compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
séance solennelle
Commémoration de la séance inaugurale de l’Assemblée consultative provisoire, le 9 novembre 1944
(La séance solennelle est ouverte à dix heures trente.)
M. le président. Monsieur le Premier ministre, madame la vice-présidente de l’Assemblée nationale, mesdames, monsieur les ministres, mesdames, messieurs, mes chers collègues, j’ouvre cette séance particulière que nous consacrons au quatre-vingtième anniversaire de l’installation de l’Assemblée consultative provisoire dans notre hémicycle.
Je tiens de nouveau à remercier M. le Premier ministre d’avoir accepté de conclure cette commémoration.
Avant de poursuivre et d’entendre les présidentes et présidents de groupes du Sénat, nous avons souhaité qu’un film évoque ce que fut l’installation de cette assemblée provisoire dans nos murs.
Place à l’Histoire.
(Un film retraçant l’histoire de l’Assemblée consultative provisoire est diffusé.) – (Applaudissements.)
Les extraits des actualités de 1944 et de 1945 que nous venons de voir ainsi que l’exposition qui se trouve en salle des conférences nous donnent un aperçu du contexte dans lequel se déroulèrent les travaux de l’Assemblée consultative provisoire de la République française.
C’est l’assemblée de la liberté retrouvée, une assemblée composée de femmes et d’hommes qui ont su se dresser contre la soumission et le renoncement. Parlementaires, représentants de mouvements de la Résistance, de syndicats, de l’outre-mer, puis de prisonniers et de déportés, tous incarnaient une parcelle de la légitimité française.
Cette assemblée croyait de nouveau en l’avenir, après les heures les plus sombres, et alors que les combats continuaient dans certaines parties de notre territoire, en Alsace et autour des poches de l’Atlantique.
Dans une France ruinée et meurtrie, l’espérance était plus que jamais présente au sein de cet hémicycle.
L’Assemblée consultative provisoire s’inscrivait dans le prolongement de la IIIe République et du refus de quatre-vingts parlementaires de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
Certains des sénateurs qui siégeaient en 1940 étaient présents sur ces travées lors de la séance inaugurale. Je tiens à rappeler leurs noms : Marcel-François Astier, Georges Bruguier, Pierre de Chambrun, Auguste Champetier de Ribes, Pierre Chaumié, Paul Fleurot, Justin Godart, Louis Gros, François Labrousse, Jean Odin, Joseph Paul-Boncour, Marcel Plaisant, Camille Rolland, Henry Sénès.
Et comment ne pas avoir aujourd’hui une pensée pour les sénateurs qui s’opposèrent à Vichy et au nazisme et qui furent assassinés, tels Marx Dormoy et Joseph-Paul Rambaud.
Dès le 25 octobre 1940, le général de Gaulle avait pris l’engagement solennel de rendre compte de ses actes aux représentants du peuple français, dès que celui-ci aurait pu les désigner.
Le 24 septembre 1941, cette assemblée provisoire prenait corps grâce à René Cassin, via une ordonnance promulguée à Londres, qui disposait qu’il serait constitué une assemblée consultative destinée à fournir au Comité français de libération nationale (CFLN) une expression aussi large que possible de l’opinion française.
Le 17 septembre 1943 est créée, à Alger, une Assemblée consultative provisoire chargée de préparer les institutions de la France après la Libération. Celle-ci est uniquement consultative, ce qui ne l’empêche en rien de traiter de sujets essentiels, tels que l’effort de guerre, l’organisation future des pouvoirs publics en France, le vote des femmes.
Cette assemblée de la liberté retrouvée ne peut se concevoir sans cette conquête fondamentale.
Marthe Simard, venue du Comité de la France Libre du Québec, est la première femme à siéger au sein de l’assemblée à Alger.
Douze femmes siégeront dans cet hémicycle en novembre 1944, auxquelles se joindront quatre femmes déléguées, à partir du 20 juillet 1945, au titre des prisonniers et déportés. Je tiens également à en rappeler les noms : Lucie Aubrac, Madeleine Braun, Marie Couette, Claire Davinroy, Andrée Defferre, Alice Delaunay, Marthe Desrumaux, Annie Hervé, Marie-Hélène Lefaucheux, Mathilde Péri, Gilberte Pierre-Brossolette, Pauline Ramart, Marthe Simard, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Marianne Verger et Andrée Viénot.
