Mme Agnès Canayer et M. Olivier Rietmann. Eh oui !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est le signe qu’un consensus sur le principe s’est déjà dégagé au cours de ces derniers mois. Nous pouvons collectivement nous en féliciter.
Évoquons plus en détail le dispositif envisagé.
Le texte qui est soumis à vos suffrages, mesdames, messieurs les sénateurs, prévoit une protection in rem. Autrement dit, le bénéfice de la confidentialité se rattache non pas à la personne qui a rédigé le document, mais au document lui-même ; et cela change tout !
Cette proposition de loi ne crée donc pas une nouvelle profession réglementée, qui bénéficierait d’un secret professionnel attaché à son statut, à l’instar des avocats ou des médecins. C’est la consultation juridique elle-même, délivrée par un juriste d’entreprise à son employeur, qui est couverte par cette confidentialité.
Bien évidemment, cette confidentialité ne sera acquise que lorsque la consultation juridique remplira tous les critères requis par la loi ; ces critères sont au nombre de trois.
Tout d’abord, le rédacteur de la consultation devra remplir un critère de qualification et de formation ; ainsi s’assurera-t-on de son niveau de compétence et de son éthique professionnelle.
Ensuite, le destinataire de cette consultation ne pourra être que le représentant de l’entreprise, son organe de direction, d’administration ou de surveillance.
Enfin, une mention obligatoire devra être expressément apposée sur le document concerné, le rédacteur devra être identifié et le document fera l’objet d’un archivage spécifique dans les dossiers numériques de l’entreprise.
Je le dis et je le répète : aucun autre document de l’entreprise ne sera protégé par cette confidentialité.
De surcroît, vous avez fait le choix de retenir un champ d’application suffisamment large pour que la protection soit effective, à savoir les procédures civile, commerciale et administrative. Comme vous en aviez décidé à l’occasion du précédent vote, les procédures pénales et fiscales sont exclues du dispositif.
Cet équilibre, qui figurait déjà dans l’amendement déposé par le président Marseille lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, doit impérieusement être conservé si nous ne voulons pas vider le dispositif de sa substance.
En dépit de l’encadrement strict du dispositif, certaines voix s’élèvent pour faire part de leur crainte qu’une boîte noire ne soit créée au sein des entreprises. Je ne partage pas ce point de vue, qui fait peu de cas de la réalité du dispositif proposé et des nombreuses garanties procédurales qui l’accompagnent.
Votre commission a permis d’affiner les choses à cet égard, et je gage que les travaux parlementaires à venir parachèveront cet effort.
En l’état, le texte prévoit deux procédures relativement similaires de levée de la confidentialité, selon la matière concernée – litige civil ou commercial ou procédure administrative.
Dans tous les cas, lorsque la confidentialité d’un document est alléguée, le document est appréhendé en présence des parties par un officier public ministériel, le commissaire de justice, qui le place sous scellé. C’est ce dernier qui conserve le document dans l’attente de l’examen par le juge.
L’intervention d’un officier public ministériel dans le cadre de ces procédures est un ajout de la commission des lois.
Elle permet, tout d’abord, de préserver l’intégrité du document jusqu’à ce que le juge tranche la contestation, ce qui est un facteur de confiance pour les demandeurs à une mesure d’instruction ou pour les autorités administratives ayant conduit une opération de visite.
Elle permet, ensuite, de préserver la confidentialité du document, puisque, dans l’attente du jugement sur la contestation, le demandeur à une mesure d’instruction ou l’autorité administrative ayant conduit une opération de visite ne peut pas y avoir accès, ce qui est de nature à rassurer les entreprises.
Madame la rapporteure, c’est donc un texte d’équilibre que vous soumettez aujourd’hui à l’examen de la Haute Assemblée.
Permettez-moi de souligner la grande qualité de votre travail, sur un sujet que vous connaissez bien. Vos propositions nous permettent d’avancer dans la bonne direction : soyez-en chaleureusement remerciée !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Merci à vous, monsieur le garde des sceaux !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Par ailleurs, cette proposition de loi prévoit l’intervention du juge pour statuer sur la levée de la confidentialité dans les cas où les conditions légales ne sont pas réunies, ou lorsque la consultation appréhendée facilite ou incite à la commission de manquements.
