M. Mickaël Vallet. Oh non, au vu des résultats des législatives…
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Un philosophe qui siégea sur ces bancs, Marc Sangnier, a défini la démocratie comme “l’organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et la responsabilité du citoyen”. Or il n’y a pas de citoyens conscients et responsables si l’on ne partage pas avec eux les vérités les plus fondées, même les plus brutales.
« Comme l’écrivait Charles Péguy (Ah ! et sourires sur les travées du groupe SER.), il faut “dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste”. J’ai seulement une nuance sur le “tristement”…
« La politique du Gouvernement, c’est la vérité partagée. Le Gouvernement considérera les Français comme des partenaires des décisions à prendre, non comme les sujets d’une monarchie qui n’auraient d’autre choix que d’obéir ou de se révolter. »
M. Jean-François Husson. À quoi fait-il allusion ?…
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Nous ne laisserons aucun problème hors de notre champ ; pour chacun d’eux, je partagerai les diagnostics avec les Français, afin d’établir la délibération sur des bases indiscutables.
« La démocratie, c’est aussi la question de cette promesse de la Ve République : concilier la capacité d’action de l’État et le pluralisme.
« Cette capacité d’action de l’État passe par une coopération entre les pouvoirs. Le Parlement a, de ce point de vue, des prérogatives qui doivent être pleinement respectées. Je pense en particulier à son pouvoir d’initiative, qu’il ne manquera pas d’exercer sur des sujets importants dans notre société, comme la fin de vie.
« Notre société n’est plus enfermée dans l’impasse de la bipolarisation. C’est heureux. On sait à présent que, sur un sujet donné, il n’y a pas que deux options prédéfinies. Il y a plusieurs sensibilités, contrastées, mais qui ne s’excluent pas. Et le but de la démocratie, à mes yeux, n’est pas qu’une idée triomphe sur les autres ; c’est que les différentes sensibilités vivent ensemble.
« Pratiquement, la question est celle de la reconnaissance du pluralisme. »
M. Roger Karoutchi. Eh bien…
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Il y a, dans la vie politique française aujourd’hui, une pluralité de courants, peut-être cinq ou six principaux. Je respecte la réflexion de ceux qui estiment qu’il faut “tout conflictualiser”. Je connais bien Jean-Luc Mélenchon (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K.), mais je me dis que, en voyant nos divisions, ceux qui veulent nous assujettir se frottent les mains.
« Il y a longtemps – c’est une valeur française depuis Henri IV, au XVIe siècle, »… (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme Émilienne Poumirol. Cela a été long à venir !
M. Mickaël Vallet. Le problème, c’est qu’après il y a Ravaillac… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. … « et les grands républicains au XIXe siècle – que nous avons abandonné l’idée, en matière religieuse et philosophique, que l’on doit faire triompher sa conception sur celle des autres. C’est ce qu’on appelle “laïcité”.
« Je crois à la laïcité en matière religieuse comme en politique, cette laïcité dont la racine grecque veut dire “faire un seul peuple”.
« Faire un seul peuple, c’est reconnaître que le pluralisme est légitime. Je souhaite proposer que les partis politiques, comme les syndicats, puissent être reconnus comme des mouvements d’utilité publique.
« Je souhaite aussi la création de la banque de la démocratie, pour que le financement des partis politiques et des campagnes dépende des choix non plus de banques privées, mais d’organismes publics placés sous le contrôle du Parlement, et pour qu’il échappe à des financements privés ou étrangers. En 1993, je me suis battu pour exclure les entreprises du financement des partis politiques. Quand je porte mes yeux vers les États-Unis et l’emprise qu’y exerce l’argent sur la formation des consciences, j’en suis fier.
« Mais le pluralisme suppose aussi que chacun trouve une place au sein de la représentation nationale, à proportion des votes qu’il a reçus. C’est la seule règle qui permette à chacun d’être lui-même authentiquement, sans s’engoncer dans des alliances insincères.
« Je propose donc que nous avancions sur la réforme du mode de scrutin législatif. Chacun exprimera alors sa position. Il y a une option à prendre sur ce principe et une discussion à avoir sur ses modalités.
« On voit bien quels sont les principaux choix. Mon opinion est que ce mode de scrutin doit être enraciné dans les territoires ; il faut qu’il ne crée pas plusieurs catégories de citoyens ; et peut-être oblige-t-il, comme le dit le président du Sénat, à reposer en même temps la question de l’exercice simultané d’une responsabilité locale et nationale. » (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains. – Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Mickaël Vallet. Les collectivités sont surendettées et ils applaudissent !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « Enfin, la démocratie suppose un accès à une information fiable. Les conclusions des États généraux de l’information lancés par le Président de la République devront être traduites en actes. De même, la réforme de l’audiovisuel public, ce bien commun des Français, devra être conduite à son terme.
« Je suis le premier à mesurer la qualité de notre fonction publique. Nos agents sont engagés. Ils ont un grand sens du service public et méritent notre considération. Ce que j’ai vu, par exemple, à Mayotte force le respect. Mais notre bureaucratie est trop lourde, incroyablement lourde.
« Une étude récente montre que, chez nos voisins, le poids des normes est en moyenne de 0,5 % du PIB annuel : 0,8 % en Italie, 0,3 % en Espagne, 0,17 % en Allemagne. Chez nous, il est tout près de 4 %, et c’est insupportable. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.)
« La lourdeur administrative, ce sont ces normes dont chacun sait combien elles peuvent le brider, parfois le rendre fou. Le Gouvernement s’engagera donc dans un puissant mouvement de débureaucratisation. Le projet de loi de simplification de la vie économique qui a commencé à être examiné doit être adopté rapidement.
« Mais il faut agir plus en profondeur et dans le temps. Selon quelle méthode ? Je n’en connais qu’une : rendre du pouvoir au terrain. Grâce à France Expérimentation, les acteurs de terrain devront redéfinir eux-mêmes, en partenariat avec l’État, les simplifications, suppressions ou allégements d’obligations utiles.
« Mais il faut aller plus loin et changer de paradigme. Partout où cela sera possible, nous inverserons la charge de la preuve : à l’administration de remplir les papiers, à l’usager de les vérifier.
« Les collectivités locales doivent être soutenues dans leur action. Ce sont elles qui portent une grande part de l’investissement de notre pays, beaucoup plus que l’État ! Quand l’activité fléchit, c’est cet effort d’investissement qui soutient le bâtiment, les travaux publics, l’équipement de nos villes.
« Ce sont elles, aussi, qui soutiennent l’implantation d’entreprises, sont aux côtés des associations et maintiennent le tissu social dans ses dernières mailles. Cet effort d’investissement est précieux pour le pays.
« Pour cela, je souhaite des rapports d’ouverture et de confiance dans la continuité.
« Mon gouvernement confortera les avancées sur des sujets très attendus comme l’eau, l’assainissement, le statut et la protection des élus. Les initiatives parlementaires devront aboutir. Sur le plan financier, l’effort financier demandé aux collectivités sera ramené, les débats parlementaires l’ont confirmé, de 5 milliards d’euros, comme il était prévu initialement, à 2,2 milliards d’euros en 2025. J’ai toute confiance dans la capacité des élus à mener cet effort.
« Je souhaite aussi que nous fassions avancer notre pays avec de grands projets.
« Certains projets, souvent engagés par des collectivités, sont bloqués aujourd’hui. Je souhaite que, sur le modèle du chantier de Notre-Dame de Paris, qui doit nous inspirer, des opérations “commandos” soient organisées, »…
M. Mickaël Vallet. On est à deux doigts du choc…
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. … « en lien avec les collectivités, pour débloquer 100 projets sur tout le territoire. Ils seront une vitrine de la France qui avance et qui construit.
« Avoir confiance dans la responsabilité des collectivités, c’est aussi tenir compte de la spécificité de certaines d’entre elles. Tel est le cas, qui me tient à cœur, de la Corse. Conformément aux orientations annoncées par le Président de la République, un calendrier a été fixé pour aboutir à une évolution constitutionnelle à la fin 2025. Il sera respecté.
« Il existe chez nous un vieux réflexe : cibler les entreprises, plus spécialement les entreprises françaises, en particulier celles qui réussissent le mieux à l’exportation.
« Les entreprises que l’on dit multinationales sont celles qui ont réussi, par leur savoir-faire, leur recherche, leur esprit de conquête, à être sélectionnées pour la compétition mondiale. Elles font honneur à la France et contribuent à sa richesse, à l’instar du formidable tissu des PME françaises. »
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « J’ai la conviction que nous devons faciliter la tâche de nos entreprises, dans des conditions fixées par la démocratie sociale. Elles doivent ainsi être prémunies contre des augmentations exponentielles d’impôts et de charges, sans quoi nous nous retrouverions dans la situation de celui qui, selon la fable, en faisant un sort à la poule aux œufs d’or, s’était “lui-même ôté le plus beau de son bien”. »
M. Mickaël Vallet. La poule au pot ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « L’entreprise produit les richesses et l’emploi pour tout le pays grâce à ses dirigeants, ses chercheurs, ses cadres, ses salariés. Mais si elle se voit surchargée de prélèvements et de normes, alors elle cesse de produire. Le trésor est dans l’activité, la créativité et la souplesse.
« Cette œuvre de réconciliation à laquelle mon gouvernement doit s’atteler, comme nous tous, ne sera possible que si nous offrons une perspective à notre pays. Nos efforts doivent être tendus vers un but qui suppose lucidité, courage et espérance, celui d’une nouvelle promesse française. C’est une œuvre de refondation républicaine que nous vous proposons.
« Cette promesse française offre à chacun les conditions de sa dignité en tant que citoyen et en tant que personne. La France ne s’en remet pas à la seule loi du marché pour cela.
« La France a toujours porté en elle l’idée de fraternité et de solidarité : la solidarité envers chacun, quel que soit son milieu de naissance, son accent, sa couleur de peau, sa condition.
« C’est, pour tous, la possibilité de s’affirmer et d’avoir parfois une deuxième ou une troisième chance de le faire quand les difficultés de la vie donnent l’impression que l’échec est définitif. Telle est l’intuition fondatrice que le Président de la République a défendue en 2017, et je veux la réaffirmer ici.
« La promesse française, c’est aussi l’attention portée à l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce combat de civilisation, nous devons le porter ici et ailleurs, partout où les femmes subissent l’intolérable – je pense en particulier au sort des femmes afghanes. Cette égalité suppose de lutter sans merci contre les violences sexuelles ou sexistes, mais aussi pour l’égalité salariale et professionnelle.
« La promesse française, c’est également répondre au cri qu’ont fait entendre les “gilets jaunes” sur nos ronds-points il y a six ans. Je m’adresse à eux aujourd’hui. Ils ne doivent pas penser que nous les avons oubliés ! Ils doivent savoir que ce rejet qui est le leur de la division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas, ceux qui passent à la télévision et ceux qui la regardent, ceux des arrondissements centraux de Paris et les autres, nous en faisons le cœur de notre politique.
« La promesse française suppose que notre société puisse trouver une forme d’harmonie.
« Puisqu’il faut dire les choses telles qu’elles sont, nous devons évoquer les craintes que suscite l’immigration. Cela ne date pas d’hier.
« La misère, les conflits, les bouleversements climatiques se conjuguant, l’immigration est devenue une question brûlante sur toute la planète. Elle l’est pour ceux qui supportent les vagues migratoires actuelles comme pour ceux qui se sentent menacés par les prochaines. Et les réseaux sociaux attisent cette crainte tous les jours.
« J’ai la conviction profonde que l’immigration est une question de proportion. L’installation d’une famille étrangère dans un village pyrénéen ou cévenol, c’est un mouvement de générosité qui se déploie, des enfants fêtés et entourés à l’école, des parents qui reçoivent tous les signes de l’entraide. Mais que trente familles s’installent et le village se sent menacé. Le désir, après tout respectable, de se sentir chez soi est mis à mal. Tout cela est humblement humain et affaire de bon sens, que je revendique.
« Les bidonvilles et la misère qui y est recluse provoquent le même rejet partout, à Calais comme à Mayotte. Si les Parisiens devaient connaître cette situation dans les mêmes proportions que les Mahorais, il y aurait 500 000 illégaux vivant en bidonville à Paris, et c’est toute la population parisienne qui se révolterait.
« Voilà pourquoi l’ordre, “le premier de tous les besoins de l’âme”, comme disait la philosophe Simone Weil, est aussi un devoir.
« Cela n’empêche pas de comprendre, dans notre commune humanité, que c’est la misère qui pousse à fuir son pays. Nous le savons bien, nous les Basques, les Béarnais, les Bretons, qui avons au XIXe siècle fourni tant de contingents d’émigrés. (Marques d’agacement sur les travées du groupe Les Républicains.)
« La volonté de protéger et d’appliquer nos lois doit être sans faille, mais respectueuse de ceux que les vagues de la vie ont conduits jusqu’à nous. Or respecter ces personnes, c’est les intégrer dans un ordre où tous peuvent se reconnaître. Il est donc de notre devoir de conduire une politique de contrôle, de régulation et de renvoi dans leur pays de ceux dont la présence met en péril la cohésion nationale.
« Mais comment faire, alors que 93 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne sont pas exécutées ? Et que dire du comportement de certains pays qui devraient pourtant accueillir leurs propres ressortissants… Si nous ne résolvons pas cette question, toutes nos déclarations d’intention seront vaines.
« Cette politique, que mène fermement le ministre de l’intérieur, suppose aussi l’action de tous les ministères. C’est pourquoi je réactiverai le comité interministériel de contrôle de l’immigration. Et je sais que les parlementaires ne manqueront pas, également, de prendre des initiatives. Il nous appartiendra, ensemble, de les articuler avec la nécessaire transcription du pacte européen sur la migration et l’asile.
« Il nous appartiendra aussi de mieux user de notre aide au développement, »…
M. Rachid Temal. Moins 2 milliards d’euros !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. … « en retrouvant en 2026 une trajectoire dynamique.
« Notre cap, c’est l’intégration : nous ne demanderons à personne de renoncer à ce qu’il est. Notre cap, c’est l’incorporation à la Nation de ceux qui sont amenés à la rejoindre : par le travail, qui crée des liens et donne de la reconnaissance ; par la langue, qui est une patrie ; par l’apprentissage des façons de vivre et des valeurs qui les guident ; par le respect, aussi, de la liberté des femmes et de ceux qui croient différemment ou qui ne croient pas. En revanche, contre tous ceux qui prônent l’inverse, nous serons sans faiblesse. La République n’existe que si elle se fait respecter.
« Je ne me lancerai pas dans un catalogue de mesures. Chaque ministre aura la responsabilité de conduire son action sous mon autorité, dans un dialogue constant avec le Parlement et les forces sociales. Mais je souhaite fixer quelques lignes de force pour l’action de mon gouvernement.
« Ces grandes politiques doivent être inspirées par le long terme, par l’esprit du plan, que j’ai souhaité restaurer en 2020.
« Il ne peut y avoir de partage des grands choix avec les citoyens et de débat sérieux au Parlement sans une vision de long terme. Une maxime française dit tout en quatre mots : “gouverner, c’est prévoir”. Elle se poursuit ainsi : “et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte”. Cela est particulièrement évident concernant les questions de démographie ou d’écologie, qui engagent des orientations sur plusieurs décennies.
« L’écologie n’est pas le problème. C’est la solution. » (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. Yannick Jadot. Quarante-cinq minutes avant d’entendre enfin parler d’écologie !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. « L’effort à consentir sur ce sujet crucial – cette adaptation –, la France a commencé à le faire, mieux que tous les autres pays du monde.
« Il s’agit pour moi d’une priorité, d’une ardente obligation, qui doit être poursuivie et amplifiée : planifier la transition en finalisant notre stratégie bas-carbone et préserver notre biodiversité pour produire de façon décarbonée, grâce à des technologies nouvelles – je pense en particulier à notre politique énergétique.
« Cette politique a un but : l’énergie décarbonée accessible à tous. Le nucléaire est un axe essentiel pour y parvenir, tout comme la géothermie, réservoir inépuisable de calories gratuites qui se trouve sous nos pieds.
« La question de l’eau, sur laquelle je reviendrai, est essentielle. Nous devons la saisir à bras-le-corps, au travers d’une grande conférence nationale qui sera déclinée dans les régions.
« La transition écologique consiste en outre à favoriser les mobilités les plus adaptées, de l’hydrogène au plan vélo, lequel doit être poursuivi et doté des moyens qui lui sont nécessaires.