Je revois le visage de Lucie Aubrac présente sur ces travées, en 2004, pour le soixantième anniversaire de l’installation de l’Assemblée consultative provisoire dans nos murs.
L’ordonnance signée le 21 avril 1944 par le général de Gaulle élargit le droit de vote aux femmes. Un an plus tard, le 29 avril 1945, alors que siège cette assemblée, les femmes ont pu voter pour la première fois lors des élections municipales.
Le 12 juin 1945, l’Assemblée consultative provisoire adopte à l’unanimité une résolution permettant aux femmes d’exercer la fonction de magistrat.
Le général de Gaulle dit lui-même qu’« il serait vain […] de vouloir chercher un précédent historique à la création » de cette assemblée. Elle ne devait être qu’une étape vers le retour à des institutions démocratiques.
L’Assemblée consultative provisoire délibère, mais ne légifère pas, puisqu’elle n’est pas issue du suffrage universel. Le général de Gaulle réserve au pouvoir exécutif, qu’il entend incarner, la faculté de procéder par ordonnances, lesquelles font l’objet de l’avis de cette assemblée.
Une fois Paris libéré, il revint au secrétaire général de cette assemblée, Émile Katz-Blamont, de chercher un lieu pour l’y accueillir : le Palais du Luxembourg fut choisi et remis en état en l’espace d’une semaine. Dès les jours qui suivirent le 25 août 1944, les fonctionnaires du Sénat, alors transférés rue Guynemer et boulevard Saint-Michel, réintégrèrent le palais.
L’Assemblée consultative provisoire se réunit pour la première fois le 7 novembre 1944 sous la présidence de Paul Cuttoli, sénateur de Constantine.
Dans Le Figaro du lendemain, on put lire : « Le Palais du Sénat a abrité la première séance de l’Assemblée consultative provisoire. C’était une minute émouvante que celle où nous avons revu, après des années de mort, cette salle illustre retrouver sa vie. »
Au travers de cette assemblée, Charles de Gaulle veut retrouver tous les instruments de la légitimité démocratique et républicaine. Elle joua son rôle de représentation nationale, assura la continuité de la République et apporta au Gouvernement provisoire sa légitimité.
L’Assemblée consultative provisoire se fit l’interprète de l’opinion, d’abord celle de la France occupée, puis celle de la France libérée. Elle fut, de ce fait, un élément déterminant du rétablissement de la souveraineté nationale.
Attachée à l’unité de la Nation, après les divisions dévastatrices de la guerre, tout en étant respectueuse de la diversité, essence même de la démocratie, cette assemblée fut un lieu d’imagination, d’innovation, d’audace, de dialogue, d’écoute et de respect, dont l’exemple mérite d’être médité.
Cette culture de la négociation et du compromis était déjà à l’ordre du jour dans une assemblée ne disposant pas de majorité préétablie, une culture indispensable afin que le Gouvernement provisoire tienne compte de ses avis sur les sujets dont elle était saisie et des questions qu’elle soulevait dans le cadre des pouvoirs de contrôle dont elle disposait.
Le 8 novembre 1944, l’Assemblée consultative provisoire porte à sa présidence Félix Gouin, ancien député socialiste, qui présidait déjà l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, et futur président du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) en 1946.
Le 9 novembre 1944, Félix Gouin et le général de Gaulle inaugurent les travaux de l’Assemblée consultative provisoire réunie au Palais du Luxembourg.
Le président Gouin prononça alors des mots qui me semblent toujours d’actualité : « Je vous convie à l’union ; si cette union se crée, si elle se fortifie, alors nous aurons créé les conditions indispensables à une démocratie rénovée. »
Après une longue ovation, le général de Gaulle, alors président du Gouvernement provisoire, rendit hommage aux combattants de la première heure et aux Français qui les ont progressivement ralliés. Il rappela que, grâce à la Résistance, l’Assemblée consultative provisoire pouvait siéger au Palais du Luxembourg, symbolisant ainsi la continuité de la légalité républicaine dans une France encore en guerre.
