Délégations et Offices

Table des matières


DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION

Mercredi 15 décembre 1999

- Présidence de M. Joël Bourdin, président.

Conséquences macroéconomiques du vieillissement démographique - Examen du rapport d'information

La délégation a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Jean-Pierre Plancade sur les conséquences macroéconomiques du vieillissement démographique.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur,
a tout d'abord souligné que ce rapport répondait à la mission de la délégation qui est d'informer le Sénat sur les travaux de planification, dans la mesure où le vieillissement démographique constitue l'un des champs de réflexion actuellement privilégiés par le commissariat général du Plan. Il a également insisté sur la difficulté d'un sujet qui fait l'objet d'analyses contradictoires, voire conflictuelles. Il a indiqué que, dans l'esprit des travaux de la délégation, il s'était efforcé de ne pas prendre position non plus que de formuler des propositions, mais qu'il avait souhaité présenter les éléments d'information et d'analyse, afin de contribuer à la compréhension d'un dossier complexe.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a ensuite rappelé que le vieillissement démographique était un phénomène inéluctable correspondant à un mouvement de fond, l'allongement de l'espérance de vie, et irréversible dans la mesure où une augmentation de la fécondité, par ailleurs souhaitable, et une accélération de l'immigration, évoquée par certains, ne permettraient pas d'inverser cette tendance.

Il a ensuite indiqué que les deux aspects du vieillissement démographique, c'est-à-dire la stagnation, puis la diminution de la population en âge de travailler, d'une part, l'augmentation de la proportion des personnes âgées dans la population, d'autre part, pourraient avoir une incidence majeure, à la fois sur le rythme de la croissance économique à long terme et sur le partage du revenu entre actifs et retraités.

Concernant l'impact du vieillissement sur la croissance, il a considéré que celui-ci était très difficile à quantifier pour deux raisons :

- tout d'abord, le fait que l'allongement de l'espérance de vie s'accompagne de l'allongement de l'espérance de vie en bonne santé, et que tous les âges de la vie, à l'exception de celui de la retraite, ont reculé (fin des études, entrée dans la vie active, premier enfant, entrée en institution pour personnes âgées) ; le comportement économique, en matière de consommation, d'épargne ou de dépenses de santé d'une personne de 65 ans, a lui aussi considérablement évolué, ce qui invite à reconsidérer les critères traditionnels de la vieillesse ;

- ensuite, la totale nouveauté du phénomène du vieillissement démographique, de telle sorte que les économistes sont relativement impuissants à apprécier les adaptations des agents économiques.

Ceci n'interdit pas toutefois de s'intéresser à l'incidence du vieillissement sur quelques variables fondamentales, telles que la productivité, le chômage, l'épargne ou les dépenses de santé.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a tout d'abord rappelé le caractère déterminant de l'évolution à long terme de la productivité du travail, dont dépend la progression du niveau de vie. Il a ainsi fait observer que la seule référence disponible pour apprécier l'évolution future de la productivité était son évolution passée et que cette incertitude fondamentale pouvait être lourde, un demi-point en plus ou en moins de productivité annuelle se traduisant, à l'horizon 2040, par 22 % en plus ou en moins pour le niveau des salaires. Il a par ailleurs exprimé des doutes sur l'existence d'un lien univoque entre vieillissement de la population au travail et productivité. Si certains affirment que le départ de travailleurs expérimentés entraînera une baisse de la productivité, d'autres considèrent qu'ils seront remplacés par des jeunes travailleurs plus qualifiés, ce qui aura une incidence positive sur la productivité.

De même, comme le montre l'observation de secteurs qui ont connu un fort vieillissement, notamment celui de la sidérurgie, chaque fois que les entreprises se préparent au vieillissement en valorisant les atouts de l'âge, comme l'expérience ou le sens de l'anticipation, on n'observe pas de choc significatif sur la productivité.

A propos de l'incidence du vieillissement sur le chômage, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a considéré qu'il fallait nuancer le pronostic optimiste, selon lequel la diminution de la population active, à partir de 2006, allait progressivement entraîner un retour au plein-emploi. Tout d'abord, si une part du chômage est imputable à des facteurs structurels et à des rigidités, il n'y a pas de raison pour que la réduction de la taille du marché du travail se traduise par une disparition de ces rigidités. De même, les départs massifs à la retraite des générations du " baby boom " pourraient se traduire dans les grandes entreprises par des restructurations et une diminution du volume de l'emploi total.

