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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mercredi 8 mars 2000
- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.
Audition de Mme Anne-Marie Colmou, maître des requêtes au Conseil d'Etat
La délégation a procédé à l'audition de Mme Anne-Marie Colmou, maître des requêtes au Conseil d'État, auteur d'un rapport au ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation, intitulé "L'encadrement supérieur de la fonction publique : vers l'égalité entre les hommes et les femmes".
Mme Dinah Derycke, présidente, a indiqué, en guise d'introduction, que cette audition, tenue à la date symbolique du 8 mars, Journée internationale des femmes, s'inscrivait dans le contexte de l'examen, par le Parlement, de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson, députée, et plusieurs de ses collègues, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Adopté par l'Assemblée nationale le 7 mars, ce texte comporte un volet consacré à la fonction publique.
Mme Anne-Marie Colmou a précisé, à titre liminaire, que cet aspect de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson reprenait des recommandations qu'elle avait formulées dans son rapport au printemps 1999, et qui avaient figuré auparavant dans des projets de décret, dont le Conseil d'État avait estimé, à l'automne, les dispositions de nature législative.
Elle a ensuite présenté les aspects essentiels de son rapport.
S'agissant de l'état des lieux, Mme Anne-Marie Colmou a rappelé que si la fonction publique française se caractérisait par une très forte féminisation globale (plus de 56 % des effectifs), la situation apparaissait extrêmement hétérogène dès lors qu'on affinait l'analyse par corps, par ministères ou par emplois, avec, pour constantes, une très faible présence des femmes dans les corps dits techniques et, surtout, la rapide diminution de leur proportion à mesure qu'on s'élève dans la hiérarchie. Ce "plafond de verre", bien qu'aisément observable, n'a fait jusqu'ici l'objet d'aucune étude approfondie, a déploré Mme Anne-Marie Colmou, en indiquant qu'elle avait été conduite à asseoir son rapport essentiellement sur des témoignages de syndicalistes, de femmes hauts fonctionnaires et de gestionnaires du personnel. Elle a estimé qu'une analyse de la situation et surtout de son évolution nécessitait l'institution d'un véritable outil statistique sexué, lequel, en améliorant la transparence, offrirait aux décideurs les moyens d'adapter les mesures à prendre aux objectifs à atteindre. Cette exigence constitue la première proposition de son rapport.
La sous-féminisation, dans la haute fonction publique, a poursuivi Mme Anne-Marie Colmou, a d'abord les mêmes causes d'ordre général que dans le secteur privé, et notamment la double journée de travail des femmes et les problèmes de garde des enfants -mention doit être faite aussi du " sexisme des manuels scolaires ", l'image de femmes occupant des postes d'encadrement étant inexistante à l'école, mais, on doit se réjouir qu'une convention s'attaquant à ce problème vienne d'être tout récemment signée par le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et les autres ministres intéressés.
Le phénomène a également des causes propres au système même de notre fonction publique. Il en est ainsi du mode de sélection des futurs hauts fonctionnaires, dont on peut se demander, a dit Mme Anne-Marie Colmou, " s'il n'est pas fait par et pour les hommes ", prenant insuffisamment en compte les qualités propres aux deux différents sexes. Une réflexion sur les conditions de recrutement est nécessaire, a-t-elle estimé. Dans cette perspective, elle a, dans son rapport, recommandé l'institution, au sein de la Direction générale de l'administration et de la fonction publique, d'un comité de pilotage chargé d'examiner le contenu et les modalités, tant des épreuves des concours d'entrée dans les écoles d'application administratives que des enseignements qu'elles dispensent. A sa connaissance, ce comité devrait être installé tout prochainement. Relevant plus largement que la mixité avait été introduite dans l'enseignement secondaire il y a trente ans sans que, pour autant, les méthodes d'enseignement aient été adaptées à cette nouvelle situation, elle a appelé de ses voeux une évolution.
