M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner le projet de loi de simplification de la vie économique.

Au regard de l’ambition que traduit cet intitulé et de l’attente de nos entreprises, confrontées sur le terrain et au quotidien à la complexité de notre droit et à la culture bureaucratique de notre administration, nous ne pouvions que nous réjouir que le Gouvernement emboîte enfin le pas au Sénat dans son effort continu de simplification du droit.

Quelle ne fut pas notre déception de constater la faiblesse du texte qui est aujourd’hui soumis à notre examen ! Accumulation de mesures largement techniques, ce texte a la pâle apparence d’un squelette, dont la chair serait, pour l’essentiel, constituée des ordonnances qu’il reviendra au Gouvernement de prendre à l’abri du regard du Parlement.

Je tiens à cet égard à réitérer notre position et à déplorer le dépôt par le Gouvernement d’amendements tendant à rétablir les trois habilitations à légiférer par voie d’ordonnances supprimées par la commission spéciale.

Le soutien du Sénat à la prise de mesures de simplification demeure entier – je veux le réaffirmer très clairement – et notre opposition à ces habilitations n’a nullement pour objet, comme feint de le croire le Gouvernement, de s’opposer à ces mesures. Il est en revanche particulièrement problématique que le Gouvernement estime qu’une œuvre aussi importante que celle de la simplification de la vie économique de nos entreprises puisse se faire sans le Parlement.

Alors que celui-ci a montré sa capacité à se saisir de textes amples et techniques, l’examen par le Parlement d’un texte spécifique paraît une manière bien plus expédiente de faire valoir l’intérêt de nos entreprises, en particulier les TPE et PME, que la prise d’ordonnances dans la rédaction desquelles la bureaucratie administrative finit toujours, nous le savons bien, par avoir le dernier mot.

Outre la suppression de ces habilitations particulièrement malvenues, la commission a tâché de faire œuvre utile et apporté des compléments qui lui ont paru nécessaires.

Je pense en particulier à l’article 6 : la main du Gouvernement a manifestement tremblé dans son geste simplificateur. La commission spéciale a parachevé le travail en supprimant purement et simplement le droit d’information des salariés en cas de cession d’une entreprise de moins de 50 salariés.

M. le ministre Le Maire s’en était remis à la sagesse des parlementaires sur l’opportunité du maintien d’un tel dispositif et avait fort justement souligné que l’on peut « légitimement s’interroger sur l’efficacité du dispositif ». Doit-on en déduire que le Gouvernement retirera l’amendement de rétablissement qu’il a, à ma grande surprise, déposé à l’article 6 ?

Sur la plupart des autres sujets, l’examen en commission spéciale a d’ores et déjà permis d’enrichir le projet de loi.

Je pense en particulier à l’article 27, entièrement réécrit de manière à préserver le texte voté par le Sénat en mars dernier sur l’initiative d’Olivier Rietmann. Cela permet, à la place d’une disposition initiale plutôt lapidaire et à la portée normative incertaine, d’introduire, pour la première fois, un véritable test PME et une procédure d’évaluation systématique de l’impact des projets de texte sur les entreprises.

Sur ce sujet comme sur d’autres, nous nous sommes ainsi efforcés de donner quelque souffle à ce texte protéiforme, pour ne pas dire fourre-tout.

Je forme néanmoins le vœu que les prochains projets de loi consacrés à la simplification annoncés par le Gouvernement – une fois par an, nous dit-on – puissent faire l’objet d’une meilleure association, en amont, du Parlement. En effet, trop de sujets n’auront pas pu être réglés en raison du périmètre initial du projet de loi, à la fois ample par le nombre des sujets qu’il aborde et restreint par la portée réelle des mesures qu’il contient. Rendez-vous donc l’année prochaine ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Roger Karoutchi applaudit également.)

M. Yves Bleunven, rapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque j’ai pris connaissance de ce projet de loi visant à simplifier la vie économique, je dois reconnaître que j’ai été assez décontenancé par sa complexité.

