M. Henri Cabanel. Promulgué le 20 janvier 2014, le texte est en réalité entré en vigueur le 1er janvier 2020. Son objectif était de porter à 172 – soit quarante-trois ans – le nombre de trimestres requis pour une pension à taux plein pour les personnes nées en 1973 et après.
L’âge de l’emploi stable se situe en moyenne autour de 23 ans, car le taux d’activité augmente progressivement : de 16,7 % entre 15 et 19 ans, il passe à 60 % entre 20 et 24 ans. Aussi, on comprend vite que, sous l’effet de cette seule réforme, la grande majorité des personnes nées après 1973 serait partie à la retraite à 64 ans ou plus tard !
Pourtant, on connaît la suite.
D’un côté, des milliers d’amendements déposés pour ralentir l’examen du texte et, disons-le clairement, pour faire obstruction – car nous avons en mémoire le show de ces centaines d’amendements identiques déposés et défendus…
De l’autre, le recours au 49.3 à l’Assemblée nationale et au 44.3 dans cet hémicycle, qui n’a pas grandi le Gouvernement, suscitant l’incompréhension et la colère de nos concitoyens, tant la méthode était agressive, inexpliquée et maladroite.
Comment, en effet, défendre un texte, alors qu’aucun syndicat ne l’avait cautionné et que les sondages soulignaient l’opposition des Français ?
Résultat : peu de débats, un passage en force, et exit les vrais sujets, comme les carrières longues, les parcours des seniors et des femmes, ou encore la pénibilité.
Cette réforme a laissé un goût amer à tous ceux qui en avaient compris les enjeux : financer les prochaines retraites dans un contexte de vieillissement démographique, mais surtout de désenchantement du monde professionnel.
Le groupe du RDSE a toujours défendu une réforme du système des retraites, qui consisterait à remplacer les annuités par des points au sein d’un régime universel.
Les rapports du COR ont souvent démontré qu’une telle mesure était techniquement possible et permettrait notamment d’intégrer des dispositifs de solidarité. C’était d’ailleurs la réforme proposée par le Président de la République en 2019, avant qu’il ne l’abandonne en raison de la crise de la covid-19 et des contestations sociales.
Mais pas de débat non plus à ce sujet !
Le Gouvernement n’a donc prévu qu’une anticipation de la loi Touraine et le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. L’éléphant a accouché d’une souris !
Ce seul changement n’aurait pas dû enflammer la sphère politique qui, avec raison et conscience, depuis des décennies, du président Sarkozy au président Hollande, a toujours pris ses responsabilités pour réformer le régime des retraites et son équilibre.
Revenir aujourd’hui avec cette proposition de loi pour modifier ce seul indicateur d’âge, c’est légiférer pour légiférer, moins d’un an après l’adoption du dernier texte.
Quelques semaines avant les élections européennes, cet article unique d’abrogation du report de l’âge de départ à la retraite relève davantage d’une forme d’opportunisme politique que d’une vraie volonté de débattre et de relever les enjeux en présence. C’est pourquoi une majorité de sénateurs de mon groupe ne souhaite pas participer au vote.
Exit les carrières longues qui sont les premières à pâtir de cette réforme. Exit la pénibilité et les carrières hachées des femmes, à peine abordées. Exit la problématique des seniors. Ce sujet est pourtant très préoccupant, car le fait de porter à 43 ans la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein implique de travailler sur l’employabilité de ces personnes.
Quand on voit l’échec des négociations qui ont eu lieu cette semaine entre les syndicats et le patronat, on a quelques soucis à se faire.
Autre inquiétude : la hausse du taux d’absentéisme. En 2022, 35 % des salariés ont déclaré un arrêt de travail, contre 28 % en 2021, soit une progression de sept points, avec une augmentation notable des absences chez les plus jeunes. Deux indicateurs sont particulièrement inquiétants : les maladies professionnelles, principalement les troubles musculo-squelettiques, ainsi que les pathologies psychologiques sont à l’origine des arrêts de travail dont la durée est la plus longue.