Contrairement à ce que certains tentent de faire croire, le dispositif proposé n’ouvre aucun risque de « boîte noire » : précisément, il est assorti de procédures contradictoires et équilibrées de levée de la confidentialité.
Ce nouveau dispositif ne crée pas davantage une nouvelle profession du droit qui concurrencerait les avocats : au contraire, le renforcement de la fonction juridique au sein des entreprises confortera les partenariats existants entre les entreprises et leurs avocats. Les activités juridiques doivent en effet être appréhendées comme un vecteur de croissance économique.
En conséquence, l’adoption de cette proposition de loi aura pour effet de renforcer la filière juridique dans son ensemble. J’ai la conviction, au regard des modèles étrangers, que les avocats s’en trouveront renforcés.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le présent texte n’est pas pour autant une simple reproduction à l’identique du principe de confidentialité en vigueur chez certains de nos voisins. Il instaure un legal privilege, oui, mais à la française : c’est la french « touche », ou la french touch, si j’ose à cet instant m’exprimer ainsi ! (Sourires.)
Notre volonté est que les juristes d’entreprise, qui conseillent leur employeur au quotidien, notamment dans les nombreuses matières qui touchent à des obligations de conformité, puissent faire leur travail sans autocensure.
Notre volonté est qu’ils puissent exercer leurs fonctions en conseillant utilement et avec force leur employeur. En enclenchant un processus vertueux, dont on peut observer les effets dans d’autres États, on contribuera ainsi à l’attractivité économique et juridique de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Hervé Marseille applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la possibilité d’attribuer, sous certaines conditions, le bénéfice de la confidentialité des consultations juridiques aux juristes d’entreprise ; il s’agirait, ce faisant, de clore un débat vieux de trente ans.
Avant de vous exposer les raisons pour lesquelles les élus du groupe Union Centriste, que j’ai l’honneur de présider, voteront majoritairement en faveur de cette proposition de loi, je tiens à saluer le travail de notre rapporteure, Dominique Vérien, et de la commission des lois : celle-ci a acté l’octroi aux juristes d’une telle confidentialité tout en s’efforçant d’élaborer le dispositif juridique le plus approprié.
La commission a explicitement prévu que cette confidentialité ne serait pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale « ou » fiscale, et non pas pénale « et » fiscale, comme l’indiquait de manière réductrice le texte initial de cette proposition de loi.
Surtout, elle a veillé à ne pas créer une nouvelle profession réglementée, supprimant la notion de « déontologie », source de confusion avec les spécificités inhérentes à la profession d’avocat – la question a provoqué quelques remous, jusqu’au sein du Sénat.
J’y insiste, la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise n’est pas un sujet nouveau. Elle fait l’objet de débats depuis les années 1990.
À l’automne dernier, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, j’ai moi-même obtenu, par voie d’amendement, l’adoption d’un dispositif prévoyant l’octroi d’une telle confidentialité. Or cette mesure a été censurée par le Conseil constitutionnel, qui l’a jugée contraire à l’article 45 de la Constitution.
Dès le lendemain de cette décision, notre collègue Louis Vogel – je l’en remercie – a déposé la présente proposition de loi.
Mes remerciements vont aussi à tous les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires, qui ont consacré une partie de leur espace réservé à l’examen de ce texte, qui me semble non seulement important, mais nécessaire.
M. Pierre Jean Rochette. Très bien !
M. Hervé Marseille. Les juristes d’entreprise œuvrent à garantir la conformité des actes de leur employeur, alors que le droit a pris une place considérable dans la vie des entreprises, sous l’effet conjugué du surcroît de réglementation et de la judiciarisation de la vie des affaires. Reste que, en l’absence de toute forme de confidentialité des avis juridiques – telle est bien la situation qui prévaut actuellement –, ces juristes courent le risque d’auto-incriminer leur entreprise en cas de saisine ou d’obligation de remise à un tiers de leurs avis dans le cadre d’un litige en matière civile, commerciale ou administrative.