Il y a autant de sujets différents que d’articles, presque autant de mesures visant à simplifier la vie de l’administration que de mesures visant à simplifier la vie des entreprises, et presque davantage de mesures orphelines et disparates rattachées à un véhicule-balai que de mesures visant un réel objectif de simplification.

L’ambition de ce projet de loi est sans commune mesure avec celle de ses prédécesseurs. Ce texte n’est pas un premier essai, mais c’est le premier d’un exercice de simplification annoncé annuellement et que nous appelons de nos vœux. La copie est loin d’être satisfaisante, mais nous soutiendrons les futurs exercices de simplification à trois conditions.

La première, c’est que les intentions du Gouvernement et ses volontés de réforme soient mieux précisées, mieux définies et plus transparentes.

La deuxième, c’est que le Gouvernement s’engage en faveur de la stabilité normative pour simplifier la vie du monde économique. Ce projet de loi est utilisé pour modifier des lois à peine votées, certaines n’étant même pas encore totalement applicables, et pour supprimer des dispositions adoptées par le Parlement contre l’avis du Gouvernement. Évitons de rouvrir inutilement les débats récents sur la production d’énergies renouvelables, sur l’industrie verte ou encore sur l’artificialisation des sols.

La troisième condition, c’est que le Gouvernement s’engage à consulter davantage, en particulier les partenaires sociaux. Nous avons tous été stupéfaits de constater que les organisations syndicales et patronales ont unanimement critiqué le dispositif sur les bulletins de paie, considérant qu’il était une source inutile de confusion et de complexité.

M. Yves Bleunven, rapporteur. C’est pourquoi la commission spéciale a supprimé le dispositif proposé.

Au sein de ce texte à l’identité encore mal définie, je relève toutefois quelques bonnes mesures techniques et sectorielles auxquelles la commission spéciale a apporté son soutien.

Je pense par exemple aux mesures de simplification de la vie des commerçants telles que la mensualisation des loyers commerciaux, l’encadrement du montant et du délai de restitution des dépôts de garantie et les mesures d’assouplissement de la politique d’aménagement commercial.

J’ai souhaité y ajouter une mesure visant à favoriser la réouverture de cafés et de bistrots dans les petites communes, la ruralité étant encore trop souvent oubliée.

Je pense également aux dispositions relatives aux secteurs de la banque et des assurances, que la commission spéciale a souhaité compléter afin de rééquilibrer le rapport de force entre assureurs et assurés au bénéfice de nos entreprises.

Je pense enfin aux mesures de simplification de la compensation de la biodiversité, les fameuses mesures compensatoires environnementales. C’est une attente très forte des acteurs de nos territoires.

Parmi les différents secteurs d’activité concernés par ce projet de loi, je constate que trois d’entre eux suscitent une attention toute particulière.

Tout d’abord, dans le secteur des télécommunications, si les mesures proposées n’ont pas grand-chose à voir avec de la simplification, elles permettent quand même de mieux lutter contre la spéculation foncière sur les emplacements d’antennes-relais. C’est l’opportunité pour le Sénat, sous l’impulsion de certains de nos collègues, de plaider en faveur d’une meilleure information des élus locaux, d’une plus grande mutualisation des infrastructures de télécommunications et d’une régulation plus efficace du marché.

Ensuite, dans le secteur de l’énergie, la commission a souhaité apporter son soutien à la plupart des mesures de simplification du droit minier, ainsi qu’au déploiement d’installations de productions d’énergie renouvelable, en cohérence avec les travaux menés sur les enjeux de notre future programmation énergétique.

Enfin, en matière d’urbanisme et de déploiement de projets industriels et d’infrastructures stratégiques, nos travaux sont utilement complétés par ceux du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols, dit groupe de suivi ZAN.

