M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, j’adresse mes chaleureuses salutations au président de la chambre de métiers et de l’artisanat de Lot-et-Garonne, M. Jean-François Blanchet, présent dans nos tribunes avec les apprentis du CFA. Je remercie également le président Larcher pour l’organisation de cette journée.

La formation par l’apprentissage, outil formidable pour notre pays, fait aujourd’hui l’objet de choix politiques contestables ou discutables.

L’apprentissage permet de former nos jeunes et de renforcer l’adéquation entre les besoins en ressources humaines des entreprises et les formations proposées. Ces dernières, cofinancées par les entreprises et par l’État, sont moins onéreuses qu’un lycée professionnel et permettent une meilleure insertion.

Toutefois, force est de constater que, depuis 2018, une partie du système a été fortement modifiée. Les étudiants de l’enseignement supérieur, qui représentent désormais près de 60 % des apprentis, sont massivement recrutés et formés par la voie de l’apprentissage.

Cet engouement s’explique par des politiques publiques particulièrement généreuses, qui se sont révélées être parfois en décalage avec les coûts réels de certaines formations du tertiaire ou les besoins en ressources humaines.

Comme le constate la Cour des comptes, le cadre législatif a été rénové sans stratégie nationale ni financement adapté. L’objectif apparemment louable du Gouvernement d’atteindre le million d’apprentis n’a été associé à aucun critère d’utilité de la dépense.

Ainsi, primes à l’embauche, financement des contrats d’apprentissage, exonérations de cotisations sociales, dérogations et autres exemptions sont accordés sans prendre suffisamment en compte la taille de l’entreprise ou la formation concernée.

De nombreux centres de formation, publics et privés, ont été ouverts. De grandes entreprises du bâtiment, de grandes écoles de commerce disposent désormais de leurs propres centres, qui concurrencent parfois directement des CFA publics, dont l’existence est conditionnée au maintien de leurs effectifs d’élèves.

Finalement, les 16 milliards d’euros que coûte annuellement l’alternance représentent un poids trop important pour France Compétences. Le déficit de cet organisme a justifié des baisses de prise en charge du coût des formations de façon quasiment indiscriminée. Ces baisses ont particulièrement fragilisé les formations aux métiers de l’artisanat de niveaux 3 et 4, dont les coûts sont souvent incompressibles.

C’est pourtant à ces premiers niveaux de formation que l’apprentissage a démontré sa plus grande efficacité, favorisant l’accès des jeunes à l’emploi et contribuant à maintenir une économie dynamique dans les territoires.

Nos jeunes artisans devront reprendre, dans les dix prochaines années, environ 300 000 entreprises, qui sont toutes importantes pour notre vie locale. Sans sauvegarde de notre modèle d’apprentissage, ce sont nos boulangers, nos cuisiniers, nos mécaniciens, nos charpentiers, nos plombiers, nos agriculteurs, et tant d’autres métiers encore, que nous pourrions voir disparaître de nos territoires. La plupart de ces secteurs d’activité font d’ailleurs déjà face à une pénurie de main-d’œuvre.

Pourtant, les CFA sont laissés sans solution. En Nouvelle-Aquitaine, les centres spécialisés dans le BTP subiront ainsi une baisse de revenus de 7 % tandis que leurs charges augmenteront dans les mêmes proportions. Pour le centre d’Agen, le déficit annuel programmé s’élève à 500 000 euros.

La dérive actuelle du système d’apprentissage menace nos métiers traditionnels et artisanaux. Or préserver l’apprentissage, c’est préserver une école de vie, une école de la vie en commun, qui permet à des jeunes actifs et avides de savoir de découvrir leur futur métier sous l’égide d’un sachant.

En joignant formation du geste et formation de l’esprit, l’apprentissage est le ciment des compétences de demain.

