Sommaire
- Mercredi 12 mai 2004
- Prolifération nucléaire - Audition de M. Philippe Thiébaud, directeur des relations internationales du CEA, gouverneur pour la France de l'AIEA
- Traités et conventions - Conventions d'assistance mutuelle France-Argentine, France-Malte, France-Surinam - Examen du rapport
- Nomination de rapporteurs
- Prolifération nucléaire - Audition de M. Marc Perrin de Brichambaut, directeur de la Délégation aux affaires stratégiques au ministère de la Défense
Mercredi 12 mai 2004
- Présidence de M. André Dulait, président -
Prolifération nucléaire - Audition de M. Philippe Thiébaud, directeur des relations internationales du CEA, gouverneur pour la France de l'AIEA
Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord entendu M. Philippe Thiébaud, directeur des relations internationales du CEA, gouverneur pour la France de l'AIEA, sur laprolifération nucléaire.
M. Philippe Thiébaud a tout d'abord rappelé que l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) avait été créée à la suite de l'initiative « Atoms for Peace » du président américain Dwigth Eisenhower visant à développer les usages pacifiques de l'énergie atomique. Elle a ensuite été chargée du contrôle de l'application du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), conclu en 1968.
L'AIEA a aujourd'hui trois fonctions principales : le contrôle et la vérification de l'usage pacifique de l'énergie atomique, la promotion de la technologie et de la recherche dans le domaine nucléaire, enfin la coopération internationale dans le domaine de la sûreté et de la sécurité de l'usage de cette énergie. Installée à Vienne (Autriche), elle emploie 2.000 personnes, dont 350 inspecteurs internationaux, et dispose d'un budget total d'environ 220 millions de dollars, dont 80 millions de dollars dédiés aux activités de contrôle et de vérification. Pour beaucoup de pays, en particulier les pays en développement, ces trois fonctions sont liées et l'augmentation des moyens dévolus au contrôle doit s'accompagner d'un renforcement de ceux liés aux activités de coopération, ces dernières n'étant cependant financées que par les contributions volontaires des Etats ; si des pays comme la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis s'acquittent de ces contributions, ce n'est pas le cas d'autres Etats, comme notamment le Japon, l'Italie ou l'Allemagne. Il s'agit là d'une des faiblesses auxquelles est confrontée l'Agence.
Présentant plus particulièrement les activités de contrôle de l'AIEA dans le cadre du TNP, M. Philippe Thiébaud a rappelé qu'elles se fondaient sur des accords conclus, sur une base volontaire, avec les différents Etats. Les trois Etats qui n'ont pas adhéré au TNP (Inde, Pakistan et Israël) ont conclu avec l'AIEA des accords limités, ne permettant les contrôles que sur certains réacteurs ou installations. Les cinq Etats dotés de l'arme nucléaire ont conclu des accords spécifiques portant sur le contrôle d'installations définies, tandis que les Etats non dotés relèvent d'accords de garantie généralisée, permettant l'inspection de toutes leurs installations et le contrôle des matières nucléaires utilisées. Le caractère volontaire de ces accords est une première limite à l'action de l'Agence. Ainsi, 45 Etats n'ont toujours pas conclu d'accord de garantie, la plupart d'entre eux n'ayant cependant aucune activité nucléaire.
L'Agence doit par ailleurs s'assurer qu'il n'y a pas de détournement des matières déclarées vers un usage militaire, ce qui impose un contrôle de ces matières. L'hypothèse d'un développement clandestin de programmes militaires est donc un second défi pour l'Agence. Aussi bien, à partir de 1997, des protocoles additionnels aux accords de garantie, permettant de mieux vérifier les déclarations des Etats et de mener des inspections intrusives sur des sites autres que ceux qui ont été déclarés, ont-ils été mis en place. Comme pour les accords de garantie, les Etats restent libres de conclure de tels protocoles additionnels. Aujourd'hui, 86 Etats ont signé un protocole additionnel, 55 sont entrés en vigueur, dont les 15 conclus par les Etats-membres de l'Union européenne. Certains Etats ne voient pas l'utilité d'accepter des contrôles plus poussés de l'AIEA et d'autres s'y refusent, notamment au Moyen-Orient, où la plupart des Etats arabes invoquent la non-signature du TNP par Israël. Dans cette zone, seuls, la Jordanie et l'Iran ont signé un protocole additionnel. Parmi les cinq Etats dotés de l'arme nucléaire, la Chine, le Royaume-Uni et la France ont d'ores et déjà ratifié un protocole additionnel, tandis que la Russie et les Etats-Unis devraient le faire prochainement. Dans ces pays, il s'agit de permettre à l'AIEA de vérifier que les coopérations internationales n'entraînent pas le transfert de matières ou de fournitures prohibées vers des Etats non dotés. Les limites à l'action de l'AIEA tiennent donc à la nature même d'un système fondé sur la volonté de chaque Etat.