En conclusion, si ce texte nous permet d’obtenir des avancées sectorielles significatives, ce sera déjà une première victoire. Cela fait longtemps que nous parlons de simplification, alors offrons à nos entreprises de véritables changements ! Soyons constructifs ensemble, écoutons-nous et surtout, madame la ministre, n’oubliez pas l’expertise que le Sénat peut apporter sur le sujet ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains. – Mme Nadège Havet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, non sans une certaine ironie, le rapport sénatorial de juin 2023 consacré à la sobriété normative et présenté par nos collègues Rietmann, Moga et Devinaz commençait de la façon suivante : « Nul chef d’entreprise n’est censé ignorer les 11 176 articles du code du travail, les 7 008 articles du code de commerce ou encore les 6 898 articles du code de l’environnement. »

Avec plus de 400 000 normes, la France se classe en effet au deuxième rang des pays dans lesquels la bureaucratie est la plus complexe. C’est un constat qu’il faut savoir affronter. Il doit aussi interroger nos pratiques en tant que législateurs. Oui, il faut simplifier, mais sans déréguler ni recomplexifier.

Nous devons déjà appliquer les règles existantes, et ce de façon homogène, expliquer les règles que nous adoptons et former ceux à qui elles sont destinées avant de faire le procès de leur non ou mauvaise mise en œuvre.

Je le rappelais en séance il y a deux mois : le coût des normes est estimé à 84 milliards d’euros par an, soit 3 % du PIB. L’excès de normes, leur imprévisibilité, leur complexité pèsent négativement sur l’activité de nos entreprises, mais il y a une autre conséquence : cette inflation normative crée de la désespérance et un sentiment d’inutilité sociale.

J’ai été frappée par les témoignages que j’ai entendus ces dernières semaines lors de mes rencontres, dans le Finistère ou les Yvelines aux côtés de mon collègue Martin Lévrier, venant de personnes travaillant dans des secteurs d’activité aussi variés que l’agriculture, la restauration, le bâtiment ou la coiffure : « il faut arrêter de légiférer sans cesse », « vous adoptez une norme qui vient mettre fin à une autre qu’on n’a pas encore eu le temps d’appliquer » ou « la loi, ça allait encore, mais, à la fin, on ne comprenait plus rien à la circulaire ».

En parallèle – je répète souvent cette phrase qui me vient de mon expérience de responsable d’équipe à Pôle emploi, aujourd’hui appelé France Travail –, il est urgent de passer d’un principe de contrôle à un principe de confiance.

Il est vrai que simplifier est complexe dans un pays légicentriste. C’est pourtant nécessaire, aujourd’hui comme demain. Et ce n’est pas seulement vrai pour les entreprises. Ainsi, dans son récent rapport, Éric Woerth a notamment souligné que l’enchevêtrement des responsabilités, des compétences et des financements entre l’État et les collectivités territoriales avait atteint un niveau de complexité préjudiciable et que la réussite de la décentralisation nécessitait une vaste clarification et de s’attaquer à la simplification normative.

La simplification est une exception, elle doit devenir la règle : c’est ce que vous avez rappelé, madame la ministre, lors de votre audition devant la commission spéciale.

Simplifier les démarches des acteurs économiques afin de poursuivre le soutien à la croissance et le travail de renforcement de l’attractivité de la France. Tel est l’objectif de ce projet de loi qui s’articule autour de trois axes.

Tout d’abord, il s’agit de mettre l’administration et le droit au service de l’économie, en simplifiant l’organisation et les démarches administratives, l’accès à la commande publique et les obligations pesant sur les entreprises, en facilitant le règlement des litiges et en garantissant la prise en considération de l’impératif de simplification dans la durée.

Ensuite, il faut soutenir les petits acteurs économiques, qui n’ont pas les moyens humains de mettre en œuvre les normes pensées pour les grands acteurs, en rapprochant leur droit de celui des particuliers et en simplifiant les formalités permettant le développement des commerces.

Enfin, il est nécessaire de faciliter les transitions écologique, énergétique et numérique.

Notre groupe salue cette ambition portée par le Gouvernement depuis 2017.