Madame la ministre, mes questions sont les suivantes. Quel modèle de transmission des savoirs et des entreprises souhaitons-nous promouvoir ? Voulons-nous préserver un modèle faisant contribuer les plus grandes entreprises, qui bénéficieront ensuite, sur le marché du travail, de jeunes très qualifiés ? Quelle place le secteur privé doit-il occuper dans les centres de formation en alternance ?

Au regard des conclusions de la Cour des comptes, clarifions nos objectifs en matière de financement public de l’apprentissage. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de lemploi. Monsieur le sénateur Michel Masset, au sein de la classe d’âge des 15-29 ans, seulement 14 % des jeunes sont apprentis. Ce n’est pas assez.

Comme le souligne une étude du Conseil d’analyse économique (CAE) de début mars sur le plein emploi, trop de jeunes suivent exclusivement des études théoriques, sans aucune application pratique dans le cadre d’une alternance. Et je ne vous parle pas des fameux Neet – pour neither in employment nor in education or training –, ces jeunes qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation.

Sur les CFA, j’ai donné quelques pistes ; peut-être trop d’ailleurs, car je souhaitais réserver la primeur de mes annonces aux partenaires sociaux le 23 avril prochain. Nous voulons réellement donner la priorité aux niveaux 3 et 4, ainsi qu’aux plus petites entreprises, mais aussi mettre l’accent sur la qualité et renforcer la lutte contre la fraude.

Concernant le statut des CFA, public ou privé, nous n’avons pas de religion. En revanche, ce que nous souhaitons, c’est que la qualité soit rendez-vous, et cela passe par une information en amont auprès des apprentis et de leurs familles.

Nous avons déployé récemment la plateforme InserJeunes, qui permet, au sein de Parcoursup, d’accéder à des informations concrètes, comme le taux d’insertion professionnelle à six mois ou encore les rémunérations attendues. Il est ainsi possible de différencier les CFA de bonne qualité et les autres.

Peu importe le statut des CFA, l’important est qu’ils forment mieux nos jeunes, pour qu’ils puissent avoir une insertion professionnelle rapide et réussie.

Enfin, nous serons absolument intransigeants sur la fraude. Sur ce sujet, nous sommes déjà passés à la vitesse supérieure, avec la proposition de loi Cazenave et au travers d’un certain nombre de décrets.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous partageons une conviction commune : l’apprentissage est un levier puissant d’insertion et de réussite qui a fait ses preuves.

Pour qu’il poursuive sa dynamique, encore faut-il lever les freins que rencontrent les acteurs sur le terrain. C’est dans cet esprit, madame la ministre, que je vous interrogerai sur plusieurs points concrets : la mobilité, la fin de contrat et Qualiopi.

La mobilité est la première marche vers l’apprentissage. Pour certains jeunes, cette marche est bien trop haute. Nous avons donc là un levier à actionner. Alors qu’un jeune peut désormais passer son permis dès 17 ans, il doit attendre d’avoir 18 ans pour accéder à l’aide au financement du permis B. Cette incohérence pénalise particulièrement les jeunes issus des territoires ruraux, où la mobilité conditionne l’accès à la formation et à l’emploi.

Je rejoins ici l’analyse de mon collègue Yves Bleunven, qui a interpellé le Gouvernement à ce sujet cette semaine : il convient de prendre une mesure de bon sens. Comment le Gouvernement envisage-t-il concrètement de corriger cette anomalie ?

Nous pouvons également agir sur la fin de contrat, et plus précisément sur les situations de rupture. Aujourd’hui, la rupture d’un contrat d’apprentissage se fait simplement : il suffit de télécharger un modèle sur le site du ministère, sur lequel l’employeur et l’apprenti n’ont qu’à apposer leurs signatures.

Cette simplicité apparente peut masquer un déséquilibre. Un jeune en difficulté, parfois en position de fragilité, peut-il réellement consentir librement à une rupture sans accompagnement ? Alors que le lien qui unit maître d’apprentissage et apprenti est asymétrique, la question mérite d’être posée.

