M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Mes chers collègues, l’intervention de Mme Monier m’a fait un petit peu de peine (Oh ! sur les travées du groupe SER.), parce que j’ai pour elle beaucoup de respect et que j’ai souvent apprécié de travailler avec elle.
Pour réduire un peu la caricature, je veux prendre l’exemple des Pyrénées-Atlantiques. Dans ce département, dont je suis élu, parmi les dix collèges présentant l’IPS le plus bas, cinq sont des établissements privés catholiques sous contrat.
M. Pierre Ouzoulias. Ce n’est pas le cas chez moi…
M. Max Brisson. Dans ce département, sur les dix lycées présentant l’IPS le plus bas, trois sont des établissements privés catholiques sous contrat.
M. Pierre Ouzoulias. Là non plus…
M. Max Brisson. Voilà qui tempère quelque peu la caricature souvent entendue… Oui, les situations sont très différentes d’un département à l’autre. Tout n’est pas tout noir ou tout blanc.
Madame la ministre, pour ma part, je n’ai jamais conçu les différentes formes d’enseignement comme une menace pour l’enseignement public, tant je suis convaincu, comme Victor Hugo en son temps, de la hauteur du principe républicain de la liberté d’enseignement, à condition que l’école publique soit belle.
Dans le respect de tous, ne croyez-vous pas que l’on pourrait tous s’améliorer en s’inspirant des réussites des uns et des autres ? Ne serait-il pas temps de mettre un terme, pour de bon, à une certaine caricature et de réaffirmer enfin avec force le principe fondateur de la liberté d’enseignement ? Ne serait-il pas temps d’étudier avec objectivité les modalités de réussite de l’enseignement privé sous contrat ? Alors, sans idéologie ni dogmatisme, nous y trouverions peut-être quelques clés qui pourraient profiter à notre enseignement public. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Brisson, vous évoquez la situation de l’enseignement privé dans le département dont vous êtes élu. Il se trouve que, ayant été rectrice de l’académie de Toulouse, j’ai pu aussi mesurer la diversité des situations, tant dans l’enseignement public que dans l’enseignement privé. Il est vrai que certains établissements privés accueillent des élèves dans des situations scolaires ou sociales parfois difficiles, nous pouvons nous accorder sur ce point.
Notre souci, c’est de traiter ces établissements, comme je le précisais tout à l’heure, de manière paritaire en matière de financement. Les règles que j’ai exposées, fondées sur le rapport 20-80, nous donnent des éléments d’appréciation objectifs. Notre souci est aussi d’assurer le contrôle pédagogique – je le disais précédemment –, comme nous le faisons pour les établissements d’enseignement public.
Toutefois, il est vrai qu’il existe dans l’enseignement privé des innovations qui méritent d’être regardées avec intérêt, d’être promues ou d’être soulignées, en vue d’un potentiel déploiement. De ce point de vue, je reconnais avoir pu constater, plusieurs fois, que des établissements privés sous contrat mettaient en œuvre des pratiques pédagogiques innovantes.
En tout état de cause, j’y insiste, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne veux en aucun cas opposer les secteurs d’enseignement. Je m’inscris complètement dans le cadre du respect de la liberté d’enseignement, principe à valeur constitutionnelle, je le répète. Nous nous attachons à appliquer le principe de parité en vigueur, tant pour les moyens que pour le contrôle ; c’est ainsi que nous pourrons garantir l’efficacité de notre système éducatif. Nous sommes très attentifs au fait de traiter tous les établissements de manière équitable, en tenant compte des spécificités de chaque régime, mais en veillant à ce que les élèves bénéficient des meilleurs enseignements possible.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Nous progressons, même si ce n’est peut-être pas dans le sens souhaité par les auteurs de cette demande de débat…
Oui, nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait de bien dans les différents systèmes. Oui, l’enseignement privé sous contrat contribue aussi, dans certains territoires, à la mixité sociale et à une offre scolaire de proximité.
Merci, madame la ministre, d’avoir rétabli certains équilibres.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.
Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la ministre, lorsque des enfants sont scolarisés dans une école privée sous contrat d’association, la commune a l’obligation de participer aux dépenses de fonctionnement de l’école.
Le principe de parité entre l’enseignement privé et l’enseignement public mentionné à l’article L. 442-5 du code de l’éducation implique la prise en charge obligatoire des dépenses de fonctionnement des classes élémentaires et maternelles des établissements d’enseignement privé sous contrat « dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l’enseignement public ». Ainsi, les communes doivent verser aux écoles privées sous contrat un forfait égal au coût moyen d’un élève scolarisé dans une école publique.