Elle a ensuite insisté sur une troisième proposition de son rapport qui concerne la composition des jurys de concours, encore trop souvent, par habitude, très majoritairement masculins. La féminisation obligatoire des jurys, dans des conditions fixées par le Conseil d'État, est reprise dans la proposition de loi de Mme Catherine Génisson, a indiqué Mme Anne-Marie Colmou, mais le dispositif amendé par l'Assemblée nationale conduirait à modifier les quelque 1400 statuts particuliers de la fonction publique, risquant, ce faisant, de rendre la réforme inapplicable.
Critiquant ensuite la rédaction actuelle de l'article 6 du statut général des fonctionnaires qui traite pêle-mêle, pour les interdire, des discriminations à raison de la race, des opinions philosophiques ou religieuses, du sexe, etc..., ainsi que du harcèlement sexuel, Mme Anne-Marie Colmou a souhaité qu'une distinction rende plus claire la lecture de ces dispositions et s'est félicitée que la proposition de loi de Mme Génisson vise à instituer dans ce texte deux articles 6 bis et 6 ter qui interdiraient, respectivement, la discrimination sexuelle et le harcèlement sexuel.
S'agissant ensuite du déroulement des carrières, Mme Anne-Marie Colmou a indiqué qu'elle avait formulé, dans son rapport, de nombreuses propositions destinées à favoriser la promotion des femmes. Il est notamment souhaitable, a-t-elle dit, de mettre fin à la grande opacité qui entoure le système de nomination aux postes d'encadrement supérieur, qui fonctionne sans transparence sur les vacances et essentiellement par l'activation de réseaux dont sont exclues les femmes. Elle a également préconisé la constitution de viviers de femmes pour garantir leur promotion équilibrée. De même a-t-elle suggéré la définition, ministère par ministère, de plans pluriannuels d'objectifs destinés à renforcer progressivement la féminisation de chaque corps, pour parvenir à une homogénéité entre les différents niveaux hiérarchiques. Cette proposition vient d'être mise en oeuvre par une récente circulaire du Premier ministre.
Parallèlement, Mme Anne-Marie Colmou a appelé de ses voeux la féminisation des commissions administratives paritaires (CAP), qui examinent les questions individuelles d'avancement des fonctionnaires, et des comités techniques paritaires (CTP), qui débattent des conditions collectives de travail. Cette féminisation passe par une désignation équilibrée entre les deux sexes des représentants de l'administration à ces instances.
Enfin, Mme Anne-Marie Colmou a vivement souhaité que s'engage une réflexion sur l'organisation du travail dans la haute fonction publique, organisation qu'elle a qualifiée de " désastreuse ", avec une utilisation du temps peu rationnelle et préjudiciable aux femmes, beaucoup plus confrontées que leurs collègues masculins aux impératifs de la vie familiale et domestique.
Un débat s'est ensuite instauré.
M. Patrice Gélard a estimé que, bien qu'intéressant, le rapport de Mme Colmou analysait plus les effets que les causes de la sous-féminisation de la haute fonction publique, alors même que c'est sur les causes qu'il convient d'agir. Ainsi, considérant que les résultats du concours d'entrée à l'ENA ne procédaient pas d'un comportement " machiste " du jury, mais bien plutôt d'une différence de cursus antérieurs entre les candidats et les candidates, il a jugé nécessaire de procéder à des comparaisons de populations analogues pour tirer des enseignements utiles. S'agissant des filières scientifiques, il a considéré que le fond du problème était le faible nombre de candidates, qu'il a attribué à de multiples raisons, et notamment aux attitudes parentales, au comportement sédentaire des filles, à la mentalité des classes préparatoires aux grandes écoles qui leur est peu adaptée. Les jeunes filles qui ont un BAC S, a-t-il noté, délaissent les écoles d'ingénieurs au profit des études médicales ou paramédicales.