Si le CFA était associé et impliqué en amont, il pourrait jouer son rôle d’accompagnement et probablement limiter le nombre de ruptures. Rappelons en effet que, selon les données de la Dares, près de 30 % des contrats d’apprentissage sont rompus avant leur terme.

Afin de mieux encadrer ces situations et d’assurer une médiation, prévoyez-vous, madame la ministre, d’impliquer systématiquement les organismes de formation dans la procédure de rupture ?

J’en viens enfin aux difficultés liées au renouvellement du certificat Qualiopi. Dans le département dont je suis élue, la Vendée, deux établissements conformes ont été suspendus pour cause de renouvellement tardif de leur certification.

Même si la période a été relativement courte, ils ont été signalés comme « CFA en non-conformité ». En conséquence, il ne leur était plus possible de signer de nouveaux contrats, les aides aux entreprises étaient bloquées et les formations proposées ne figuraient plus sur la plateforme Parcoursup.

Afin d’éviter que ces retards ne pénalisent des structures pourtant conformes et engagées, il pourrait être envisagé d’instaurer un délai de grâce de deux mois, dès lors que l’audit de renouvellement a bien été réalisé à temps.

Cette mesure irait d’ailleurs dans le sens de la simplification administrative voulue par le Gouvernement, le Sénat et son président. Madame la ministre, qu’envisagez-vous de faire face à ces blocages purement administratifs ?

Pour conclure, j’évoquerai le rôle fondamental des collectivités territoriales.

Avec 18 000 contrats signés en 2023, elles ont été des piliers du développement de l’apprentissage. Pourtant, les chiffres de 2024 sont inquiétants : seuls 9 000 contrats sur les 21 000 prévus sont financés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

Le désengagement de l’État, la baisse du soutien de France Compétences et la réduction des métiers éligibles fragilisent durablement cet engagement local. Les collectivités font face à des arbitrages douloureux. Elles auront le choix entre renoncer à l’apprentissage et… renoncer à l’apprentissage.

Il est impératif de construire un modèle pérenne de financement à la hauteur des enjeux, car, pour reprendre les mots de Thierry Dubin, président du conseil de région Pays de la Loire de la Fédération nationale des directeurs de centres de formation d’apprentis (Fnadir), l’apprentissage doit être vu non pas comme une dépense, mais bien comme un investissement, un investissement pour demain. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Marie-Do Aeschlimann et M. Laurent Burgoa applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de lemploi. Madame la sénatrice Annick Billon, sachez que nous portons une attention très particulière à la question du permis de conduire. Il paraît cohérent que les apprentis âgés de 17 ans puissent disposer, comme les autres, d’un soutien en la matière.

Comme vous l’avez souligné, les freins à la mobilité constituent un risque majeur de rupture. C’est la raison pour laquelle nous examinons très sérieusement la possibilité d’élargir l’aide au financement du permis de conduire aux apprentis âgés de 17 ans.

En dépit du contexte budgétaire, permettre ainsi à des jeunes de voler de leurs propres ailes assurerait un bon retour sur investissement. Sans faire d’annonce officielle, je suis très favorable à cette idée.

Les CFA jouent déjà un rôle d’accompagnement et de prévention des situations de rupture. En pratique, ils ont aussi un rôle de médiation, qui n’est pas précisé dans le code du travail. Y remédier permettrait peut-être de s’assurer qu’ils le remplissent bien. Toutefois, nous pouvons aussi privilégier le partage de bonnes pratiques. Telle est plutôt ma recommandation.

En ce qui concerne les deux CFA que vous mentionnez et qui n’ont pas fait l’objet d’un audit Qualiopi, je vous propose de demander à mes services de mener des investigations sur la difficulté qu’ils ont rencontrée, auxquelles vous pourrez être associée.