Afin de mieux accomplir cette mission de contrôle, l'Agence aurait également besoin de moyens humains et financiers accrus. M. Philippe Thiébaud a indiqué que le budget dévolu au contrôle, qui s'établit actuellement à 80 millions de dollars, auxquels s'ajoutent 20 millions de dollars de contributions volontaires, serait augmenté de 20 % sur la période 2004-2008. Il a également relevé la faiblesse des moyens de renseignement propres de l'Agence, qui reste tributaire des informations transmises par les Etats-membres.
M. Philippe Thiébaud a ensuite esquissé plusieurs pistes d'amélioration des moyens de contrôle de l'AIEA. Il a évoqué tout d'abord le renforcement des outils juridiques existants, en souhaitant que tous les Etats signent et ratifient des accords de garantie et des protocoles additionnels puis les mettent en vigueur. Il conviendrait ensuite que tous les pays adoptent des mesures de contrôle des exportations, conformément à la résolution 1540 du Conseil de sécurité adoptée le 28 avril dernier, et renforcent les contrôles sur la fourniture de combustibles nucléaires à travers le « groupe des fournisseurs » (nuclear suppliers group-NSG), ainsi que sur les technologies du cycle du combustible (enrichissement et retraitement). Il a enfin souligné l'intérêt des mesures de contre-prolifération telles que l'initiative pour la sécurité en matière de prolifération (PSI-prolifération security initiative), en vue d'intercepter des trafics, et a insisté sur le rôle déterminant du Conseil de sécurité, seul habilité à prendre des décisions contraignantes et à imposer des sanctions à partir des constats et des propositions du Conseil des gouverneurs de l'AIEA.
A la suite de l'exposé de M. Philippe Thiébaud, un débat s'est engagé avec les commissaires.
M. Xavier de Villepin s'est interrogé sur l'évolution de la position de l'Iran et sur les suites de la visite, dans ce pays, des trois ministres des affaires étrangères allemand, britannique et français. Il a également souhaité avoir des précisions sur l'attitude des dirigeants pakistanais vis-à-vis du Dr Khan et, plus largement, sur celle des Etats-Unis vis-à-vis du Pakistan. Enfin, il s'est demandé s'il était possible d'établir une claire différenciation entre les activités nucléaires civiles et les activités militaires, la Corée du Nord ayant pu profiter, par le passé, de transferts de technologies et de matières.
M. Christian de La Malène a souhaité savoir s'il existait, au sein de l'AIEA, une différence d'approche entre les Etats dotés de l'arme nucléaire et ceux qui n'en disposent pas, et quelle était, par ailleurs, l'attitude de la Turquie sur l'arme nucléaire, alors qu'elle a été confrontée aux velléités irakienne, puis iranienne dans ce domaine.
M. Serge Vinçon s'est interrogé sur la sincérité de la coopération des autorités iraniennes avec l'AIEA.
M. Jean-Pierre Plancade s'est interrogé sur l'ambiguïté de la position de la Russie dans les différentes affaires de prolifération et sur la possibilité de prendre des sanctions contre les Etats qui utilisent des activités nucléaires civiles pour alimenter leur programme militaire.
M. Jean-Yves Autexier a demandé comment l'AIEA procédait au recrutement de ses inspecteurs.
M. Hubert Durand-Chastel a souhaité savoir si l'AIEA était intervenue dans le débat sur le réchauffement climatique pour promouvoir l'énergie nucléaire.
M. André Dulait, président, a demandé si l'AIEA s'intéressait à la prolifération nucléaire non-étatique et si la proposition du président américain d'exclure du Conseil des gouverneurs de l'AIEA les pays soupçonnés de prolifération était pertinente.
A la suite de ces intervention, M. Philippe Thiébaud a apporté les précisions suivantes :
- appartenant au système des Nations unies, l'AIEA a été dirigée pendant plus de 35 ans par deux directeurs suédois successifs avant que M. ElBaradeï ne soit nommé à sa tête en 1998 ; la désignation d'un Egyptien, qui a effectué toute sa carrière au sein de l'Agence, prenait en compte le souhait des pays en développement d'être mieux représentés dans les organes de direction ; de la même manière, un souci d'équilibre géographique préside à la nomination des cinq directeurs généraux adjoints ;
- les organes principaux de l'Agence sont la Conférence générale, composée de tous les Etats-membres, et le Conseil des gouverneurs ; ce dernier se limite aux représentants de 35 Etats, choisis en partie en fonction de l'importance de leurs activités nucléaires et en partie sur la base de la représentation des différents groupes géographiques ; il n'y a pas de membres permanents, en droit, au Conseil des gouverneurs, mais, de fait, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité y ont toujours siégé et le poids des pays ayant conduit les programmes nucléaires les plus avancés y est prépondérant ; les décisions du Conseil des gouverneurs ne sont pas préparées par le Secrétariat international, mais par les délégations de chaque pays membre ;
- l'idée d'exclure du Conseil des gouverneurs des pays envers lesquels des manquements auraient été constatés semble difficile à mettre en pratique ; la définition de critères d'exclusion et leur mise en oeuvre à l'encontre d'un pays donné risqueraient de soulever des difficultés bien supérieures au bénéfice supposé d'une telle procédure, qui exigerait, en tout état de cause, la révision des statuts de l'AIEA ; on peut par ailleurs constater que l'Iran a siégé au Conseil des gouverneurs, sans pour autant paralyser l'action de ce dernier ; c'est davantage dans le cadre de sanctions décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies qu'une éventuelle exclusion du Conseil des gouverneurs pourrait être envisagée ;
- l'AIEA recrute des inspecteurs en fonction de leurs compétences et sur la base d'une équitable représentation géographique ; en pratique, les inspecteurs proviennent essentiellement des pays qui disposent d'une industrie nucléaire développée, y compris de pays non-adhérents au TNP, comme l'Inde ou le Pakistan ; dans la composition des équipes d'inspection, l'Agence prend soin d'éviter des choix susceptibles d'entraîner des tensions inutiles liées à la nationalité des inspecteurs ;
- l'AIEA a abordé sous le seul angle technique la question de l'effet de serre ; elle a conduit des études établissant l'impact positif du recours à l'énergie nucléaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ; elle s'interdit cependant d'édicter des orientations ou d'effectuer des recommandations aux Etats qui demeurent souverains en la matière.
M. Philippe Thiébaud a ensuite évoqué le traitement du dossier nucléaire iranien devant l'AIEA. Il a rappelé que les rapports présentés par le directeur général de l'Agence établissaient clairement les manquements de l'Iran à l'égard de ses obligations vis-à-vis du TNP et des accords de garanties. Pour autant, le directeur général a constamment souligné qu'il ne disposait, jusqu'à présent, d'aucune preuve formelle de la conduite d'un programme nucléaire militaire clandestin. L'Iran a par ailleurs engagé avec l'Allemagne, la France et le Royaume Uni un dialogue politique portant notamment sur la suspension des activités relatives à l'enrichissement et au retraitement des matières fissiles. Cette suspension, dans l'esprit des Européens, doit déboucher sur une cessation définitive dans la mesure où les besoins du programme nucléaire civil iranien ne justifient pas le développement d'installations liées au cycle du combustible, la Russie et les pays européens étant de surcroît prêts à s'engager vis-à-vis de l'Iran à lui fournir les matières nucléaires nécessaires et à en assurer le devenir.
Répondant à une question de M. Xavier de Villepin, M. Philippe Thiébaud a précisé que l'existence d'installations d'enrichissement ou de retraitement n'impliquait pas nécessairement la conduite d'un programme nucléaire militaire ; en revanche, on peut s'interroger sur les raisons qui poussent l'Iran à construire de telles installations, alors qu'elles ne se justifient pas au regard de la dimension de son programme nucléaire civil ; la présence d'installations liées au cycle du combustible accroît le risque de détournement vers un programme nucléaire militaire, et le fait que l'Iran ait été pris en défaut quant au respect de ses obligations, renforce les doutes à ce sujet. Plus généralement, il faut éviter qu'un pays ayant bénéficié de la coopération internationale soit tenté de se retirer du TNP une fois qu'il s'est doté de capacités d'enrichissement ou de retraitement lui permettant de développer un usage militaire.
M. Philippe Thiébaud a estimé que la récente victoire des conservateurs aux élections législatives pouvait renforcer la position de certains des partisans les plus convaincus d'un programme nucléaire militaire. Il n'a pas exclu que la dégradation de la situation en Irak soit utilisée par l'Iran comme un moyen de pression pour atténuer les exigences internationales à l'égard de son programme nucléaire. Il a d'autre part rappelé que ce programme recevait un appui assez large dans la société iranienne et que l'on ne pouvait faire abstraction des préoccupations de sécurité liées au contexte régional et à la présence d'Etats nucléaires à proximité de l'Iran.
Evoquant le réseau du Dr Abdul Qadeer Khan, M. Philippe Thiébaud a rappelé les activités dans lesquelles il a été impliqué : la fourniture à la Libye de technologies nucléaires et d'un plan d'armes détaillé, la fourniture de nombreux éléments à l'Irak avant 1991, ainsi qu'à la Corée du Nord et à l'Iran, bien que, sur ce dernier point, l'AIEA n'obtienne pas toutes les informations qu'elle souhaiterait. Il a également été établi que ce réseau bénéficiait de relais dans de nombreux pays, comme la Malaisie ou les Emirats Arabes Unis. Certaines entreprises européennes ont fourni de bonne foi des composants qui ont ensuite été détournés de l'usage déclaré dans un pays tiers. Enfin, des questions se posent quant aux liens que le réseau aurait pu entretenir avec d'autres pays comme l'Arabie saoudite, l'Egypte ou le Yémen.
M. Philippe Thiébaud a estimé que la faiblesse des sanctions prises à l'encontre du Dr Khan au Pakistan pouvait s'expliquer par des considérations géopolitiques, mais également par le prestige considérable dont il jouit dans son pays.
S'agissant de l'implication d'organisations terroristes dans la prolifération nucléaire, M. Philippe Thiébaud a précisé que l'AIEA agissait surtout en faveur de la prévention des risques liés au terrorisme nucléaire, dans le but de renforcer la protection physique des installations nucléaires, d'améliorer les normes de sécurité des matières nucléaires et de limiter les possibilités d'utilisation de sources radioactives à des fins terroristes.
En ce qui concerne la difficulté de tracer la frontière entre des activités à usage civil et celles qui peuvent être détournées à des fins militaires, M. Philippe Thiébaud a indiqué que les réflexions de l'AIEA se concentraient sur les activités liées à l'enrichissement et au retraitement du combustible nucléaire, l'objectif étant de parvenir à un droit de regard international plus approndi sur les pays disposant d'installations de ce type et d'éviter la dissémination des technologies qui s'y rapportent. Il a également souligné l'intérêt d'encourager le recours aux techniques les moins susceptibles de faire l'objet de détournement à des fins militaires, et notamment de remplacer les réacteurs fonctionnant à l'uranium naturel et à eau lourde par des réacteurs à eau légère.
Enfin, M. Philippe Thiébaud a précisé que la Turquie n'avait pas envisagé de développer un programme nucléaire civil, notamment en raison du risque sismique. Ce pays a par ailleurs pris des mesures de contrôle supplémentaires face au risque de transit, par son territoire, de matières ou de fournitures nucléaires.
Traités et conventions - Conventions d'assistance mutuelle France-Argentine, France-Malte, France-Surinam - Examen du rapport
Puis la commission a procédé à l'examen des rapports de M. Daniel Goulet sur les projets de loi, adoptés par l'Assemblée nationale :
. n° 134 (2003-2004) autorisant l'approbation de la convention d'assistance administrative mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine pour la prévention, la recherche et la sanction des infractions douanières ;
. n° 135 (2003-2004) autorisant l'approbation de l'accord d'assistance mutuelle douanière entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Malte pour la prévention, la recherche, la constatation et la sanction des infractions douanières ;
. n° 136 (2003-2004) autorisant l'approbation de la convention d'assistance administrative mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Surinam pour la prévention, la recherche, la constatation et la sanction des infractions douanières.
M. Daniel Goulet, rapporteur, a rappelé que ces trois accords, bien que conclus avec des pays très divers, s'appuyaient sur un dispositif largement commun, puisqu'il s'inspire des recommandations de l'Organisation mondiale des douanes (OMD). Cet organisme regroupe aujourd'hui 159 Etats, qui représentent plus de 95 % des flux mondiaux de commerce. Il a ensuite présenté les principales stipulations de ces accords en matière de zones d'application, de modalités de coopération entre personnels douaniers, d'échanges de renseignements et de prise en charge financière des opérations de contrôle menées à la demande de l'Etat partenaire.
Puis le rapporteur a décrit les principaux courants de fraude observés entre chacun des pays concernés -l'Argentine, le Surinam, Malte- et la France. S'agissant de l'Argentine, il a mentionné que la sévère crise économique, qui a frappé ce pays à la fin de l'année 2001, a renforcé deux principaux flux illicites vers la France : la contrefaçon de grandes marques de luxe françaises et le trafic de drogue. Pour ce qui est du Surinam, les trafics les plus préoccupants ont une incidence sur le département voisin de la Guyane, et portent sur l'immigration clandestine et sur les stupéfiants. Enfin, le rapporteur a évoqué l'antique tradition marchande de l'île de Malte, située à un carrefour stratégique maritime entre l'Orient et l'Europe. Il a mentionné que la multiplicité des acteurs économiques qui y opéraient induisait immanquablement des trafics clandestins que les autorités locales s'efforçaient de résorber. M. Daniel Goulet, rapporteur, a également fait état de la participation de Malte à plusieurs systèmes de surveillance maritime fonctionnant dans le cadre du Groupe de Coopération douanière, et a rappelé que l'intégration de ce pays, dans l'Union européenne, le conduisait à devoir mieux maîtriser les courants d'échanges clandestins à partir de son territoire.
En conclusion, M. Daniel Goulet, rapporteur, a estimé que les présents accords ne pouvaient qu'être bénéfiques à un meilleur contrôle douanier entre les trois pays évoqués et la France, et a donc recommandé leur adoption.
La commission, suivant ces recommandations, a alors adopté les trois projets de loi.
Nomination de rapporteurs
La commission a enfin procédé à la désignation de rapporteurs. Elle a désigné :
- M. Bernard Plasait sur le projet de loi n° 238 (2003-2004) autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis du Mexique en vue de lutter contre l'usage et le trafic illicites de stupéfiants et desubstances psychotropes ;
- M. Jean Puech sur le projet de loi n° 241 (2003-2004) autorisant l'approbation de la Convention internationale pour la protection des végétaux (ensemble une annexe), telle qu'elle résulte des amendements adoptés à Rome par la vingt-neuvième session de la conférence de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture ;
- M. André Boyer sur le projet de loi n° 1510 (Assemblée nationale - 12è législature) autorisant l'approbation du protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale).
Prolifération nucléaire - Audition de M. Marc Perrin de Brichambaut, directeur de la Délégation aux affaires stratégiques au ministère de la Défense
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Marc Perrin de Brichambaut, directeur de la Délégation aux affaires stratégiques au ministère de la défense, sur la prolifération nucléaire.
M. Marc Perrin de Brichambaut a tout d'abord souligné que la prolifération nucléaire était entrée dans une phase nouvelle, que n'avait pas anticipée l'architecture générale de prévention définie par la communauté internationale.
Cette architecture prévoyait cinq Etats dotés de l'arme nucléaire, les autres Etats acceptant d'y renoncer, de consentir à des inspections avec, en contrepartie, un accès aux applications nucléaires civiles. Il a rappelé que le traité de non-prolifération, accepté et mis en oeuvre par plus de 180 Etats, était une grande réussite. Des Etats comme la Suède, l'Argentine ou l'Afrique du sud ont ainsi accepté de renoncer à l'arme nucléaire. Trois Etats sont cependant restés à l'écart du dispositif : l'Inde et le Pakistan ont procédé à des essais, Israël s'en tenant à une politique de non-déclaration, dans une région où cette question est particulièrement difficile. Il a évoqué le cas de l'Irak, où douze années de contrôle ont suivi la résolution 687 du Conseil de sécurité des Nations unies. L'Irak avait expérimenté six filières d'enrichissement de l'uranium, à l'insu de tous les services de renseignement, avant que les inspecteurs ne constatent, en 1991, que moins d'un an aurait suffi à Saddam Hussein pour terminer la mise au point de l'arme nucléaire.
Deux questions principales sont actuellement posées par la prolifération nucléaire.
En premier lieu, les difficultés se concentrent au sein de deux régions. En Asie, la Corée du nord mène un jeu complexe, depuis le début des années 90, entre coopération et provocation. Ce cas est actuellement traité dans le cadre d'un dialogue à six pays. Au Proche et Moyen-Orient, l'Iran s'est engagé dans un processus d'ouverture, dont la mise en oeuvre est suivie par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). La Libye a admis récemment un processus avancé d'acquisition de l'arme nucléaire et le directeur général de l'AIEA a dû insister pour que ce cas soit traité dans un cadre multilatéral.
Le second point de difficulté est relatif à la « privatisation » de la prolifération, à travers la diffusion commerciale de l'ensemble des capacités d'acquisition de l'arme nucléaire. Des capacités nucléaires « clés en mains » ont été ainsi proposées par le réseau de M. Khan à une liste non exhaustive de trois clients principaux : la Corée du nord, la Libye et l'Iran. Ce réseau, organisé depuis une structure basée à Dubaï, faisait appel à des fournisseurs du monde entier, en particulier en Malaisie pour les centrifugeuses.
Les services de renseignement n'ont pas pris la mesure de l'ampleur, de la variété et du caractère systématique de ce réseau et de ses capacités de corruption. Cette dimension nouvelle est très troublante, même si, en l'espèce, la privatisation de la prolifération a été adossée à un appareil étatique.
M. Marc Perrin de Brichambaut a considéré que toutes les motivations de la prolifération étaient présentes, tant en Asie qu'au Moyen-Orient : l'orgueil national, un sentiment de vulnérabilité conjugué à des ambitions régionales, une réaction en chaîne par rapport à des voisins proliférants, ainsi que l'effet de contagion né du démarchage par des organisations privées. Il a noté, à cet égard, que Saddam Hussein avait été contacté par le réseau de M. Khan, en octobre 1990, mais qu'il n'avait pas donné suite à cette démarche.
Face au développement des menaces de prolifération, on assiste à une remobilisation des efforts de prévention et à une certaine unité d'action des grandes puissances. Depuis l'automne 2002, la France a renforcé sa politique dans ce domaine, comme en a témoigné son implication face à l'Iran. Cette politique a pour objectif de redonner une crédibilité au traité de non-prolifération, de faire de l'AIEA l'organe multilatéral privilégié de lutte contre la prolifération et de mener une action coordonnée avec d'autres partenaires européens.
Les limites de l'action multilatérale sont certes tangibles. A défaut d'un règlement des situations litigieuses dans le cadre du Conseil des gouverneurs de l'AIEA, la seule issue demeure la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies. La Libye a su éviter de franchir cette étape. Cette perspective est actuellement redoutée par l'Iran.
Si l'on examine les risques de prolifération région par région, il existe deux modes principaux de protection en matière de sécurité régionale. Quatre traités de dénucléarisation régionale sont en vigueur : le traité de Tlatelolco pour l'Amérique latine, de Rarotonga pour le Pacifique sud, de Bangkok pour l'Asie du sud-est et de Pelindaba pour l'Afrique. Certains Etats sont couverts, en outre, par des garanties de sécurité de puissances nucléaires reconnues. Il s'agit d'un régime de fait, qui bénéficie, à l'Europe, avec la garantie américaine, et à l'Asie centrale, avec la garantie russe.