Souvent, en se fondant sur des estimations erronées, les organismes de gestion de l’enseignement catholique (Ogec) réclament des montants bien plus importants que les montants alloués à l’enseignement public. À titre d’exemple, la commune de Beaucamps-Ligny, qui compte 857 habitants, contribue, pour le public, à hauteur de 240 euros pour un élève en classe élémentaire et de 700 euros pour un élève en classe maternelle, contre 2 000 euros par élève dans le privé. Annuellement, le forfait s’élève donc à 100 000 euros, alors que la commune dispose d’un budget de 500 000 euros ; cela se passe de commentaires…
Je tiens également à souligner le grand changement opéré en matière de finances publiques depuis la fixation de l’obligation de scolarisation dès l’âge de 3 ans. Jusqu’en 2019, le forfait communal était appliqué pour les seules classes élémentaires. L’intégration des classes maternelles a fait s’envoler le montant du forfait et les communes, en particulier les plus petites, se trouvent dans une situation budgétaire fragilisée et de moins en moins soutenable.
Aussi, madame la ministre, envisagez-vous de modifier les règles de participation des communes aux frais de fonctionnement des écoles privées sous contrat accueillant des enfants résidant dans leur territoire ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour garantir véritablement le respect du principe de parité dans le calcul du forfait communal ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Lermytte, nous avons parlé du principe de parité, je n’y reviens pas.
Les classes sous contrat d’association au service public de l’éducation doivent être prises en charge dans les mêmes conditions que les classes correspondantes de l’enseignement public. La participation de la commune est calculée par élève et par an, en fonction du coût de fonctionnement relatif à l’externat des écoles publiques ; en cas d’absence d’école publique dans la commune, sa contribution est égale au coût moyen dans les classes publiques du département.
Il me paraît important de préciser que seules les dépenses de fonctionnement sont prises en compte et non les dépenses d’investissement, qui, vous le savez, sont exclues du forfait communal. Il appartient aux communes de rappeler ces règles et ces principes aux établissements privés sous contrat qui souhaiteraient obtenir des financements plus importants que ceux qui sont prévus par les textes.
Je rappelle également que c’est la collectivité qui fixe, par une délibération, le montant du forfait, conformément à la loi. Il existe donc une délibération de l’organe délibérant.
Aussi, madame la sénatrice, il me semble qu’il faut non pas nécessairement modifier la règle, mais plutôt vérifier le respect de son application. Votre exemple m’a quelque peu étonnée. Vous le citez, il est donc véridique, mais je ne comprends pas très bien comment a été obtenu un tel montant, si ce n’est par une délibération de l’organe délibérant. Comment en arriver là, autrement ?
S’il y a un désaccord avec l’Ogec, la préfecture peut intervenir au titre de son contrôle de légalité. Il est aussi possible de prendre attache avec les services du ministre de l’intérieur pour sensibiliser les préfets à ce sujet, si vous pensez que nous devons le faire.
Vous avez évoqué l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans et la surcharge financière que cela induirait pour les communes. Ces mesures sont issues de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Je rappelle que l’État s’est engagé à compenser les surcoûts pour les communes, à condition que celles-ci puissent justifier d’une augmentation des dépenses et du nombre d’élèves. L’instruction des demandes est faite par les rectorats. En cas de contestation, nous pouvons reprendre cette instruction à l’échelon central, au ministère. Ainsi, 46 millions d’euros sont prévus en 2024 pour cette prise en charge spécifique.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Madame la ministre, les établissements privés sous contrat sont subventionnés à 73 % par l’État. Ils bénéficient également du financement des collectivités territoriales. Un élève dans le privé sous contrat est source d’économies pour les comptes publics. Comment ? Dans le premier degré, l’élève du privé coûte à l’État 55 % du coût d’un élève du public et, dans le second degré, 68 %.
Outre ce constat, des inégalités importantes de moyens persistent entre le public et le privé sous contrat. Si certaines peuvent s’entendre, d’autres ne sont absolument pas acceptables, d’autant qu’elles peuvent avoir des conséquences graves sur l’élève et sa santé.
Plusieurs chefs d’établissements vendéens m’ont récemment fait part des difficultés qu’ils rencontrent. Je vous livre un exemple : un élève du public ayant besoin de faire un bilan psychométrique sera pris en charge par le psychologue scolaire. Dans le privé sous contrat, sa famille devra débourser entre 300 et 400 euros. Ce coût pousse certaines familles à y renoncer.
Plus largement, en 2011, lors de son audition par la Cour des comptes, la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) a reconnu qu’en matière de médecine scolaire l’enseignement privé sous contrat constituait une sorte d’« angle mort des politiques publiques ».