Vous avez ensuite soulevé la question très importante de l’apprentissage dans la fonction publique territoriale. Pour exercer sa mission de financement des CFA, le CNFPT bénéficie d’un certain nombre d’aides, notamment d’une contribution de l’État et d’un financement complémentaire par France Compétences, qui est assis sur les contributions des entreprises, que nous ne voulons pas aujourd’hui alourdir.

De leur côté, les employeurs territoriaux contribuent de façon pérenne au financement de l’apprentissage au travers d’une cotisation complémentaire assise sur la masse salariale et plafonnée à 0,1 %, taux à comparer aux 0,68 % que versent les employeurs privés. Cela explique le décalage avec le financement qu’assurent les employeurs territoriaux eux-mêmes. L’État comme les entreprises essaient, malgré les difficultés du moment, de tenir leur rôle.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.

Mme Annick Billon. Je remercie Mme la ministre pour ses réponses encourageantes.

Je précise que le Sénat, qui est particulièrement engagé en faveur de l’apprentissage, a expérimenté le recrutement de collaborateurs en alternance.

J’ai moi-même pris une apprentie en 2022. On ne parle bien que de ce que l’on connaît ! Cette jeune femme est désormais à mes côtés. Par ailleurs, près de vingt-neuf contrats ont été signés au sein des différentes directions du Sénat.

Je tenais à souligner cet engagement. Les collectivités s’engagent ; il est important de dire que le Sénat le fait aussi.

M. Laurent Lafon. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Do Aeschlimann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, entre 2018 et 2024, l’apprentissage a connu un essor sans précédent, le nombre de contrats étant passé de 448 000 à près d’un million.

Cette réussite collective, fruit de la mobilisation des services de l’État, des régions, des CFA et du réseau des chambres des métiers et de l’artisanat, contribue à redonner à l’apprentissage ses lettres de noblesse.

C’est heureux, car, outre une formation diplômante et une rémunération, cette voie de formation assure une insertion rapide et durable dans le monde du travail. Elle constitue également un formidable levier d’ouverture sociale. Aujourd’hui, près de 60 % des apprentis sont dans l’enseignement supérieur, mais l’apprentissage forme également des jeunes très peu qualifiés ou pas qualifiés du tout, à qui elle garantit une bonne insertion dans l’emploi.

De fait, des milliers de jeunes accèdent à de hauts niveaux de qualification et à des formations d’excellence alors qu’ils n’en auraient pas eu les moyens autrement.

Toutefois, cette ambition a un coût faramineux : 25 milliards d’euros en 2024 selon certaines estimations. Face à cet emballement budgétaire, chacun admet que le soutien public à l’apprentissage doit être optimisé.

L’enjeu n’est pas seulement financier. Certaines évolutions induites par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel rendent indispensable le renforcement de nos exigences quant à la qualité des formations dispensées en alternance.

Le développement rapide de l’offre, facilité par une certaine forme de dérégulation – disons les choses –, se caractérise par l’émergence d’une multitude d’établissements d’enseignement à but lucratif, dont certains n’ont d’autre objectif que le rendement financier.

Certaines structures tirent profit de cet effet d’aubaine, en l’absence de véritable contrôle de la qualité pédagogique. Dans un rapport d’information de 2024, la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a ainsi déploré un « contrôle qualité défaillant » et un niveau de prise en charge identique pour les formations rigoureusement encadrées et pour celles dont les standards pédagogiques sont discutables.

Il est donc impératif que l’optimisation du soutien public à l’apprentissage repose sur des critères objectifs liés à la qualité réelle des formations, à l’encadrement pédagogique, à l’agrément des établissements et à l’accompagnement vers l’insertion professionnelle des diplômés.

C’est dans cet esprit que j’ai fait adopter un amendement à la loi de finances pour 2025 visant à réduire le niveau de prise en charge des formations dispensées intégralement à distance.

La France doit continuer de nourrir une ambition forte en matière d’apprentissage. Ce dernier doit être non pas un marché, mais bien une voie royale d’accès à l’emploi et un vivier de compétences pour nos TPE, nos PME et notre artisanat.