Les juristes d’entreprise peuvent, dès lors, contribuer à la mise en cause de leur employeur : il s’agit là d’une situation unique, aussi bien en Europe que parmi les pays de l’OCDE.
Aussi de plus en plus d’entreprises françaises établissent-elles leur direction juridique à l’étranger, notamment à Londres, en y déplaçant les emplois associés, ou décident-elles d’y transférer leurs dossiers les plus stratégiques.
D’autres sociétés, animées par les mêmes préoccupations, se résignent à ne pas recruter de juristes français. Alors font-elles le choix de se tourner vers des cabinets d’avocats anglo-saxons, contribuant ainsi à affaiblir l’attractivité de la France en général et de la place de Paris en particulier.
Enfin, lors d’investigations d’autorités étrangères ou en cas de litiges transnationaux, les juristes des entreprises étrangères bénéficient de la confidentialité de leurs avis juridiques ; mais les juristes des entreprises françaises, eux, doivent communiquer l’ensemble de la production issue de leur travail d’assistance juridique. Une véritable rupture de l’égalité des armes se trouve ainsi consommée.
Monsieur le garde des sceaux, pour toutes ces raisons, les élus de notre groupe voteront cette proposition de loi, en espérant que, le cas échéant, le Gouvernement permettra une poursuite rapide de la navette à l’Assemblée nationale. (M. le garde des sceaux acquiesce.)
Cela a été rappelé, les dispositions qui nous sont soumises aujourd’hui ont été votées par nos deux chambres, à l’automne dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice ; nous ne voyons pas ce qui pourrait s’opposer à ce qu’elles soient de nouveau adoptées par le Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – Mme Agnès Canayer applaudit également.)
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. « Cela revient à créer ce que l’on appelle le “coffre-fort juridique” » : c’est ce que déclarait Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, en s’opposant devant le Sénat à l’idée de soumettre les travaux des juristes d’entreprise à la confidentialité.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis…
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a précisément le même objectif : il s’agit, comme en 2015, de rendre confidentiels les documents rédigés par les juristes employés par une entreprise.
Chaque présentation, note ou rapport serait potentiellement placé sous le sceau de la confidentialité, et l’entreprise pourrait refuser de remettre ces documents à des tiers. Par exemple, elle ne serait désormais plus tenue de présenter ces travaux à une autorité publique lors d’un contrôle. À quelques exceptions près, elle ne serait même plus contrainte de les communiquer à l’autorité judiciaire.
Le présent texte créerait ainsi le fameux « coffre-fort juridique » – l’expression n’est pas de moi ! – dont Emmanuel Macron ne voulait pas en 2015.
Cette confidentialité fragiliserait non seulement le bon fonctionnement de notre système judiciaire, mais aussi celui de notre économie : par sa nature même, le coffre-fort juridique est un obstacle supplémentaire à la surveillance et au contrôle du secteur privé.
Les autorités publiques et les autorités de contrôle, comme l’Agence française anticorruption ou l’Autorité de la concurrence (ADLC), auraient dès lors beaucoup plus de mal à accomplir leurs missions.
Il en irait de même pour l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui est pourtant chargée d’une mission de la plus haute importance, puisqu’elle veille à la stabilité des marchés financiers. Depuis la crise économique et financière de 2008, et afin d’éviter qu’un tel épisode ne se reproduise – car nous sommes tous d’accord pour admettre qu’il faut à tout prix l’éviter -, ses compétences ont été renforcées.
Or la confidentialité pourrait mettre en péril les avancées ainsi obtenues : les opérateurs financiers deviendraient soudain beaucoup moins contrôlables.
Idem pour la lutte contre le blanchiment d’argent : nous disposons à ce jour de mécanismes plutôt solides pour lutter contre un tel type de fraude. Forte de ces outils, la France pourrait d’ailleurs être désignée, à la fin du mois, pays hôte de la future autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent. Or, derechef, la confidentialité rendrait notre économie plus opaque, réduisant à néant les avancées si difficilement acquises en ce domaine.