En ce qui concerne la sous-représentation féminine dans le haut encadrement des administrations centrales, M. Patrice Gélard a considéré qu'il convenait de s'interroger sur les motivations des élèves féminines, pour lesquelles l'organisation du temps de travail, la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale constituent des éléments déterminants de choix de carrière : ainsi, à la sortie de l'ENA, les jeunes femmes choisissent volontiers les tribunaux administratifs ou les chambres régionales des comptes, de même, les promotions à l'École nationale de la magistrature présentent une forte féminisation. Il a déclaré qu'il lui paraissait par ailleurs essentiel, d'une part, de revoir l'orientation souvent " décourageante " des jeunes filles au moment des études secondaires et, d'autre part, d'atténuer les pénalisations qu'entraîne souvent pour les carrières le congé parental d'éducation.
En réponse, Mme Anne-Marie Colmou a indiqué que les causes de sous-féminisation qui étaient étrangères à la fonction publique étaient abordées dans son rapport, mais que sa mission l'avait conduite à limiter ses propositions à celles qui s'adressaient au ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation. Elle a par ailleurs estimé qu'il appartiendrait précisément au comité de pilotage d'analyser, dans les enseignements et dans les concours, les raisons de la sous-féminisation de certaines filières. Elle a enfin considéré que si les jurys n'avaient pas nécessairement des comportements à proprement parler " machistes ", leur composition équilibrée entre les deux sexes paraissait néanmoins normale et donc souhaitable.
Revenant sur le problème de la féminisation de la magistrature, M. Patrice Gélard a attiré l'attention sur le fait que le traitement de " l'un des problèmes de société les plus cruciaux ", celui des banlieues, revenait à des professions aujourd'hui largement féminisées (magistrats, enseignants, agents du secteur social en général) alors même qu'on assiste parallèlement à une " crise des pères ".
Mme Dinah Derycke, présidente, a déploré l'existence, dès la maternelle et tout au long de la scolarité, d'attitudes différentes, conscientes ou non -chez les parents, les enseignants, dans les manuels scolaires et les méthodes d'enseignement- entre les filles et les garçons avec une valorisation systématique des garçons. Elle s'est félicitée de la convention qui vient d'être signée par les différents ministres intéressés pour combattre le sexisme au sein de l'éducation, saluant en elle un premier pas pour modifier ces comportements inconscients.
Mme Dinah Derycke, présidente, a ensuite insisté sur la question de la mixité des jurys. Revenant sur le dispositif adopté par l'Assemblée nationale dans le cadre de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson, elle a interrogé Mme Anne-Marie Colmou sur son applicabilité. Confirmant ses précédents propos, celle-ci a estimé que la position jurisprudentielle du Conseil d'État, reprise dans le texte initial de Mme Catherine Génisson et consistant à admettre, pour les statuts particuliers, la mixité d'un jury dès lors que l'un des sexes y était représenté par au moins un membre, était certes contestable comme l'estimait Mme Dinah Derycke, présidente, mais qu'elle constituait aussi une " soupape de sécurité " générale pour certains corps presque exclusivement masculins (corps où il est très difficile sinon impossible de trouver des femmes pour composer les jurys au titre des personnalités qualifiées) et que sa suppression par l'Assemblée nationale risquait de bloquer la réforme faute, pour le pouvoir exécutif, d'être en mesure de modifier rapidement les 1 400 statuts particuliers de la fonction publique. Elle a cependant reconnu qu'il conviendrait d'abord de connaître avec précision le nombre de ces " corps fermés ", soulignant qu'elle s'était heurtée sur ce point, dans la rédaction de son rapport, à " une poche d'opacité ".
M. Jean-François Picheral a rappelé que tous les concours de la fonction publique ne présentaient pas le même type de déséquilibre en matière de répartition sexuée des candidats ; il a relevé qu'un trop fort déséquilibre dans les effectifs entraînait généralement une réaction favorable à l'instauration de la parité (dans les deux sens comme on le constate pour la magistrature), et que les principaux obstacles à la promotion des femmes étant la maternité et les contraintes domestiques, il convenait d'agir à ces deux niveaux.