Plus de dix ans après, un rapport parlementaire de 2023 sur la médecine scolaire et la santé à l’école précise que le ministère de l’éducation nationale ne dispose toujours pas de données sur la couverture médicale de ces établissements.
Alors que 2 millions d’élèves sont scolarisés dans l’enseignement privé sous contrat, devrons-nous attendre dix ans de plus avant d’obtenir des données consolidées sur la prise en charge de leur santé ? Comment le ministère compte-t-il enfin répondre à cette distorsion et rééquilibrer les moyens d’accompagnement alloués à la santé scolaire dans les établissements privés sous contrat ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. En effet, madame la sénatrice Billon, j’en conviens, nous n’avons pas de données consolidées sur les questions de santé scolaire pour les élèves des établissements privés sous contrat.
Les obligations de l’État concernant la médecine scolaire sont fixées par la loi. La mission de protection et de promotion de la santé en milieu scolaire incombe au ministère de l’éducation nationale. En l’absence de distinction entre les établissements publics et privés, les élèves qui sont inscrits au sein d’un établissement privé sont également inclus dans ce dispositif global de promotion et de protection de la santé en milieu scolaire, au même titre que les élèves des établissements publics.
Par ailleurs, la circulaire du 12 janvier 2001 relative aux orientations générales pour la politique de santé en faveur des élèves, qui a pour objet de fixer le cadre de cette politique, prévoit une application à l’ensemble des élèves scolarisés dans les écoles, les établissements publics d’enseignement, les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) et les établissements privés sous contrat. Le recteur doit définir les objectifs et les modalités de mise en œuvre de cette politique dans son académie, en tenant compte des axes définis à l’échelon national et, bien sûr, du contexte local.
Bien évidemment, des personnels médicaux de l’éducation nationale interviennent ponctuellement dans les établissements privés sous contrat, notamment dans le cadre des bilans obligatoires, des campagnes de vaccination obligatoire ou bien à la demande des chefs d’établissement en cas de difficulté particulière nécessitant l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire.
Les établissements privés sous contrat peuvent toutefois disposer de personnels médicaux de droit privé, sur lesquels nous n’avons pas de visibilité. Pour être parfaitement honnête avec vous, madame la sénatrice, j’ai actuellement en tête les difficultés de la médecine scolaire, dans sa globalité. Nous sommes en train d’élaborer un plan visant à renforcer la médecine scolaire et l’attractivité de ces métiers. Ce dispositif concernera bien évidemment les établissements tant publics que privés.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.
Mme Annick Billon. Je vous remercie, madame la ministre, de cette réponse sincère concernant aussi bien les constats que les réponses à apporter. Vous l’avez confirmé, il n’existe pas de données consolidées en la matière.
La caricature dessinée précédemment sur cette question était loin de décrire la réalité des établissements privés sous contrat.
M. Pierre Ouzoulias. Non !
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Les faits décrits dans le rapport d’inspection concernant l’établissement Stanislas sont préoccupants, et tout d’abord pour les enfants scolarisés dans cet établissement. Surtout, il frappe par l’opacité de la procédure, ce qui suscite de nombreuses inquiétudes pour tous les établissements privés sous contrats.
Pour que ces faits nous parviennent, il aura fallu un rare alignement des planètes.
Il aura d’abord fallu la résolution personnelle d’un ancien ministre de l’éducation, Pap Ndiaye, pour mettre en place une enquête administrative. Est-il d’ailleurs pertinent que cette décision d’enquête dépende du ministre lui-même, alors qu’il existe 4 870 écoles privées sous contrat et 2 870 établissements secondaires, qui nécessiteraient des contrôles ?
Il aura fallu ensuite la scolarisation des enfants de la ministre de l’éducation dans ce même établissement.
Il aura fallu enfin un enchaînement médiatique et la publication du rapport d’inspection, par voie de presse !
In fine, le maire de Paris a pu prendre connaissance de ce rapport et suspendre ses financements, en attendant que la direction de cet établissement prenne les mesures nécessaires, comme la loi le prévoit. Aussi ai-je demandé à la commission de la culture du Sénat une commission d’enquête visant à mesurer l’efficacité du contrôle de l’État sur le respect des obligations des établissements scolaires privés sous contrat.
Vous avez affirmé tout à l’heure, madame la ministre, que vous aviez progressé pour ce qui concerne les contrôles. Pouvez-vous nous dire comment ces contrôles sont décidés ? Y a-t-il une procédure de contrôle précisément définie de ces établissements, avec publicité des enquêtes, transmission aux collectivités qui financent, transmission au procureur en cas d’infraction pénale et engagement d’une procédure de déconventionnement ? Avez-vous prévu de consolider certaines mesures spécifiques, afin de revoir les modalités des contrôles et de les renforcer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice de Marco, vous évoquez l’ensemble des événements récents concernant l’établissement Stanislas. Même si je n’étais pas en fonction à ce moment-là, je ne peux pas ignorer ce qui s’est passé.