L’enjeu crucial qui devrait nous animer est celui du bien-être au travail. Nous devons penser au-delà des querelles politiques pour avancer. Prenons les problèmes à bras-le-corps. Si le contexte nous a obligés, dès 2013, à envisager une durée de travail de 43 ans, unissons-nous pour le bien-être des travailleurs ! (M. Christian Bilhac applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, tout le monde nous l’envie : notre système de retraite par répartition, fondé sur la solidarité intergénérationnelle, est un système unique, fierté de notre nation.
Le principe est simple : les cotisations des actifs servent à payer les pensions des retraités. C’est un système d’équilibre qui, si une génération n’y trouve pas son compte, peut s’effondrer.
Cet équilibre a pour socle l’évolution démographique. En 1980, il y avait 2,68 actifs pour un retraité, contre 1,67 en 2020. Et en 2050, il n’y aura plus qu’environ 1,3 actif pour un retraité. Le socle se dégradant, nous ne pouvions rester les bras ballants.
Trois leviers étaient à notre disposition pour maintenir le système à l’équilibre : augmenter les cotisations des actifs, diminuer les pensions des retraités ou augmenter le nombre d’années travaillées par les actifs. On pourrait en imaginer un quatrième, j’y reviendrai.
Le Gouvernement, suivi par sa majorité, ainsi que par celle du Sénat, a pris la décision d’utiliser l’allongement de la durée du travail comme levier qui, si je ne m’abuse, s’inscrit dans la même veine que la réforme proposée par Mme la ministre Touraine. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Cette réforme socialiste prévoyait, entre autres, un allongement de la durée de cotisation en augmentant le nombre de trimestres cotisés. En bref, un jeune concerné par ladite réforme qui aurait commencé à travailler à 21 ans aurait eu le droit de prendre sa retraite à taux plein à 64 ans.
Promulguée le 20 janvier 2014, cette loi, ainsi que les diverses mesures qu’elle comportait, devait entrer très progressivement en vigueur. Sauf erreur de ma part, les socialistes, alors majoritaires, et leurs alliés – à l’exception des communistes – l’ont soutenue sans réticence. (Mme Colombe Brossel proteste.) De fait, il s’agissait d’un vote relativement indolore, puisque ses effets ne se feraient sentir qu’au-delà de leur mandat !
Pour notre part, nous avons pleinement assumé notre réforme et son application immédiate, tout en l’améliorant pour protéger les plus vulnérables. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Mme Colombe Brossel. C’est une blague ?
M. Mickaël Vallet. Ça s’est vu dans la rue !
M. Martin Lévrier. Nous nous retrouvons aujourd’hui, à la demande de ceux qui ont soutenu la réforme Touraine, pour abroger un texte qu’ils auraient pleinement approuvé en 2014 : Kafka, sors de cet hémicycle !
Empêtrés dans leurs oppositions systématiques, nos collègues en ont-ils mesuré les conséquences et sont-ils prêts à les assumer ? (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Féret. Bien sûr que oui ! On les connaît mieux que vous !
M. Martin Lévrier. Les 19,7 milliards d’euros de recettes prévus disparaîtront.
Le déséquilibre de ce système n’ira qu’en s’aggravant, quand bien même – et c’est ici le quatrième levier dont j’ai parlé précédemment – le taux de fécondité s’établirait, d’un coup de baguette magique, à trois enfants par femme.
M. Mickaël Vallet. Vous appelez ça une baguette magique, vous ?
M. Martin Lévrier. Il ne faudrait pas moins de vingt ans pour en sentir les effets.
Ce n’est cependant pas la seule et unique conséquence, et je m’étonne que mes collègues socialistes, auteurs de cette proposition de loi, et si prompts à revendiquer les valeurs sociales, n’en aient pas parlé.
Vous qui vous réclamez des valeurs fondamentales que sont l’égalité et la solidarité, comment récupérez-vous les 6,8 milliards d’euros de mesures qui accompagnent la réforme que vous nous proposez d’abroger ici et maintenant ?
Êtes-vous prêts à faire fi des mesures de rattrapage offrant de meilleures pensions aux femmes aux carrières hachées ?
Mme Émilienne Poumirol. Et aux seniors ?
M. Martin Lévrier. Êtes-vous prêts à revenir sur la revalorisation des petites pensions, qui peuvent atteindre 100 euros par mois ? (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Êtes-vous prêts à revenir sur tout ce qui a été fait pour les aidants, les carrières longues, les agriculteurs ? Pas moi !
Nous avons débattu ici même, il y a près d’un an, de cette réforme. Pendant plus de 70 % du temps, vous avez monopolisé la parole. Que proposez-vous aujourd’hui ? (Protestations sur les travées du groupe SER.) Ni suggestion ni solution pour la sauvegarde du système le plus solidaire – j’y insiste – qui soit ! (Mme Colombe Brossel proteste.)
Plus surprenant encore, il y a un an, vous avez, à l’occasion des débats, dix jours durant, dénigré la valeur travail pour en conclure que cette réforme priverait les actifs de deux ans de vie.
Mme Émilienne Poumirol. On ne dénigre pas la valeur travail !
M. Martin Lévrier. Pour tirer le trait d’humour à l’extrême : le travail tue ; alors, si tout travail tue, qui paiera les retraites ?
La question n’est pas de savoir si nous voulons travailler plus longtemps. Demandons-nous plutôt comment faire du travail une source d’épanouissement pour tous. (M. Mickaël Vallet ironise.)
C’est à ce défi que nous devons répondre ensemble. À l’heure où la défiance envers les responsables politiques se fait de plus en plus vive, nous devons réaffirmer notre devoir : dire la vérité aux Françaises et aux Français. Oui, certaines des mesures de cette réforme sont clivantes. Est-ce une raison pour l’abroger, alors qu’elle est nécessaire ?
Vous vous en doutez, notre groupe s’opposera avec vigueur à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Michel Canévet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour débattre de la proposition de loi du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain visant à abroger la réforme des retraites adoptée il y a un an.
Permettez-moi de rappeler les circonstances dans lesquelles cette réforme a été adoptée. Malgré l’opposition des syndicats et des manifestations d’une ampleur sans précédent, le Gouvernement s’est obstiné à faire passer cette réforme à marche forcée. En ayant recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, ce dernier a réduit le délai d’examen du texte au Parlement et s’est donné la possibilité d’utiliser l’article 49.3 à l’Assemblée nationale. C’est un refus de débattre, qui n’a rien de bien démocratique.
Alors qu’il n’y a pas eu de vote à l’Assemblée nationale, les débats sur les travées de la gauche ont été d’une rare intensité au Sénat.
En soutien au Gouvernement, la majorité sénatoriale a, pour la première fois depuis la réforme de 2015, utilisé l’article 38 du règlement de notre assemblée pour abréger les débats, et s’est peu exprimée, voire pas du tout.
Le Gouvernement a également fait usage du vote bloqué prévu à l’article 44.3 de la Constitution pour contraindre les sénateurs à se prononcer sur le texte par blocs d’amendements, sélectionnés par lui-même. Ce faisant, il a ignoré l’avis des partenaires sociaux, bafoué le rôle du Parlement, saboté le débat parlementaire et précipité une réforme profondément injuste.
Les conséquences de cette réforme ne sont pas digérées.
La justification avancée par le Gouvernement pour le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans reposait sur la réduction du déficit, avec la promesse d’un système équilibré d’ici 2030.
On en sera loin ! Décidément, les prévisions du grand argentier de l’État, M. Le Maire, ne font pas recette !
Loin d’équilibrer notre système de retraite, cette réforme a des conséquences économiques et sociales dégradées sur des catégories déjà fragilisées.
Le relèvement de l’âge d’ouverture des droits entraîne une augmentation des coûts pour notre protection sociale.
La direction générale du Trésor prévoit une hausse d’environ 3,2 milliards d’euros des dépenses sociales hors retraite à la pleine mise en œuvre de la réforme.
Cette somme comprend 1,8 milliard d’euros pour les pensions d’invalidité, qui seront versées à 20 000 bénéficiaires supplémentaires, 1,3 milliard d’euros pour les allocations chômage, afin d’indemniser 80 000 personnes privées d’emploi de plus, 970 millions d’euros pour les indemnités journalières en cas de maladie, et 830 millions d’euros pour les prestations de solidarité, notamment l’allocation de solidarité spécifique (ASS), afin de répondre aux besoins des probables 100 000 allocataires de minima sociaux supplémentaires. Pour ces personnes, madame la ministre déléguée, ce n’est pas de la communication !
Avec de telles prévisions, on comprend mieux l’empressement du Gouvernement à vouloir réformer l’assurance chômage et supprimer l’ASS !
Cette réforme injuste pénalise particulièrement celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui occupent souvent les métiers les plus pénibles.
Dans notre pays, l’écart d’espérance de vie entre les 5 % des Français les plus riches et les 5 % des Français les plus pauvres est de treize ans. Il s’élève à sept ans entre un cadre et un ouvrier. Un quart des hommes les moins aisés décèdent avant l’âge de 62 ans et ne perçoivent donc pas leur retraite. Cette réforme fait abstraction de la question de la pénibilité, ce qui est d’autant plus préoccupant que quatre des dix critères de pénibilité ont été supprimés par les ordonnances Travail de Muriel Pénicaud.
Les travailleurs seniors sont particulièrement pénalisés, la grande majorité des personnes au chômage à l’âge de 60 ans n’ayant pas l’occasion de retrouver un emploi.
Alors que les mesures timides pour améliorer l’emploi des seniors ont été invalidées par le Conseil constitutionnel, le Gouvernement a choisi de reporter ce sujet à des négociations ultérieures, changeant ainsi l’ordre des priorités : d’abord une réforme drastique, puis des discussions sur la manière dont les personnes concernées pourront travailler deux années de plus.
Plutôt que d’encourager les entreprises à recruter ou à maintenir les seniors en poste, le Gouvernement multiplie les annonces de réduction des droits, notamment en matière de chômage, comme si le fait de rester sans emploi relevait d’un choix volontaire.
Les femmes sont également les grandes perdantes de cette réforme. En règle générale, elles atteignent plus souvent que les hommes la durée de cotisation requise à l’âge de 62 ans, en raison des majorations de durée d’assurance accordées pour la maternité et l’éducation des enfants.
Le report de l’âge légal à 64 ans les oblige à prolonger leur activité de deux années supplémentaires sans bénéficier d’avantages significatifs, tandis que les hommes sont souvent déjà contraints de travailler au-delà de 62 ans pour obtenir une retraite à taux plein et sont donc moins affectés par cette disposition.
En ce qui concerne l’une des principales mesures d’accompagnement de la réforme, consistant à augmenter de 100 euros le minimum contributif des régimes alignés et la pension majorée de référence (PMR) du régime des non-salariés agricoles, elle ne profite en réalité qu’à une infime partie des assurés.
En effet, seuls ceux qui ont cotisé tout au long de leur carrière au niveau du salaire minimum sont censés bénéficier de cette augmentation de 100 euros. Malheureusement, les bénéficiaires sont peu nombreux. Quelle déception pour ceux qui avaient cru en cette revalorisation !
Des solutions existent pour assurer la pérennité de notre système de retraite. La question des recettes ne doit pas être un tabou.
Selon les estimations de la direction de la sécurité sociale, une augmentation d’un point du taux de la cotisation patronale d’assurance vieillesse pourrait générer des recettes estimées à 6,8 milliards d’euros si elle ne touchait que l’assiette plafonnée.
Par ailleurs, la suppression partielle des allégements généraux de cotisations sociales, qui représentent une perte de près de 60 milliards d’euros de recettes pour la sécurité sociale en 2022, ou encore l’affectation de recettes fiscales supplémentaires au financement des retraites pourrait être envisagée.
À titre d’exemple, le Gouvernement a décidé, en 2020, de réduire les impôts de production de plus de 10 milliards d’euros, tandis que le remplacement de l’ISF par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) en 2018 a entraîné une perte de ressources d’environ 3 milliards d’euros.
Enfin, la création d’une taxe sur les superprofits – une proposition récemment soutenue par la présidente de l’Assemblée nationale – est une piste qui pourrait également être explorée.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain continue de s’opposer à cette réforme brutale aux effets délétères.
Je tiens donc à saluer le travail accompli par mon groupe, et tout particulièrement par ma collègue Monique Lubin, qui poursuit inlassablement le combat pour une plus grande justice au travail et pour la contribution à la solidarité nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Mme Marie-Do Aeschlimann applaudit.)
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, en voyant arriver sur le bureau du Sénat la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui, j’ai d’abord cru à une mauvaise plaisanterie. (Protestations sur les travées du groupe SER. – MM. Michel Canévet et Emmanuel Capus applaudissent.)
M. Michel Canévet. Bravo !
Mme Pascale Gruny. Nos collègues socialistes proposent en effet d’abroger purement et simplement la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, qui porte la dernière réforme des retraites.
Au-delà de l’affichage politique et dogmatique, prenons quelques minutes pour rappeler en quoi revenir sur cette réforme serait une folie.
Être parlementaire, mes chers collègues, c’est d’abord faire preuve de responsabilité. C’est être amené à prendre des décisions parfois déplaisantes, mais pourtant indispensables à la préservation de notre pacte social.
Lorsque l’on fait passer l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans, ce n’est pas pour sanctionner les Français. Il s’agit au contraire de s’assurer que leurs retraites et celles de leurs enfants seront financées.
Notre responsabilité n’est pas d’ignorer les difficultés ou de laisser à nos successeurs le soin de les régler. Au contraire, elle nous invite à regarder la situation en face et à lui apporter des réponses durables et justes.
Chacun sait ici que, pour financer les retraites, il y a trois voies possibles.
La première est de baisser les pensions des retraités. Nous nous y refusons, car, du fait de leur indexation sur l’inflation, le niveau de vie moyen des retraités devrait passer de 101 % du niveau de vie des actifs en 2019 à 85 %, voire 75 % en 2070.
La deuxième est d’augmenter massivement les cotisations ou la fiscalité. Nous nous y refusons également, car les prélèvements obligatoires représentent déjà 48 % de notre PIB, soit le record de la zone euro. Relever le taux de la cotisation patronale d’assurance vieillesse, comme le suggère Mme la rapporteure, accroîtrait le coût du travail et fragiliserait encore davantage la compétitivité des entreprises françaises.
M. Emmanuel Capus. Et voilà !
Mme Pascale Gruny. Je regrette que les syndicats patronaux n’aient pas été auditionnés, ce qui est révélateur du caractère très orienté et partial de cette démarche.
La troisième solution consiste à travailler un peu plus longtemps, en relevant l’âge légal de départ et la durée de cotisation.
M. Emmanuel Capus. Ça, c’est bien !
Mme Pascale Gruny. C’est la voie la plus raisonnable, celle que tous les autres pays ont choisie et que nous avons retenue, car nous vivons plus longtemps : depuis 1950, notre espérance de vie a progressé de quinze ans.
Rappelons qu’avant la réforme de 2023 l’âge légal de départ à la retraite de la France était l’un des moins élevés des pays de l’OCDE. Après le relèvement à 64 ans, il reste en dessous de celui de nombreux autres pays : il est de 65 ans en Belgique, à Chypre ou en Espagne, et s’élève même à 67 ans en Allemagne, en Italie ou au Danemark.
Je pose donc la question à nos collègues socialistes : pourquoi vous opposez-vous aujourd’hui au report de l’âge légal à 64 ans après l’avoir voté en 2014 ?
Faut-il vous le rappeler ? Même sans la réforme de 2023, l’âge moyen de départ à la retraite devait de toute façon atteindre les 64 ans dans le courant des années 2030 du fait des réformes allongeant la durée de cotisation,…
Mme Raymonde Poncet Monge. Il fallait laisser faire !
Mme Pascale Gruny. … à commencer par la réforme de Marisol Touraine de 2014, alors ministre du gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault, sous la présidence de François Hollande. Visiblement, vous avez la mémoire courte !
Mme Corinne Féret. Pas du tout !
Mme Pascale Gruny. Aucune posture dogmatique ne permettra de régler la question démographique. Sans réforme, le ratio entre cotisants et retraités atteindra inexorablement 1,2 en 2070, contre 1,7 en 2020.
Au-delà de la question démographique, le contexte budgétaire paraît particulièrement mal choisi pour renoncer aux recettes générées par la réforme de 2023. Le rapport de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 souligne que, malgré cette réforme, une dégradation de la trajectoire financière de la branche vieillesse s’annonce.
D’ici à 2027, le déficit de cette branche pourrait s’établir à 11,2 milliards d’euros en raison, notamment, du vieillissement démographique, du ralentissement de la croissance de la masse salariale du secteur privé et des difficultés financières du régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Et sans la réforme des retraites de 2023, le déficit de la branche vieillesse serait de 17,5 milliards d’euros en 2027.
Réformer les retraites, c’est donc empêcher une nouvelle dégradation des comptes publics. C’est aussi se donner la possibilité d’augmenter le taux d’emploi des seniors pour créer des recettes autres que des cotisations vieillesse pour un montant qui pourrait atteindre, selon la direction générale du Trésor, 15 milliards d’euros par an.
Enfin et surtout, en voulant abroger le texte de 2023, vous abrogez la réforme dans son intégralité, y compris tous les apports que le Sénat avait obtenus, parfois de haute lutte, et sur lesquels il paraît aujourd’hui inconcevable de revenir.
En abrogeant cette réforme, vous abrogez la création de l’assurance vieillesse des aidants, la revalorisation des minima sociaux, la création de la pension d’orphelin et de la surcote de 5 % pour les mères qui ont validé leur durée d’assurance.
Vous abrogez aussi les nouveaux droits en matière de carrières longues qui profitent déjà aux Français : à la fin de l’année 2023, 30 % des nouveaux retraités concernés par la réforme sont partis avant l’âge légal grâce à ce dispositif, contre 20 % fin 2022, selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse.
Je pourrais aussi évoquer les apports visant à prendre en compte l’engagement des citoyens, comme l’octroi de trimestres pour les sapeurs-pompiers volontaires ou encore la possibilité pour les élus locaux de cotiser intégralement sur leurs indemnités. Je citerai enfin le renforcement de la lutte contre la fraude, avec notamment des contrôles biométriques de l’existence des pensionnés résidant à l’étranger mis en place à compter de la fin de l’année 2023.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la réforme telle que nous l’avons votée est la seule voie possible pour sauver notre système de retraite. Bien sûr, elle n’est pas parfaite. Nous aurions voulu aller plus loin, notamment sur l’emploi des seniors. Mais n’oublions pas tout le travail réalisé par le Sénat pour améliorer la version initiale du Gouvernement.
Plutôt que de vouloir abroger cette réforme et imaginer des scénarios alternatifs non réalistes, concentrons nos efforts sur une nouvelle loi Travail et sur l’accompagnement des salariés, en améliorant la prévention en matière de santé et la sécurité, afin que ceux-ci soient toujours en bonne santé au moment de prendre leur retraite.
Pour conclure, cette proposition de loi est symptomatique du décalage entre les discours de la gauche française et la réalité du monde dans lequel nous vivons. À chaque fois qu’elle s’est retrouvée au pouvoir, elle a, par ses réformes, laissé croire aux Français qu’ils pourraient travailler moins longtemps, à rebours de tous les autres pays ayant une économie comparable.