Dans ce contexte, madame la ministre, vos prédécesseurs avaient envisagé de créer un label qualité, travaillé en lien notamment avec la Conférence des grandes écoles et des écoles de management, afin de certifier les établissements privés respectant des critères exigeants.

Le Gouvernement semble avoir récemment renoncé à cette idée, au profit d’un renforcement de l’agrément Qualiopi. Or les limites de Qualiopi sont connues : lourdeur administrative, coût élevé, fraudes, prolifération d’organismes de certification peu scrupuleux.

Dès lors, madame la ministre, comment garantir que les fonds publics alloués à l’apprentissage bénéficient aux établissements réellement engagés dans la réussite des jeunes, et non à ceux qui ne poursuivent qu’une logique de profit à court terme ? Par ailleurs, pouvez-vous nous éclairer sur la manière dont vous entendez renforcer le dispositif Qualiopi ?

Plus largement, quelles garanties pouvons-nous offrir aux jeunes pour que l’alternance continue de rimer avec excellence et qualité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de lemploi. Madame la sénatrice Aeschlimann, les apprentis de niveaux 6 et 7 représentent en effet 38 % des apprentis aujourd’hui et contribuent ainsi à la montée en gamme de l’économie française.

L’apprentissage participe de la démocratisation, ce qui est une très bonne chose et il faut poursuivre dans cette voie, mais nous devons le réguler.

En lien avec le ministère de l’enseignement supérieur, nous allons lancer une mission d’inspection interministérielle sur l’enseignement supérieur lucratif. Cette inspection viendra s’ajouter au renforcement des contrôles Qualiopi et des prérogatives de contrôle de France Compétences sur les organismes certificateurs, ainsi qu’au plafonnement des dépenses de marketing, lequel touchera en particulier les organismes lucratifs.

Grâce à vous, nous pourrons différencier nettement les coûts-contrats des organismes ayant des plateaux techniques majeurs de ceux qui proposent exclusivement de la formation à distance. En effet, les modèles économiques sont différents.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Anne-Sophie Romagny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie pour l’organisation de ce débat.

En m’adressant à vous, mes pensées vont aux jeunes générations, qui sont l’avenir de notre pays.

Chacun se souvient du dilemme cornélien auquel nous faisions face il y a quelques mois, lors de nos débats budgétaires ô combien difficiles, au sujet d’une politique fondamentale : la formation professionnelle des jeunes.

Fallait-il réduire les dépenses de l’État en sabrant les aides en faveur de l’apprentissage ou maintenir ces aides sans contribuer à l’effort de réduction des dépenses ?

Au cours des auditions réalisées par la délégation sénatoriale aux entreprises et la commission des affaires sociales, nous avons unanimement constaté le bénéfice de l’apprentissage. Sa remise en cause totale aurait été désastreuse.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, j’avais déposé des amendements visant à moduler le montant des aides suivant la taille des entreprises. Madame la ministre, vous avez été à l’écoute de mes propositions et vous avez tenu vos engagements.

En effet, le Gouvernement a décidé de reconduire par décret l’aide aux entreprises qui emploient des apprentis selon un barème juste et proportionné : cette aide s’élève à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés, à 2 000 euros pour les autres entreprises, à 6 000 euros pour toutes les entreprises accueillant un apprenti en situation de handicap.

Par ailleurs, un décret publié le 28 mars dernier prévoit l’exonération de la totalité des cotisations salariales pour les rémunérations inférieures ou égales à 50 % du Smic, contre 79 % auparavant.

Si cette mesure a une incidence sur le salaire net d’environ un quart des apprentis, elle constitue un alignement, pour des raisons d’égalité, sur les conditions applicables aux stagiaires, également soumis à ces cotisations. Par ailleurs, cette mesure vise à accroître les recettes de la sécurité sociale d’environ 278 millions d’euros.

Il serait intéressant, en prévision des prochains débats budgétaires, d’organiser un point d’étape à l’automne sur l’incidence réelle de cette mesure.

