Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Pierre, à Toulon, une femme, dite Nana, à Marseille, une femme, 34 ans, à La Rochelle, Cédric Roué, 43 ans, au Grau-du-Roi, Didier, 52 ans, ainsi qu’un bébé de 4 mois, à Paris, Elton, 44 ans, à Rosselange… Ces noms sont ceux de quelques personnes sans abri qui ont perdu la vie lors de la dernière vague de froid. La liste ne fait que s’allonger ; plus de 40 victimes sont dénombrées depuis le 1er janvier. Elles ne constituent qu’une part d’un alarmant tableau.
Certains pourraient souligner que ces réalités humainement dramatiques ne sont pas nouvelles en rappelant l’appel de l’abbé Pierre sur les ondes de Radio Luxembourg, il y a tout juste soixante-dix ans. Néanmoins, le sans-abrisme a pris une ampleur inquiétante au cours de la dernière décennie. Le phénomène n’a fait que s’amplifier au cours des derniers mois et des dernières semaines. Selon la Fondation Abbé Pierre, notre pays compte désormais 330 000 personnes sans domicile. Elles étaient 143 000 en 2012, soit un doublement de leur nombre en dix ans et un triplement par rapport à 2001.
Une question se pose à nous : comment en sommes-nous arrivés là ? Pour expliquer une évolution aussi inquiétante, nous nous devons de poser le constat suivant : il y a eu ces dernières années, singulièrement depuis sept ans, une forme d’aveuglement sur cette question.
Je n’ai pas besoin de rappeler les propos en 2018 du secrétaire d’État chargé du logement, Julien Denormandie, sur la « cinquantaine » de personnes sans abri en Île-de-France, Rémi Féraud l’ayant fait lors de son intervention. Je n’ai sans doute pas non plus besoin d’évoquer les mots du député de Paris Sylvain Maillard, alors simple membre de la majorité présidentielle et désormais président du groupe, qui expliquait que les sans-abri l’étaient par choix. Ce sont des propos qui ont été tenus en public. Ils disent l’ampleur de l’aveuglement et du déni.
Comme l’a rappelé à l’instant ma collègue Anne Souyris, souvenons-nous des débats lors de la discussion de la loi de finances : certains proposaient 6 000, d’autres 10 000 places d’hébergement supplémentaires. Le ministre de l’époque, Patrice Vergriete, nous avait assuré que ces dernières n’étaient pas nécessaires pour mieux accorder, quelques semaines plus tard, des crédits supplémentaires à l’hébergement d’urgence.
Il existe donc bien une forme de déni et il est nécessaire d’y remédier.
C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi nous paraît si juste et si nécessaire. En effet, ce décompte, qui existe d’ores et déjà à Paris et dans d’autres collectivités, nous permettra de prendre en compte une telle réalité. Nous pourrons voir, territoire par territoire, les besoins en matière d’hébergement d’urgence.
Sur cette base, l’État, dans un domaine qui relève de sa compétence, pourra mettre en place les moyens nécessaires, afin qu’on n’entende plus jamais un ministre nous expliquer que l’Île-de-France compte 50 sans-abri ou bien que ces derniers le sont par choix !
Ainsi, les collectivités locales et l’État, ensemble, pourront mettre en place les moyens nécessaires pour faire cesser le scandale de centaines de milliers de personnes sans abri ou sans domicile fixe, alors même que nous sommes la septième puissance économique du monde. Nous voterons évidemment cette proposition de loi de Rémi Féraud et du groupe socialiste, que nous remercions de cette excellente initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Grosvalet.
M. Philippe Grosvalet. « Monsieur le ministre, le petit bébé de la cité des Coquelicots, à Neuilly-Plaisance, mort de froid dans la nuit du 3 au 4 janvier, pendant le discours où vous refusiez les “cités d’urgence”, c’est à 14 heures, jeudi 7 janvier, qu’on va l’enterrer. Pensez à lui. »
C’est en ces termes que l’abbé Pierre interpellait le ministre Maurice Lemaire, au matin du 5 janvier 1954. « Gouverner, c’est d’abord loger son peuple », nous a-t-il enseigné.
Sans doute cet impératif a-t-il guidé les premiers pas du Président de la République en 2017, quand il déclarait de façon quasi militaire que « la première bataille, c’est de loger tout le monde dignement ». Il s’était engagé à ce qu’il n’y ait plus d’« hommes et de femmes dans la rue ». Sept ans plus tard, cette « première bataille » s’apparente déjà à une véritable Bérézina. Et, au vu de l’ampleur du drame, il y a fort à craindre que ce soit la guerre contre ce terrible fléau que le Président de la République ait déjà perdue.
Cela a été dit, il y a en France, selon la Fondation Abbé Pierre, 330 000 personnes sans abri, et ce chiffre a doublé en dix ans. Derrière ce constat affolant, vous l’avez dit, monsieur le ministre, ce sont des hommes, des femmes, parfois des enfants, avec une identité et une histoire : Sofia, qui s’est retrouvée à la rue à la suite de la perte de son emploi, sans pouvoir se tourner vers sa famille ; le petit Quentin, qui est scolarisé, mais fait ses devoirs dans les cages d’escalier, et suit sa mère aux urgences le soir pour y passer la nuit ; Irina, une femme courageuse, qui souhaite trouver du travail, mais n’y parvient pas faute de disposer d’un toit.
À ces quotidiens brisés et sans issue s’ajoute la réalité sanitaire de ces situations. La rue siphonne l’espérance de vie de ceux qui y vivent : elle est de 50 ans en moyenne pour un homme et de 46 ans pour une femme. La rue tue. Des centaines de personnes meurent chaque année dans nos rues. En 2022, elles ont été au nombre de 624.
Il ne faut pas aller bien loin pour se rendre compte de ces drames. À quelques pas de ce palais de la République, dans les pôles urbains comme dans les territoires ruraux, ces drames humains s’inscrivent dans le paysage de nos villes et même de nos villages, avec ce paradoxe terrible : les personnes dans la rue deviennent invisibles à mesure que leur nombre grossit.
Si la puissance publique n’apporte toujours pas de solution à la hauteur du problème, nous souhaitons saluer le travail formidable des associations et des ONG. Elles prennent le temps, accompagnent, comblent les lacunes de nos politiques publiques, et nous rappellent justement à notre devoir de fraternité.
Ces individus qui vivent dans une souffrance permanente, aussi bien physique que psychique, sont le reflet de notre échec commun à garantir dans notre pays le strict minimum, à savoir la dignité par le logement.
Cette proposition de loi, bien qu’elle mentionne dans son titre le terme « décompter », qui ne me paraît pas approprié lorsque l’on parle de personnes – et je le déplore –, recevra le soutien du RDSE.
Recenser les personnes sans abri doit participer à inscrire dans tous les esprits l’urgence des situations, leur caractère inacceptable et profondément indigne. Disposer de données régulièrement actualisées permettra de suivre les évolutions au plus près, de maintenir une vigilance forte et de conserver au cœur du débat public un sujet qui doit nous toucher dans notre humanité.
La remise d’un rapport annuel au Parlement viendra également renforcer la place que doit occuper dans nos débats parlementaires le sujet des sans-abri.
Monsieur le ministre, jamais je n’aurais imaginé un jour soutenir à cette tribune une proposition de loi visant à décompter les sans-abri…
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Grosvalet. Il est grand temps que, dans notre pays, chacun ait, pour la nuit, un toit au-dessus de sa tête. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier, comme l’ont fait l’ensemble des collègues qui se sont exprimés à cette tribune, l’auteur de cette proposition de loi, Rémi Féraud, ainsi que ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de cette initiative, qui va dans le sens de la solidarité, même si, techniquement, le décompte envisagé n’est pas simple à réaliser.
Les grandes villes, comme Paris, sont vraiment en première ligne. Toutefois, il convient de n’oublier personne. Tous les territoires sont aujourd’hui concernés, y compris le département que je représente, les Ardennes, qui compte 280 000 habitants, mais ne possède pas de très grande ville. N’oublions pas la ruralité dans le cadre de ces problématiques sociales !
Je remercie également nos collègues de la commission des affaires sociales et Mme la rapporteure, qui ont travaillé sur ce sujet. Rémi Féraud a fait référence à l’histoire, avec l’appel de l’abbé Pierre. Je reprends à mon compte l’expression « mobiliser tous les acteurs », car c’est, selon moi, essentiel.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé le rôle important de l’État, avec 317 000 places d’hébergement d’urgence. Le plan Grand froid fait partie des compétences de l’État.
Je me tourne également vers mes collègues de la commission des finances et vers les deux rapporteurs spéciaux, Arnaud Bazin et Éric Bocquet, de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui représente plusieurs milliards d’euros. Si l’aspect financier existe, l’aspect humain doit primer, comme cela a été rappelé par toutes et tous, dans le cadre d’une véritable solidarité.
Je rappelle également le travail mené par la délégation aux droits des femmes, dont plusieurs membres sont présents ce soir dans cet hémicycle. Il convient en effet de protéger et d’aider les femmes victimes de violences. L’État, les collectivités territoriales, les communes, les associations et les bénévoles ont un rôle très important à jouer.
Je soutiendrai bien entendu la position de la commission. Je remercie chacun d’entre vous de son engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune
Article 1er
Chaque commune collecte et transmet annuellement au représentant de l’État dans le département les données relatives au nombre de personnes sans abri sur son territoire.
Les communes de plus de 100 000 habitants procèdent une fois par an, de nuit et dans des conditions précisées par décret, pris après avis du conseil mentionné à l’article L. 143-1 du code de l’action sociale et des familles, au décompte des personnes sans abri sur leur territoire, auquel participent des travailleurs sociaux et des bénévoles. Ce décompte contribue à l’élaboration par les services départementaux de l’État d’un diagnostic territorial permettant d’évaluer les moyens à mettre en œuvre en matière d’hébergement d’urgence et d’accompagnement social.
Les services de l’État chargés de la politique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme centralisent les données mentionnées au premier alinéa et coordonnent les décomptes mentionnés au deuxième alinéa.
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Supprimer cet alinéa.
II. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les services de l’État chargés de la politique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme coordonnent les décomptes mentionnés au premier alinéa. Chacune des communes visées au premier alinéa transmet au représentant de l’État dans le département les données collectées relatives au nombre de personnes sans abri sur son territoire.
III. – Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. Cet amendement, très simple, vise à supprimer le premier alinéa de l’article, dans la continuité de la philosophie que je viens de présenter.
L’état actuel du texte donne le sentiment que le dispositif vaut pour toutes les communes, y compris pour celles de moins de 100 000 habitants. En outre, on observe un décalage concernant l’harmonisation des décomptes, ce qui me semble aller à l’encontre de ce qui est proposé.
Je le répète, aujourd’hui, une quarantaine de communes seulement pratiquent un tel décompte dans notre pays. Certaines communes de plus de 200 000 ou 300 000 habitants n’ont jamais organisé de nuit de la solidarité. Autant il est nécessaire de la systématiser dans les communes de plus de 100 000 habitants, autant il me paraît excessif d’instaurer un autre mode de calcul pour les communes de moins de 100 000 habitants.
Par ailleurs, le message envoyé va bien au-delà des quelques chiffres qui seraient remontés par le biais d’un tel dispositif.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. La commission a examiné ce matin l’amendement déposé par le Gouvernement.
Tout d’abord, elle remercie le Gouvernement de se préoccuper des charges des communes et de leur capacité à faire ce que la loi préconise. Elle espère que le Gouvernement continuera de se préoccuper de la vie des communes, comme il le fait déjà.
Toutefois, il se trouve, monsieur le ministre, que nous nous sommes préoccupés de la vie des communes dans le cadre de l’élaboration de cette proposition de loi. En particulier, nous avons adopté en commission un amendement visant à créer deux systèmes parallèles. Le premier tend à stimuler la solidarité pour les villes de plus de 100 000 habitants. Le second vise à instaurer, pour les communes de moins de 100 000 habitants, un recensement. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Il faut avoir confiance dans la capacité des uns et des autres à se saisir d’un tel dispositif !