La droite sénatoriale est aveuglée par la promesse, purement hypothétique, selon laquelle une telle disposition améliorerait l’attractivité économique de la France. Pour l’heure, elle refuse malheureusement de voir que cette idée est dangereuse, car elle fragilise l’économie française ; elle ne veut pas admettre qu’il n’y a aucun rapport entre l’attractivité économique de notre pays et la confidentialité des travaux des juristes d’entreprise.
Mme Mélanie Vogel. Je m’interroge sur l’utilité même d’une telle confidentialité : si vous avez besoin d’un coffre-fort, c’est que vous avez quelque chose à cacher… (M. Laurent Burgoa proteste.)
M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission des lois. Le coffre-fort n’est pas là pour cacher, mais pour protéger…
Mme Mélanie Vogel. La confidentialité serait acceptable à la double condition qu’elle réponde à un intérêt commun et que des garde-fous soient mis en place.
Mais – je crois l’avoir démontré – la confidentialité ne relève pas de l’intérêt commun ; au contraire, elle risque plutôt de fragiliser notre économie.
Et ce texte ne prévoit aucun garde-fou sérieux !
Quelques mesures ont certes été ajoutées en commission, comme le rehaussement de la qualification minimale des juristes ; il n’empêche que ceux-ci restent des salariés. Par nature, ils sont attachés à leur entreprise par un lien de subordination qui exclut toute indépendance. Là réside la différence avec les avocates et avocats, qui ne peuvent bénéficier de la confidentialité que parce que leur indépendance est garantie. Tel est aussi le sens du serment qu’ils prêtent et que vous connaissez très bien, monsieur le garde des sceaux : « Je jure d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. »
À l’inverse, qui est lié par un contrat de travail ne saurait jouir d’une telle indépendance. En toute logique, les travaux dont il s’agit ne devraient donc pas bénéficier de la confidentialité.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires voteront contre ce texte.
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le monde des affaires…
M. Laurent Burgoa. Ah !
M. Ian Brossat. … essaie d’imposer, depuis plus de dix ans, le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui, qui instaure la confidentialité des documents produits par les juristes d’entreprise au bénéfice de leur employeur.
Pour le dire simplement, en cas de litige ou de conflit, pour négocier un contrat ou bénéficier d’un conseil, il arrive régulièrement que des entreprises, a fortiori celles dont la taille est importante, consultent leurs juristes.
Les documents produits dans ce cadre pouvaient jusqu’à présent être remis ou saisis à la demande des enquêteurs des autorités de contrôle, comme l’Autorité des marchés financiers ou l’Agence française anticorruption. Avec le présent texte, ce ne sera plus possible.
Dès lors que les documents porteront la mention « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise », les enquêteurs devront adresser une demande au juge des libertés et de la détention (JLD) pour les consulter ; les contrôles s’en trouveront nécessairement alourdis.
Les avis de juristes sont pourtant des mines d’informations là où il s’agit de dénicher les abus et les atteintes aux droits des consommateurs et des citoyens.
Disons-le clairement : cette proposition de loi vise à protéger outrancièrement le secret des grandes entreprises. De l’aveu même d’Emmanuel Macron – Mélanie Vogel le rappelait à l’instant –, qui s’opposait à cette mesure lorsqu’il était ministre de l’économie, ce dispositif ouvre un risque de « boîte noire dans les entreprises ». Celles-ci pourraient désormais estampiller « confidentiel » des documents non juridiques en y ajoutant artificiellement quelques éléments de droit, dans la seule intention de les soustraire à la saisine d’une autorité de contrôle.
Il est évident, à cet égard, que le lobbying mené en la matière par certaines entreprises n’est malheureusement pas dénué d’arrière-pensées malsaines. Or notre rôle est d’œuvrer pour l’intérêt général.
Si les consultations des avocats sont couvertes par la confidentialité, c’est parce qu’elles s’inscrivent dans le système équilibré qui régit l’exercice de cette profession réglementée, soumise à de strictes règles déontologiques, à des exigences éthiques et à des obligations de formation.
Au contraire de l’avocat, le juriste d’entreprise n’est pas indépendant : il est subordonné à la société pour laquelle il réalise la consultation.
La protection des avis qu’il rend peut transformer le juriste d’entreprise en complice de malversations ou, à l’inverse, en victime d’une hiérarchie mal intentionnée.
