compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. François Bonhomme,
Mme Nicole Bonnefoy.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
La parole est à M. le Premier ministre, à qui je souhaite la bienvenue.
J’en profite également pour saluer ceux de nos anciens collègues qui sont devenus ministres et qui sont ici présents. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP. – Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Michel Barnier, Premier ministre. Je vous remercie sincèrement, monsieur le président, de m’avoir si vite invité à m’exprimer devant le Sénat, tout comme je vous remercie de votre accueil, auquel je suis sensible. Je n’en suis pas surpris de la part d’une assemblée que je connais assez bien pour avoir eu l’honneur d’y siéger un court moment – pendant deux ans. Je n’ai rien oublié de la cordialité qui règne au Sénat, du respect réciproque, mutuel, entre ses membres et de la qualité de ses travaux. C’est donc aussi pour cette raison plus personnelle que je suis heureux de vous retrouver.
Au lendemain de ma déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale – et je remercie le garde des sceaux, Didier Migaud, ici présent, de l’avoir lue au même moment, en mon nom, devant vous –, je me plais à me retrouver parmi vous pour faire le point et, avant que les différents orateurs n’interviennent à ma suite, apporter un certain nombre de précisions sur des sujets ou des enjeux sur lesquels le Sénat est traditionnellement plus engagé.
Je salue votre assemblée, qui représente d’abord les élus locaux de métropole, d’outre-mer, mais également nos concitoyens établis à l’étranger.
Avant d’aborder la feuille de route du Gouvernement, permettez-moi, monsieur le président, d’évoquer la situation grave du Proche et du Moyen-Orient.
Face à cette escalade continue et dangereuse des tensions, je vous confirme que la France, sous l’autorité du Président de la République, restera engagée pour la paix et la sécurité de tous dans cette région. Nous avons condamné avec la plus grande fermeté les nouvelles attaques de l’Iran contre Israël. Je redis devant le Sénat ce que j’ai dit à l’Assemblée nationale : pour nous, pour la France, la sécurité d’Israël n’est pas négociable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP. – MM. Bernard Fialaire, Patrick Kanner et Hervé Gillé applaudissent également.)
À quelques jours du très triste anniversaire du 7 octobre, nous pensons à toutes les victimes des attaques terroristes du Hamas et du Hezbollah, qui doivent cesser.
Nous pensons aussi à tous les otages, dont nous continuons d’exiger la libération, y compris de nos deux compatriotes. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Nous pensons aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, à toutes les victimes civiles palestiniennes.
La violence n’a que trop duré et la France, avec d’autres, appelle à un cessez-le-feu à Gaza.
Au-delà de cette stratégie – et je tenais déjà ce même discours lorsque j’avais l’honneur d’être le ministre français des affaires étrangères, sous la présidence de Jacques Chirac –, nous continuerons de travailler, de militer, non pas seuls, mais avec les États de la région, les États-Unis et d’autres puissances, pour la solution à deux États, clé de la stabilité et d’une sécurité durable.
Même si cette solution paraît à certains de plus en plus improbable et difficile à atteindre, je continue de penser qu’il faut, à côté d’un État d’Israël définitivement garanti dans son intégrité territoriale et dans sa sécurité par tous les pays de la région, offrir une perspective, celle d’un État, au peuple palestinien.
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. Michel Barnier, Premier ministre. L’aggravation de la situation au Liban, un pays qui nous est très cher, que je connais assez bien, exige aussi notre pleine mobilisation avec nos partenaires pour faire cesser les hostilités qui s’enclenchent et qui menacent la stabilité de la région.
Nous nous sommes engagés, avec le ministre des armées, sous l’autorité du Président de la République, à apporter une aide humanitaire aux victimes civiles des combats. Et nous sommes prêts à toutes les éventualités.
Je rappelle que 20 000 de nos compatriotes vivent dans ce pays et que près de 700 de nos soldats y sont déployés, au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul).