« Proposer aux Français une voie d’espérance qui donne sens à ces efforts, c’est aussi refonder notre éducation nationale. L’une des fiertés de ma vie est d’avoir été un enseignant de l’éducation nationale et d’avoir des enfants enseignants. L’une des fiertés de ce gouvernement est d’avoir placé au premier rang le ministère de l’éducation nationale et de l’avoir confié à une femme au parcours exemplaire. (Exclamations amusées. – Mme Annick Jacquemet et M. Roger Karoutchi applaudissent. – L’oratrice sourit.)
« Comment accepter que l’école française, qui était la première du monde, soit classée au rang qui est le sien aujourd’hui, en mathématiques comme en lecture ?
« Les enseignants de notre université dépeignent des étudiants de première année qui ne parviennent pas, après treize, quatorze ou quinze années d’école, à écrire un texte simple et compréhensible avec une orthographe acceptable. C’est le plus grand de nos échecs.
« Nous ne pouvons accepter que soient oubliés tous ceux qui viennent de milieux où l’on n’a pas les codes, ceux qui ne connaissent personne, comme on dit, qui n’ont accès ni à l’influence ni au pouvoir et que l’obligation d’orientation précoce perturbe et met en danger.
« J’ai la conviction que les gisements de progrès se trouvent du côté des enseignants.
« Nous nous souvenons tous ici des visages et des voix d’enseignants qui nous ont révélés à nous-mêmes. Nous connaissons ces destins qui ont basculé parce que le regard d’un enseignant s’était posé sur un enfant qui ne savait pas qui il était et qui était promis à l’échec.
« Ces enseignants magnifiques existent, et ils sont nombreux. Mais l’éducation nationale telle qu’elle est organisée ne parvient pas à les repérer, ou les repère si peu ; les trésors de pédagogie qu’ils ont déployés sont, de ce fait, perdus.
« Je veux rappeler ici l’intuition fondatrice du Président de la République : combattre l’assignation de la naissance, du quartier, du nom, de la religion, de la campagne, de l’accent, des familles éclatées, de l’adolescence solitaire. Il s’agit d’offrir, tout au long de la vie, de nouvelles chances et de mener ce combat pour l’individu comme pour la Nation.
« Tous les enseignants de l’université savent combien pèsent les lacunes accumulées au fil des années, combien elles handicapent les étudiants dans leur apprentissage. Je l’affirme ici, l’urgence pour l’université est d’agir en amont sur les enseignements fondamentaux.
« Parmi les combats à mener, je veux citer la promotion de la lecture, en lieu et place des écrans : la pause numérique doit être généralisée.
« Je sais qu’un chemin est possible, en formant mieux nos professeurs, afin de mieux les préparer et de les faire progresser dans l’exercice de leur métier. Cette réforme de la formation, initiale et surtout continue, est l’une des plus importantes à mener. Il convient aussi de lancer une grande consultation sur le temps scolaire et, enfin, de poursuivre la grande réforme de l’enseignement professionnel engagée par le Président de la République.
« Pour moi, la culture joue un rôle de premier plan dans la promesse française. J’ai la conviction que la défense et l’affirmation d’une politique culturelle constituent une politique sociale. L’émerveillement partagé devant la beauté d’un monument, d’une ville que l’on restaure, d’une pièce de théâtre, d’un concert que l’on partage, élève, rend fier, rassemble.
« C’est pourquoi le beau est un devoir d’État. Cela passe par une politique ambitieuse du patrimoine – ce patrimoine qui est l’une de nos principales fiertés – et par un soutien à la création.
« Je pense, mesdames, messieurs les députés, à nos concitoyens mahorais, qui viennent de subir une épreuve dramatique s’ajoutant à d’autres, déjà bien lourdes.
« J’ai présenté le plan “Mayotte debout” lors de ma venue sur l’île. Ce plan ambitieux vise non seulement à traiter l’urgence, mais aussi à refonder Mayotte. La crise migratoire que connaît ce département ne peut d’ailleurs plus être ignorée, sauf à faire des Mahorais des Français de seconde zone. Aucun débat n’est tabou sur ce sujet, notamment celui sur les conditions d’exercice du droit du sol.