Enfin, une autre difficulté résulte de la progression des salaires à l'ancienneté, le vieillissement dans les entreprises se traduisant par une pression sur l'équilibre des comptes. Un ajustement où les entreprises chercheraient à écarter les travailleurs âgés serait ainsi lourd de conséquences et irait à l'encontre de la nécessité d'allonger la durée de cotisation pour la retraite.

Évoquant par ailleurs la relation entre vieillissement et épargne, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a souligné l'écart entre la théorie du cycle de vie, formalisée par le prix Nobel d'économie, Franco Modigliani, selon laquelle l'épargne fluctue en fonction du revenu et baisse ainsi fortement au moment de la retraite, et la réalité : le taux d'épargne des plus de 60 ans est aujourd'hui supérieur à 22 %, alors qu'il se situe à 15 % environ, en moyenne, pour l'ensemble des ménages. Au niveau mondial par ailleurs, la montée de l'épargne dans les pays développés pourrait se traduire par un mouvement tel que celui qui a été observé à la fin du XIXe siècle, où les pays du " vieux continent " ont massivement investi dans les pays " émergents " d'alors (États-Unis, Argentine notamment). Cela pourrait se traduire par un échange mutuellement avantageux dans lequel les pays développés financeraient, via, par exemple, des fonds de pension, les investissements, la croissance, et donc l'augmentation du niveau de vie dans les pays émergents, ces placements étant en retour plus rémunérés qu'ils ne l'auraient été dans les pays développés, permettant une augmentation du revenu à partager entre actifs et retraités.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a ensuite indiqué qu'il fallait s'attendre à une croissance sensible des dépenses de santé dans l'avenir, mais qu'elle était plus liée à l'augmentation du revenu qu'au vieillissement lui-même. Selon l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ou l'INSEE, le vieillissement n'expliquerait en effet qu'un dixième de la croissance des dépenses de santé depuis 1960. Selon l'INSEE toujours, l'impact direct du vieillissement sur les dépenses de santé pour les prochaines années serait de 0,5 point par an.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a également ajouté que l'évolution des dépenses de santé dépendra aussi très étroitement des politiques de prévention du vieillissement qui seront mises en place. Il a reconnu que ces observations allaient un peu à l'encontre de l'intuition selon laquelle le vieillissement entraînerait une forte croissance des dépenses de santé. Mais il a observé que ce n'était que la conséquence de l'allongement de la vie en bonne santé et du recul des frontières de la vieillesse. Il a ainsi souligné que ce n'était pas parce que le nombre de personnes de plus de 60 ans allait doubler que le nombre de personnes âgées " malades " allait doubler également.

Il a considéré, pour les mêmes raisons, que le coût de la prise en charge de la dépendance, qui représente actuellement 0,5 % du PIB, ne devait pas être exagéré, même si, indépendamment de toute évolution démographique, l'amélioration indispensable des réseaux de prise en charge de la dépendance serait coûteuse pour les institutions publiques.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a enfin évoqué la question du partage du revenu national entre actifs et retraités. Il a tout d'abord indiqué quelques ordres de grandeur macroéconomiques.

Sur la base des réformes déjà prises (la réforme Balladur de 1993 et les accords déjà conclus dans les régimes complémentaires en 1996), les déséquilibres potentiels des régimes par répartition représenteraient 4 points de PIB environ, l'évolution du taux de chômage affectant assez peu ces projections. Ces 4 points de PIB représentent 7,4 points de cotisation des salariés. Si l'on tenait compte, par ailleurs, des économies sur l'assurance-chômage ou la branche famille, la hausse des cotisations nécessaire à l'équilibre ne serait toutefois que de 4 points environ.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a ensuite évoqué la possibilité d'introduire une dose de capitalisation pour financer à long terme les retraites. Il a tout d'abord rappelé que la capitalisation ne permettait pas de répondre à un choc démographique très différemment par rapport à la répartition, parce qu'à un moment donné il faut toujours partager la richesse entre ceux qui la produisent et les retraités, que les actifs s'abstiennent de consommer ce qu'ils ont produit pour l'affecter aux inactifs. C'est ainsi moins la manière -répartition ou capitalisation- dont le prélèvement sur la production des actifs va être opéré, que le niveau de ce prélèvement qui est important.