En ce qui concerne ce collège, une enquête administrative a été diligentée, vous le savez, par l’inspection générale et les autorités, en raison des alertes données et des dysfonctionnements observés. Les conclusions de cette enquête ne constituent pas une mise en demeure, mais elles présentent un ensemble de recommandations extrêmement précises à suivre. Nous les suivons pas à pas. En l’occurrence, il me semble que nous avons exercé le contrôle que nous devions exercer.
Pour ce qui concerne la généralisation de ces contrôles, comme je le disais tout à l’heure, un effort considérable a été accompli. J’ai évoqué des recrutements de personnel, à hauteur de 60 ETP, ainsi que la transmission d’un vade-mecum aux inspecteurs, afin que le contrôle soit systématisé et effectué sur le fondement d’un ensemble de critères objectifs.
Vous avez également affirmé que la procédure était opaque. Je ne le pense pas. Ce que je viens de vous indiquer – les recrutements et l’établissement du vade-mecum – montre que ce n’est pas vrai.
Vous avez en outre évoqué les conséquences de ces procédures de contrôle : les rapports sont-ils publiés ? sont-ils transmis à la collectivité qui finance ou au procureur ? Outre le programme courant d’inspections, les inspections sont systématiquement diligentées en cas de signalement. Du reste, nous n’hésitons pas à appliquer l’article 40 du code de procédure pénale s’il y a des faits pénalement répréhensibles. Dans ce cadre, il y a transmission au procureur, si cela s’avère nécessaire.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre. Nous ne sommes donc absolument pas dans une optique d’entre-soi ou de refus de transparence. Tout au contraire, ce processus de contrôle mérite la plus grande transparence.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, ma question s’adresse à la ministre, mais également à l’ancienne professeure de droit public que vous êtes.
L’article 1er de la loi Debré éclaire la situation : « L’établissement sous régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner son enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. » Ces dispositions sont reprises à l’article L. 442-1 du code de l’éducation, selon lequel l’enseignement est dispensé « selon les règles et programmes de l’enseignement public ».
La difficulté d’ordre juridique et presque philosophique réside dans l’articulation entre les obligations de service public et cette notion de « caractère propre », qui n’est pas définie par la loi.
L’enseignement catholique, dans son statut de 2013, en a une définition extensive. Permettez-moi d’en citer l’article 30, selon lequel « l’école catholique […] constitue en elle-même une société ». Aux termes de son article 183, « la tutelle veille à ce que les projets éducatifs soient explicitement fondés sur l’Évangile ». Certains établissements confessionnels demandent même aux parents de signer une charte par laquelle ils acceptent que « le message de l’Église catholique soit présenté et promu comme chemin de croissance et de vérité auprès des élèves ».
La catéchèse est parfois complètement incluse dans le cursus et présentée comme comparable aux enseignements sur le fait religieux du programme national, qui sont fondamentalement critiques, au sens de la critique historique.
Ma question, peut-être un peu complexe, madame la ministre, est la suivante : comment pouvez-vous nous garantir que le « caractère propre » de ces établissements n’entre pas en conflit avec le respect de la laïcité et de la liberté de conscience des élèves et des enseignants ? Pouvez-vous nous donner l’assurance que l’État ne subventionne pas des tâches relevant du caractère propre de l’établissement, ce qui entrerait en totale contradiction avec le principe de la séparation des Églises et de l’État ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Pierre Ouzoulias, vous le savez, la liberté de l’enseignement est un principe à valeur constitutionnelle, qui fonde l’existence de l’enseignement privé.
Le caractère propre des établissements privés, notamment pour ceux qui revendiquent un caractère propre confessionnel, est bien reconnu par la loi. L’article L. 442-1 du code de l’éducation, que vous avez cité, y fait référence, en établissant que les établissements scolaires privés sous contrat, tout en conservant leur caractère propre, sont tenus de faire preuve d’une certaine neutralité et doivent respecter les programmes de l’éducation nationale et les valeurs de la République. Je le dis ici clairement, les valeurs de la République sont premières ; le caractère propre est un élément qui caractérise l’établissement, mais, au sein de celui-ci, les valeurs de la République sont premières.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Nicole Belloubet, ministre. Les écoles et les établissements scolaires privés sous contrat sont donc tenus de faire partager à leurs élèves les valeurs de la République, parmi lesquelles figure la laïcité, que les élèves de tous ces établissements doivent apprendre à respecter. Peuvent s’y ajouter des options autour de ce que le caractère propre d’établissement confessionnel peut porter.