Cette ambition s’était déjà traduite dans la loi de 2018 pour un État au service d’une société de confiance, qui a notamment consacré le principe d’un droit à l’erreur.

Un an plus tard, d’importantes avancées dans la simplification de la vie des entreprises ont également été consacrées dans la loi Pacte, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre.

Plus récemment, la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte a aussi permis d’accélérer la transition écologique des entreprises, tout en soutenant leur développement industriel.

Mais il faut aller plus loin ! Le 15 novembre dernier, le Journal des entreprises titrait : « Contraintes administratives : le ras-le-bol des PME et ETI. » Le même jour, les Rencontres de la simplification étaient lancées. Des consultations auprès des représentants des fédérations professionnelles ont permis de recevoir près de 1 500 propositions. Un espace numérique spécifique a recueilli 5 300 contributions et près de 730 000 votes.

Avec quatre députés, nous avons également mené un travail d’échanges. Dans le rapport que nous avons rendu en février dernier, nous proposons quatorze pistes de réflexion visant à simplifier la vie des entreprises, fruit de cinquante déplacements et de trente réunions publiques organisées avec des acteurs économiques. Ce travail a pu nourrir le projet de loi dont nous discutons ce soir, qui est en fait l’acte 2 de ce nouveau volet parlementaire, après la proposition de loi visant à rendre obligatoires les tests PME de notre collègue Olivier Rietmann, dont les dispositions ont été intégrées au présent texte par voie d’amendements en commission.

L’objectif du test PME sera d’évaluer la faisabilité de la mise en œuvre concrète de nouvelles mesures concernant les entreprises, ainsi que le coût associé. Toute disposition jugée démesurée au regard des objectifs visés devra être adaptée. Dans ce cadre, nous sommes favorables à la création d’un organe consultatif.

En commission, mardi dernier, quatre-vingt-dix amendements ont été adoptés, dont un grand nombre émanant de nos rapporteurs ; je veux saluer ici le travail qu’ils ont mené dans un temps contraint.

La commission a notamment élargi les possibilités ouvertes par l’article 20 en matière de dérogation aux règles des plans locaux d’urbanisme pour l’installation de systèmes de production d’énergie renouvelable sur les bâtiments existants. Elle a adopté deux amendements du groupe RDPI visant à étendre le champ d’application de cet article aux installations de production de réseaux de chaleur et de froid efficaces et aux revêtements réflectifs innovants sur les toitures.

Il nous reste maintenant à débattre et, surtout, à poursuivre cet effort de simplification afin de faciliter la vie de nos entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Michaël Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la simplification est aujourd’hui sur toutes les lèvres : « simplification massive » du Premier ministre ; simplification « à fond la caisse » du Président de la République, « choc de simplification » du ministre de l’agriculture. Le dernier avatar en date est la « simplification de la vie économique » de M. Le Maire, ministre de l’économie, dont l’objectif louable est de fluidifier les démarches et les procédures, et ce sans jamais remettre en cause les droits essentiels.

Je décèle ici une manière très française de raisonner, par dichotomie. C’est le fameux dualisme cartésien : le corps se conçoit indépendamment de l’esprit, et l’esprit indépendamment du corps. On modifie la lettre de la loi, en criant au loup de l’inflation normative, mais sans porter préjudice à son esprit ; on clarifie la forme, on supprime la partie purement bureaucratique et administrative pour améliorer l’effectivité du droit et la sécurité juridique tout en garantissant le fond, le respect des principes et des valeurs dont le droit est garant.

Ce projet de loi illustre néanmoins l’impossibilité de faire une distinction aussi manichéenne entre le fond et la forme. Le Gouvernement, en procédant ainsi dans l’urgence, veut soit ignorer la technicité de l’exercice de simplification à droit non constant, soit faire de ce mot la caution de sa politique du passage en force.

Simplifier peut être de bonne gouvernance si cela ne signifie pas dérégulation et régression du droit au profit d’une minorité d’acteurs. Il appartient au législateur de garantir que la vie économique respecte nos valeurs en matière sociale, écologique et démocratique. Une bonne simplification permet l’effectivité des droits. Tel n’est pas le cas ici.