Je souhaite à présent m’adresser aux jeunes présents dans nos tribunes. Aujourd’hui, plus que jamais, dans un monde en plein chahut, nous avons conscience que l’avenir est source de préoccupations, quels que soient votre niveau de diplôme et le secteur d’activité dans lequel vous évoluez. Vous êtes l’avenir de notre nation et notre priorité est de vous accompagner.

Madame la ministre, nous devons être vigilants sur la qualité de l’apprentissage, parce qu’il s’agit de mobiliser de l’argent public et surtout parce qu’il y va de l’avenir de la jeunesse.

Être attentif à la qualité des enseignements, c’est ne pas laisser la place à des structures peu scrupuleuses qui profiteraient du système sans être à la hauteur des enjeux. Comment les opérateurs de compétences et l’État peuvent-ils mieux contrôler, et plus fermement, les organismes de formation privés qui accompagnent des apprentis ?

Ensuite une petite musique se répand selon laquelle il faudrait supprimer l’aide aux apprentis de niveau bac+4 ou bac+5. Je n’y suis pas favorable, car cette aide constitue un véritable soutien aux TPE et aux PME. Nous devons éviter le raccourci selon lequel les petites entreprises embaucheraient des apprentis à de petits niveaux de diplômes. Leur besoin d’apprentis ayant un haut niveau de qualification est bien réel. Ne nous méprenons pas !

L’idée centrale, qui m’avait animée l’année dernière, lorsque j’ai déposé des amendements sur le projet de loi de finances pour 2025 visant à différencier les aides à l’apprentissage en fonction de critères déterminés, était la suivante : aider moins, oui, mais aider mieux, assurément !

Si une évolution doit avoir lieu, elle doit probablement concerner l’appui apporté au recrutement d’apprentis qualifiés dans les très grandes entreprises. Les auditions menées par la commission d’enquête du Sénat sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants donnent à penser que les multinationales continueraient de recruter des apprentis d’un niveau bac+5, même si elles n’étaient pas aidées.

Faire dans la dentelle, madame la ministre, c’est faire preuve de prudence pour ne pas casser la dynamique mise en place ces dernières années. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de lemploi. Madame la sénatrice Anne-Sophie Romagny, vous m’interrogez sur la possibilité d’améliorer le contrôle des organismes de formation privés.

De nombreuses réponses ont déjà été apportées à cette question. La proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques, qui a été adoptée par le Sénat et qui sera examinée le 6 mai prochain en commission mixte paritaire, nous donnera des leviers supplémentaires, qui permettront à France Compétences et aux administrations situées dans les régions et dans les départements d’amplifier les contrôles et d’exercer une pression sur les opérateurs.

Cette proposition de loi facilitera, si elle est adoptée, l’articulation entre les acteurs du contrôle – je pense, en premier lieu, à l’État et aux opérateurs de compétences –, en leur permettant de communiquer sur les contrôles passés et en cours.

Vous avez indiqué, madame la sénatrice, qu’il fallait faire un travail de dentelle : vous avez tout à fait raison. Le défi consiste effectivement à industrialiser les contrôles, tout en gardant la capacité de faire des contrôles sur mesure.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Evren. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trop d’entreprises peinent aujourd’hui à recruter. Trop de jeunes doutent de leur avenir et, il faut le dire, dans la France de 2025, trop de déterminismes sociaux pèsent encore sur notre système éducatif. Trop de talents passent entre les mailles du filet simplement parce que l’on n’a pas su les orienter ni les former.

Le premier pas dans le monde du travail est souvent celui qui lance un jeune dans la vie d’adulte. Le travail – faut-il le rappeler ? – nous responsabilise, nous émancipe et nous offre une place dans la société. Telle est justement la mission de l’apprentissage qui, depuis plusieurs années, joue un rôle central dans l’insertion professionnelle.