Nous mettrons donc tout en œuvre pour protéger nos compatriotes, en particulier au Liban, mais aussi au Moyen-Orient, et les assister dans toutes les circonstances douloureuses qu’ils connaissent.
Puisque j’évoque la situation internationale, vous me permettrez de confirmer que, là aussi, la France reste et restera aux côtés du peuple ukrainien, qui, deux ans et demi après l’agression russe, continue avec courage de se battre pour défendre son intégrité territoriale, sa souveraineté, sa liberté.
Ce sont des mots, ce sont des valeurs, ce sont des réalités qui sont les nôtres en tant qu’Européens. Voilà pourquoi nous devons soutenir ce peuple si courageux de l’Ukraine qui défend là, au prix de bien des risques et de beaucoup de morts, les valeurs européennes que nous avons en partage. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
Face à ces conflits, mesdames, messieurs les sénateurs, face à l’instabilité persistante d’un monde de plus en plus dangereux et fragile, face à toutes les menaces hybrides, celles que l’on connaît, celles que l’on soupçonne, l’effort de défense engagé par le Gouvernement depuis plusieurs années, sous le pilotage du Président de la République, est évidemment nécessaire et sera poursuivi.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous connaissez désormais les grandes orientations du Gouvernement, formé voilà quelques jours. J’ai été nommé au poste de Premier ministre il y a à peine vingt-sept jours, après une longue attente – non pas de ma part (Sourires.) – à la suite des élections législatives.
La situation est d’ailleurs assez inédite puisque, pour la première fois depuis le début de la Ve République, aucune majorité ne se dégage de l’Assemblée nationale. Je suis conscient de cette difficulté et je sais que les députés ont le sort du Gouvernement entre leurs mains. Pour autant, je pense que les deux années et demie qui sont devant nous doivent être utiles. Vous avez votre part à prendre dans ce travail d’intérêt national : c’est ce à quoi j’ai appelé les parlementaires de tous les bords et de tous les groupes à l’Assemblée nationale.
Nous allons essayer de faire beaucoup avec peu, comme je l’ai rappelé hier en citant cet ordre de mission que le général de Gaulle avait adressé en mai 1942 à Pierre de Chevigné, l’un de ses aides de camp, qu’il envoyait à Washington pour tenter d’y créer une antenne de la France libre, dans des conditions assez difficiles. Il lui écrivait de sa propre main : « Je vous demande de faire beaucoup avec peu, en partant de presque rien. »
Nous ne partons pas de presque rien. À tous les niveaux, notre pays est riche de ressources, d’énergie, de volontarisme : voilà la base. Mais, ce qui est vrai, c’est que nous avons peu dans nos mains – j’y reviendrai au moment d’évoquer le budget – et qu’il faut faire beaucoup dans tous les domaines, à tout le moins s’efforcer de faire bien. C’est précisément l’intention du Gouvernement.
La feuille de route que nous avons déroulée hier devant la représentation nationale, à l’Assemblée nationale et ici même, est centrée autour de quelques priorités pour tenter de donner à notre pays des marges d’action dans une situation particulièrement difficile.
Évidemment, la première exigence, parce que c’est une condition première pour agir et pour rester crédibles au plan international, est d’améliorer la situation de nos comptes publics. En prenant mes fonctions voilà vingt-sept jours, j’ai trouvé un déficit supérieur cette année à 6 % – 6 % ! – de notre richesse nationale. Nos dépenses ont augmenté de plus de 300 milliards d’euros – 300 milliards ! – depuis 2019. Je le disais hier, cela représente chaque année, en moyenne, pour chaque Français, quel que soit son âge, 5 000 euros de plus non pas de revenus, mais de dépenses publiques.
Et ces dépenses, mesdames, messieurs les sénateurs, sont largement financées par la dette que nous faisons peser sur nos enfants et petits-enfants. C’est la vérité, et je continuerai de dire cette vérité.