Cela a commencé avec l’abaissement de l’âge de départ à la retraite de 65 à 60 ans voulu par François Mitterrand. Cela a continué sous le gouvernement de Lionel Jospin avec les 35 heures de Mme Aubry, une idée tellement lumineuse qu’aucun autre pays au monde n’en a voulu ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Le groupe Les Républicains ne laissera pas dénaturer la réforme de 2023, car ce serait mettre en péril le retour à l’équilibre de notre système de retraite. Notre principal objectif est bien de sauver notre régime par répartition et de garantir ainsi à nos concitoyens que le pacte social conclu après-guerre restera toujours bien vivant.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, comme l’a fait la commission des affaires sociales, à rejeter massivement ce texte.
Mes chers collègues, vous arrive-t-il de rencontrer des jeunes ? Pour ma part, cela me fait vraiment mal au cœur de les entendre dire qu’ils ne toucheront jamais de retraite. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deux ans après avoir fait réélire Emmanuel Macron, les socialistes semblent vouloir se racheter auprès de nos compatriotes en proposant un texte certes salutaire, mais dont ils savent qu’il n’aura aucune chance de l’emporter, ici comme à l’Assemblée nationale.
La gauche semble tout d’un coup prise d’un certain remords. Pour autant, ce petit coup parlementaire ne saurait tromper personne et les classes populaires ont compris depuis longtemps ce qu’il en était.
Quant à la droite, nous regrettons qu’elle se soit ralliée aux discours trompeurs des think tanks libéraux, notamment au fameux argument « tarte à la crème » selon lequel, puisque l’on vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps, en omettant toujours de dire que l’on ne vit pas plus longtemps en bonne santé, d’autant que la pénibilité a été, comme les carrières longues, la grande absente des débats l’année dernière ; le fils d’ouvrier, petit-fils et arrière-petit-fils de mineur que je suis ne peut que le déplorer !
La majorité sénatoriale appelle à la responsabilité, nous dit que la situation financière dramatique impose un effort de nos compatriotes, mais, vous vous en doutez, si nous partageons ce constat, nos solutions d’économies sont grandement différentes et le recul de l’âge de départ à la retraite n’en fait pas partie.
Pour finir ce tour d’horizon des responsabilités respectives, nous ne pouvons oublier le Gouvernement, naturellement. Alors qu’il a été porté au pouvoir sur une promesse de sérieux et de bonne gestion financière, la réalité a malheureusement éclaté au grand jour. Notre système de retraites n’a pas été sauvé par cette réforme. Pis, le Conseil d’orientation des retraites prévoit d’ores et déjà un déficit du système de retraites pour 2027, annonçant une réforme de plus grande ampleur et des économies supplémentaires, soit un nouveau tour de souffrances pour nos compatriotes. Pour autant, reconnaissons à Emmanuel Macron qu’il n’a trahi personne avec cette réforme ; il l’avait annoncée dans son programme en 2022 et tous ceux qui l’ont soutenu ici l’ont fait en connaissance de cause.
Des économies à faire, il y en a. En premier lieu, nous pourrions nous attaquer au coût, sans cesse plus lourd, de l’immigration et de l’insécurité ou à la contribution nette, beaucoup trop nette, au budget de l’Union européenne. Alors, de grâce, cessons de vouloir saigner toujours plus nos compatriotes ! Si nous ne défendons pas un fumeux « droit à la paresse », nous défendons un droit au repos après des décennies de travail et de contribution aux finances de la France. La retraite, socle de notre pacte social, doit être profondément réformée. Il faut davantage soulager ceux de nos compatriotes qui effectuent les carrières les plus pénibles.
La proposition présidentielle de Marine Le Pen reste donc toujours valable. Toutes les personnes qui auront commencé à travailler avant 20 ans pourront partir à la retraite à partir de 60 ans si elles ont 40 annuités de cotisation. Ceux qui ont commencé progressivement, après 20 ans, iraient jusqu’à l’âge de 62 ans. Voilà une réforme juste, nécessaire et utile pour nos compatriotes !
C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi, justement parce que nous ne sommes pas sectaires : dès lors qu’un texte nous semble aller dans le sens des intérêts des compatriotes, nous le votons, même quand nous en combattons les auteurs et en dénonçons l’hypocrisie. (M. Joshua Hochart applaudit.)