Pour le général de Gaulle, la réunion de l’assemblée consultative marquait « une nouvelle étape sur la route qui mène à la fois vers la victoire et vers la démocratie ». Il précisa dans son discours que « tout se [passait] comme si, pour la nation française, il y avait un contrat naturel entre la grandeur et la liberté ».
L’Assemblée consultative provisoire fut celle non seulement de la liberté retrouvée, mais aussi du renouveau du débat démocratique.
De nombreux débats essentiels se déroulèrent en effet dans cet hémicycle.
Dès le lendemain de l’intervention du général de Gaulle, un débat eut lieu sur la réintégration de l’Alsace-Lorraine. Puis, dans les jours qui suivirent, se tint un débat sur la politique extérieure de la France, sur la question du ravitaillement, sur la reconstruction des réseaux de transport, sur l’organisation des armées.
Ces débats furent aussi annonciateurs du processus de décolonisation et conduisirent cette assemblée à aborder l’avenir de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie et de l’Indochine. Le débat qui eut lieu lors de la séance du 10 juillet 1945, à la suite des événements dramatiques de Sétif, en Algérie, en est l’illustration.
L’Assemblée consultative provisoire s’inscrivait dans le prolongement du discours du général de Gaulle à Brazzaville, le 30 janvier 1944, au cours duquel celui-ci considéra que l’apport des Africains à la Libération et à la victoire obligeait la France à accompagner les aspirations de ceux qui, à leur tour, s’apprêtaient à prendre leur destin en main.
Gaston Monnerville devint le président de la commission de la France d’outre-mer de l’Assemblée consultative provisoire. Le 6 février 1945, il déclara : « La souveraineté française dans les colonies doit reposer sur le consentement des populations et ne peut se manifester de façon effective que si l’organisation politique permet de connaître les désirs et l’opinion de ces populations. »
C’est seulement en février 1945 que l’assemblée consultative se consacra à l’examen des projets de budget des différents ministères, qui se poursuivit jusqu’au 31 mars. La déclaration de politique générale de Charles de Gaulle aura lieu le 2 mars, au milieu des débats budgétaires.
Le général de Gaulle décida alors de venir présenter ses propositions de réforme des structures de l’économie nationale, et notamment les processus de nationalisation.
Il faut encore retenir combien les travaux menés au Palais du Luxembourg jusqu’en août 1945, furent facteurs de progrès social, et combien ils s’enrichirent de la contribution des organisations syndicales présentes dans cette assemblée, qui s’inspirèrent du programme du Conseil national de la Résistance. Je salue à ce titre les représentants des organisations syndicales d’aujourd’hui, présents dans nos tribunes en cet instant.
La commission du travail et des affaires sociales, qui se réunit en novembre 1944, avait pour ordre du jour le projet d’ordonnance relative aux comités d’entreprise. Albert Gazier, représentant de la Confédération générale du travail (CGT), l’enrichira en abaissant le seuil des entreprises concernées à cinquante salariés.
De même, lors de la séance du 31 juillet 1945, sera discutée la proposition de résolution de Gaston Tessier de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) sur l’organisation de la sécurité sociale. Le projet d’ordonnance visait à mettre en place l’organisation administrative amenée à assumer le service des différentes prestations.
Je parlais d’une assemblée de la liberté retrouvée. Comment ne pas évoquer la séance exceptionnelle qui se tint le 15 mai 1945 dans cet hémicycle, lors de laquelle le général de Gaulle vint célébrer la victoire ?
Charles de Gaulle prononça ces mots qui résonnent encore aujourd’hui : « Se tournant vers l’avenir, [la France] discerne le long et dur effort qui seul peut la rendre assez forte, fraternelle et nombreuse pour assurer son destin et, par là même, lui permettre de jouer pour le bien de l’Humanité un rôle dont il est trop clair que l’Univers ne se passerait pas. […]. En avant donc pour l’immense devoir de travail, d’unité, de rénovation ! »
Oui, l’Assemblée consultative provisoire fut celle de la liberté retrouvée. Comment ne pas évoquer également l’ordonnance du 18 novembre 1944 qui institua la Haute Cour de justice ? Lorsque s’ouvrit le 23 juillet 1945 le procès du maréchal Pétain, dix membres de cette assemblée faisaient partie du jury.
