Travaux de la commission des affaires économiques



Mercredi 23 mars 2005

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président. -

Transport aérien - Aéroports - Examen du rapport en deuxième lecture

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a examiné, en deuxième lecture, le rapport de M. Jean-François Le Grand sur le projet de loi n° 249 (2004-2005), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, relatif aux aéroports.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a rappelé, en préambule, que le projet de loi visait à moderniser l'outil aéroportuaire français et comportait, pour ce faire, trois volets : un premier consacré à Aéroports de Paris (ADP), un second traitant des grands aéroports régionaux et un dernier définissant la régulation économique des redevances aéroportuaires. Il a souhaité insister sur la qualité du travail de l'Assemblée nationale, qui avait apporté de nombreuses modifications, positives, au texte du projet de loi. Evoquant les plus importantes d'entre elles, il s'est félicité de la définition des ouvrages publics aéroportuaires, qui avait été donnée à l'article 2. Il a indiqué que l'Assemblée nationale avait complété l'article 7 relatif aux grands aéroports régionaux, pour exprimer plus clairement encore le rôle central qui devait revenir aux chambres de commerce et d'industrie dans ce domaine. Il a estimé, enfin, que les nouveaux articles 15 bis et 15 ter apportaient de bonnes solutions à deux problèmes pratiques, certes circonscrits, soulevés par l'application concrète du projet de loi.

Il a ensuite indiqué que trois points lui paraissaient devoir être encore affinés dans le cadre de l'examen en seconde lecture par le Sénat :

- il convenait de revenir sur la suppression faite par les députés de l'exigence de transparence et d'égalité de traitement entre les différents usagers des aérodromes. Il a noté que les députés avaient contesté non le fond de la modification qui avait été apportée par le Sénat, mais qu'ils s'étaient interrogés sur son caractère législatif. Il a estimé que cette disposition lui paraissait avoir sa place dans cet article, qui définissait le cadre du cahier des charges auquel ADP devait souscrire ;

- il a jugé que les modifications utiles apportées par les députés à l'article 8 A, qui avait été introduit par le Sénat, et qui créait la Commission de conciliation aéroportuaire, demandaient néanmoins à être encore infléchies afin de conserver l'esprit du dispositif introduit par le Sénat en première lecture ;

- enfin, il a fait part des réserves que lui inspirait le nouvel article 9 bis, qui tendait à faire passer le plafond des sanctions de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) de 12.000 à 20.000 euros pour les personnes physiques. Il a estimé qu'une telle disposition pouvait être interprétée comme une stigmatisation des compagnies aériennes, alors même que la grande majorité d'entre elles se conformaient à la réglementation environnementale. Il a constaté, en outre, que l'ACNUSA prononçait des sanctions en moyenne très inférieures à 12.000 euros. Il en a conclu que le dispositif proposé par l'article 9 bis présentait le risque d'être soit dénué de portée concrète, soit source d'un bouleversement de la politique de sanction de l'ACNUSA, ce à quoi il n'était pas favorable. Il a relevé, à ce titre, que ni l'ACNUSA, ni la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) ne demandaient cette modification.

Au cours du débat qui s'est ensuite engagé, M. Daniel Reiner, a rappelé que le groupe socialiste était globalement hostile à ce texte. Il a considéré que l'Assemblée nationale avait été plus loin que le Sénat dans la perspective de la libéralisation de l'activité aéroportuaire, ce qu'il déplorait. Il a estimé que la nécessaire modernisation du cadre juridique aéroportuaire ne devait pas conduire à la conclusion que la transformation d'ADP en société anonyme était la bonne solution. Il a jugé que le projet de loi témoignait d'une forme de schizophrénie entre la sphère publique et la sphère privée. Concernant l'évolution des grands aéroports régionaux, il a fait part de sa conviction que l'évolution vers leur privatisation demeurait ouverte à l'issue de l'examen du texte par l'Assemblée nationale, ce qui justifierait que son groupe dépose des amendements sur ce point. Quant à la commission de conciliation aéroportuaire, il a estimé, quoique n'ayant pas soutenu l'idée de créer cette instance en première lecture, que les modifications proposées sur ce point par l'Assemblée nationale semblaient excessives. En conclusion, il a déclaré que la majorité prenait un risque inutile pour le secteur avec ce projet de loi qui constituait, à ses yeux, une forme de course en avant vers la libéralisation du secteur, dans le droit fil de la privatisation d'Air France.

Lui répondant sur la question du développement des aéroports régionaux, M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a estimé qu'il convenait de conserver sa souplesse au dispositif, ce qui supposait, en particulier, de ne pas multiplier les contraintes relatives aux conditions de détention du capital des sociétés aéroportuaires, ce qui risquerait, en définitive, de jouer au détriment des collectivités territoriales. Il a fait part de sa conviction qu'il n'était pas certain que les investisseurs privés se précipitent pour entrer au capital des sociétés aéroportuaires nouvellement créées.

M. Jean-Paul Emorine, président, s'est félicité qu'une vingtaine de membres de la commission ait pu participer à une visite de la plate-forme aéroportuaire de Roissy Charles-de-Gaulle.

La commission a ensuite procédé à l'examen des amendements que lui proposait son rapporteur :

- à l'article 6 (Missions d'ADP), elle a adopté, après une intervention de M. Jean Desessard, un amendement tendant à préciser l'exigence de traitement transparent et non discriminatoire des usagers d'ADP ;

- à l'article 8 A (Commission de conciliation aéroportuaire), elle a adopté un amendement tendant à rétablir la composition initialement prévue pour cette instance par la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture, ainsi que la possibilité de saisine de la CCA par les différents acteurs concernés ;

- à l'article 9 bis (Relèvement du plafond de sanction de l'ACNUSA), elle a adopté à l'unanimité un amendement de suppression de l'article après les interventions de MM. Gérard Cornu et Bernard Piras.

La commission a ensuite adopté, à la majorité, le projet de loi ainsi modifié.

Résolutions européennes - Services dans le marché intérieur - échange de vues

Ensuite, la commission a procédé à un échange de vues sur la suite de la discussion de proposition de résolution présentée par la commission des affaires économiques et du plan, relative aux services dans le marché intérieur (E2520).

M. Jean Bizet, rapporteur, a informé la commission du déplacement à Bruxelles effectué les mercredi 16 et jeudi 17 mars en compagnie du président Emorine et de M. Roland Ries afin de participer à une rencontre parlementaire sur la stratégie de Lisbonne, organisée au Parlement européen. Il a indiqué que cette rencontre lui avait permis de faire valoir certaines de ses réflexions sur cette stratégie européenne de croissance et qu'elle avait aussi donné l'occasion au président Emorine et à M. Roland Ries d'interroger directement le président de la Commission européenne. Il a précisé que M. Barroso avait répondu au président de la commission des affaires économiques du Sénat que la Commission européenne était prête à travailler avec le Parlement européen afin de réaliser toutes les adaptations nécessaires pour aller à la rencontre des préoccupations exprimées par la France, tout en rappelant que la réalisation d'un marché unifié des services était un grand projet pour l'Europe et qu'il espérait qu'il serait possible de trouver une bonne solution de compromis.

M. Jean Bizet, rapporteur, a estimé que cette attention aux préoccupations françaises était confirmée par les propos de M. Borrell-Fontelles, président du Parlement européen ainsi que par M. Wim Kok, ancien Premier ministre des Pays-Bas et président du groupe de travail à haut niveau sur la stratégie de Lisbonne, selon qui le réexamen de la directive Bolkestein était inéluctable. Après avoir conclu sur ce voyage à Bruxelles, il a fait remarquer que l'accord politique intervenu au Conseil européen, le mardi 22 mars, confirmait l'hypothèse d'une profonde réécriture de la directive et tel est bien l'esprit où s'inscrivait la proposition de résolution de la commission des affaires économiques du Sénat.

S'agissant de cette résolution, il a proposé d'en rectifier l'alinéa 31 qui, désormais, demanderait « résolument l'abandon de la règle du pays d'origine dès lors qu'il n'existe pas de socle minimal d'harmonisation ». Il a fait valoir que cette proposition de rectification ne modifiait pas l'économie générale de la résolution et il l'a justifiée par la nécessité de faire précéder toute éventuelle application du principe du pays d'origine par un effort d'harmonisation des législations nationales, ce dernier devant avoir la priorité. Il a aussi présenté la proposition d'amendement rectifié (amendement n° 16 rectifié) déposée par M. Jean-Jacques Hyest, qui vise à préciser la rédaction de l'alinéa 28 de la résolution relatif à la matière pénale et pour lequel il propose un avis favorable.