Tout au contraire, on s’attaque au droit des salariés et on le fragilise, on détricote le droit de l’environnement, on rogne les compétences des élus locaux dans les territoires, on déroge aux règles de droit commun pour l’implantation de projets industriels sans jamais poser la question de leur acceptabilité sociale, pourtant essentielle à leur réussite.

Il y a un problème de méthode, qui est aussi un problème démocratique. Un tel projet de loi, qui concerne une myriade de secteurs, allant du monde du travail aux prérogatives des collectivités, en passant par l’énergie, la santé, la fonction publique, l’environnement et l’urbanisme, ne peut se faire dans l’urgence, sans concertation et sans un travail minutieux d’expertise sur l’effet produit par la suppression de telle ou telle norme.

Nous avons eu quinze jours pour examiner un texte technique comprenant une trentaine d’articles : c’est un véritable déni démocratique et un mépris affiché pour le travail parlementaire, qui soulignent le caractère paradoxal de ce projet de loi.

En effet, alors que le Gouvernement soutient qu’il veut que le droit soit plus cohérent et plus lisible pour les citoyens, il produit dans la précipitation un texte sans cohérence et donc peu lisible, dont les implications réelles sont obscures. Ce texte est éloquent par ce qu’il ne dit pas et par ce qu’il dissimule, à l’image de ce bulletin de paie sur lequel le Gouvernement voudrait faire disparaître les cotisations sociales, lesquelles garantissent pourtant nos droits sociaux.

Cette circumnavigation du droit, qui aboutit à simplifier les règles pour certains, mais à les complexifier pour la majorité, montre bien le biais de ce gouvernement.

La vie économique, ce n’est pas que la vie des entrepreneurs, c’est aussi celle des salariés, des administrés et des citoyens. Ni les syndicats ni les associations environnementales n’ont été associés à ce projet de loi, qui touche pourtant, entre autres, au travail et à l’environnement. À cet égard, l’exemple des compensations environnementales réécrites à l’article 18 pour les rendre parfaitement inopérantes est assez significatif.

Autres exemples : la suppression du délit d’entrave à l’audit de durabilité ou celle de la prise en compte du bilan carbone dans la production de biogaz. Derrière le cri de guerre – « supprimer de la bureaucratie » –, ce sont en réalité des mécanismes de contrôle et d’enquête publique, garantissant concrètement l’ambition écologique de la France, qui sont jetés aux oubliettes.

Les règles de droit protègent l’intérêt général et sont donc rarement inutiles. Avoir des exigences fortes pour la protection du bien commun est essentiel. Que le Gouvernement s’attelle donc, dans un premier temps, au véritable chantier de simplification à droit constant afin de simplifier l’accès au droit sans attenter à son contenu ! Nous sommes favorables à une simplification qui rende la loi plus lisible et cohérente, mais pas à ce qui fragilise les droits.

Par ailleurs, la multiplication des régimes dérogatoires à des dispositions dont l’encre est parfois à peine sèche n’est pas de nature à simplifier les règles et à faciliter leur application. C’est bien plutôt la cause d’une complexité accrue du droit et d’une instabilité juridique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Barros applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Il y a moins de trois semaines, vous étiez auditionnée, madame la ministre, avec M. le ministre des finances, par la commission spéciale sur le texte que nous examinons aujourd’hui. Vous aviez alors indiqué que ce projet de loi constituait l’un des piliers de la stratégie française présentée à l’Union européenne. Nous ne pouvons que constater qu’il s’appuie sur de nombreux travaux conduits par le Sénat. À cet égard, je remercie mes collègues rapporteurs, Catherine Di Folco et Yves Bleunven, du travail qu’ils ont accompli en si peu de temps.