Selon nous, l’adoption de l’amendement du Gouvernement n’enverrait pas un bon message aux communes de moins de 100 000 habitants et aux communes rurales. Nombre de collègues sont intervenus cet après-midi pour rappeler que le sans-abrisme est désormais un sujet qui s’inscrit dans la ruralité, les villes moyennes et les chefs-lieux de canton.
À mon sens, indiquer que nous nous préoccupons simplement de ce qui se passe dans les villes de plus de 100 000 habitants n’est pas un bon message envoyé aux communes plus petites. Ces dernières ont également besoin d’être entraînées dans une dynamique nationale de comptage. Surtout, elles ont besoin qu’on leur dise que les chiffres qu’elles feront remonter seront pris en compte. À partir de ces décomptes, elles pourront introduire un dialogue avec les représentants de l’État et le préfet, afin de mettre en place des solutions ou des préventions.
Ainsi la commission considère-t-elle qu’elle a d’ores et déjà pris en compte la différence entre les tailles des communes, en adoptant un amendement en commission.
Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteure.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. J’avais oublié, madame la présidente, que le rapporteur est également limité dans ses prises de parole ! Seul le ministre peut parler autant qu’il le veut !
Permettez-moi un dernier mot, madame la présidente, ce qui me permettra d’aller plus vite sur les amendements suivants.
Les communes moyennes demanderont tout simplement à la police municipale, à la gendarmerie et au CCAS, combien de SDF se trouvent sur leur territoire. Il s’agit donc uniquement de faire remonter les chiffres !
Par conséquent, la commission est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour explication de vote.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Je voterai ces amendements du Gouvernement, ce qui est tout de même assez rare de ma part. J’estime en effet qu’il s’agit d’amendements de bon sens.
Tout d’abord, on n’est pas obligé de tout écrire dans la loi et de tout transformer en contrainte.
Ensuite, s’il existe un vrai sujet, complexe, pour les villes de plus de 100 000 habitants, nécessitant un décompte précis, il convient de laisser les communes moins importantes faire ce qu’elles savent faire, sans les y contraindre par la loi.
Je suis donc tout à fait favorable à ces amendements du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour explication de vote.
Mme Catherine Di Folco. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette proposition. Finalement, il vous sera resté, de votre passage sur les travées du Sénat, ce bon sens sénatorial, grâce auquel nous évitons de créer de nouvelles contraintes pour les communes, notamment les plus petites d’entre elles.
Je voterai également cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.
Mme Nadia Sollogoub. Je ne voudrais pas être redondante. Simplement, même si je veux saluer le travail de fond mené par Mme la rapporteure, je voterai le premier amendement du Gouvernement. Certes, les communes de petite taille peuvent faire remonter leurs données, si elles en disposent. Une périodicité de cinq ans est déjà prévue par la loi. En la ramenant à un an, on créerait une nouvelle obligation, qui leur semblera lourde.
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.
M. Rémi Féraud. J’apprécie la position ouverte de M. le ministre sur notre proposition de loi, à condition de ne pas trop dénaturer le texte.
D’ores et déjà, la commission a fait évoluer la proposition de loi que nous avions déposée. J’estime que le compromis trouvé par la commission est un bon compromis. Ainsi, une nuit de la solidarité serait organisée, comme c’est en partie le cas aujourd’hui, dans les villes de plus de 100 000 habitants, soit une quarantaine de communes sur le territoire métropolitain. Parallèlement, les autres communes disposeraient d’une plus grande marge de manœuvre en matière de décompte. Par exemple, dans une toute petite commune, le maire connaît le nombre de personnes qui sont à la rue, et un décompte n’est donc pas nécessaire.
Je le rappelle, dans les communes moyennes, le sans-abrisme se développe. Or la proposition de loi telle que la commission l’a modifiée n’oblige absolument pas à organiser une nuit de la solidarité. Elle ne l’interdit pas non plus. Cette version me paraît donc apporter la plus grande garantie de souplesse, tout en respectant l’esprit du texte. J’espère donc que nous pourrons en rester au compromis trouvé par la commission des affaires sociales.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour explication de vote.
Mme Corinne Bourcier. Le groupe Les Indépendants est favorable à cet amendement de bon sens. Les communes pourront s’emparer de ces décomptes, sans que ceux-ci soient explicitement prévus dans la loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous sommes bien évidemment d’accord avec la position que vient de défendre Rémi Féraud.