L’Assemblée consultative provisoire fera du rétablissement de la démocratie une priorité.
Elle jouera un rôle charnière, consistant à définir, de concert avec le Gouvernement provisoire, les conditions nécessaires à l’organisation successive des élections municipales et cantonales, des élections à l’Assemblée constituante à la proportionnelle par département, et à la préparation d’une nouvelle Constitution.
Le projet de Constitution française du 19 avril 1946, rédigé par la première assemblée constituante, prévoyait d’établir un régime parlementaire monocaméral, avec une assemblée unique élue au suffrage universel direct pour cinq ans. Ce projet fut voté par les députés le 19 avril 1946, mais les Français le rejetèrent lors du référendum du 5 mai 1946.
Une nouvelle assemblée constituante fut élue le 2 juin. Celle-ci rédigea un nouveau projet instituant un régime bicaméral, soumis lui aussi au référendum, qui fut adopté : il s’agissait de la Constitution du 27 octobre 1946.
Le Conseil de la République, né de cette Constitution, verra ses pouvoirs d’abord réduits par rapport à ceux du Sénat de la IIIe République, mais il retrouvera ensuite la plupart d’entre eux. Nous connaissons la suite de l’histoire de notre assemblée, et nous la construisons ensemble chaque jour, mes chers collègues.
Célébrer cet anniversaire revient aussi à dresser un bilan de l’Assemblée consultative provisoire.
Le 3 août 1945, le général de Gaulle déclara, dans son discours de clôture, pouvoir assurer que, malgré des divergences d’opinions, l’Assemblée consultative provisoire avait répondu, depuis le premier jusqu’au dernier débat, à ce qu’était le sentiment profond du pays.
Cette assemblée fut vraisemblablement un laboratoire pour la pensée du général de Gaulle. Elle fut pour lui un formidable poste d’observation de la vie politique française.
Cette assemblée l’a ému, l’a enthousiasmé, mais elle l’a aussi agacé ! Après la victoire, il apparut, à ses yeux, que l’Assemblée consultative provisoire était moins unie qu’elle ne l’était à Alger, du fait du retour des partis qu’il dénoncera lors de son célèbre discours de Bayeux, en 1946, lors duquel il déclara que « la rivalité des partis [revêtait] chez nous, un caractère fondamental, qui [mettait] toujours tout en question, et sous lequel [s’estompaient] trop souvent les intérêts supérieurs du pays ».
Le général de Gaulle, lorsqu’il est revenu au pouvoir, a tiré la conclusion que la combinaison d’un exécutif puissant, responsable devant le Parlement, était une bonne formule de gouvernement.
Lors de son discours d’Épinal, le 29 septembre 1946, il déclara que « le Parlement [devait] comporter deux Chambres : […] l’Assemblée nationale, élue au suffrage direct, la seconde, […] élue par les Conseils généraux et municipaux, complétant la première, notamment en faisant valoir, dans la confection des lois, les points de vue financier, administratif et local qu’une Assemblée purement politique [avait] fatalement tendance à négliger ».
Au sein de cette assemblée, le général de Gaulle forgea ses convictions qui n’étaient « ni de gauche ni de droite » et qui n’avaient « qu’un seul objet qui est d’être utile au pays ».
Mesdames, messieurs, chers anciens collègues que je vois nombreux dans ces tribunes et que je salue avec plaisir, au travers de l’anniversaire de l’Assemblée consultative provisoire, il s’agit de célébrer cette volonté de construire en commun un État plus juste, plus fort, plus efficace, plus généreux, plus sûr, qui s’y exprima dans le mélange rare et exemplaire d’un devoir d’écoute, d’un respect mutuel et d’une volonté de recherche du consensus qui n’excluait en rien la fidélité aux convictions des uns et des autres. C’est, me semble-t-il, ce que le Parlement doit s’efforcer de faire aujourd’hui.
Le bicamérisme est indispensable à l’équilibre de nos institutions, particulièrement dans le moment politique que nous vivons.
