a jugé que des améliorations importantes étaient cependant nécessaires, soulignant à cet égard que la sensibilisation des médias et de l'opinion publique à la nouvelle forme d'esclavage que constitue la prostitution demeurait une priorité de la fondation Scelles.
Mme Dinah Derycke, présidente, a ensuite évoqué le colloque organisé par la délégation le 15 novembre 2000 sur la prostitution, les thèmes abordés et les intervenants.
Après que M. Philippe Scelles eut rappelé que plus de 80 % des personnes prostituées ont été victimes d'abus sexuels pendant leur jeunesse, que la prostitution est aujourd'hui contrôlée par une organisation commerciale internationale souterraine qui suscite des flux financiers considérables et facilite le blanchiment de l'argent sale, et qu'il eut estimé que les quelques très rares personnes qui ont délibérément choisi d'être prostituées ne devaient pas cacher la réalité de l'esclavage subi par l'immense majorité des autres, Mme Dinah Derycke, présidente, a déclaré que la délégation, lorsqu'elle avait choisi d'étudier la prostitution, avait bien pris la mesure des multiples difficultés que le phénomène et son approche soulevaient. Soulignant que le choix de la délégation avait été arrêté avant que la prostitution ne devienne, récemment, un thème privilégié des médias, qu'ils traitent d'ailleurs pour la plupart, a-t-elle souligné, d'une manière qu'on peut juger de "racoleuse", elle a fait valoir qu'il était nécessaire d'entendre toutes les voix et opinions, même si on ne peut logiquement attendre de la part des personnes prostituées qu'un discours de légitimation de leur activité. A titre d'autres exemples des difficultés dont la délégation a pris la mesure, elle a évoqué le trafic international des êtres humains, phénomène nouveau qui est différent de la prostitution et qui a considérablement compliqué l'approche de cette dernière, ainsi que le problème de la fiscalité, tant du point de vue de l'Etat -imposer les prostituées ne revient-il pas, pour lui, à considérer leur travail comme un autre, ce qui est contraire à une politique abolitionniste- que des personnes prostituées que la fiscalisation empêche souvent de sortir de leur état.