Tout comme j’ai parlé de dette écologique, selon l’idée que l’on devrait faire en sorte de laisser la Terre ou le territoire dont on a la gestion dans un meilleur état que celui dans lequel on l’a trouvé, sur les plans naturel ou écologique, la priorité doit être de limiter, de maîtriser, de réduire si possible cette dette pour ne pas la faire peser sur d’autres après nous. C’est notre responsabilité.
Voilà pourquoi nous avons décidé de marquer clairement cette première étape de notre gouvernement par un effort difficile – je le sais, mesdames, messieurs les sénateurs – de réduction de nos dépenses.
Si vous l’acceptez, les deux tiers de l’amélioration de nos comptes viendront de la maîtrise de la dépense publique, une première depuis longtemps. Pour cela, nous devons faire des choix responsables. En proposant lesdits choix au Parlement, je porterai une attention particulière aux Français les plus fragiles pour qui certains services – la santé, l’éducation et d’autres – sont essentiels. Et ces choix difficiles, exigeants tant pour les ministres, avec qui je m’en suis entretenu, que pour les parlementaires, qui auront à amender, à corriger, à améliorer et à voter le projet de loi de finances, nous les ferons évidemment avec vous.
Je sais d’ailleurs que le Sénat avait proposé l’an passé des mesures d’économies tout à fait substantielles. Toutes n’ont pas été retenues dans notre projet de loi de finances, mais nous avons sans doute là un gisement d’économies accessibles. Nous allons les examiner ensemble.
Nous le ferons aussi, bien entendu, avec les collectivités territoriales. Pas sans elles, pas contre elles, je dis bien : avec elles.
Nous maîtriserons d’autant mieux nos finances publiques – c’est là mon deuxième point de méthode – que, au-delà de la réduction des dépenses la plus intelligente possible, nous aurons à renforcer l’efficacité de la dépense publique.
Cette préoccupation vaut pour toutes nos administrations : celles de l’État, celles des collectivités, que beaucoup d’entre vous connaissent ou gèrent. C’est ainsi que nous pourrons agir. Je sais d’ailleurs que nombre de collectivités territoriales n’ont attendu ni mon discours ni l’État pour s’engager dans cette maîtrise de la dépense publique pour une plus grande efficacité de l’impôt.
Enfin, pour relever le défi de la dette, je ne peux – car je n’en ai objectivement pas les moyens – priver le Gouvernement d’un troisième levier : les recettes.
Les baisses d’impôt, depuis sept ans, ont apporté de l’oxygène à beaucoup de Français, beaucoup d’entreprises, notamment lors de la crise du covid-19. Dans ces temps de grands efforts pour maîtriser la dépense publique et retrouver ou préserver notre crédibilité internationale, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons demander, de manière ciblée, exceptionnelle et temporaire, une contribution à de très grandes entreprises ainsi qu’aux plus gros contribuables de notre pays.
C’est cela qui me paraît correspondre à la justice fiscale.
Je n’accepte pas que l’on parle de choc fiscal, de prélèvement général : ce n’est pas vrai. Nous allons concentrer, je le répète, de manière ciblée, exceptionnelle et temporaire, cet effort sur un certain nombre de contribuables, entreprises ou particuliers, qui peuvent un peu plus, un peu mieux contribuer à cet effort national.
J’évoquais une seconde dette qui, à mes yeux, est importante : l’empreinte environnementale. Les transitions écologique et énergétique seront des priorités du Gouvernement. J’ajoute que ce défi nous concerne tous, entreprises, collectivités et citoyens.
En la matière, je me suis engagé très tôt. Mon histoire personnelle en témoigne : alors tout jeune chargé de mission, j’ai eu la chance d’être membre du cabinet de Robert Poujade, premier ministre français de l’environnement. Ce ministère avait été créé sur l’initiative de Georges Pompidou. La France était alors le second pays d’Europe, après l’Angleterre, à se doter d’un ministère de l’environnement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, je suis attaché au rôle du Sénat ; d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si – c’est peut-être même un record – l’on trouve tant de membres de votre assemblée dans mon gouvernement. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.) Vous faites bien de les encourager ! (Sourires.)
De même, je suis attaché au rôle et à la place de nos territoires dans la République. Au fil d’un parcours assez long – je n’ai pas besoin que l’on me rappelle mon âge ! (Nouveaux sourires.) –, j’ai eu l’honneur et la chance de présider un conseil général pendant dix-sept ans. Je n’ai pas oublié tout ce que j’ai appris sur le terrain, dans ce département.
M. Loïc Hervé. Et quel département ! (Sourires.)
M. Michel Barnier, Premier ministre. En sont issus deux membres de cette assemblée, que je salue affectueusement.
Par leur identité, leur culture et leur énergie, mais aussi par leurs différences, dans l’Hexagone ou les outre-mer, nos territoires contribuent à développer notre pays et à le rendre plus fort. Je vous le disais en préambule : nous ne partons pas de rien. Nous partons de ces territoires, et c’est souvent leur succès, qu’il s’agisse des petites communes ou des grandes, qui fait le succès de la France.
J’ai toujours eu la conviction que l’on règle mieux les problèmes du quotidien dans la proximité. C’est d’ailleurs l’intuition initiale de la décentralisation, depuis la grande loi Defferre de 1982…
M. Mickaël Vallet. Mais vous aviez voté contre !
M. Michel Barnier, Premier ministre. C’est précisément en mars 1982 que je suis devenu président du département de la Savoie, et je n’ai pas oublié les moyens et la liberté que cette loi a donnés aux conseils généraux, comme on les appelait alors.
L’effort de décentralisation répond à une vérité somme toute banale : sur tous les sujets qui concernent la vie des gens, la décision doit être prise au plus près du terrain. C’est d’ailleurs ce que font chaque jour les élus locaux et ce que feront de plus en plus les préfets.
Depuis quarante ans, la force de l’État et des collectivités locales a été de se compléter et de se renforcer mutuellement, même si je sais bien que leurs relations ont connu des hauts et des bas.
L’État reste évidemment le garant de l’unité et fixe, au nom de la République, le cadre de l’activité nationale. Quant aux collectivités territoriales, elles jouent leur rôle pour dynamiser cette activité en créant, dans chaque territoire, le cadre le plus propice à son développement. En ce sens, je fais mienne cette conviction du président Larcher : la commune est « la petite République dans la grande ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.) Je suis sûr que vous avez déjà entendu cette formule ! (Sourires.)
Cet équilibre, non seulement efficace, mais vital, repose sur le respect et sur la confiance.
Pour que la confiance soit la règle, je demanderai à mon gouvernement d’entretenir des relations régulières et approfondies avec les élus locaux. Nous devons pouvoir partager avec eux les objectifs de l’action gouvernementale : ce sont là les objectifs de la Nation, et les élus locaux ont vocation à y concourir. Ce sera bien sûr le rôle de la ministre du partenariat avec les territoires, des ministres délégués placés près d’elle et du ministre de l’intérieur, que vous connaissez bien.
Les élus doivent aussi savoir que nous respectons leur rôle, leur responsabilité et leurs compétences. Nous allons avoir besoin de cette confiance, de cet état d’esprit peut-être un peu nouveau, pour travailler ensemble, notamment à la maîtrise de nos finances publiques.
Nous voulons discuter rapidement avec les collectivités territoriales de la situation budgétaire globale. Il s’agit en particulier d’assurer au mieux la maîtrise des dépenses, en demandant à chacun, à tous les niveaux, de prendre une juste part de l’effort collectif.
Je pèse mes mots : la situation est suffisamment grave – c’est ma responsabilité de le dire – pour que l’on sache répartir cet effort intelligemment et en confiance.
Je veux aussi rendre les choses plus simples pour aider les collectivités à agir. Ce travail suppose une simplification méthodique des règles que celles-ci doivent appliquer dans tous les domaines.
Cette simplification ne pourra être décrétée d’en haut : elle doit d’abord être démontrée par l’exemple. C’est pourquoi l’État et les collectivités territoriales doivent s’engager – et ils vont le faire – dans des contrats de simplification. Cette démarche permettra d’identifier, à l’échelle locale, les projets et les actions aujourd’hui entravés par la complexité des normes.
Nous allons débloquer les chantiers en question, projet par projet, action par action, grâce à un dialogue étroit entre les préfets et les élus locaux.
Ce choc de simplification aura lieu sur le terrain et à partir du terrain ; et s’il faut des mesures législatives, ce sera pour lever des obstacles observés sur le terrain. Ce que je viens de dire vaut non seulement pour les collectivités territoriales, mais aussi pour les entreprises, pour les exploitations agricoles, évidemment, et pour les citoyens eux-mêmes.
La simplification passe aussi par un nouvel effort de déconcentration. Dans les toutes prochaines semaines, en lien avec la ministre du partenariat avec les territoires et le ministre de l’intérieur, nous allons donner aux préfets, représentants de l’ensemble du Gouvernement dans leur département, des leviers renforcés pour assurer la cohérence et l’efficacité de l’action de l’État et de tous ses opérateurs. Nous leur permettrons notamment de déroger à un certain nombre de normes, d’expérimenter et de différencier. Je signerai très prochainement une instruction à tous les préfets en ce sens.
Il faut que nous apprenions à adapter nos politiques aux réalités très diverses des territoires, que ce soit en métropole ou a fortiori outre-mer. Dans de nombreux cas – les exemples ne manquent pas –, ce travail d’adaptation, qui suppose de donner aux préfets le pouvoir d’aménager une politique en bonne intelligence avec les élus locaux, réglerait en amont bien des problèmes.
Je sais que le Sénat le souhaite en matière d’eau et d’assainissement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
M. Jean-Michel Arnaud. Tout à fait !
M. Olivier Cigolotti. Très bien !
M. Michel Barnier, Premier ministre. La gestion de la ressource en eau et les défis qu’elle implique nous imposent d’agir en responsabilité, ce qui n’exclut pas d’adapter les règles à la réalité des territoires. Voilà pourquoi, soixante ans après la première loi sur l’eau – c’était en effet en 1964 –, nous allons travailler tous ensemble à cette question, sur la base des nombreux travaux conduits au cours des dernières années et à la faveur d’une grande conférence nationale sur l’eau.
Je l’ai dit hier et je le répète devant vous : nous devons aussi adapter la mise en œuvre du « zéro artificialisation nette » (ZAN). (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.) En la matière, il faut mieux tenir compte des besoins de certains territoires.
Nous ne remettrons pas en cause cette politique dans son essence ou dans son objectif,… (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Un peu quand même…
M. Michel Barnier, Premier ministre. … mais nous pouvons sans doute nous donner de la souplesse, sur la base de contractualisations locales correctement encadrées pour mieux concilier le développement des territoires, auquel je vous sais attachés, et l’objectif de sobriété, qui, à mes yeux, a toute son importance.
J’en ai conscience depuis longtemps : les espaces et ressources naturels de notre pays ne sont ni gratuits ni inépuisables. Dans l’intérêt des générations futures, nous devons les protéger, les préserver et parfois les reconquérir. Mais, à mon sens, il existe une marge de négociation pour concilier ces deux grands objectifs. Nous devons travailler en ce sens.
Je sais que les élus d’outre-mer attendent, de même, une plus grande adaptation des politiques publiques, des lois et des règlements aux spécificités de leurs territoires. Le ministre chargé des outre-mer, que vous connaissez bien lui aussi, est chargé de coordonner ce travail d’adaptation avec les ministères et collectivités concernés. Je présiderai, au début de l’année prochaine, un comité interministériel de l’outre-mer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en suis convaincu : cette simplification, dont j’entends faire une méthode de gouvernement, redonnera de l’oxygène à notre pays. Nous devons rendre aux élus le pouvoir d’agir. Nous devons à tout prix lutter contre le découragement moral qui, trop souvent, les gagne.
Au cours des années passées, alors que je n’exerçais plus de fonctions publiques, j’ai eu l’occasion, en Savoie et ailleurs, de rencontrer, dans nos petites communes, beaucoup de maires découragés.
M. Loïc Hervé. Oui !
M. Michel Barnier, Premier ministre. Ces élus ont envie d’arrêter, parfois pour des raisons très simples, par exemple parce qu’ils ne trouvent pas de secrétaire de mairie ou bien parce que les secrétaires de mairie sont, elles aussi, eux aussi découragés par l’amoncellement de normes, l’inflation normative et l’accumulation des contraintes.
Je veux que l’on donne de l’oxygène à notre pays. D’ailleurs, j’en suis profondément convaincu : la France ira mieux si tout ne tombe pas d’en haut. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. Stéphane Ravier. Et la loi SRU ?
M. Michel Barnier, Premier ministre. Il ne suffit pas d’être membre du Gouvernement ni même Premier ministre pour avoir la science infuse. Vous le savez bien : dans vos départements, c’est bien souvent lors d’une réunion de maires ou d’associations que l’on vous donne de bonnes idées.
À ce titre, peut-être me permettrez-vous de vous raconter un souvenir personnel…
M. Loïc Hervé. Oui !
M. Michel Barnier, Premier ministre. À mon âge, il est bon de mettre à profit son expérience : c’est d’ailleurs ce que je vais faire. (Sourires.)
En 2008, j’étais ministre de l’agriculture et de la pêche. Cette année-là, l’automne fut marqué par de nombreux naufrages de bateaux de pêche, pour certains meurtriers. Je m’étais rendu à Étaples, rencontrer l’équipage d’un bateau qui avait coulé l’avant-veille au milieu de la nuit ; cinq marins pêcheurs étaient rescapés, mais le sixième membre de l’équipage était porté disparu.
Quand un bateau coule, on sait où il se trouve, car une balise est fixée sur le mât ; en revanche, on ignore où sont les membres de l’équipage, ou du moins on l’ignorait alors.
Un des rescapés, un jeune marin, m’a pris par le bras et m’a dit : « Monsieur le ministre, vous êtes bien de la Savoie ? Pouvez-vous m’expliquer pourquoi, chez vous, les pisteurs secouristes ont une balise individuelle dans leur anorak, ce qui permet de les retrouver sous une avalanche, et pourquoi nous, nous n’en avons pas une sur notre vêtement de flottaison ? »
Ce jeune, qui a eu le courage de m’interpeller, m’a donné une idée que personne ne m’avait suggérée avant. Depuis, on s’est efforcé d’équiper tous les marins pêcheurs d’une telle balise ; j’espère qu’ils en disposent tous aujourd’hui.
M. Guy Benarroche. Vos ministres aussi en ont une ? (Sourires sur des travées du groupe GEST.)
M. Michel Barnier, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai rappelé aux membres du Gouvernement : il faut savoir écouter. Ils ont une autorité morale, administrative et politique. Ils ont des moyens à leur disposition : ils doivent les mettre au service des bonnes idées, d’où qu’elles viennent, quel que soit le parti politique dont elles émanent et notamment quand elles viennent du terrain. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)
Pour agir, il faut aussi de la sécurité juridique. Je souhaite que nous clarifiions encore la réglementation relative aux conflits d’intérêts. M. le garde des sceaux veillera à m’adresser des propositions en ce sens.