Revenant sur le problème de la mixité des jurys, Mme Dinah Derycke, présidente, a relevé que de manière générale, et jusqu'à présent, la participation aux jurys apparaissait comme une " affaire d'hommes ", selon une sorte d'attitude de principe qu'il convenait de modifier. Puis, précisant qu'il y avait précisément 48 % de magistrates, elle a estimé qu'on ne pouvait parler de déséquilibre, comme le faisait M. Patrice Gélard, d'autant que les femmes sont encore peu nombreuses dans la très haute magistrature.
Mme Anne-Marie Colmou a précisé que les gestionnaires de personnel qu'elle avait rencontrés dans le cadre de sa mission avaient tous affirmé être à la recherche de femmes pour constituer les jurys, dans la mesure où la féminisation avait pour effet positif une évolution des mentalités.
S'agissant des taux d'absentéisme hommes/femmes à âge égal, elle a estimé que la question était particulièrement complexe faute de disposer de statistiques sexuées fiables. Elle a par ailleurs déploré que des appréciations différentes soient souvent portées quant aux questions de compétence ou d'absence pour garde d'enfant selon le sexe de l'intéressé, les hommes bénéficiant généralement de jugements plus favorables.
Abordant le problème des concours internes, Mme Dinah Derycke, présidente, a estimé qu'ils n'étaient pas toujours de nature à permettre d'assurer la parité en raison de la mobilité qu'exige souvent la scolarité dans les écoles d'application et de la mutation géographique qui accompagne parfois la progression de carrière.
Bien qu'approuvant pleinement ce constat, Mme Anne-Marie Colmou a estimé que le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTCI) devrait permettre de dépasser rapidement ou d'atténuer cette question de la mobilité. S'agissant par ailleurs des nouvelles modalités d'organisation du travail -congé parental, temps partiel, partage des postes, etc...- elle a estimé qu'elles recelaient, en éloignant de la carrière, un certain nombre de dangers qui nécessitaient des études préalables très approfondies.
Mme Odette Terrade a exprimé son accord sur ce dernier point, estimant en particulier indispensable que le temps partiel soit choisi et non contraint et qu'un certain nombre d'adaptations, notamment en ce qui concerne l'acquisition des droits à la retraite, accompagnent ce mouvement.
En réponse à Mme Dinah Derycke, présidente, sur les motivations qui avaient conduit le Conseil d'État à formuler à l'automne un avis défavorable sur les projets de décret relatifs à la féminisation des jurys de concours, des CAP et des CTP, Mme Anne-Marie Colmou a confirmé qu'il s'agissait exclusivement de respecter la hiérarchie des normes, et que le Conseil n'avait pas émis de réserves sur la constitutionnalité des mesures, dès lors qu'elles seraient prises par la voie législative.
Mme Dinah Derycke, présidente, l'interrogeant ensuite sur l'absence de parité au sein des représentations syndicales aux CAP et aux CTP, Mme Anne-Marie Colmou a précisé que, conformément au contenu de sa mission, ses propositions concernaient exclusivement la représentation de l'administration au sein de ces instances et qu'au demeurant, il lui semblait que des arguments constitutionnels relatifs à la liberté syndicale rendaient difficiles l'extension de l'obligation de parité aux organisations professionnelles.
Mme Odette Terrade a estimé qu'une réponse serait peut-être apportée si les amendements, présentés lors du débat sur le projet de loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, et qui étendaient aux élections professionnelles les obligations relatives à la parité des candidatures, étaient repris sous forme de proposition de loi, comme l'avaient annoncé certains représentants de la majorité sénatoriale.
A l'issue de l'audition de Mme Anne-Marie Colmou, un échange de vues sur le calendrier et les travaux de la délégation a eu lieu à l'initiative de Mme Dinah Derycke, présidente.