M. Philippe Tabarot. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour ma part, j’ai perçu dans les propos du rapporteur, que je connais depuis quelques années et qui est un humaniste, non pas des arguments idéologiques ou discriminants, mais plutôt de la bienveillance à l’égard des adolescents qui recherchent leur identité, ont une transidentité, ou souffrent de dysphorie de genre. En France, le nombre de ces jeunes, qui sont peut-être mieux diagnostiqués, a beaucoup augmenté puisqu’il a été multiplié par dix depuis 2013.
Cette proposition de loi ne vise ni à nier le fait que les personnes trans ont besoin de traitements hormonaux, notamment de bloqueurs de puberté, qui leur permettent d’améliorer leur situation ni à empêcher la prescription desdits traitements. Il s’agit d’éviter certaines thérapeutiques pouvant entraîner des effets secondaires, notamment la stérilité, et des regrets.
Les adolescents, qui sont très fragiles, doivent être aidés par leur famille et bénéficier d’un meilleur accompagnement psychologique, voire psychiatrique si le médecin traitant le juge utile, mais aussi de consultations en endocrinologie dans des centres spécialisés.
Je n’ai pas voté pour l’article 2, qui porte sur un sujet très lourd ; je pense qu’il sera peut-être modifié par la commission mixte paritaire.
À l’article 3, le renforcement de la pédopsychiatrie est un objectif très important, même s’il n’a pas de rapport direct avec le présent texte. Tous les départements connaissent de grandes difficultés dans ce domaine, notamment dans les centres départementaux de l’enfance (CDE) et les maisons d’enfants à caractère social (Mecs).
À titre personnel, je voterai pour la proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.
M. Yan Chantrel. Nous voterons bien évidemment contre cette proposition de loi, un texte qui est, comme l’ont dit mes collègues, ultra-idéologique et violent à l’encontre des personnes trans.
Nous avons souligné tout au long de ce débat la désinformation et les contre-vérités contenues dans le rapport, dont il convient de rappeler qu’il émane du groupe LR, et qui sont une projection de vos fantasmes identitaires, mes chers collègues. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous avez dit que cette proposition de loi était équilibrée. Or elle serait, si elle était adoptée, le texte le plus restrictif en Europe en la matière.
Vous en êtes responsable, monsieur Retailleau, et cela en dit long sur votre famille politique ! En effet, vous choisissez de confier systématiquement les textes qui reflètent votre vision des questions de société à des parlementaires dont les positions sont marginales sur ces sujets et qui tiennent des propos outranciers. C’est précisément ce qui crée des problèmes !
Ce débat nous montre que rien n’a changé à droite et nous rappelle quel est votre héritage, votre filiation historique. Vous avez toujours été dans le camp de la réaction : le camp de ceux qui ont voté contre la dépénalisation de l’homosexualité, qui ont combattu et voté contre le droit à l’avortement, combattu le Pacs, le mariage pour tous, et toutes les politiques émancipatrices ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Contre-vérité historique !
M. Bruno Retailleau. Et contre Robespierre ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Yan Chantrel. La transidentité ne se combat pas, elle s’écoute ! Il convient de l’accompagner, avec comme seule boussole le bien-être de l’enfant et de l’adolescent. C’est pour cette raison que nous voterons résolument contre cette proposition de loi rétrograde.
M. Max Brisson. C’est une réécriture historique !
M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour explication de vote.
Mme Olivia Richard. Je me garderai bien de prendre la parole au nom de l’ensemble du groupe centriste, qui est divisé sur ce texte. Il me paraissait néanmoins important de faire part de mon étonnement, que certains d’entre vous partagent.
On nous a expliqué qu’il était important de débattre de cette question aujourd’hui et, dans le même temps, qu’il n’était pas grave que les adolescents attendent deux ans pour bénéficier de bloqueurs de puberté… On nous a dit aussi qu’il était impossible d’attendre durant dix-huit mois les recommandations de la Haute Autorité de santé. Je sais bien que le temps est relatif, mais tout de même !
Je n’ai pas été convaincue par certains arguments, qui ne me paraissent pas pertinents, notamment ceux qui portent sur le risque de regrets. Si l’on s’en tient aux chiffres, 1 % seulement des jeunes concernés considèrent avoir pris une mauvaise décision en entamant une transition. Par comparaison, dans le domaine de la chirurgie esthétique, dont les interventions entraînent 5 % de complications graves, le taux de regret se situe entre 10 % et 35 %. Dans ce cas, pourquoi ne pas remettre en cause l’encadrement de la chirurgie esthétique ? Je ne vois pas où est la cohérence…
Sans connaître personnellement de telles situations, je me dis, en me mettant à la place des familles confrontées à ces questionnements et à ces souffrances, qu’il vaut mieux accompagner des parents qui accueillent ces situations plutôt que d’autres qui jettent leurs enfants à la rue – on sait que cela existe… (Mme Christine Bonfanti-Dossat proteste.)