Michel Debré décrivait ce rôle spécifique du Sénat dès l’été 1958 en présentant le projet de Constitution de la Ve République devant le Conseil d’État : « Il est […] facile de comprendre pourquoi il faut à la France une puissante deuxième chambre […]. Notre régime électoral nous empêche de connaître les majorités cohérentes qui assurent, sans règles détaillées, la bonne marche du régime parlementaire. » Voilà l’illustration d’une prescience que nous vivons concrètement.
Oui, je suis convaincu que le bicamérisme est utile pour notre démocratie.
Le Sénat d’aujourd’hui, à l’image de cette Assemblée consultative provisoire, ne doit pas hésiter à oser : oser proposer, oser avancer, oser expérimenter, oser être audacieux, oser en même temps assurer la stabilité de l’essentiel.
Le Sénat souhaite réconcilier la France avec ses territoires en donnant plus de liberté, de stabilité, de confiance et de respect aux élus.
Alors que nous allons célébrer l’année prochaine le cent cinquantième anniversaire du Sénat de la République, souvenons-nous du rôle fondamental joué par l’Assemblée consultative provisoire. Une commémoration n’ayant de sens que si l’on apprend du passé, sachons en tirer les enseignements pour l’avenir.
Vive la République et vive la France ! (Vifs applaudissements.)
Je vais maintenant donner la parole aux présidents des groupes qui composent notre assemblée.
La parole est à M. Mathieu Darnaud, président du groupe Les Républicains. (Applaudissements.)
M. Mathieu Darnaud, président du groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin dans un élan de mémoire et de recueillement.
Ce moment solennel nous invite à honorer l’héritage de ceux qui, voilà quatre-vingts ans, se sont installés ici, au Palais du Luxembourg, dans un contexte de guerre, au cœur d’un pays profondément meurtri, fracturé, divisé.
Le 7 novembre 1944 s’ouvrait la première séance de l’Assemblée consultative provisoire. Ce fut l’un de ces instants fondateurs jalonnant notre histoire parlementaire et un acte symbolique puissant, marquant la renaissance démocratique de la France.
Au travers de cette assemblée, notre nation, par le courage et la détermination de ses représentants, commença à se reconstruire dans la légitimité républicaine. Ces femmes et ces hommes venus de la Résistance, du monde syndical, de la société civile portaient la voix de la liberté et le refus de la tyrannie. Ils sont pour nous un exemple éternel de résilience et d’engagement républicain.
Le choix d’installer l’Assemblée consultative provisoire au Palais du Luxembourg n’était pas anodin ; il constitua un acte de foi envers la démocratie parlementaire. Ce palais, notre Sénat, représentait depuis longtemps la continuité des institutions de la République. En y plaçant cette assemblée, le gouvernement provisoire du général de Gaulle signifiait à la Nation que la République n’avait jamais cessé d’exister, même sous la pression des forces d’occupation et du régime de Vichy.
Dans ces murs, la démocratie renaissait de ses cendres, portée par la foi en des valeurs auxquelles nous croyons plus que jamais : l’unité, la souveraineté et le respect des institutions.
Cette assemblée était, à l’image de la nôtre, synonyme de diversité. Elle réunissait des parlementaires en exil, des représentants de mouvements de la Résistance, des syndicalistes, des personnalités de tous horizons politiques et sociaux. Ensemble, ils ont incarné une France unie, par-delà les désaccords partisans.
À l’heure où notre pays fait face à plusieurs défis de taille, nous devons plus que jamais avoir en tête que les différences idéologiques n’empêchent pas les compromis. Cette capacité à trouver un terrain d’entente au service de l’intérêt général doit, je le crois, plus que jamais demeurer au cœur de l’action du Sénat.
Au-delà du symbole et des idéaux qu’elle a portés, l’Assemblée consultative provisoire a marqué une nouvelle étape sur la route qui mène à la fois vers la victoire et vers la démocratie. Elle a porté des réformes profondes en matière sociale et économique, en lien avec les aspirations du Conseil national de la Résistance. Elle a soutenu les bases d’une protection sociale solide, le droit au travail et à la sécurité, l’accès à la santé et à l’éducation pour tous. Elle a travaillé à rendre la France plus juste et plus solidaire et à inscrire dans la loi les droits et les protections pour lesquels ses membres s’étaient tant battus.