Je vous avais dit que nous étions particulièrement sensibles, dans les différents domaines de l’action publique, à la question de l’empilement des normes et à la nécessité de distinguer la norme qui protège de celle qui entrave inutilement. Nous sommes donc prêts à relever avec vous le défi de la simplification, sans toutefois renoncer aux prérogatives du Parlement, et à l’exercice de notre mission de législateur. C’est pourquoi nous ne souhaitons pas abuser des ordonnances sans limitation et sans objet précis que vous nous proposez…

Au Sénat, nous n’aimons pas confondre vitesse et précipitation. Or nous avons disposé de moins de douze jours utiles pour travailler sur ce texte. Malgré cela, nous avons fourni un travail sérieux, reposant notamment sur les avis des organismes nationaux que vous avez vous-même auditionnés, ou de ceux que vous n’avez pas entendus – je pense aux organisations syndicales représentatives.

Malgré ce court délai, nous avons tenu à entendre les acteurs au plus près du terrain en organisant des auditions « locales ». Vous le savez, le son de cloche n’y est pas le même qu’à l’échelon national. Sil les acteurs demandent, réclament, de la simplification, ils veulent qu’elle soit bien réelle et pas seulement de façade, qui conduit souvent en réalité à une complexification. Je veux parler bien sûr des bulletins de paie, qu’il faudra finalement faire en double : un simple, de quinze lignes, et un autre, de trente-sept lignes !

Nous avons approuvé plusieurs mesures du texte, notamment celles qui permettent une meilleure évaluation des normes à venir, mesure que nous avons complétée en reprenant le texte adopté en mars dernier par le Sénat sur l’initiative du président de la délégation sénatoriale aux entreprises, Olivier Rietmann.

En ce qui concerne le stock de normes, nous savons que nous ne pouvons pas tout traiter dans ce texte. Cela suscitera bien sûr beaucoup de déceptions, dans les entreprises, mais aussi chez les sénateurs et les sénatrices. Nous devons travailler tant sur le stock que sur le flux.

Nous avons d’ores et déjà obtenu des avancées sur plusieurs sujets qui concernent le quotidien des entreprises, comme l’accès aux marchés publics, les relations avec les assurances ou la transmission des TPE et PME. Nous avons voulu, sur ces points, aller au bout de la logique de simplification. Bien sûr, des progrès restent à faire. Je pense notamment à la lutte contre les recours abusifs, qui minent la conduite de projets et les stoppent dans certains cas.

Ainsi, nous avons œuvré en responsabilité. Pourtant, nous avons de vifs regrets. En effet, vos services vous ont proposé d’intituler ce projet de loi : « simplification de la vie économique », ce qui exclut le monde agricole et les collectivités territoriales. Soyez assurée, madame la ministre, que nous ferons en sorte que la simplification soit également au cœur des projets de loi les concernant que nous aurons à examiner au cours des semaines à venir.

Nous avons tenu à marquer notre attachement à l’implantation des commerces dans les zones rurales en facilitant leur ouverture. Nous avons, en revanche, refusé les mesures qui pouvaient apparaître comme de la simplification, mais qui ne l’étaient pas pour les acteurs. Il faudra peut-être plus de concertation et de conviction, notamment en ce qui concerne la réforme du contentieux.

Dans l’ensemble, nous avons tenté de faire œuvre commune et d’entamer une démarche qui pourrait être reprise pour les lois de simplification à venir.

Même si ce projet de loi ne constitue pas le grand rendez-vous de la simplification que nous attendions, puisqu’il ne s’attaque à l’océan normatif qu’à la petite cuillère, il a le mérite – c’est encore plus vrai après le travail de la commission – de sortir la simplification de son statut d’Arlésienne, ce qu’elle était jusqu’alors.

Nous vous donnons déjà rendez-vous, madame la ministre, pour examiner le prochain texte sur la simplification ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Avec plaisir !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault.

M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la bureaucratie est bien souvent la mort de tout travail sensé, disait Einstein. La France dispose, hélas, d’une certaine expertise en la matière. Par la réglementation, parfois la surréglementation, nous tuons beaucoup d’initiatives. Surtout, on tue dans l’œuf les initiatives de jeunes entrepreneurs – et j’apprécie, comme vous, madame la ministre, le mot « entrepreneur ».