Pour ma part, je ne pense pas que le dispositif dont il est question créerait des contraintes supplémentaires dans les communes. En effet, dans ces dernières, notamment dans les plus petites d’entre elles, nous connaissons généralement ceux et celles qui sont recensés comme sans-abri, parce qu’ils sont généralement inscrits dans les CCAS, pour pouvoir bénéficier des aides.
Monsieur le ministre, je ne comprends pas votre amendement, qui vise à introduire un seuil de 100 000 habitants. J’habite le Pas-de-Calais, qui comprend la ville de Calais et ses 80 000 habitants, la ville de Coquelles et la ville de Sangatte. Vous le savez, les sans-abri y sont très nombreux, très nombreux. Or ils ne seraient pas concernés par le dispositif que vous proposez !
Je suis donc en désaccord avec cet amendement, qui, à mes yeux, n’a pas de sens.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour explication de vote.
Mme Annie Le Houerou. Je pense également que ces amendements du Gouvernement altèrent la nature du texte initial. En effet, son objet est d’évaluer au plus près les besoins non seulement dans les villes, mais aussi en milieu rural.
Dans la mesure où ce phénomène se développe, il est important, à mes yeux, de faire remonter les décomptes. C’est vrai, dans les petites villes, les personnes sont connues et il est facile de les compter. L’important, c’est de faire remonter les informations, afin de prévenir et d’obtenir des moyens, en lien avec les communes et les services de l’État, pour répondre aux difficultés et éviter que le sans-abrisme ne perdure.
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Pour ma part, je suivrai l’avis de la commission.
En effet, tous les CCAS de France, qu’il s’agisse d’une commune de 100 habitants, 10 000 habitants ou 100 000 habitants, ont une obligation d’observation des personnes fragiles et vulnérables…
Mme Nadia Sollogoub. Tous les cinq ans !
Mme Élisabeth Doineau. Oui, tous les cinq ans !
Ils doivent réfléchir à la façon dont ils peuvent aider et accompagner ces personnes. Je ne vois donc pas en quoi cette proposition de loi ajoute une contrainte, dans la mesure où il s’agit d’ores et déjà d’une obligation. En réalité, il s’agit simplement de préciser dans la loi ce qui devrait être fait au quotidien.
Il me paraît dommage d’opposer les communes entre elles ! Il est nécessaire de faire un décompte le plus exhaustif possible, dans le cadre d’un véritable observatoire, pour apporter des réponses aux personnes sans abri, qu’elles soient en milieu rural ou en milieu urbain.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.
M. Laurent Burgoa. Ce matin, en commission des affaires sociales, je me suis abstenu sur cet amendement, qui nous est arrivé un peu tardivement, monsieur le ministre, ce que l’on ne peut que vous pardonner dans le cadre d’un remaniement ministériel – je n’oublie pas non plus que votre ministère est plus important qu’auparavant.
Au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, nous répétons, les uns et les autres, que les contraintes pesant sur les collectivités territoriales doivent se desserrer.
Par ailleurs, le Président de la République affirme, ce qui pourrait aller dans le bon sens, qu’il faut de plus en plus de simplification.
Dans ce contexte, est-il opportun d’imposer une contrainte supplémentaire aux communes de moins de 100 000 habitants ?
En effet, je le rappelle, les communes de plus de 100 000 habitants disposent d’un personnel important, alors que les communes rurales n’ont parfois à leur disposition qu’un secrétaire de mairie, qui reçoit 200 mails par jour. Si on lui demande en plus de compter les sans-abri, il va craquer !
Personnellement, pour une fois, je voterai votre amendement, monsieur le ministre.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour explication de vote.
M. Philippe Grosvalet. Qui peut imaginer qu’aller recenser des personnes à la rue dans toutes les communes de France soit une contrainte pour les maires et les élus locaux ?
Dans ma ville de 70 000 habitants, j’étais, un soir, avec le maire. Nous avons essayé de trouver, l’un et l’autre, une solution pour un jeune individu que nous avions trouvé à la rue. Nous n’en avons pas trouvé ! Le maire me disait que jamais, dans une ville qui connaît le plein emploi, il n’y avait eu autant de soucis de logement, pour les travailleurs, mais aussi pour les personnes à la rue. Pour sa part, il n’était pas en mesure de chiffrer le phénomène.