Ce sujet aurait pu être abordé sous d’autres angles, afin d’envisager un meilleur accompagnement et une meilleure prise en compte de la douleur que les uns et les autres peuvent ressentir. Mais je ne vois pas quel est l’intérêt de débattre de cette question dans l’urgence…
Je voterai contre ce texte. (Mme Anne-Sophie Romagny opine. – Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER, GEST et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny, pour explication de vote.
Mme Anne-Sophie Romagny. Ces débats ont effectivement été éclairants. À titre personnel, je m’étais posé beaucoup de questions…
Mes chers collègues, je souhaite vous faire part d’un message, lequel m’a profondément émue, que j’ai reçu d’un père, et qui m’aide aujourd’hui à prendre ma décision sur ce texte. Peut-être éclairera-t-il certains d’entre vous ?
Permettez-moi de vous le lire : « Aujourd’hui, la question clé pour moi est : mon enfant peut-il attendre sa majorité pour prendre en charge sa transidentité ? Franchement, je ne comprends pas comment on peut se sentir autre que son sexe de naissance, mais je peux l’entendre. Je ne comprends pas comment ça peut devenir urgent d’y faire quelque chose, mais je peux le constater.
« Je crois qu’aucun parent n’accueille la transidentité de son enfant en sautant de joie, mais aussi qu’un parent responsable se préoccupe du bien-être et du bon développement de son enfant en priorité.
« Si mon enfant pouvait attendre et gérer ça en responsabilité à l’atteinte de sa majorité, ça m’arrangerait bien, mais je crois que ce n’est pas possible et que c’est dangereux. Aujourd’hui, mon enfant va mieux. Je n’ai plus peur pour sa vie. Il rit plus. Ses résultats scolaires sont redevenus excellents. Il parle d’avenir et de projets. Est-ce trop tôt ? Peut-on se tromper ? Bien sûr qu’on peut, la vie n’est jamais certaine. Cela dit, ici, c’est quand même quelque chose de mûrement réfléchi et pesé : pas une fugue ou un décrochage scolaire à cause de trop de jeux vidéo, pas un abandon à la drogue, mais une affirmation de soi déstabilisante, mais aussi impressionnante à un si jeune âge.
« Aujourd’hui, je crois qu’interdire, c’est mettre en danger un enfant. Aucun enfant ne peut durablement se déclarer trans par effet de mode. Aucun parent n’a pour projet spontané de donner des hormones à son enfant. Ça arrive, c’est bizarre, difficilement compréhensible. Et le rôle des parents, de l’institution médicale et des pouvoirs publics est de protéger et de veiller au bien-être de ces enfants. »
J’espère que ces quelques mots pourront éclairer le débat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.
Mme Mélanie Vogel. Mon intervention ressemblera quelque peu à la précédente puisque je vais vous lire le message – je m’étais engagée à le faire – que j’ai reçu de la mère d’une petite fille trans (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) :
« Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, aujourd’hui je vous écris en tant que mère inquiète pour son enfant, en lien avec d’autres familles qui ont, elles aussi, décidé d’accueillir la transidentité de leur enfant.
« Aujourd’hui je vous demande, nous vous demandons, de ne pas voter cette loi, amendée ou pas. Cette loi ne protège pas nos enfants, elle les met en danger. Négliger leur questionnement et refuser de les accompagner médicalement, c’est les condamner à l’attente, au mépris de leurs besoins et à la souffrance. Nos enfants n’ont pas besoin de cette loi. Ce dont ils ont besoin, ce sont des professionnels de santé, de l’éducation, de la justice formés à la transidentité. À celles et ceux qui n’ont pas encore bien compris les besoins spécifiques de ces enfants, ayez la sagesse de vous en remettre à nos expériences, qui ne font que confirmer l’avis de la Défenseure des droits.
« Nos enfants existent. Ils méritent de vivre dans la joie et dans l’apaisement. Ils méritent de vivre avec dignité. Si vous souhaitez vraiment les protéger, le plus important c’est de reconnaître leur existence. Aujourd’hui, le choix vous appartient entre reconnaître l’existence de nos enfants et leur permettre de vivre tel qu’ils sont, ou les condamner à des années de peur et de souffrance.
« C’est un choix qui me paraît simple, à moi qui ai décidé d’accueillir la transidentité de mon enfant et de la reconnaître dans le genre qu’elle a choisi. J’ai envie qu’elle continue à me dire, les yeux remplis de joie : “Regarde maman comme je suis belle.” Et j’aimerais pouvoir lui dire ce soir que ce sera aussi un peu grâce à vous. » (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.
Mme Anne Souyris. Je me demande pourquoi nous avons dû examiner une telle proposition de loi, alors même que nous ne disposons pas encore de l’avis de la Haute Autorité de santé !