Puis M. Roland Ries a fait part à son tour des impressions qu'il avait recueillies lors du déplacement à Bruxelles. Il a constaté que les dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne militaient en faveur d'une mise en oeuvre rapide et complète du projet de directive sur les services, y compris s'agissant de l'application du principe du pays d'origine. Ensuite, il a estimé que le rôle très particulier joué en France par cette directive dans la campagne référendaire était essentiellement dû à son instrumentalisation par les tenants du «non ». Mais il a tenu à rappeler qu'il n'y avait, à ses yeux, aucun rapport entre la directive et le traité constitutionnel européen, ce dernier constituant à l'inverse une protection contre l'orientation politique sous-tendue par la directive Bolkestein. Concluant son analyse du déplacement à Bruxelles, il a déclaré prendre acte des propos ouverts tenus par M. Barroso, tout en rappelant que certaines phrases prononcées auparavant par le président de la Commission européenne avaient malheureusement contribué à « jeter de l'huile sur le feu ». Il est ensuite revenu à la situation au Sénat et a indiqué qu'il existait, à ces yeux, des divergences réelles entre la majorité sénatoriale et le groupe socialiste, d'une part, sur la question de la réécriture ou du retrait de la directive, en indiquant qu'il préférait la deuxième solution et d'autre part, sur le rejet du principe du pays d'origine, ainsi que sur la nécessité de l'adoption préalable d'une directive cadre sur les services publics, ce que demande le groupe socialiste, et non la majorité de la commission. Enfin, il a rappelé ses regrets d'avoir vu le débat en séance publique du 15 mars être interrompu en raison du tournage d'une émission de télévision.

M. Jean Bizet, rapporteur, a répondu sur ces divergences en confirmant que la demande de retrait de la proposition de directive était, à ses yeux, contre-productive, compte tenu du travail de réécriture du texte déjà engagé à Bruxelles et au plan national. S'agissant du principe du pays d'origine, il a estimé que ce principe ne devait pas être appliqué seul, mais qu'il devait être précédé par l'existence d'un socle d'harmonisation des législations nationales dans les secteurs concernés. Enfin, tout en comprenant les regrets de M. Roland Ries concernant l'interruption du débat en séance publique, il a rappelé que l'on se situait encore en amont de l'essentiel des débats sur la directive « emploi et services », puisque le rapport de la commission du marché intérieur du Parlement européen ne sera rendu qu'en septembre.

Puis M. Jean-Pierre Vial a estimé que le débat sur le sujet ayant été tranché par les travaux du Conseil européen de la veille, il revenait désormais au Sénat français d'envoyer un message clair contre le projet de directive, comme l'exige le contexte de la campagne référendaire. M. Jean Bizet, rapporteur, a admis que le débat national sur cette directive présentait un caractère passionnel, mais il a tenu à préciser que le Conseil européen n'avait pas vocation à réécrire la directive et que l'essentiel du travail devait encore être accompli par le Parlement européen et le Conseil « compétitivité ».

M. Benoît Huré a aussi insisté sur la nécessité d'envoyer un message clair dans le contexte préélectoral actuel, en indiquant que les propos tenus lors du Conseil européen accentuaient le lien entre le débat sur la directive et celui sur le traité constitutionnel. En réponse, M. Jean Bizet, rapporteur, a fait valoir que le retrait de la directive de l'ordre du jour revenait à laisser le champ libre à l'instrumentalisation du sujet par les adversaires du traité constitutionnel et qu'il était, en conséquence, nécessaire que les tenants du « oui » au référendum interviennent dans ce débat sur la directive.

Puis M. Daniel Reiner, tout en rappelant la nécessité d'un texte sur le secteur des services qui représente 70 % de l'emploi européen et qui participe déjà au marché intérieur, a estimé que la proposition de directive s'inscrivait à l'inverse du mode de construction européenne par l'harmonisation des législations nationales, telle que pratiquée depuis cinquante ans. Il en a conclu au refus de ce texte qui tend à une harmonisation par le bas et estimé que le retrait était dès lors la meilleure solution. En réponse, M. Jean Bizet, rapporteur, a fait valoir que si le secteur des services participait effectivement déjà au marché intérieur, il le faisait toutefois de façon encore trop modeste, puisqu'il ne représente que 20 % des échanges intra-communautaires, alors qu'ils produisent 70 % de la valeur ajoutée. Il a ajouté que jusqu'à maintenant, les flux de services allaient d'ailleurs plutôt de l'Union à quinze vers les nouveaux membres, comme en témoigne la réussite des groupes français en matière d'hôtellerie ou de construction. Puis il a souhaité préciser que l'exigence d'un socle minimal d'harmonisation exigée par la proposition de résolution ne revenait pas à un alignement sur le pays disposant des règles les plus basses. Il a aussi tenu à rappeler que les travailleurs des dix nouveaux membres ne bénéficieraient de la liberté de circulation qu'à compter de 2011 et que, même après cette date, les Etats de l'Union pourront prendre des mesures de sauvegarde au regard de la situation de leurs marchés de l'emploi.

Ensuite, M. Francis Grignon a estimé que s'il était cohérent de demander le retrait du texte pour des raisons électorales, il était tout aussi cohérent de souhaiter l'améliorer, mais que, dans ce cas, il fallait le faire de façon efficace. Or, il a fait valoir qu'il doutait de l'efficacité de la notion de « socle minimal d'harmonisation », proposée par le rapporteur et qu'il s'interrogeait sur la clarté de cette expression.

M. Charles Revet a, lui aussi, exprimé des réserves sur l'intérêt de la notion de « socle minimal d'harmonisation », qui risque de signifier un effort trop faible de rapprochement des législations. Faisant référence aux réflexions qu'il avait exprimées la semaine précédente, il s'est demandé si la formule « dans l'attente du résultat des études d'impact » ne serait pas préférable à celle désormais proposée, dès lors qu'elle serait complétée par une obligation de nouvelle saisie du Parlement à la suite de l'obtention de ces études.

M. Gérard Cornu a, lui aussi, exprimé une certaine perplexité quant à la notion de socle minimal d'harmonisation en demandant quelle serait l'instance chargée de déterminer si le niveau minimal en question a bien été atteint. En réponse, M. Jean Bizet, rapporteur,a rappelé que, de toute façon, l'appréciation des conditions d'application du principe du pays d'origine reviendrait aux autorités politiques, au travers du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne.

M. Gérard César a tenu à saluer le travail du rapporteur, tout en indiquant à son tour que l'adjectif « minimal » ne lui convenait pas, dans la mesure où il manquait de précision et où il laissait entendre que l'on pouvait se satisfaire d'un effort d'harmonisation très faible.

M. Henri Revol a proposé le remplacement de l'adjectif « minimal » par  « acceptable ».

Quant à M. Georges Gruillot, il a estimé que la proposition du rapporteur était claire et que, dans tous les cas, renoncer à contribuer à la réécriture du texte serait un manque de courage.

Puis M. Jean-Paul Emorine, président, a indiqué que le socle minimal d'harmonisation n'était pas une notion arbitraire ne donnant aucune garantie, puisque la détermination de ce socle minimal serait effectuée sur la base des études d'impact secteur par secteur. Mais, prenant acte des réserves exprimées, il a suspendu la réunion.

A la reprise, M. Jean Bizet a, comme annoncé, présenté l'amendement n° 16 rectifié déposé par M. Jean-Jacques Hyest. Il a émis un avis favorable qui a été suivi par la commission, les groupes UMP et UC-UDF votant pour et le groupe socialiste s'abstenant.

Il a, ensuite, proposé de rectifier le 31e alinéa de la résolution en le rédigeant comme suit : « Demande résolument l'abandon de la règle du pays d'origine dès lors qu'il n'existe pas de socle d'harmonisation ». Cette rectification a été adoptée, les groupes UMP et UC-UDF votant pour et le groupe socialiste s'abstenant.