Ces réformes constituent le fondement de notre modèle social et doivent être préservées.
Par ses travaux, l’Assemblée consultative provisoire porta également un message de souveraineté et d’indépendance. La France de 1944 voulait réaffirmer sa place sur la scène internationale, retrouver son honneur et montrer au monde que, même affaiblie, elle restait debout en tant que nation.
En créant cette assemblée, le général de Gaulle en a fait le symbole d’une France libre et souveraine, refusant d’abandonner ses valeurs et sa dignité. Devant les multiples défis de notre temps, cet attachement à la souveraineté nationale doit nous guider plus que jamais. Nous devons continuer de défendre une France maîtresse de ses choix, forte de ses institutions et fidèle à ses valeurs républicaines.
L’histoire de cette assemblée nous rappelle enfin que la responsabilité de gouverner est indissociable de celle de représenter le peuple.
Au travers de leurs travaux, les membres de l’Assemblée consultative provisoire ont démontré une humilité exemplaire, une écoute, un sens du devoir que nous devons continuer de faire vivre. Ils ont rappelé que la légitimité politique trouve sa source dans l’engagement pour le bien commun et dans le respect de nos concitoyens.
À l’heure où la défiance à l’égard de nos institutions grandit, où le lien de confiance entre les citoyens et leurs représentants s’érode, nous avons le devoir de renouer avec cette exigence démocratique. Comme le disait André Malraux, la France n’est grande que lorsqu’elle se bat pour les idéaux de la République. C’est ce combat qui doit inspirer notre travail et notre engagement.
Mes chers collègues, en célébrant cet anniversaire, nous honorons un prestigieux héritage. Par cet acte, nous rendons hommage à toutes celles et à tous ceux qui ont cru en la France, dans l’honneur et l’indépendance. Souvenons-nous que nous portons, dans cet hémicycle, une responsabilité immense : celle de faire vivre cet héritage et de le transmettre. C’est-là notre devoir envers le peuple français. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements.)
M. Patrick Kanner, président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, je vous remercie de cette initiative qui nous réunit dans un esprit de concorde.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, mes chers anciens collègues, je me réjouis de reconnaître en tribune le visage de Jacques Legendre, dont j’ai été l’élève dans le Nord, bien que, chaque fois qu’il me voit, il me dise que j’ai très mal tourné. (Sourires.)
Par cette cérémonie, nous célébrons avec force les lueurs d’espoir qui ont été ravivées après les heures les plus sombres de notre histoire.
Après le débarquement des Alliés en Normandie en juin 1944, au moment de la libération progressive de la France, la question de la gouvernance du pays après la chute du régime de Vichy est devenue cruciale. Le Gouvernement provisoire de la République française, dirigé par le général de Gaulle, a alors été créé pour organiser la transition entre l’occupation allemande et le rétablissement de la République.
L’Assemblée consultative provisoire a été conçue dans ce contexte si sensible, si particulier pour l’histoire de la France. Elle était opportunément chargée d’exprimer aussi largement que possible l’opinion nationale, dans les circonstances où se trouvait la France, et de légitimer ainsi le pouvoir en place.
Sa principale attribution était de formuler des avis sur les questions les plus délicates que le gouvernement français avait à trancher autour de la reconstruction économique et politique du pays après les ravages causés par la guerre. Elle a notamment participé à la rédaction de la Constitution de la IVe République, adoptée en 1946.
Son siège fut tout d’abord fixé à Alger ; ce n’est qu’après la libération du territoire métropolitain qu’il fut transféré à Paris, au Palais du Luxembourg. Célébrer les 80 ans de l’installation de cette assemblée dans nos murs revêt une dimension particulière dans le contexte politique mondial si instable, pour ne pas dire dangereux, que nous connaissons.
Mes chers collègues, ces lieux que nous fréquentons chaque jour étaient alors porteurs de symboles forts : ils représentaient la victoire et le retour de la République.
L’Assemblée consultative provisoire a été « une étape nouvelle sur la route qui nous conduit à la fois vers la victoire et vers la démocratie », selon les mots du général de Gaulle lors de la première réunion de cette assemblée, le 9 novembre 1944.