M. Laurent Burgoa. Je parlais de la ruralité !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. Dans la foulée de ce qu’ont dit nos collègues Élisabeth Doineau et Philippe Grosvalet, je veux redire que le dispositif prévu ne constitue pas une contrainte.
En effet, les CCAS font déjà ce travail. Dans chaque commune, on connaît à peu près le nombre de sans-abri dont il faut s’occuper.
Bien au contraire, il s’agit non pas d’une contrainte, mais d’une reconnaissance d’un phénomène qui se développe partout, y compris en milieu rural. En l’officialisant, nous prenons le problème à bras-le-corps et reconnaissons qu’il s’agit d’un problème non pas simplement urbain, mais de toutes les communes.
Je suis dans une commune de 7 000 habitants, où l’on connaît très bien le nombre de sans-abri. Nous demandons simplement la prise en compte de ce phénomène.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée, pour explication de vote.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Je voterai le texte de la commission. Au moins, les travaux parlementaires seront très clairs sur un point : il ne s’agit pas d’exiger des petites et des moyennes communes qu’elles se transforment en succursales de l’Insee, en effectuant un travail scientifique de collecte !
Cela a été dit à plusieurs reprises, le fait que, chaque année, un chiffre soit publié au niveau national participera d’une prise de conscience, salutaire dans la période que nous traversons. Si nous avons chaque année un débat aussi approfondi sur le logement, y compris les années où il n’y a pas une crise du logement aussi marquée qu’aujourd’hui, c’est grâce à la publication annuelle du rapport de la Fondation Abbé Pierre.
Le même type d’événement sur le sans-abrisme me paraît salutaire. Je le répète, il n’est pas dans l’esprit de la commission de demander aux petites et aux moyennes communes de se transformer en succursales de l’Insee.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Monsieur le ministre, j’ai un peu de mal à comprendre votre amendement, quand bien même il irait dans le sens d’une plus grande facilité.
Rappelons-le, en France, seulement 40 communes, sur 34 816 communes, comptent plus de 100 000 habitants. Ces 40 communes représentent à peu près 9 millions de personnes. (M. le ministre manifeste son désaccord.)
En l’espèce, au vu des enjeux qui sont ceux du sans-abrisme, avec des typologies différentes selon les territoires, on ne peut pas faire comme si cet échantillonnage de 9 millions de personnes était suffisant.
Par ailleurs, je ne crois pas que la contrainte soit aussi forte que vous le dites sur les communes les moins peuplées. En outre, même dans les communes intermédiaires, et sans qu’il soit nécessaire, comme l’a répété mon collègue Rémi Féraud, d’organiser des Nuits de la solidarité, l’Insee produit déjà des aides – je peux vous en parler en tant que président de la Commission nationale d’évaluation du recensement de la population (Cnerp) – pour faciliter ces repérages, en proposant des méthodologies.
Nous devons nous inscrire dans la perspective d’une exhaustivité permettant de mesurer l’ampleur du phénomène. Or votre amendement, monsieur le ministre, revient sur le cœur de la proposition de loi, en voulant trop la simplifier.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Parfois on croit bien faire – j’imagine que tel est le souci du Gouvernement – et on ne fait pas forcément bien.
Si cet amendement était adopté, quel serait le message envoyé au pays et aux communes de moins de 100 000 habitants ? Selon moi, le message serait le suivant : le sans-abrisme est un sujet qui concerne les villes de plus de 100 000 habitants.
Mme Laurence Harribey. Exactement !
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Or les élus des communes moyennes et même des zones rurales rencontrent aujourd’hui un problème auquel ils n’étaient pas forcément habitués, et face auquel ils sont seuls.
En effet, tous ceux qui travaillent sur le sans-abrisme et veulent aider les autres traversent toujours, à un moment donné, un grand moment de solitude. Je crains que l’adoption de cet amendement ne renforce la solitude des petites communes et des communes moyennes sur ce sujet.