Surtout, assurer l’avenir de nos territoires, c’est répondre aux attentes des Français, qui ont besoin d’une plus grande présence des services publics. Villes moyennes, sous-préfectures et villages : tous font la République. Il faut que les services publics y demeurent ou y reviennent…
Mme Cécile Cukierman. À commencer par La Poste !
M. Michel Barnier, Premier ministre. C’est aussi ce rôle d’animation que devra exercer la ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l’artisanat.
Je n’ignore pas tout ce qui a été fait dans les années passées pour répondre à cette attente. Dans un esprit d’objectivité, nous prolongerons les mesures qui ont fait leurs preuves. J’ai visité l’une des 3 000 maisons France Services qui, dans notre pays, en regroupant un certain nombre de guichets, mutualisent et facilitent de nombreuses démarches. Nous allons continuer dans ce sens, parce que ça marche, pour aller aussi près des gens que possible. Je serai notamment sensible à la présence des services postaux au plus près des citoyens. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
M. Michel Masset. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Voilà !
M. Michel Barnier, Premier ministre. Je n’oublie pas non plus l’accès aux soins. Dans ce domaine, il faut agir en commençant par les territoires les moins bien dotés, les plus fragiles sur le plan de la santé. Dans ces territoires prioritaires, nous assurerons un déploiement effectif et rapide des assistants médicaux, des 2 000 nouvelles maisons de santé pluridisciplinaires ainsi que des bus de santé, qui permettent d’aller à la rencontre des patients, notamment les plus âgés.
En outre – je le disais hier –, nous allons essayer de trouver des idées innovantes pour favoriser l’installation de nouveaux praticiens. Il faut encourager les internes, français ou étrangers, voire, s’ils le souhaitent, des médecins à la retraite, à s’installer dans les déserts médicaux, qu’il s’agisse de territoires urbains ou ruraux.
Dans le même esprit volontariste, nous nous pencherons sur la question des transports. Dans notre pays, des millions de salariés sont contraints de parcourir chaque jour plusieurs dizaines de kilomètres pour se rendre sur leur lieu de travail. Ils n’ont d’autre moyen que de prendre la voiture ; or ce moyen de transport coûte cher et pollue. En partant des projets locaux, nous devons pouvoir trouver des solutions à court terme, notamment en développant les services de cars.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens à un autre sujet de la vie quotidienne qui doit être examiné et traité avec dignité et efficacité : celui de la sécurité.
Dans ce domaine, les attentes de nos concitoyens sont fortes – on l’a bien compris lors des dernières élections. D’ailleurs, vous-mêmes relayez leur demande de sécurité dans chaque territoire.
Nous nous efforcerons de généraliser la méthode de travail en commun qui a fait ses preuves lors des jeux Olympiques et Paralympiques. Nous mènerons une lutte implacable contre le trafic de drogue, la criminalité organisée et l’économie souterraine, qui gangrènent nombre de territoires urbains et ruraux.
Nos compatriotes ont besoin d’être rassurés par une présence plus visible de nos forces sur la voie publique, dans les villes et les villages. C’est précisément pourquoi nous allons confirmer la création de nouvelles brigades de gendarmerie. De même, nous assurerons la réduction des procédures administratives, qui accaparent les commissariats et la gendarmerie, au détriment de la présence sur le terrain.
Les Français attendent des délais de jugement plus courts, particulièrement pour les mineurs : nous allons reprendre les discussions en vue de la création d’une procédure de comparution immédiate pour les mineurs délinquants de plus de 16 ans déjà connus de la justice, qui sont poursuivis pour des actes graves d’atteinte à l’intégrité physique. Nous poursuivrons aussi la réflexion sur les atténuations de l’excuse de minorité.
J’en viens à un autre sujet que nous allons traiter avec gravité et dignité : les Français veulent que les peines soient réellement exécutées…