Comme l’a rappelé ma collègue Frédérique Puissat, nous comptions, au 31 décembre 2024, 900 000 apprentis, un chiffre record.

Si ce succès a bénéficié à l’enseignement supérieur, le nombre d’apprentis des premiers niveaux de qualification a également connu une augmentation de 76 % entre 2018 et 2024. Ces chiffres montrent que l’apprentissage a dépassé sa vocation initiale d’insertion et qu’il est devenu une réponse éducative à part entière.

Toutefois, le chemin est encore long. Je ne reviendrai pas sur ce qu’a dit Frédérique Puissat sur France Compétences : nous avons en effet besoin d’une vision structurelle et concertée à ce sujet.

Le taux de chômage des jeunes de 15 à 25 ans s’élevait encore à 19 % au quatrième trimestre de 2024, un taux deux fois supérieur à la moyenne nationale.

Nous devons aujourd’hui relever les défis spécifiques auxquels les jeunes font face sur le marché du travail, comme l’a souligné ma collègue Marie-Do Aeschlimann. Cela suppose de réconcilier l’école et l’entreprise. Nous devons briser un tabou, en instaurant une coopération accrue entre les acteurs de l’éducation, de la formation professionnelle et du monde économique.

L’enjeu consiste d’abord à valoriser l’apprentissage, plus tôt et auprès du plus grand nombre. L’apprentissage n’est pas une voie de garage ni une simple alternative à la voie universitaire. C’est un chemin concret vers l’emploi, l’acquisition de savoir-faire et l’indépendance. Il progresse d’ailleurs dans tous les secteurs, que ce soit dans l’artisanat, le tourisme ou les services.

Développer l’apprentissage, c’est rendre plus accessible la première embauche, c’est aussi relancer l’emploi. C’est permettre la transmission des petites entreprises et le développement des plus grandes. C’est aussi revaloriser le travail comme une valeur républicaine.

L’apprentissage est une réussite collective qui implique les chefs d’entreprise qui embauchent, transmettent et forment. Je tiens d’ailleurs à saluer, à cette tribune, leur engagement.

Les aides aux entreprises pour l’embauche des apprentis ont largement contribué au succès de ce dispositif ces deux dernières années. Nous devrons être attentifs aux effets concrets de la baisse du plafond d’exonération des cotisations sociales pour les apprentis qui a été décidée lors de l’examen du budget. Si ces ajustements fiscaux visent à optimiser les dépenses publiques, ils doivent demeurer un soutien à l’apprentissage et un levier clé pour l’insertion professionnelle des jeunes.

N’oublions pas que l’embauche d’un apprenti constitue un investissement non négligeable, notamment pour les entreprises de moins de 250 salariés, qui emploient aujourd’hui près de 80 % des apprentis.

À Paris, la ville doit pouvoir prendre toute sa part à cette dynamique. Je pense notamment à la création de partenariats avec des CFA pour adapter l’offre de formation aux besoins économiques de la capitale.

L’enjeu est également de favoriser l’apprentissage dès l’enseignement secondaire. Nous devons réfléchir à la création d’un statut scolaire de l’apprentissage. Ce dernier devrait être possible dès l’âge de 14 ans, sans condition, pour mieux orienter les collégiens vers une filière en lien avec leurs compétences.

Enfin, en matière de pilotage des politiques liées à l’apprentissage, il apparaît cohérent de redonner à la région le rôle qui était le sien avant l’entrée en vigueur de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018.

L’apprentissage, ce n’est pas seulement une politique éducative ou économique : c’est une composante de notre souveraineté économique qui permet aux entreprises de disposer des compétences dont elles ont besoin.

Je conclurai par une question plus spécifique relative à Paris, madame la ministre, puisque vous êtes également élue de cette ville. Paris manque de places en CFA dans certaines filières stratégiques, notamment dans les métiers du soin ou du numérique. Comptez-vous investir davantage pour développer l’apprentissage à Paris et répondre aux besoins du terrain ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)