Economie internationale - Audition de M. Pierre Moraillon, directeur chargé des relations internationales à la direction générale du Trésor et de la politique économique

Au cours de sa séance tenue dans l'après-midi, la commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Pierre Moraillon, directeur chargé des relations internationales à la direction générale du Trésor et de la politique économique, accompagné de MM. Pascal Gondrand, chef du bureau « promotion commerciale et partenaires de l'exportation » et Stanislas Pottier, chef du bureau « assurance crédit », à la sous-direction « développement international des entreprises » au sein du service des relations bilatérales et du développement international des entreprises.

Après avoir rappelé que la direction générale du Trésor et de la politique économique résultait de la fusion entre la direction du Trésor, la direction des relations économiques extérieures et la direction de la prévision du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, et s'être félicité de cette heureuse conjugaison des expériences et expertises, M. Pierre Moraillon a présenté, à titre liminaire, quelques données chiffrées sur la position de la France à l'export.

Il a d'abord indiqué que les exportations françaises s'élevaient à 380 milliards d'euros, dont 40 milliards concernaient les services, ce qui situait la France au 5e rang mondial. Il a également souligné que ce résultat 2004 était en croissance de 5 %. Evoquant le déficit commercial français d'environ 6 milliards d'euros l'an passé, il a jugé que le commerce extérieur français était globalement équilibré sur les dernières années et relevé que les exportations étaient en développement continu et induisaient un emploi sur quatre du secteur marchand. Dressant un rapide bilan des forces et faiblesses du commerce extérieur français, il a souligné comme une force la part de marché importante que la France détenait dans la zone de l'Union européenne et pointé deux faiblesses : la trop faible présence française sur les pays émergents à forte croissance (notamment la Chine et les pays de l'Association des Nations d'Asie du Sud Est, ASEAN) et le nombre insuffisant d'entreprises se tournant vers des débouchés extérieurs.

Il a ensuite souligné le dynamisme de la France dans ses investissements à l'étranger, les 28.000 filiales que comptent les entreprises françaises à l'étranger employant 5 à 6 millions de salariés et réalisant un chiffre d'affaires quasiment équivalent au montant des exportations françaises à l'étranger. Il a fait observer que la somme de ces deux chiffres donnait en fait la vraie performance de notre pays à l'exportation.

S'agissant de la part de marché de la France sur le marché mondial, il a précisé qu'elle était de 5 %, contre 6 il y a 15 ou 20 ans et indiqué que cette érosion était commune à tous les autres pays de l'OCDE. Conjuguée à la croissance simultanée du marché mondial, d'environ 7 ou 8 % par an, ce qui correspondait à un doublement en 20 ans, cette érosion pouvait en fait s'analyser, selon lui, comme une stabilisation de la position française à l'égard des autres pays de l'OCDE.

Après cet exposé liminaire, M. Pierre Moraillon a entrepris de présenter les trois métiers de la direction dont il a la charge :

- la veille stratégique et l'intelligence économique mondiale, consistant en un recueil permanent d'informations au bénéfice des entreprises françaises et des pouvoirs publics, avec une attention particulière à huit secteurs d'activité, dont les technologies de l'information et de la communication, les transports, l'énergie et l'agroalimentaire ;

- le métier régalien de négociation et de défense des intérêts français, dans le cadre des négociations à l'Organisation mondiale du commerce et, au niveau communautaire, dans le cadre du « comité 133 », qui permet à chaque Etat membre d'intervenir dans l'élaboration de la politique commerciale de l'Union européenne ;

- le soutien au développement international des entreprises, s'apparentant à une boîte à outils recouvrant la tutelle d'Ubifrance, dont M. Moraillon a salué le représentant du Sénat au conseil d'administration, M. André Ferrand, et les outils financiers pour aider les entreprises dans leur développement international : assurance-crédit export, destinée au soutien des grands contrats aéronautiques, navals, ferroviaires, et représentant un encours de 50 milliards d'euros, FASEP, assurance-prospection, Réserve Pays Emergents (RPE), visant à inciter les pays émergents à acheter du matériel français par des crédits concessionnels et mobilisant 170 millions d'euros d'engagements en 2004, garantie de change...

Revenant sur Ubifrance, M. Pierre Moraillon a rappelé la fusion récemment intervenue avec le centre français du commerce extérieur (CFCE) et la décentralisation des services de support d'Ubifrance à Marseille. Il a exprimé le souhait qu'Ubifrance déploie l'ensemble de ses compétences et trouve un rythme de croisière, notamment budgétaire. Il a conclu en rappelant que sa direction avait toujours veillé à mesurer l'impact de ses activités par un certain nombre d'indicateurs et à redéployer le réseau économique de la France à l'étranger.

M. André Ferrand, après s'être félicité de l'encouragement que l'audition de M. Pierre Moraillon représentait pour la commission des affaires économiques à s'ouvrir toujours plus à l'international, a souhaité savoir si l'érosion de la part de marché mondial de la France depuis environ 20 ans était du même ordre pour l'Allemagne. Evoquant la régionalisation de la politique commerciale française, il s'est interrogé sur les expériences considérées comme satisfaisantes à cet égard. S'agissant des volontaires internationaux en entreprise (VIE), il a déploré le déficit d'offres de la part des entreprises, qu'il a imputé au coût des VIE. Sur ce point, il a souhaité savoir si des participations des collectivités territoriales au financement des VIE, comme pratiqué dans les Hauts-de-Seine, permettraient de débloquer la situation et si elles étaient appelées à se généraliser. Il a ensuite regretté que la France n'utilise pas pleinement les possibilités offertes de financement multilatéral, notamment par les banques africaine et asiatique de développement (BAD), et s'est interrogé sur les raisons de cet état de fait. Evoquant le sinistre qui avait touché 85 % des PME de Côte-d'Ivoire, ainsi que les initiatives dont avait eu connaissance M. Christian Poncelet, président du Sénat, lors de son récent déplacement au Chili, il a encouragé l'action de la mission interministérielle aux rapatriés, qui bénéficiait de l'appui de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, et a sollicité la bienveillance de la direction menée par M. Pierre Moraillon à l'égard des projets susceptibles d'être présentés par les rapatriés. Enfin, il a souhaité savoir si un nouveau directeur allait être nommé à la tête d'Ubifrance.

En réponse, M. Pierre Moraillon a estimé que l'Allemagne avait connu également une baisse de sa part de marché de même ampleur que celle enregistrée par la France, et promis de fournir le chiffre exact à M. André Ferrand d'ici la fin de la semaine. Il a fait observer que le solde commercial très important de l'Allemagne ou, dans le sens opposé, des Etats-Unis n'était pas directement corrélé à l'état de santé économique du pays en question. Il a considéré que le profil de l'Allemagne à l'export, particulièrement tourné vers les biens d'équipement, était très différent et d'ailleurs très complémentaire de celui de la France. Il a notamment insisté sur le bénéfice que l'Allemagne pouvait, de ce fait, tirer de la « pompe aspirante » que représentait la Chine, à qui étaient imputables 40 % de la hausse des importations mondiales sur les six derniers mois, et qui achetait des matières premières, des biens d'équipement et des biens intermédiaires. Après avoir souligné que l'Allemagne comptait beaucoup plus d'entreprises exportatrices que la France et que, toutes choses égales par ailleurs, il manquait à la France 50.000 entreprises exportatrices pour être comparable à l'Allemagne, il a relevé que la France disposait en fait d'un vivier beaucoup plus restreint de PME que l'Allemagne, dont 40 % des entreprises sont de taille intermédiaire, contre 7 % en France, alors que 90 % des entreprises françaises sont de très petites entreprises -moins de 10 salariés- donc moins naturellement tournées vers l'exportation.

Au sujet de la décentralisation, il a rappelé que les régions étaient désormais habilitées à élaborer un schéma régional de développement économique et que l'Etat, dont l'action en région relevait aujourd'hui des directions régionales du commerce extérieur (DRCE), pouvait, si la région le demande, lui transférer la responsabilité de la politique commerciale régionale durant une phase d'expérimentation pouvant atteindre cinq ans, phase de transition qu'il a jugée un peu longue.

S'agissant des VIE, M. Pascal Gondrand a confirmé que leur coût, notamment dans les pays émergents où ils entraient en concurrence avec des recrutements par contrat local, pouvait être un obstacle. Il a toutefois incriminé également certaines difficultés liées aux formalités administratives, notamment les visas, ainsi que la réticence de certaines entreprises à recruter des collaborateurs pour promouvoir leurs exportations. Afin de développer le nombre de VIE, il a fait état de l'initiative récemment lancée par M. Bruno Durieux, président du comité national des conseillers du commerce extérieur, tendant à mobiliser chaque conseiller du commerce extérieur pour le recrutement de VIE. Au sujet des aides accordées par les collectivités territoriales aux entreprises recourant aux VIE, il a signalé qu'une enquête était actuellement menée par les DRCE pour connaître ces aides. Il a fait valoir, par ailleurs, que la promotion du crédit-impôt export pour les entreprises prospectant à l'international sur la base du recrutement d'un cadre export pourrait aider à augmenter le nombre de VIE.

Revenant aux financements multilatéraux, M. Stanislas Pottier a estimé que la France n'était pas si mal représentée au sein des pays en bénéficiant, convenant toutefois d'une possible sous-représentation des PME françaises. Il a souligné que le réseau des missions économiques déployait des efforts en ce sens, la mission de Washington pour suivre la banque interaméricaine de développement et la banque mondiale, celle de Doha pour suivre la banque islamique de développement, le fond arabe pour le développement économique et social ou le fonds koweïtien pour le développement, et celle de Manille pour la banque asiatique de développement. A ce travail de synthèse, il a précisé qu'il convenait d'ajouter les efforts réalisés par Ubifrance pour présenter aux entreprises françaises les financements multilatéraux. Il a également fait allusion aux fonds fiduciaires français mis à la disposition des institutions internationales, en plus des contributions traditionnelles à ces organismes, pour financer spécifiquement les activités d'études des entreprises françaises. Il a toutefois fait valoir que certaines banques, telle la banque asiatique de développement, refusaient de faire usage de ces fonds liés qui représentaient un moyen de placer l'ingénierie française. Enfin, il a rappelé que les dons octroyés via le FASEP et les prêts concessionnels relevant de la RPE faisaient régulièrement l'objet de cofinancement avec les organismes multilatéraux.

Evoquant l'initiative prise au Chili, il a confirmé qu'un travail s'engageait avec la COFACE pour mettre en place une assurance prospection pour les Français expatriés dont le projet est susceptible de conduire, in fine, au développement des exportations françaises. Il a indiqué que l'expérimentation annoncée par M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, avait vocation à s'étendre aux trois grands pays d'Amérique du Sud que sont le Chili, l'Argentine et le Brésil.

M. Pierre Moraillon a enfin informé M. André Ferrand de la proposition faite au Premier ministre par M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, et M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de nommer directeur d'Ubifrance M. Louis-Michel Morris, dont il a vanté la grande expérience internationale acquise à l'occasion de la direction de cinq ou six missions économiques de par le monde.

M. Marcel Deneux, évoquant le regain de tension sur le dossier Airbus/Boeing, a souhaité savoir si cela augurait d'un contentieux devant l'OMC. Il a ensuite demandé à M. Moraillon comment la décision rendue par le panel de l'OMC sur la protection des indications géographiques pouvait influer sur les négociations en cours à ce sujet dans le cadre de l'agenda de Doha. Il a également demandé confirmation de l'impasse de la réunion récemment tenue au Kenya et s'est interrogé sur la part de ce blocage imputable au dossier agricole, malgré les avancées enregistrées en ce domaine depuis l'été 2004. Il a également fait part de ses interrogations sur le lieu où se définissait la politique en matière de stratégie de commerce extérieur. Il a souhaité savoir si était privilégié le volume de l'export ou le solde de la balance commerciale. Il s'est également étonné de ce que, malgré la mise en place de l'euro, soient encore désignées comme exportations les ventes françaises aux pays de la zone euro. Evoquant le sujet du recrutement dans les services des missions économiques, il a demandé s'il n'était pas justifié d'envisager de nouveaux profils de carrières. Enfin, il s'est interrogé sur les secteurs privilégiés en matière d'exportation et sur l'intérêt qu'il y avait pour la France à promouvoir ses exportations agricoles.

M. Gérard Bailly a présenté la situation de son département, exposé à de nombreuses délocalisations entraînant de fréquentes suppressions d'emplois dans le secteur des lunettes et des jouets, notamment en bois. Il a fait état du sentiment de solitude ressenti par les entreprises concernées et jugé qu'il serait nécessaire de dire à ces PME quels étaient les vrais atouts de la France et vers quels secteurs orienter les plans de reconversion.

En réponse, M. Pierre Moraillon, directeur chargé des relations internationales à la direction générale du Trésor et de la politique économique, a rappelé que, sur les 24 millions d'emplois que comptait aujourd'hui la France, 6 millions étaient liés aux exportations hors de France.

Revenant sur le dossier Airbus/Boeing, il a estimé que l'objectif principal des Etats-Unis était d'empêcher le lancement de l'A350. Comparant les négociations à une partie de poker menteur, il a considéré que l'Union européenne n'avait pas à avoir peur d'un éventuel contentieux à l'OMC, les Etats-Unis soutenant Boeing, selon lui, deux fois plus que l'Union européenne soutient Airbus. Il a jugé indispensable de maintenir le système des avances remboursables. Rappelant que la fin des négociations était prévue pour le 12 avril, il a précisé que si leur échec impliquait un contentieux devant l'OMC, la durée de la procédure permettrait à l'Union européenne de soutenir librement Airbus pendant plusieurs mois.

S'agissant des négociations ouvertes depuis l'accord de Doha, il a confirmé que la France voulait éliminer toutes les formes d'aides à l'exportation agricole, en abordant simultanément les trois volets que sont les subventions à l'exportation, les soutiens internes et l'accès au marché, et qu'il était nécessaire de progresser sur les dossiers non agricoles, notamment les services et les règles. Enfin, il a insisté sur le souhait de la France de faire valoir la nécessité d'un traitement différencié en faveur des pays en développement, à distinguer des pays émergents, desquels devaient être exigées des concessions plus grandes. Rappelant qu'une réunion ministérielle devait se tenir à Hong-Kong fin 2005 et qu'une autre réunion était prévue entre fonctionnaires en juillet 2005, il a estimé que la décision attendue fin mai pour la nomination du directeur général de l'OMC ne serait pas neutre sur l'issue de ces réunions, issue que pourrait également perturber l'évolution sur plusieurs dossiers sensibles, tels que le coton, le sucre, le textile ou encore la banane.

S'agissant des négociations agricoles, il a tenu à souligner que la France ne représentait plus qu'un pays sur les 25 que comptait désormais l'Union européenne et que l'important pour la France était de faire que sa vérité devienne celle des autres, alors même que les pays spontanément portés vers la défense de l'agriculture n'étaient sans doute pas plus de cinq, incluant la Hongrie, l'Allemagne, quoique de moins en moins, l'Espagne et la Grèce.

Evoquant la question sensible de la protection des indications géographiques, il a assuré chercher à tout prix à maintenir ce sujet au menu des négociations, ce qu'il a jugé très difficile. Confirmant que la réunion tenue au Kenya n'avait permis aucune avancée, il a rappelé que le deuxième semestre 2005 s'annonçait délicat dans un contexte où la présidence du G8, la nationalité du commissaire européen au commerce et la présidence de l'Union européenne seraient britanniques.

Répondant à M. Gérard Bailly, M. Pierre Moraillon, directeur chargé des relations internationales à la direction générale du Trésor et de la politique économique, a confirmé que la question des délocalisations était particulièrement douloureuse localement et qu'il était difficile, dans une zone touchée de plein fouet, d'expliquer les bienfaits de l'ouverture des marchés. Soulignant que les délocalisations stricto sensu, à savoir l'ouverture d'une usine à l'étranger afin de réimporter sa production en France, ne risquaient de concerner que 2 à 3 % de la production française, il a convenu que leur impact était toutefois très concentré. Après avoir considéré que 5 millions d'emplois français découlaient des investissements directs à l'étranger effectués en France, il en a conclu qu'en ajoutant les 6 millions d'emplois liés au commerce extérieur, près de 11 millions d'emplois, soit plus de la moitié des emplois du secteur marchand, étaient induits par l'internationalisation des marchés. Il a donc invité à orienter l'économie française vers les domaines où elle n'aurait pas à rivaliser avec des pays dont les coûts étaient 20 fois moindres, à savoir vers l'éducation, la recherche, l'innovation, dans le souci d'une meilleure répartition entre public et privé, à l'exemple de la Suède ou de la Finlande, pays conservant des standards sociaux de haut niveau, mais présentant un taux de chômage beaucoup moins élevé qu'en France. Pour conclure, il a estimé qu'il serait de bon sens de promouvoir les investissements dans les secteurs où l'effet de levier était particulièrement important.