Si le législateur a voulu protéger l’intérêt général par la loi Sapin 2, imposant une protection des lanceurs d’alerte, la présente proposition de loi met désormais ceux-ci en danger : soumis à la confidentialité, les lanceurs d’alerte ne pourront plus librement révéler les graves manquements dont ils sont témoins. Je pense par exemple à la juriste Houria Aouimeur, qui a dénoncé en 2019 des détournements de fonds de très grande ampleur au sein de l’Agence de garantie des salaires (AGS). Si le présent texte avait été en vigueur à l’époque, elle n’aurait sans doute pas pu le faire.
Enfin, cette proposition de loi sera source de nombreux contentieux, alors que les magistrats sont déjà surchargés et que rien n’est fait pour pallier cette carence.
Mes chers collègues, afin de préserver l’intérêt général et de faire face aux assauts des multinationales, nous voterons contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Mélanie Vogel et M. Francis Szpiner applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il reste difficile, pour les non-spécialistes, de mesurer pleinement la portée juridique et économique des dispositions contenues dans cette proposition de loi.
À la différence des avocats, des notaires, des experts-comptables, des commissaires de justice ou encore des architectes, les juristes d’entreprise ne constituent pas une profession réglementée. Ils sont des salariés, généralement titulaires d’un diplôme de droit, chargés d’apporter des solutions juridiques aux projets de leur employeur et, plus largement, de veiller à la conformité des activités de l’entreprise avec l’environnement juridique dans lequel elle évolue.
Les compétences de ces professionnels varient sensiblement en fonction du secteur d’activité de l’entreprise : droit des affaires, le plus souvent, mais aussi droit social, droit fiscal, droit de la propriété intellectuelle, droit de la construction, etc.
L’essor de la responsabilité sociale et environnementale, ainsi que l’importance croissante des enjeux liés à la protection des données, ou encore le devoir de vigilance des donneurs d’ordre, tendent à conférer aux juristes salariés d’entreprise un rôle de plus en plus grand dans les procédures de mise en conformité.
Leur activité s’exerce de surcroît dans un contexte de concurrence entre systèmes juridiques nationaux et dans un domaine où les pays de tradition de common law ont souvent une longueur d’avance.
Concrètement, le présent texte modifie la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Il introduit dans notre droit un principe de confidentialité attaché aux avis internes émis par les juristes salariés en matière civile, commerciale et administrative.
L’auteur de cette proposition de loi l’a souligné, ladite confidentialité s’attache aux avis et non aux personnes. Elle n’est donc pas de même nature que le secret dont bénéficient les avocats dans leurs échanges avec leurs clients, secret lié à la protection des droits de la défense.
Les consultations visées par la proposition de loi devront ainsi comporter la mention expresse « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise ». L’usage abusif de cette mention sera puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Il est nécessaire, me semble-t-il, de prévoir de telles garanties afin de prévenir d’éventuels abus auxquels pourrait donner lieu la nouvelle protection ainsi accordée aux consultations juridiques.
Par ailleurs, la confidentialité ne pourra être invoquée en matière pénale ou fiscale.
Lors de l’examen des articles, le groupe du RDSE présentera un amendement visant à préserver expressément les prérogatives des autorités de régulation – Autorité des marchés financiers, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et Autorité de la concurrence – dans l’exercice de leurs pouvoirs d’enquête, de contrôle et de sanction. En effet, la rédaction actuelle protège insuffisamment ces pouvoirs ; et lesdits régulateurs s’en sont inquiétés.
Enfin, la commission des lois a resserré les conditions d’accès à la confidentialité, en particulier les conditions de diplôme, tout en précisant la procédure de levée de la confidentialité. Il a été convenu de ne définir ici ni la consultation juridique en tant que telle ni la notion de déontologie, afin de ne pas tendre à créer une nouvelle profession réglementée.
Sur la base de ces différentes observations, les membres du groupe RDSE se prononceront plutôt en faveur de cette proposition de loi, sous réserve de l’adoption des modifications que je viens d’indiquer. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte vise à clore un débat qui resurgit régulièrement dans l’actualité législative depuis trente ans. Pour cette raison, il mérite non seulement notre attention, mais aussi notre approbation.