« Je pense à la Nouvelle-Calédonie, qui doit construire son avenir. Les événements de mai 2024 ont plongé ce territoire dans un profond marasme. Je souhaite que le processus politique reprenne et que les négociations aboutissent à la fin du trimestre. J’inviterai à la fin du mois de janvier les forces politiques concernées à venir à Paris pour ouvrir ces négociations, en demandant au ministre des outre-mer de suivre particulièrement ce dossier. Je crois, là encore, que les femmes et les hommes de bonne volonté sauront trouver des voies novatrices, pour le bien de tous les Calédoniens.
« Je pense aujourd’hui à tous nos outre-mer, qui sont une fenêtre ouverte sur le monde et qui nous enrichissent par leur identité propre. Chacun ayant sa propre situation, ses chances et ses difficultés, nous définirons pour chacun un plan de développement et de financement, dans le cadre d’un nouveau comité interministériel des outre-mer que le ministre d’État préparera avec les élus de ces territoires.
« Dans les outre-mer comme dans l’Hexagone, l’espoir renaîtra par le volontarisme économique. Nous devons retrouver les conditions de la production, avec au premier chef la technologie, nouvelle mère des batailles.
« On voudrait nous condamner au déclassement, alors que la Silicon Valley déroule le tapis rouge à nos ingénieurs du numérique et de l’intelligence artificielle. Nous sommes des géants de la recherche informatique ; ne nous laissons pas aller à devenir des nains de la nouvelle économie, laquelle est précisément fondée sur le numérique. Il en est de même pour l’espace ou les énergies décarbonées.
« Le Gouvernement reste attaché à la trajectoire ambitieuse d’investissement dans la science définie dans la loi de programmation de la recherche. La recherche se fait dans les universités et les laboratoires, mais aussi ailleurs. Il faut mieux mobiliser nos entreprises dans cet effort collectif.
« Pour ce qui concerne l’IA dont je sais, non pas si elle est intelligente ou artificielle, mais qu’elle représente un changement d’être pour notre humanité, la stratégie nationale doit entrer dans sa troisième phase. Notre action doit être ambitieuse, afin de diffuser l’IA dans l’industrie, l’action publique, la formation et la recherche, appuyée sur un programme d’investissement dans les infrastructures. Le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, qui se tiendra à Paris en février prochain, traduira cette ambition.
« Dans ce domaine, comme dans ceux de l’industrie et de l’agriculture, il nous faut définir des politiques de filière, produit par produit, en partant des faiblesses de notre balance commerciale.
« Chaque filière unira grandes entreprises, sous-traitants, État et régions autour d’un enjeu de production. Des géants mondiaux, comme Dassault Systèmes ou Safran, TotalEnergies ou Airbus, Saint-Gobain ou Danone, ont un potentiel de partage des capacités de mise au point et de soutien à des entreprises nouvelles, notamment sur des produits et secteurs où nous sommes absents.
« Je veux avoir un mot particulier pour la filière agricole ; je dirai même pour les filières agricoles.
« Quand nous évoquons les difficultés qu’elles traversent, deux choses nous sautent aux yeux : la crise des revenus et le sentiment qu’ont nos agriculteurs de n’être pas respectés.
« À l’origine de cette situation, il y a une crise morale : les paysans – le monde dont je viens – avaient jusqu’à il y a peu la certitude d’être les meilleurs défenseurs de la nature. Or, aujourd’hui, on les accuse de nuire à la nature. C’est une atteinte profonde. Et quand les inspecteurs de la biodiversité viennent dans une ferme, où l’on est déjà à cran du fait de la crise, inspecter les fossés ou les points d’eau avec une arme à la ceinture, »… (Vives protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Ce n’est pas bien de dire cela ! Ce sont des agents de l’État !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. … « c’est une humiliation, donc une faute.
« Le principal enjeu aujourd’hui est celui de l’égalité des armes. L’accord avec le Mercosur impose aux agriculteurs de chez nous des normes de production qui ne sont pas imposées à leurs concurrents. C’est inacceptable.
« De très grandes injustices risquent également d’être commises dans la gestion des ressources en eau. Assimiler la gestion de l’eau de surface au pompage des nappes profondes, comme si c’était la même chose, c’est absurde. »