Il a cependant estimé qu'il pouvait y avoir un avantage à la capitalisation, dans la mesure où elle produit un supplément d'épargne et un investissement moins coûteux, donc plus de croissance et de revenu à partager. Il a considéré que c'était un avantage non négligeable, avec celui de pouvoir investir les capitaux dans les zones à forte croissance et à fort rendement. Mais ceci suppose un supplément d'épargne investie dans les fonds de pension, car s'il ne s'agissait que d'un transfert de l'épargne actuelle, l'opération serait neutre sur le plan macroéconomique.

Par ailleurs, la capitalisation ne permet pas de résoudre la question du financement à long terme des régimes de retraite. Comme l'a fait observer le commissaire au Plan, M. Jean-Michel Charpin, lorsqu'il a présenté son rapport sur l'avenir des retraites, la capitalisation crée des droits nouveaux qui s'ajoutent à ceux ouverts par les régimes par répartition et qui sont financés instantanément par des cotisations.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a conclu sur ce point que la capitalisation ne pouvait pas répondre à la question des déséquilibres des régimes par répartition, à moins d'envisager que l'on ne baisse dès aujourd'hui les retraites, mais qu'il était néanmoins nécessaire de créer, à côté des systèmes par répartition, des dispositifs fondés sur la capitalisation afin de renforcer la confiance dans l'ensemble du système de retraite, de diversifier les risques, de drainer l'épargne vers des investissements à la fois plus longs et plus risqués et, surtout, parce qu'aujourd'hui, seules, quelques catégories d'actifs bénéficiaient de fonds de pension (agriculteurs, fonctionnaires, professions libérales ou salariés des grandes entreprises) et qu'il convenait de remédier à cette inégalité.

Il a par ailleurs rappelé que, d'un point de vue macroéconomique, la nature profonde du financement à long terme des régimes de retraite était un arbitrage entre le niveau de vie des actifs, le niveau de vie des retraités et l'allongement de la durée de cotisation. Il a considéré que l'on pouvait toujours financer les déficits par une hausse des cotisations, mais que cela ferait peser sur un nombre réduit de générations la charge de l'ajustement, ce qui ne paraissait pas équitable et portait le risque que ces générations ne se sentent lésées.

Un dispositif plus équitable serait de lisser la hausse des cotisations pour éviter une augmentation brutale, ce que permettrait la constitution d'un fonds de réserve. Macroéconomiquement, cela reviendrait à réduire la dette publique. M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a considéré que cela était souhaitable dans une période de reprise économique, mais qu'il fallait trouver un moyen pour qu'en cas de récession et de dégradation des finances publiques, il soit tout à fait impossible d'affecter ces réserves à d'autres dépenses.

Un second élément d'arbitrage réside dans la baisse du niveau de vie relatif des retraités, même si leur niveau de vie absolu progressera dans toutes les hypothèses, même la plus défavorable qui consisterait à faire porter toute la charge de l'ajustement sur les retraites.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a rappelé que les réformes déjà engagées se traduiraient par une baisse du taux de remplacement des retraites (de 25 % pour un ouvrier et de 39 % pour un cadre-type) et s'est demandé si l'on pouvait aller plus loin dans ce sens.

Le dernier élément d'arbitrage réside dans l'allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein, que le rapport Charpin propose de porter progressivement à 42 ans et demi, de préférence à un recul de l'âge de la retraite.

Sur ce point, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a présenté deux observations générales :

- tout d'abord, cette mesure n'est possible que dans un contexte de plein emploi ;

- par ailleurs, le rapport Charpin assortit cette proposition de beaucoup d'aménagements, comme la validation des périodes d'études ou de chômage non indemnisé, et d'un calcul des abattements pour le nombre d'années manquantes qui pénaliserait beaucoup moins qu'aujourd'hui ceux qui partent en retraite avant d'avoir le nombre d'années maximum.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a jugé cette proposition équitable, puisque ceux qui commencent à travailler tôt partiraient aussi le plus tôt, alors que ce sont d'ailleurs souvent les mêmes qui ont une espérance de vie plus courte. Le rapport Charpin propose également de définir des travaux pénibles dans le secteur privé qui donneraient droit à un départ plus précoce. M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a estimé qu'il faudrait redéfinir les critères de pénibilité dans le secteur public.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a considéré que la proposition d'allongement de la durée de cotisation lui paraissait aller dans le sens d'une plus grande souplesse, d'une " retraite à la carte ", en fonction des aspirations et de l'état de santé de chacun, mettant fin, ainsi, à cette séquence rigide qui est aujourd'hui la règle, c'est-à-dire un cycle de vie artificiellement organisé en trois temps : la formation, le travail et la retraite, avec le plus souvent une vie professionnelle concentrée entre 30 et 50 ans.