En temps de crise comme en temps normal, la France se caractérise par tout un cortège de déclarations sur l’honneur, de demandes d’autorisation et de déclarations. Ce penchant pour la complexification est une réalité pesante tant pour nos concitoyens que pour nos entreprises.

Entrepreneur moi-même, j’ai coutume de dire qu’il faut être fou pour être chef d’entreprise, pour ne pas dire inconscient. Aujourd’hui, les démarches administratives se multiplient et les erreurs sont lourdement sanctionnées. Il y a de quoi décourager les plus tenaces et les jeunes entrepreneurs.

Il faut reconnaître au Gouvernement une volonté de remédier à cela. La loi Pacte, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi Asap, mais aussi la création d’un droit à l’erreur ou encore la mise en place du guichet unique des formalités des entreprises : voilà autant d’initiatives qui vont dans le bon sens, si elles aboutissent.

Afin d’accompagner cette dynamique, nous nous félicitons de l’adoption du nouvel article 3 bis, issu du travail de notre collègue Dany Wattebled et porté par notre groupe. Prévoir que le silence gardé par l’administration vaut acceptation est un excellent principe. Madame la ministre, j’ose croire que, dès demain, nos PME et nos TPE vont vraiment constater une amélioration.

L’administration avait malheureusement trop strictement encadré ce principe, allant presque jusqu’à le renverser. L’adoption de la disposition en commission devrait lui redonner tout son sens, en permettant davantage de simplicité et une plus grande économie de moyens.

Je vous proposerai également de voter un amendement tendant à améliorer l’exécution des contrats de sous-traitance lorsque le sous-traitant est placé en redressement judiciaire. Il est essentiel de raccourcir les délais de remplacement du sous-traitant pour permettre au plus vite la reprise des chantiers. En outre, il convient de ne pas sanctionner plus lourdement et financièrement les collectivités dans le cadre de marchés publics.

Le projet de loi que nous examinons constitue l’un des volets législatifs de la démarche de simplification lancée par l’exécutif. La commission spéciale a fait le choix de supprimer toutes les demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances que le Gouvernement avait sollicitées. Nous comprenons tout à fait qu’elle défende jalousement les prérogatives du Parlement. Il ne faudrait cependant pas que la suppression de ces habilitations aboutisse à un abandon pur et simple des réformes envisagées.

Il est en effet urgent de modifier les régimes administratifs de déclaration et d’autorisation. L’ampleur particulière de ce travail nous paraît justifier une habilitation. Il nous semble également essentiel de développer la procédure du rescrit, dont nos concitoyens ont tant besoin.

Si ces dérogations simplifient la vie de ceux qui y sont éligibles, elles complexifient à coup sûr notre droit. Quand les dérogations se multiplient, c’est peut-être le signe que le droit commun doit être revu.

Le rescrit ou les dérogations sont en fait les symptômes d’une maladie particulièrement délétère qui affecte notre pays depuis de trop nombreuses années : l’inflation normative. En vingt ans, le volume des lois et décrets a plus que doublé. Nous devons absolument changer notre mode de fonctionnement. L’ensemble du Sénat en est conscient et nous tentons collectivement d’y remédier. Le volume des normes a cependant crû de près de 20 % au cours des sept dernières années. Nous devons faire mieux.

Benjamin Constant disait : « La multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchants naturels, le besoin d’agir et le plaisir de se croire nécessaires. » À nous de le faire mentir, madame la ministre, de montrer à nos concitoyens que les lois que nous votons simplifient et améliorent effectivement leur vie et de faire en sorte que, demain, le mot « entrepreneur » prenne tout son sens. L’entrepreneur est là pour créer, améliorer, construire, avec des compagnons heureux et fiers de leur entreprise ! (M. Martin Lévrier applaudit.)