M. Daniel Raoul, après avoir relevé que jamais tant d'hommages n'avaient été rendus à M. Pascal Lamy que depuis son départ de la Commission européenne, a souhaité avoir des précisions sur l'assurance-prospection.

M. Pierre Moraillon, directeur chargé des relations internationales à la direction générale du Trésor et de la politique économique, a rappelé que l'OMC n'avait pas vocation à interdire les aides publiques, mais que les décisions des panels permettaient seulement de préciser ce qui était permis. Concernant le dossier Airbus/Boeing, il a jugé que le plus difficile était d'accéder à l'information, Airbus ne relevant que du civil, alors que Boeing, au carrefour du civil, du militaire et du spatial, présentait des obstacles à la transparence de l'information. Il a considéré, qu'en tout état de cause, les Etats-Unis avaient octroyé des aides illégales à Boeing, sur le fondement du système des Foreign Sales Corporations (FSC), ce qui renforçait le caractère offensif de la position franco-allemande.

En réponse à M. Daniel Raoul, M. Stanislas Pottier a précisé que l'assurance-prospection visait à préfinancer les dépenses des PME pour prospecter à l'étranger (par des participations à des salons, par le recrutement de collaborateurs à l'export...), les entreprises devant ensuite rembourser ces avances dans le cas où des contrats d'exportation seraient conclus en aval. Il a donc présenté le dispositif comme un mélange d'avance à taux zéro et d'assurance. Il a précisé qu'en 2004, ce dispositif avait fait l'objet de 1.000 contrats, impliquant 1.200 PME et couvrant 1,3 milliard d'euros d'exportations, à rapporter à un budget de 30 millions d'euros par an, ce qui portait à 20 l'effet de levier du dispositif.

Ecologie - Eau et milieux aquatiques - Audition de M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable

Elle a ensuite procédé à l'audition de M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, sur le projet de loi n° 240 (2004-2005) sur l'eau et les milieux aquatiques.

Après avoir rappelé, en introduction, que l'objectif ambitieux du Gouvernement pour la politique de l'eau était d'atteindre en 2015 un bon état écologique des eaux afin que l'ensemble des usages de l'eau puisse être satisfait (production d'eau potable à moindre coût, développement d'activités économiques, usage de loisirs, comme la pêche ou la baignade), M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a brièvement rappelé l'histoire législative qui, de 1964 à 1992, avait conduit à ériger l'eau en « patrimoine commun de la nation ».

Observant que si, en la matière, des progrès avaient été réalisés depuis quarante ans, tels les investissements engagés pour l'assainissement des communes, la suppression des pollutions industrielles les plus importantes et le développement de la gestion participative et de bassin au travers des agences de l'eau et des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), ayant permis des succès tangibles comme, par exemple, le Plan Loire Grandeur Nature, de nouvelles formes de pollution se développaient, comme les pollutions diffuses par les pesticides ou les nitrates (80 % des cours d'eau et 57 % des eaux souterraines contenant ainsi des résidus de pesticides), tandis qu'il restait encore de nombreux assainissement à mettre aux normes et que les unités d'assainissement non collectif demeuraient souvent défectueuses. Le ministre a ainsi précisé que l'objectif de bon état écologique des eaux n'était actuellement atteint que sur environ la moitié des points de suivi de la qualité des eaux superficielles et des eaux côtières, que certaines régions du territoire connaissaient des déséquilibres entre les besoins et les ressources en eau préjudiciables aux activités économiques et à l'équilibre écologique des milieux aquatiques, et qu'en matière d'assainissement, la mise en conformité des installations nécessiterait 4 à 5 milliards d'euros d'investissements par an jusqu'en 2015.

Puis soulignant que le présent projet de loi répondait aux deux orientations essentielles qu'étaient l'élaboration des outils permettant d'atteindre le bon état écologique des eaux en 2015 et la mise à disposition des collectivités des moyens leur permettant de réaliser les investissements importants nécessaires aux services d'eau potable et d'assainissement, M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a estimé qu'il avait vocation à constituer le texte central de la politique française de l'eau et à en assurer les grands principes pour au moins les quinze années à venir.

Abordant la rénovation de l'organisation institutionnelle, premier axe du projet de loi, le ministre a indiqué que la réforme devait conduire à une meilleure efficacité de l'ensemble du système, bâti par couches successives depuis l'après-guerre. Aussi bien est-ce dans cette perspective, a-t-il précisé, que le texte modernise les redevances des agences de l'eau, dans le sens d'une constitutionnalisation, d'une déconcentration encadrée par le Parlement et d'une simplification, tandis que les compétences des comités de bassin sont renforcées, puisque leur avis conforme est requis non seulement pour les taux des redevances, mais aussi pour les programmes d'intervention. Il a ainsi détaillé les sept types de redevances créées par le projet, qui sont à la fois du type « pollueur-payeur » et du type « bénéficiaire » :

- la pollution ponctuelle par les rejets domestiques et non domestiques ;

- les réseaux de collecte ;

- la pollution diffuse par les produits phytosanitaires, redevance qui se substitue à la taxe générale sur les activités polluantes portant sur les produits phytosanitaires ;

- les prélèvements d'eau ;

- les stockages d'eau en période d'étiage ;

- les obstacles sur les cours d'eau ;

- la protection des milieux aquatiques, redevance remplaçant la taxe piscicole.

Puis le ministre a souligné que le Gouvernement n'avait pas retenu le principe d'une redevance sur les engrais, considérant que son efficacité économique et écologique était loin d'être démontrée et qu'elle pourrait même être perçue comme un droit à polluer. A cet égard, il a estimé que la conditionnalité des aides de la politique agricole commune (PAC) exigée depuis le 1er janvier 2005 constituait le meilleur outil environnemental, devant au reste favoriser l'application des directives européennes, notamment celle sur les nitrates.

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a ajouté que, recherchant des assiettes de redevance les plus simples possibles, le projet de loi maintenait, en conformité avec la directive cadre et la Charte de l'environnement désormais intégrée à la Constitution, le principe selon lequel le taux de celles-ci pouvait être modulé selon l'usage, l'état des masses d'eau, les préconisations des SDAGE et des SAGE et la capacité financière des acteurs.

Il a ensuite indiqué qu'au niveau national, le Conseil supérieur de la pêche était transformé en un véritable Office de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), chargé de la connaissance et des études pour apporter un appui technique aux services centraux et déconcentrés de l'Etat, ainsi qu'aux agences de l'eau, et pouvant assurer les solidarités inter-bassins.

Relevant que de nombreux ministères, comme ceux de l'équipement ou de l'agriculture, disposaient d'établissements publics techniques pour les appuyer, le ministre a considéré légitime que celui de l'écologie puisse en avoir un pour l'eau, susceptible de renforcer les compétences en matière de système d'information sur l'eau, de surveillance des milieux aquatiques, d'évaluation et d'étude ou recherche dans le domaine de l'eau, et de soutenir techniquement les agents du ministère participant aux travaux européens afin d'accroître la présence française dans les groupes d'experts européens où se préparent les directives de demain.

Abordant le deuxième grand axe du texte consacré à la lutte contre les pollutions diffuses, qu'il a gratifiées d'enjeu majeur pour les années futures, M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a indiqué qu'il proposait la mise en place de plans d'action sous forme de mesures contre les pollutions diffuses, bénéficiant d'aides des agences de l'eau, pouvant devenir obligatoires et généralisables dans les secteurs sensibles, et mis en place localement en associant les acteurs concernés, en premier lieu les agriculteurs et les élus. Il a également souligné que le projet de loi donnait les moyens d'assurer la traçabilité des ventes des pesticides, instaurait un contrôle des pulvérisateurs utilisés pour l'application de ces produits et permettait à certains agents de la police de l'eau d'effectuer des contrôles sur leurs conditions d'utilisation.