Il a conclu en soulignant qu'il s'agissait là du principal enseignement qu'il tirait de toutes les réflexions sur les conséquences du vieillissement démographique et qu'il fallait aller dans le sens d'une augmentation de la participation au marché du travail, à la fois pour les jeunes et pour les travailleurs âgés, mais en la rendant plus souple, laissant la place à des périodes d'inactivité et de formation, et faisant en sorte qu'elle soit compatible avec l'aspiration légitime des salariés âgés à travailler moins, par des dispositifs d'aménagement et de réduction du temps de travail, sous forme de temps partiel, de retraites progressives, d'années sabbatiques et de bien d'autres dispositifs qui restent à imaginer. Il a ainsi regretté que cette problématique ne soit pas prise en compte dans les discussions actuelles sur la réduction de la durée du travail. Il a enfin estimé que c'était une voie importante pour sauver les régimes de retraite et pour utiliser dans l'avenir toutes nos ressources en capital humain et préserver le dynamisme économique.

Mme Janine Bardou a exprimé son accord avec les orientations générales du rapport, et notamment avec la nécessaire prise en compte de l'allongement de l'espérance de vie en bonne santé dans la réflexion sur l'augmentation de la durée des cotisations. Elle a remarqué que celle-ci se heurtait cependant à l'aspiration des travailleurs à partir de plus en plus tôt à la retraite, et que la conciliation de ces exigences et de ces désirs contradictoires passait par l'introduction d'une plus grande souplesse dans les conditions de liquidation des droits à pension. Elle a souligné, par ailleurs, que la vieillesse n'était pas une maladie, même si elle en accroissait les risques. En conséquence, il ne faut pas considérer l'accroissement des dépenses de prise en charge des personnes dépendantes comme un phénomène catastrophique, ni sur un plan quantitatif, du fait du recul de l'âge de la dépendance, ni sur un plan qualitatif, dans la mesure où le secteur de la prise en charge des personnes dépendantes est un secteur potentiellement très créateur d'emplois.

Mme Janine Bardou a cependant partagé une des conclusions du rapporteur selon laquelle, indépendamment de toute évolution démographique, l'amélioration indispensable des réseaux de prise en charge de la dépendance serait d'autant plus coûteuse que le personnes âgées entraient en institution avec des incapacités de plus en plus sévères.

M. Joël Bourdin, président, s'est tout d'abord interrogé sur les conséquences des évolutions démographiques sur la productivité, en observant qu'on disposait d'informations sur l'évolution passée de la productivité, mais qu'il était difficile de les extrapoler pour l'avenir. Il a, cependant, estimé que les évolutions technologiques devraient d'autant plus se traduire par une accélération de la productivité que l'arrivée de nouvelles générations, mieux formées à ces technologies, serait susceptible d'accélérer ce mouvement.

Il a interrogé, ensuite, le rapporteur sur les conséquences du vieillissement démographique sur la structure de la consommation et de l'investissement, celui-ci devant probablement se réorienter vers des investissements plus qualitatifs prenant en compte le vieillissement général de la population.

Évoquant enfin la question des retraites, M. Joël Bourdin, président, a affirmé son attachement aux régimes par répartition qui répondent le mieux au principe d'équité entre générations ou à l'intérieur de chaque génération. Il a partagé la conclusion du rapporteur sur la nécessité de doter notre système de retraite d'un étage par capitalisation, afin que l'ensemble des actifs, et non plus seulement quelques catégories, puissent en bénéficier, et d'encourager une allocation de l'épargne plus favorable à la croissance.

En réponse, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a indiqué que le rapport évoquait la question de l'incidence du vieillissement sur la structure de la consommation, mais rappelait également que les travaux menés sur cette question ne parvenaient pas à des résultats très clairs. Il a également souligné que des représentants du Parlement devraient être associés au dispositif de pilotage de la réforme des retraites proposé par le rapport Charpin, dans la mesure où cette question touche à une dimension essentielle du contrat social républicain.

La délégation a alors adopté le rapport d'information présenté par M. Jean-Pierre Plancade sur les conséquences macroéconomiques du vieillissement démographique.