La loi du 2 mars 2022, qui vise à combattre le harcèlement scolaire, a désormais inscrit à l’article L. 111-6 du code de l’éducation une obligation de moyens de lutte contre le harcèlement dans tous les établissements d’enseignement privé ; cela a à voir avec ce dont nous parlons. De manière très concrète, le double respect du caractère propre de l’établissement et des valeurs de la République conduit par exemple à ne pas imposer l’affichage de la charte de la laïcité dans les établissements privés sous contrat, puisque cela relève de la vie scolaire. Toutefois, les établissements doivent respecter, je le répète, les valeurs de la République ; c’est pour moi tout à fait essentiel.
En matière de signes d’appartenance religieuse, c’est le chef d’établissement et le règlement intérieur de l’établissement qui pourront être utilisés pour tolérer ou, au contraire, prohiber certains signes en fonction du caractère de l’établissement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Le lundi 16 octobre 2023, à 11 heures, j’avais un rendez-vous pris longtemps à l’avance dans un collège privé sous contrat de mon territoire. Or il se trouve que, ce jour-là, était prévu un hommage, à 14 heures, au professeur Dominique Bernard, disparu trois jours auparavant. Je me suis enquis auprès du personnel de cet établissement des conditions dans lesquelles cet hommage national serait rendu. On m’a répondu qu’il n’aurait pas lieu parce qu’il avait été remplacé par une prière le matin même. Je souhaite donc savoir si ce type d’initiatives prises de bonne foi, pour ainsi dire (Sourires sur les travées des groupes RDSE et SER.), est connu, courant, recensé et accepté.
Pour ma deuxième question, je souhaite revenir sur le financement par les communes des écoles privées installées sur leur territoire et sur la contribution par élève, fondée sur la moyenne des dépenses des élèves scolarisés dans le public. Lorsqu’une petite commune voit partir des élèves des classes de l’école publique vers l’établissement privé, pour des raisons qui peuvent ne pas dépendre d’elle – je pense par exemple à de l’absentéisme non remplacé, ce que les membres du Gouvernement peuvent comprendre –, la commune est immédiatement et mathématiquement pénalisée, puisque les charges sont alors divisées par un nombre moins important d’élèves. Or le coût du chauffage, qu’il y ait 20 élèves ou 25 élèves dans une classe, reste le même ! La commune subit donc une double peine : elle paie pour davantage d’élèves et, surtout, elle paie plus cher par élève. Ne pourrait-on pas réviser le mode de calcul, en se fondant sur le nombre de places proposées par l’école et non sur le nombre de places occupées ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Techniques, ces dernières questions…
M. Pierre Ouzoulias. Vous êtes au Sénat, madame la ministre ! (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. Absolument, je reconnais bien là la technicité des sénateurs et sénatrices !
En évoquant la façon dont un établissement privé a rendu hommage à Dominique Bernard, vous soulevez la question de ce qui relève du caractère propre d’un l’établissement. Le ministère a diffusé à l’ensemble des réseaux d’enseignement privé sous contrat des recommandations pour organiser un temps de recueillement et d’hommage à Dominique Bernard, comme dans les établissements publics. Toutefois, en vertu de leur caractère propre, les établissements privés sous contrat peuvent bien entendu s’exprimer librement sur tout ce qui ne relève pas du strict respect des programmes scolaires ou des valeurs de la République. Tel est le sens de la loi Debré. Par conséquent, ils ne pouvaient pas être juridiquement contraints d’organiser un hommage national à Dominique Bernard selon les modalités que nous précisions dans nos recommandations. Dans ce cadre, la prière ne pouvait pas avoir lieu sur les temps d’enseignement, car le contrat n’eût alors pas été respecté, elle ne pouvait être organisée que dans le cadre du caractère propre, donc optionnel, lié à l’enseignement religieux. Telle peut être la ligne de partage.
Les écoles et établissements scolaires, qu’ils soient publics ou privés, sont évidemment tenus de faire partager à l’ensemble de leurs élèves, je l’ai dit tout à l’heure, les valeurs de la République, dont la laïcité, que tous ces élèves doivent apprendre à respecter. Ils sont tenus de le faire dans le cadre des enseignements qu’ils doivent dispenser. Les établissements sont également dans l’obligation de veiller au respect de la liberté de conscience, ce qui signifie que cette prière ne pouvait être que facultative, l’instruction religieuse devant toujours rester facultative.