S'agissant de la reconquête de la qualité écologique des cours d'eau, troisième axe du projet de loi, le ministre a rappelé que le respect du bon état écologique supposait que les milieux aquatiques soient entretenus en utilisant des techniques douces et qu'au niveau des barrages, les continuités écologiques soient assurées tant pour les migrations des espèces amphihalines, c'est-à-dire vivant alternativement en eau douce et en eau salée, que pour le transit sédimentaire. Il a ainsi précisé que certaines pratiques anciennes, comme l'ouverture hebdomadaire des barrages, pourraient être localement rétablies, avant que d'indiquer que le débit minimum imposé au droit des ouvrages hydrauliques serait adapté aux besoins écologiques et énergétiques et que leur mode de gestion aurait pour objectif d'atténuer les effets des éclusées, le projet de loi fixant la fin de l'année 2013 comme échéance pour que le débit minimum soit au dixième du débit moyen inter-annuel. En tout état de cause, il a souligné que son ambition était de concilier les objectifs de la lutte contre l'effet de serre par le développement des énergies renouvelables avec ceux relatifs au bon état écologique exigé par la directive-cadre sur l'eau (DCE).

En ce qui concerne le quatrième axe, visant à renforcer la gestion locale et concertée des ressources en eau, M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a précisé que le projet de loi assouplissait les règles de composition et de fonctionnement des commissions locales de l'eau chargées d'élaborer les SAGE et de suivre leur mise en oeuvre, renforçait la portée juridique de ces schémas en les rendant ainsi plus opérationnels, notamment par l'opposabilité aux tiers de certaines de leurs mesures, améliorait la gestion quantitative des ressources en eau pour limiter les effets des étiages sur la vie des cours d'eau et, afin de simplifier et rationaliser la gestion de l'eau par bassin versant, autorisait la création d'organisations de gestion collective des prélèvements qui pourraient gérer en interne le volume d'eau global autorisé.

En matière d'outils nouveaux donnés aux maires pour gérer les services publics de l'eau et de l'assainissement, cinquième axe du projet de loi, le ministre a précisé que des compétences accrues étaient reconnues aux communes quant au contrôle et à la réhabilitation des dispositifs d'assainissement non collectif ou des raccordements aux réseaux, ainsi qu'au contrôle des déversements dans les réseaux. Ainsi, s'agissant de l'assainissement non collectif, les maires pourront, s'ils le souhaitent, mettre en place un service public complet allant jusqu'à l'entretien et la réhabilitation, les agences de l'eau pouvant, à cet égard, apporter des aides pour les travaux bien plus facilement qu'aujourd'hui. En outre, la transparence de la gestion des services d'eau et d'assainissement est améliorée par le texte, tandis que l'accès à l'eau et à l'assainissement de tous les usagers, y compris les plus démunis, est facilité, notamment par la suppression des cautions ou garanties à payer lors de l'ouverture d'un compteur.

Le ministre a également indiqué qu'en matière de financement et afin de mieux planifier les travaux lourds, les collectivités pourront faire des provisions pour renouvellement et qu'à l'inverse, pour les délégations de service public, les sommes perçues qui n'auraient pas donné lieu aux travaux prévus dans le contrat devront être remboursées par le délégataire.

Par ailleurs, M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a évoqué la création d'un fonds de garantie pour les boues de stations d'épuration, alimenté par une surtaxe sur les primes d'assurance des collectivités, chargé de financer les éventuels risques de développement, c'est-à-dire les risques non connus à ce jour, donc non prévus par la réglementation, qui se révèleraient dans le futur, et ayant vocation à rendre confiance à la filière de l'épandage, que le ministre a estimé comme étant souvent écologiquement et économiquement la plus avantageuse.

Enfin, examinant le sixième axe du projet de loi qu'est la réforme de l'organisation de la pêche pour la moderniser et responsabiliser ses acteurs, il a annoncé la création d'une Fédération nationale de la pêche de loisirs, ainsi que d'un Comité national de la pêche professionnelle, tout en assurant que la nouvelle organisation préserverait les intérêts des diverses composantes du monde de la pêche.

En conclusion, M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, s'est déclaré ouvert aux amendements susceptibles d'être apportés par le Sénat à un texte, issu de concertations approfondies menées depuis plus de deux années, devant permettre d'atteindre le bon état écologique des eaux en 2015.

Un large débat a suivi cette présentation.

Après avoir souligné que ce projet de loi, qui a pour objectif de reconquérir un bon état écologique des eaux conformément aux principes posés par la DCE transposée en droit national l'an dernier, était très attendu, et remercié le ministre pour l'avoir déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales qui sont concernées au premier chef par ce thème, M. Bruno Sido, rapporteur, a tout d'abord relevé, s'agissant de l'hydroélectricité, les éventuelles contradictions entre les dispositions du présent texte et celles figurant dans le projet de loi d'orientation sur l'énergie, actuellement débattu par l'Assemblée nationale. Souhaitant obtenir des précisions chiffrées sur les conséquences des contraintes prévues par le projet, notamment en matière de débit réservé, il a souligné la nécessité de distinguer l'énergie de base de l'énergie de pointe pour établir des normes. De même, il a estimé indispensable de concilier les enjeux environnementaux avec les enjeux énergétiques en évitant une réduction trop importante de la capacité à produire l'hydroélectricité, qui est une des énergies les plus propres puisqu'elle n'émet notamment pas de gaz à effet de serre. En outre, il a jugé disproportionnée la possibilité donnée à l'Etat de retirer l'autorisation ou la concession des ouvrages ne permettant pas la préservation des espèces amphihalines.

S'agissant ensuite des dispositions relatives à l'organisation des agences de l'eau et des comités de bassin, le rapporteur, considérant que le projet induisait, par certains aspects, une sorte de « recentralisation » de la politique de l'eau difficilement acceptable, s'est interrogé sur la composition du comité de bassin en suggérant, plutôt qu'une répartition égalitaire des collèges par tiers, de revenir à l'équilibre actuel, à savoir 40 % pour les collectivités territoriales, 40 % pour les socioprofessionnels et les usagers et 20 % pour l'Etat. En outre, il a estimé incohérent de prévoir la participation des représentants de l'Etat à l'élection du président du comité de bassin, arguant que l'Etat risquait ainsi d'être l'arbitre entre les élus locaux et les socioprofessionnels.

En ce qui concerne les ressources des agences, M. Bruno Sido, rapporteur, a souligné les éventuelles difficultés constitutionnelles résultant de l'assimilation, au plan juridique, des redevances à des impôts d'Etat, et exprimé la crainte qu'une telle fiscalisation des ressources n'induise à terme la tentation pour le Gouvernement de faire remonter vers le budget de l'Etat des sommes toujours plus importantes, sans que les contributeurs puissent s'y opposer et en contradiction avec le principe de « l'eau paye pour l'eau ». De plus, il a relevé qu'en classant les redevances comme prélèvements obligatoires, les aides des agences de l'eau étaient considérées des aides d'Etat soumises à encadrement communautaire lorsqu'elles seraient versées à des personnes privées : dès lors, l'égalité entre personnes privées et publiques étant rompue et l'un des principes fondamentaux d'intervention des agences, à savoir faciliter des actions d'intérêt commun pour le bassin, étant remis en cause, il s'est demandé quel serait l'intérêt, pour les représentants des socioprofessionnels, de continuer à siéger dans un comité de bassin. Aussi, s'appuyant sur la Charte de l'Environnement, récemment intégrée dans le Préambule de la Constitution, et en particulier sur son article 4, lequel dispose que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi », M. Bruno Sido, rapporteur, a évoqué l'opportunité de reconnaître l'existence de contributions spécifiques destinées à réparer les dommages causés à l'environnement, solution qui permettrait de conserver la spécificité des ressources des agences tout en les incitant à renforcer le caractère incitatif des redevances qu'elles prélèvent et qui ne seraient dès lors plus assimilables à des « impôts de toutes natures ».

Evoquant ensuite le département, dont il s'est étonné de la faible présence dans les dispositifs du projet de loi, alors même qu'il est un acteur et un financeur important de la politique de l'eau, le rapporteur a interrogé le ministre sur la possibilité, qui était au reste prévue dans les premières versions du texte, d'autoriser le conseil général à créer un fonds départemental facultatif lui permettant d'asseoir sa politique sur un financement pérenne et identifié au travers d'une taxe départementale spécifique.

S'agissant du transfert du Fonds national pour le développement des adductions d'eau (FNDAE) aux agences de l'eau prévu par la loi de finances rectificative pour 2004, M. Bruno Sido, rapporteur, s'est interrogé, d'une part, sur l'effectivité du principe de neutralité financière affirmé lors du vote de la mesure et, d'autre part, sur la manière de parvenir, au niveau national, à la plus grande péréquation possible et à la nécessaire solidarité envers les communes rurales, étant considéré que l'échelle du bassin hydrographique ne permettait pas d'y parvenir de façon totalement satisfaisante.

Il a par ailleurs demandé des éclaircissements au ministre en ce qui concerne les conséquences de la mise en place d'un fonds de garantie des boues, observant que celle-ci pouvait faire craindre à l'ensemble des acteurs concernés (agriculteurs, entreprises agroalimentaires, distribution, consommateurs...) l'existence d'un risque substantiel susceptible, paradoxalement, d'affaiblir la filière boue.

Enfin, tout en reconnaissant la nécessité pour l'Etat de disposer rapidement d'une force d'expertise, notamment à Bruxelles, le rapporteur a souligné que la création de l'Office national des milieux aquatiques inquiétait beaucoup les acteurs du monde de l'eau, voire les parlementaires, qui craignaient une application à grande échelle de la recentralisation des ressources des agences de l'eau, la diversion d'une partie du budget de 108 millions d'euros de l'ONEMA pour financer les missions régaliennes de l'Etat et la création d'une nouvelle bureaucratie. Aussi s'est-il interrogé sur la manière de rendre plus lisible et pérenne la distinction entre ce qui relèvera des missions régaliennes de l'État, financées sur son budget, et ce qui relèvera des missions nationales de nature technique ou financière supportées par l'office.

En réponse à cette série d'interrogations, M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a tout d'abord indiqué, s'agissant de l'hydroélectricité, que si des enjeux écologiques étaient effectivement susceptibles de se télescoper, son objectif, partagé par le ministre de l'industrie, était précisément de parvenir à un équilibre des dispositions du présent projet de loi et du projet de loi d'orientation sur l'énergie, et non à leur opposition. A cet égard, il a souligné que le texte actuellement débattu par l'Assemblée nationale visait à optimiser l'usage des ouvrages existants, notamment en allégeant les procédures d'autorisation d'équipement en turbines des ouvrages existants, pour permettre une croissance de 10 % de la production et de turbinage du débit réservé ; en ce qui concerne le débit réservé, il a rappelé que l'objectif de 10 % du débit moyen du cours d'eau n'était pas nouveau, puisqu'il datait de la loi de 1984 et que le projet de loi ne faisait que fixer une échéance, à savoir 2013. Puis après avoir souligné l'importance des barrages de montagne en matière d'énergie de pointe, il a précisé que sur les 3 milliards de Kwh de pertes annoncées par les électriciens comme conséquence des mesures du projet, soit 5 % de la production nationale, 1,3 milliard concernait l'énergie de base, qui pouvait être produite par d'autres énergies renouvelables ou le nucléaire et 1,7 milliard relevait des « éclusées », pour lesquels il espérait trouver avec le Sénat une solution satisfaisante. Enfin, à propos des autorisations de concession des ouvrages, il a estimé, comme le rapporteur, qu'il ne fallait pas que la recherche de l'intérêt général entraîne des coûts disproportionnés, et il s'est déclaré, avant tout, favorable à la recherche de solutions négociées, pour autant que les pouvoirs publics disposent des outils permettant de sanctionner efficacement la poursuite d'activités, notamment celles n'ayant pas bénéficié d'un renouvellement d'autorisation, outils que visait précisément à forger le projet de loi.

Pour ce qui est de la composition des comités de bassin, le ministre est convenu, après avoir souligné que l'Etat était le garant du respect de l'intérêt général, qu'un autre équilibre que le partage par tiers entre les collèges était envisageable et que la participation des représentants de l'Etat à l'élection du président du comité pourrait être reconsidérée.

En ce qui concerne les redevances, il a rappelé que leur caractère fiscal ne résultait pas du présent projet de loi, mais de la Constitution et des lois organiques relatives aux lois de finances, que la situation actuelle se caractérisait par une extrême fragilité juridique, que la Charte de l'environnement ne modifiait rien en l'espèce et que l'importance même des recettes des agences de l'eau, de l'ordre de 2 milliards d'euros par an, justifiait que le Parlement s'y intéresse. Concluant ainsi qu'il ne voyait pas comment s'abstraire du caractère fiscal incontestable, et au demeurant rappelé par le Conseil constitutionnel, de ces redevances, il a cependant exclu toute possibilité de recentralisation au profit de l'Etat dès lors que les fonds de concours volontaires étaient expressément interdits par le texte et que la seule contribution nationale prévue au bénéfice de l'ONEMA était plafonnée à 108 millions d'euros par an.

S'agissant du rôle des départements et de leurs moyens, qui s'élèvent aujourd'hui à quelque 400 millions d'euros de subventions par an dans le domaine de la politique de l'eau, M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a fait état des hésitations du Gouvernement sur l'opportunité d'ouvrir la faculté légale de créer une nouvelle fiscalité à travers des fonds départementaux et indiqué que, sur cette question éminemment politique, il avait souhaité que le débat sénatorial soit engagé et poursuivi sans exclusive.

Puis après avoir assuré que le transfert du FNDAE aux agences de l'eau était effectivement neutre au plan financier, et ajouté que la situation nouvelle était même plus favorable que par le passé dans la mesure où, alors, toutes les sommes prélevées n'étaient pas distribuées au plan local, le ministre a confirmé que la solidarité était effective au niveau des agences par une péréquation entre les bassins avant d'envisager favorablement la perspective d'ouvrir une possibilité de contractualisation entre les agences et les départements.

Relevant que le fait même que la question de l'épandage des boues soit évoquée par les agriculteurs eux-mêmes ainsi que par leurs clients justifiait que les pouvoirs publics s'en saisissent, il a indiqué rechercher une solution juridique pour rendre impossible l'interdiction, dans certains contrats, d'accès au marché des produits émanant de terres concernées par cette pratique.

Enfin, abordant la création de l'ONEMA, le ministre l'a estimée nécessaire pour que son département ministériel puisse, à l'instar d'autres ministères, disposer d'un outil d'expertise. Il a estimé infondées les inquiétudes de recentralisation, observant que les missions régaliennes de l'Etat continueraient à être financées par le budget, que les ressources de l'établissement public seraient plafonnées et, qu'en outre, son financement entraînerait de fait la suppression du prélèvement annuel de 83 millions d'euros pesant sur les agences de l'eau.

M. Christian Gaudin a observé que les petites communes, en particulier d'habitat diffus, étaient perturbées par les difficultés d'application et le manque de cohérence posés par les services publics d'assainissement non collectif (SPANC), dont la mise en place ne résolvait qu'une faible partie des problèmes de la pollution en milieu rural si la mise aux normes de l'assainissement des exploitations agricoles n'était pas poursuivie parallèlement. Par ailleurs, évoquant le recours aux réserves collinaires en période d'étiage des cours d'eau, il a souhaité qu'en cas d'éloignement des parcelles, un propriétaire puisse puiser dans le cours d'eau un volume égal à celui qu'il y aurait reversé préalablement de la réserve.

Soulignant que de nombreux élus locaux pouvaient être mis en difficulté devant les tribunaux faute d'une définition claire et univoque, notamment par les directions départementales de l'agriculture, des cours d'eau, M. Gérard Bailly a souhaité que le projet de loi procède à cette définition, de même qu'à celle des embâcles. Il a estimé indispensable, pour l'efficacité du dispositif de l'article 26 du projet de loi en milieu rural, que les communautés de communes puissent elles aussi être concernées par l'entretien non collectif. A l'article 23, autorisant l'instauration d'une taxe communale sur la collecte et le traitement des eaux pluviales, il a jugé très dangereux pour la stabilité juridique du dispositif proposé de faire référence, pour la définition de l'assiette de la taxe, à la notion de « volume », estimant préférable de retenir celle de « service rendu ». De même, à l'article 27, il a contesté la facturation en fonction des volumes consommés et l'encadrement de la part fixe, en observant que les coûts les plus élevés dans les zones à faible habitat résultaient de l'investissement initial bien plus que de la consommation qui pouvait s'avérer très faible, et revendiqué une latitude de facturation pour les décideurs locaux au regard des caractéristiques propres à leur situation. Enfin, partageant les propos tenus par le ministre à propos des boues, il a relevé que de nombreuses appellations d'origine (comté, ou orge et houblon destinés au brassage, etc.) interdisaient la commercialisation des produits issus de terres d'épandage et appelé à une meilleure couverture de ce risque par les dispositifs d'assurance, voire par le fonds.