C’est donc ici qu’il choisit de célébrer la victoire au lendemain de la capitulation allemande de mai 1945. Pourtant, disons-le entre nous, il avait une conception restrictive du rôle de cette assemblée. Non élue au suffrage universel, mais désignée sur la proposition des partis politiques et des groupes de la Résistance, l’Assemblée consultative provisoire n’a pas été conçue comme une instance souveraine, comme l’est actuellement le Sénat.
En effet, le général de Gaulle considérait, à juste titre, que la tenue d’élections générales était « la seule voie par où doive, un jour, s’exprimer la souveraineté du peuple ». Sûrement du fait de la méfiance envers le parlementarisme d’avant-guerre, cette assemblée n’avait pas non plus de vocation législative : vous le savez, elle n’était que consultative. D’ailleurs, les historiens ont rappelé que le président du gouvernement provisoire était libre de tenir compte ou non des avis émis ; manifestement, il ne s’en est pas privé.
Les lueurs d’espoir que j’ai évoquées en introduction, alimentées par l’esprit des Lumières, ont permis de bâtir notre République sociale. N’oublions pas que celle-ci est le fruit d’une longue construction. Cette refondation sociale des démocraties était considérée comme un antidote contre les dictatures – quelle juste prémonition !
Par ailleurs, il est frappant de constater l’unité et l’esprit de concorde qui se sont bâtis autour de la Résistance, rendant possible la fin victorieuse de la guerre.
La libération du territoire devait être l’occasion de mener de profondes réformes de structure – cela faisait consensus. La Seconde Guerre mondiale avait convaincu la Résistance et l’ensemble des Français qu’une paix universelle et durable ne pouvait être fondée que sur la justice sociale.
D’ailleurs, monsieur le président, le centre de gravité de l’Assemblée consultative provisoire était un peu plus à gauche qu’actuellement… (Sourires.) Félix Gouin, représentant du parti socialiste, a en effet été élu et réélu à la tête de cette assemblée – et, disons-le, assez facilement. Je vous remercie d’avoir eu la gentillesse de citer certains propos tenus par ce dernier.
Les discussions qui ont animé l’Assemblée consultative provisoire ont préparé de grandes réformes : la création de la sécurité sociale ; l’instauration d’une véritable démocratie sociale contribuant à l’amélioration des conditions de vie matérielles et à la dignité des travailleurs ; la libération de la presse ; la définition d’une nouvelle politique de la jeunesse ; ou encore la proposition d’accorder le droit de vote aux femmes, dès les premières élections d’après-guerre.
À ce propos, je tiens à préciser que douze femmes étaient membres de cette assemblée. Nous avons progressé depuis, mais il reste un peu de chemin à parcourir…
Ces réformes et ébauches de réformes ont débouché sur des progrès majeurs, permettant à notre pays d’entrer dans la modernité après avoir subi l’obscurantisme de l’Occupation.
Mes chers collègues, cette commémoration nous invite, au regard de la situation politique de la France, à continuer de nous battre pour mener notre pays vers une forme d’apaisement social.
Pour préparer mon intervention, j’ai consulté les mémoires d’un représentant de l’Assemblée consultative provisoire : le grand résistant Édouard Depreux, né dans le Nord, à Viesly. Cet avocat, alors député socialiste, fut nommé ministre de l’éducation nationale en 1948. L’ouvrage, intitulé Souvenirs d’un militant : cinquante ans de lutte, de la social-démocratie au socialisme (1918-1968), constitue un témoignage éclairant de l’état d’esprit qui animait alors les libérateurs de la France dans la perspective de la reconstruction.
Édouard Depreux y rapporte un entretien qu’il avait eu avec le général de Gaulle, le 17 novembre 1944, au cours duquel ce dernier lui aurait dit : « Si tout le monde était socialiste, il serait beaucoup plus facile de le gouverner. » (Sourires.) Ironie ou clairvoyance ? (Nouveaux sourires.) Probablement les deux…
Mes chers collègues, le Palais du Luxembourg a donc été l’écrin de la liberté retrouvée, pour reprendre l’une des expressions de notre président. Sachons être les protecteurs inépuisables de ce bijou inestimable qu’est la liberté. (Applaudissements.)