Au Moyen-Orient et dans la quasi-totalité de l'Asie, la prolifération est un risque avéré. En Corée du nord, tous les éléments de la prolifération -matière, savoir-faire et capacité balistique- sont réunis, mais la part du chantage dans les discours est difficile à évaluer. Le Japon, qui maîtrise l'ensemble des technologies nécessaires, ainsi que la Corée du sud pourraient être tentés de développer des capacités, dans l'hypothèse où la Corée du nord en serait dotée. En Inde et au Pakistan, un régime de contrôle et une limitation quantitative des armements pourraient être envisagés à terme. Au Moyen-Orient, l'Iran est déterminé à conserver tous les éléments d'une capacité d'acquisition de l'arme nucléaire avec une lecture très restrictive de ses engagements internationaux, qui est source d'incertitude. Face au potentiel nucléaire israélien, des Etats comme l'Egypte ou l'Arabie saoudite ne renonceront probablement qu'avec l'assurance d'une garantie nucléaire occidentale, comme c'est le cas de certains pays du Golfe.
Des liens entre prolifération et terrorisme peuvent être envisagés dans le cas où la maîtrise des capacités nucléaires sortirait du cadre étatique. Différentes variantes sont alors envisageables, sous forme de chantage ou de démonstration effective, d'utilisation des capacités radiologiques, avec des conséquences non négligeables sur les populations civiles, ce qui a d'ailleurs suscité un contrôle renforcé des établissements médicaux.
La prolifération nucléaire est au coeur de l'argumentation sur la défense anti-missile. Les premiers intercepteurs américains sont ainsi orientés sur les capacités balistiques nord-coréennes. Les Etats-Unis consacrent 8 milliards de dollars par an pour la poursuite de ce programme. Un débat est engagé avec les Européens pour étendre à l'Europe les capacités anti-missiles et protéger ainsi les Etats-Unis depuis l'Europe. En France, la nécessité tactique de protéger les forces déployées a été reconnue afin de réduire, notamment, le risque représenté par les missiles Scud déployés dans tout le Moyen-Orient.
La doctrine française prend en considération le risque de prolifération nucléaire dans sa posture d'ensemble de dissuasion. Cette posture est un corps de doctrine complet, qui a fait une place, dès le livre blanc de 1994, à des considérations relatives à la prolifération. Le discours du Président de la République de juin 2001 a explicitement évoqué la riposte adaptée à l'attaque d'Etats proliférants, indiquant que la France réagirait contre leurs centres de pouvoir politique, économique et militaire.
La prévention reste cependant l'axe majeur de la politique française. Le développement d'instruments juridiques appropriés et la prise de responsabilités directe dans le dialogue politique sont la marque d'un engagement déterminé.
A la suite de cet exposé, M. Christian de La Malène a jugé très inquiétantes les révélations relatives à l'existence d'un marché clandestin de fournitures nucléaires qui a pu se développer à l'insu des services de renseignements occidentaux. Il s'est demandé dans quelle mesure des organisations terroristes pourraient se procurer une arme atomique par le canal de réseaux analogues à celui du Dr. Khan.
M. Xavier de Villepin a souhaité savoir si la dégradation de la situation en Irak n'allait pas encourager l'Iran à résister aux pressions internationales concernant son programme nucléaire. Il a souligné les limites rencontrées par les services de renseignement face à la prolifération nucléaire et a évoqué, de manière plus générale, la façon dont ils devaient prendre en compte le risque terroriste. Il a cité, à cet égard, les décisions prises par les Etats-Unis, avec la création du Homeland Security Office, et a demandé si la France envisageait des évolutions comparables. Enfin, il a sollicité des précisions sur la position française à l'égard des programmes de défense anti-missiles.
M. Jean-Pierre Plancade a constaté que les pays du Moyen-Orient impliqués dans la prolifération, ou soupçonnés de l'être, invoquaient systématiquement le programme nucléaire militaire israélien pour justifier leur attitude. Il lui a paru peu crédible que les programmes conduits par l'Iran, ou par le Pakistan, aient pu être réellement motivés par la politique d'Israël.
Mme Hélène Luc a souligné la nécessité de poursuivre l'objectif d'une interdiction totale des armes nucléaires et elle s'est interrogée sur le rôle que la France pouvait jouer en la matière.
M. André Dulait, président, a demandé des précisions sur les mesures de nature à renforcer la sécurité des matières nucléaires et des sources radioactives qui pourraient être utilisées par des groupes terroristes.
En réponse à ces interventions, M. Marc Perrin de Brichambaut a apporté les précisions suivantes :
- il est clair qu'Israël n'apparaît pas comme un facteur de prolifération ou de menace dans la région du Moyen-Orient ; l'acquisition de l'arme nucléaire, avec l'aide de la France, répondait aux préoccupations de sécurité bien connues de cet Etat envers lequel ne pèse aucun soupçon de prolifération ; pour autant, il faut bien constater que l'ensemble des pays du Moyen-Orient invoquent les capacités militaires israéliennes dès lors que l'on aborde avec eux les questions de prolifération ;
- l'assemblage d'une arme nucléaire exige des installations très lourdes et des mesures de contrôle qui ne sont réellement qu'à la portée d'un Etat et dépassent donc les capacités d'une organisation terroriste ; aucun élément ne permet aujourd'hui de dire qu'une telle organisation aurait eu la possibilité d'acquérir une arme déjà assemblée ; ce risque ne peut cependant être totalement exclu, notamment au vu des lacunes de la comptabilité des armes nucléaires de l'ex-URSS ;
- la France encourage, au plan international, toutes les mesures destinées à renforcer la sécurité des sources radioactives ; à titre d'exemple, des matières nucléaires susceptibles d'être détournées à des fins militaires ont été retirées de réacteurs de recherche situés dans des pays où les conditions de sécurité n'étaient pas optimales ;
- la volonté iranienne de se doter de l'ensemble des éléments permettant, le cas échéant, d'engager un programme nucléaire militaire, est fondée sur un sentiment national très fort et sur des préoccupations de sécurité inspirées par la présence, dans la région, de plusieurs puissances nucléaires, ainsi que des forces américaines ; le rôle que l'Iran pourrait jouer à l'égard de l'Irak constitue l'un des éléments d'une négociation plus globale avec les pays occidentaux, dans laquelle Téhéran pourrait exiger des garanties en matière économique ou de sécurité, en échange d'un maintien du pays au seuil de la capacité nucléaire ;
- les récentes crises en matière de prolifération mettent en évidence les limites de l'action des services de renseignement ; il est à cet égard significatif que les informations obtenues sur le programme nucléaire iranien aient été fournies par des opposants au régime ; s'agissant de la réorganisation des services de renseignement face au risque terroriste, la création du Homeland Security Office aux Etats-Unis répondait à la nécessité de coordonner des structures très dispersées ; les efforts américains en ce sens devront être poursuivis, notamment pour améliorer la coopération entre la CIA et le FBI ; les structures françaises, pour leur part, bénéficiaient d'un degré de coordination supérieur, ce qui n'interdit en rien de rechercher, dans ce domaine, des améliorations supplémentaires ;
- les programmes français de défense anti-missiles sont essentiellement tournés vers les missiles balistiques de théâtre, avec une composante terrestre, le programme Sol-air moyenne portée terrestre (SAMP/T), et une composante navale constituée des missiles Aster 15 et Aster 30 ; ces programmes avancent selon les échéances prévues ;
- si chacun ne peut qu'adhérer à l'objectif d'un désarmement général et complet, la France considère, dans le contexte stratégique actuel, que sa capacité nucléaire conserve sa raison d'être, tant vis-à-vis de puissances majeures que des puissances régionales émergentes ; elle a, par ailleurs, déjà notablement réduit le format de ses forces nucléaires au cours des dernières années et s'en tient à une posture de stricte suffisance.
Enfin, à la suite de questions de M. Xavier de Villepin et de M. André Dulait, président, relatives aux récentes initiatives des forces de la coalition en Irak, M. Marc Perrin de Brichambaut a souligné les difficultés qu'elles avaient rencontrées en décidant de reprendre simultanément l'offensive sur deux fronts, à Falloujah d'une part, et face aux milices de Moqtada Sadr d'autre part. Sur ce dernier point, relevant le risque qu'il y avait à mener des actions militaires aux portes des villes saintes chiites à quelques semaines du transfert de souveraineté, il a émis l'hypothèse que cette décision ait pu être prise avec l'accord tacite de certaines factions chiites.