En réponse à ces deux intervenants, M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a tout d'abord estimé nécessaire d'offrir aux collectivités la plus grande souplesse en matière d'organisation des services publics d'assainissement non collectif, indiquant à cet égard que si davantage pouvait être fait dans la loi pour garantir leur cohérence, il y serait évidemment très favorable. Il a également exprimé son intérêt pour examiner, en liaison avec les préfets et dans le cadre des SAGE, la possibilité de prendre en compte la suggestion de M. Christian Gaudin pour gérer intelligemment les réserves collinaires.

Puis rappelant que la définition des cours d'eau faisait l'objet d'une jurisprudence très ancienne et complexe tenant compte des réalités locales, il s'est déclaré favorable à une définition pragmatique dans le cadre du département, par arrêté préfectoral et sur le fondement de critères qu'une nouvelle circulaire ministérielle devrait prochainement affiner. S'agissant des embâcles, il a estimé que le projet de loi, en définissant correctement l'entretien des cours d'eau, répondait aux observations soulevées par M. Gérard Bailly, tout en garantissant le respect des milieux aquatiques. Puis après avoir appuyé la nécessité d'ouvrir aux communautés d'agglomération la gestion de l'assainissement non collectif, il a souligné qu'en matière d'eaux pluviales, des précisions réglementaires viendraient encadrer les innovations du projet de loi. En ce qui concerne la facturation, il a considéré que les difficultés évoquées seraient résolues par le texte, puisqu'il autorise tant la progressivité que la dégressivité des tarifs. Enfin, s'agissant de l'assurance-produit des productions issues de terrains d'épandage de boues, il a souligné que l'éventuel préjudice écologique lié au risque de développement serait indemnisé dans la limite de la valeur du terrain et s'est déclaré prêt à étudier, au-delà du très important travail d'analyse réalisé jusqu'ici avec les professionnels, de nouvelles propositions dans le cadre du débat parlementaire.

Se félicitant de ces derniers propos, M. Jean Desessard a rappelé que les pollutions diffuses ne résultaient pas seulement des pesticides, mais également des engrais, sous forme de nitrates, avant que d'exprimer sa conviction que les amendements que ses collègues et lui-même déposeraient pour réduire ce type de pollution seraient favorablement accueillis par le ministre. A cet égard, il a souhaité que les services de ce dernier remettent, avant les débats en séance, un tableau indicatif permettant, s'agissant de la taxe phytosanitaire et selon la nature du pesticide, de mieux appréhender la toxicité des substances actives entrant dans la composition du produit.

Estimant excessif, voire dangereux au regard de l'existence d'égoïsmes territoriaux, de faire dépendre la fixation de tarifs dégressifs de l'accord préalable du SAGE ou du SDAGE, M. Paul Raoult a souhaité que les opérateurs puissent conserver une liberté d'appréciation en matière de prix de l'eau. Il a par ailleurs fait état de la perplexité des usagers et des élus quant au mode de calcul des redevances, considérant que sa complexité interdisait tout contrôle démocratique de la part des élus. Enfin, tout en reconnaissant les difficultés particulières d'imputation sur le monde agricole des surcoûts résultant de sa responsabilité en matière de pollution des eaux, il a souligné que l'opinion publique avait quelque difficulté à admettre que le principe « pollueur-payeur » soit si imparfaitement appliqué, avant d'appeler au développement d'actions pédagogiques et culturelles pour favoriser les bonnes pratiques agricoles.

Abordant l'hypothèse de la création de fonds départementaux, réclamée par l'Assemblée des départements de France, Mme Evelyne Didier a indiqué que plusieurs départements y étaient opposés, arguant que les charges résultant de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), du revenu minimum d'insertion (RMI) ou encore de la décentralisation des routes, etc. étaient déjà suffisamment importantes. Estimant par ailleurs que, pour les consommateurs, « le compte n'y était pas », la contribution domestique à l'usage de l'eau étant trop élevée par rapport à celles des autres usagers, elle a souhaité un rééquilibrage des contributions. Elle a également préconisé une plus grande incitation aux efforts de recherche pour éviter que les industriels ne s'appliquent qu'à concentrer davantage leurs produits pour réduire le coût de la taxe au kilogramme. Enfin, elle a souligné la nécessité d'améliorer la transparence dans les différents modes de gestion des services de l'eau -publics ou privés- afin de faciliter la tâche des collectivités territoriales qui souhaitent passer d'un système à un autre.

Répondant à ces différents interlocuteurs, M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a indiqué, en premier lieu, qu'il n'évitait pas la question des nitrates et rappelé, à cet égard, ses propos introductifs où il estimait que l'éco-conditionnalité des aides prévues par la PAC seraient plus efficaces, au plan environnemental, que des taxes sur les nitrates qui, soit seraient trop faibles pour être efficaces et ne constitueraient dès lors qu'un droit à polluer, soit seraient trop fortes et ne pourraient alors être mises en oeuvre pour des raison de survie économique des exploitations. Il a ajouté que si les ménages participaient effectivement à hauteur de 82 % au financement du total des redevances, alors que le taux concernant les agriculteurs ne s'élève qu'à 4 %, les premiers retrouveraient à 91 % leur investissement dans la qualité de l'eau, au lieu de 87 % aujourd'hui. S'agissant des agriculteurs, il a estimé qu'avec le projet de loi, leur facteur de retour sur investissement reviendrait de 9,5 à 2,4.

S'agissant des tarifs dégressifs, le ministre a indiqué que le texte prévoyait simplement qu'ils ne devraient pas être en contradiction avec un SAGE ou un SDAGE, tandis que l'opacité actuelle du mode de calcul des redevances serait supprimée grâce à la simplification prévue par le projet de loi, qui supprime les coefficients multiplicateurs. Puis après avoir relevé que l'opposition aux fonds départementaux exprimée par certains départements avait justifié son souhait de voir ce débat abordé par le Sénat, il a souligné que l'un des objectifs du projet était de clarifier la situation des délégations de services publics, certains contrats actuels apparaissant clairement inacceptables, notamment lorsque les entreprises conservaient leurs réserves faites pour les travaux à l'issue du contrat. Observant que cette pratique serait désormais interdite, il a par ailleurs souligné que pour favoriser les investissements en dépit des principes de l'annualité budgétaire, un mécanisme de provision était institué par le projet de loi.

Revenant sur le rôle de l'ONEMA, M. Jean Desessard a souhaité connaître les ministères disposant d'un établissement public ayant une fonction d'expertise et de soutien similaire à celle évoquée par le ministre. Puis, contestant que la participation des agriculteurs puisse s'analyser exclusivement en termes de « retours », il a regretté la non-application du principe pollueur-payeur tout en observant que les agriculteurs ne seraient pas incités à produire autrement que par un système progressif de taxation de leurs rejets polluants.

Après que M. Jean-Paul Emorine, président, eut rappelé que les agriculteurs français avaient consenti de très importants efforts ces dernières années pour promouvoir une agriculture de plus en plus extensive et moins consommatrice d'engrais, et que la conditionnalité des aides de la PAC allait encore approfondir ce mouvement, M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, a assuré que la création de l'ONEMA n'allait conduire ni à une re-centralisation, ni à une bureaucratisation de la politique de l'eau, et réaffirmé sa conviction qu'une taxe sur les nitrates n'aurait pas de vertu préventive, au contraire des plans d'action volontaires et rendus obligatoires qui pourront être conçus comme des outils « gagnant-gagnant » susceptibles d'entraîner l'adhésion des agriculteurs. A cet égard, M. Paul Raoult ayant observé que des millions d'hectares ne relevaient pas de l'éco-conditionnalité, car les productions concernées ne bénéficiaient pas de systèmes de primes, le ministre a rappelé que pour le cas de l'élevage, la redevance sur l'azote était bien maintenue en l'espèce.

Enfin, il a rassuré M. Jean-Marc Pastor, qui s'interrogeait sur la compatibilité du dispositif du projet de loi avec le contenu du futur projet de loi d'orientation agricole, en lui confirmant qu'il travaillait en liaison étroite avec le ministre de l'agriculture sur ce texte à venir.