La loi du 31 décembre 1971 octroie aux juristes d’entreprise le droit de rédiger des consultations juridiques à destination de l’entreprise qui les emploie. Mais, plus de cinquante ans après son adoption, la France reste « un des rares pays à ne pas protéger du tout la confidentialité des avis juridiques émis par des juristes en entreprise » : c’est ce qu’indiquait, dans son rapport du 26 juin 2019, notre ancien collègue député Raphaël Gauvain.
L’année dernière, dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, nous avons voté un dispositif conférant le bénéfice de la confidentialité aux consultations juridiques des juristes d’entreprise. Censurée par le Conseil constitutionnel, cette mesure est reprise et précisée par le présent texte, qui nous rapproche du legal privilege des pays de common law.
L’attribution d’un privilège de confidentialité aux consultations juridiques des juristes d’entreprise répond à une vulnérabilité française.
Nos entreprises sont en effet la cible de procédures administratives et judiciaires extraterritoriales. Leurs services juridiques sont bien moins protégés que ceux des entreprises étrangères, ce qui conduit parfois les entreprises ou les groupes français à délocaliser leurs services juridiques ou à se tourner vers des avocats anglo-saxons dans le but de bénéficier de la protection des avis juridiques, qui fait défaut dans notre pays.
En instaurant la confidentialité des consultations juridiques, nous mettons ces entreprises à égalité avec leurs concurrentes étrangères. Nous leur offrons une protection indispensable pour qu’elles puissent s’épanouir sur la scène internationale. Il y a là un enjeu considérable dans le contexte que nous connaissons, marqué par un effort de réindustrialisation de notre pays et de renforcement de notre souveraineté économique.
Adopter ce texte reviendrait à opérer une avancée significative vers la protection des entreprises françaises sans tomber dans les travers du legal privilege anglo-saxon.
Mes chers collègues, il est important de le souligner, il ne s’agit nullement ici de laisser aux entreprises un pouvoir discrétionnaire sur la confidentialité de leurs documents.
Tout d’abord, la confidentialité ne s’appliquerait que dans les matières civile, commerciale et administrative. Ce texte l’exclut en effet pour les procédures pénales et fiscales.
Ensuite, si les entreprises peuvent décider elles-mêmes de lever ou de maintenir la confidentialité de certains documents, le juge a toujours la faculté d’ordonner la levée de cette confidentialité par la saisie des documents mis en cause.
Par ailleurs, l’apposition d’une mention les identifiant comme confidentiels sur des documents ne relevant pas du travail de consultation juridique du juriste d’entreprise peut faire l’objet de poursuites pénales. Ce garde-fou supplémentaire permettra d’éviter un détournement du dispositif par des entreprises qui souhaiteraient dissimuler certains documents en y apposant frauduleusement un cachet « confidentiel ».
Malgré tous les avantages que présente cette proposition de loi, je sais que les représentants de la profession d’avocat sont divisés sur ce sujet.
Les inquiétudes exprimées à cet égard sont légitimes ; certains de mes collègues s’en sont d’ailleurs fait l’écho.
Je tiens à rassurer celles et ceux qui craignent de voir leur statut ou leur travail dévalorisé par ce texte.
Le principe de confidentialité ne bénéficiera qu’aux consultations juridiques délivrées par les juristes d’entreprise titulaires d’un master en droit ou d’une des qualifications équivalentes mentionnées à l’article 2.
J’ajoute qu’il ne s’agit pas de créer une nouvelle profession réglementée ou un statut d’avocat en entreprise ; il s’agit simplement de couvrir par le secret les consultations des juristes d’entreprise.
Les avocats sont soumis à des exigences déontologiques très contraignantes ; c’est l’une des nombreuses distinctions qui les séparent des juristes d’entreprise, et nous entendons garder cette dichotomie intacte.
Mes chers collègues, cette proposition de loi répond à un besoin majeur, pour nos entreprises comme pour notre système juridique. Voilà pourquoi les membres du groupe RDPI voteront, pour l’essentiel, en faveur du présent texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)