Après avoir lu et décortiqué ce texte pendant plusieurs heures, on comprend très clairement qu’il est de facto porteur de discriminations, d’ailleurs pas forcément volontaires. Il prévoit en effet des interdits qui concernent non pas les cisgenres (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), mais seulement les transgenres ; de ce fait, il n’est même pas recevable, ce qui est heureux.
Ce texte est dangereux parce qu’il est ascientifique et ne part pas de la réalité que vivent les jeunes, les personnes qui les prennent en charge, les familles et les soignants.
Cette proposition de loi a sans doute été déposée pour plaire à quelques électeurs qui se sont perdus à l’extrême droite et que certains cherchent à faire revenir à droite. C’est bien dommage, car, comme cela a été dit à plusieurs reprises, des vies sont en jeu.
Les deux messages qui viennent d’être lus par nos collègues sont importants : ils montrent que si l’on prend en compte la réalité vécue par ces jeunes, alors on ne peut que voter contre ce texte, dont j’espère qu’il sera rejeté par l’Assemblée nationale. Ce serait une bonne chose pour notre démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.
Mme Muriel Jourda. Vous avez lu, mes chères collègues, des messages de parents dont les enfants veulent transitionner. C’était très émouvant ! Nous pourrions, quant à nous, vous transmettre des lettres de parents dont les enfants veulent détransitionner, et ce serait tout aussi émouvant…
Nous voulons tous ici protéger les enfants. Vous voulez le faire en suivant leur désir, quand nous souhaitons les protéger en questionnant ce désir suffisamment longtemps. C’est toute la différence entre nous !
Point n’est besoin de porter de jugements aussi péremptoires que ceux que vous avez exprimés ce soir ! Chacun votera en son âme et conscience… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Joshua Hochart applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je tiens à apporter le soutien de la commission à la proposition de loi et à réagir à plusieurs propos que nous avons entendus.
Premier point : si l’on se penche attentivement sur ce texte, on constate qu’il ne nie en rien l’existence de la dysphorie de genre, mais qu’il vise à prendre en charge et à accompagner les jeunes qui souhaitent opérer une transition. Il s’agit non pas de dire que la transition de genre, c’est bien ou mal, ou de la rejeter, mais de s’interroger sur les outils médicaux d’accompagnement proposés, ainsi que sur les délais, et de prévoir l’intervention d’équipes pluridisciplinaires. Tel est le sens des amendements qu’a présentés le rapporteur.
Nous avons voulu non pas rejeter qui que ce soit, mais indiquer que des questions pouvaient se poser, dans la durée, sur des actes qui ne permettent pas de retour en arrière. Il s’agit donc plutôt d’une démarche de protection et d’accompagnement.
Nous ne nions rien, nous ne jugeons pas ; nous nous demandons simplement comment accompagner de façon consciente et responsable les jeunes qui, sur notre territoire, sont dans cette situation.
Deuxième point : il a beaucoup été question, monsieur le ministre, de la Haute Autorité de santé. Habituellement, on attend ses recommandations avant de pratiquer des actes. Ici, nous disons qu’il faut attendre son avis et suspendre la pratique d’actes dans cette attente. C’est l’inverse !
Attendons l’avis de la HAS afin de savoir quelles seront ses orientations et jusqu’où il sera possible d’aller. Dans cette attente, soyons prudents, concernant notamment des actes irréversibles.
Troisième point : nous aurons l’occasion de débattre de nouveau des points de vue des uns des autres. Le texte, sur proposition du rapporteur, prévoit en effet une clause de revoyure dans cinq ans. D’ici là, nous obtiendrons des informations et des précisions. Pour l’heure, la prudence s’impose.
Au regard de tous ces éléments, il convient de tenir des propos responsables.
Nombre d’arguments qui ont été invoqués étaient d’ordre technique, scientifique, et de bonne tenue, quelle que soit la position défendue. Mais il n’est pas besoin de se renvoyer la balle en opposant les bons et les méchants, ou les transphobes et ceux qui accompagnent les jeunes, ou encore de critiquer ceux qui n’ont qu’une visée politique !
Aujourd’hui, une question de fond est posée, et il existe différentes orientations à cet égard. L’intérêt des enfants étant en jeu, je voterai pour la proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains et, l’autre, du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 204 :
Nombre de votants | 324 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Pour l’adoption | 180 |
Contre | 136 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 29 mai 2024 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe RDPI)
Débat sur le thème « Le contrôle des investissements étrangers en France comme outil d’une stratégie d’intelligence économique au service de notre souveraineté » ;
Proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d’assistant familial, présentée par M. Xavier Iacovelli (texte de la commission n° 618, 2023-2024).
Le soir, au plus tôt à vingt et une heures :
Débat sur le thème « La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ? ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 29 mai 2024, à zéro heure vingt-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER