M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, vous avez tout à fait raison d’évoquer la question des patous : plus de 6 500 chiens protègent les troupeaux.
On ne s’en est pas aperçu au début, mais cette situation commence à créer des tensions très fortes entre randonneurs et éleveurs, mais aussi entre ces derniers et les élus : un certain nombre d’entre eux ne veulent plus donner certaines zones à bail, préférant les laisser sans élevage plutôt que de prendre le risque qu’un randonneur soit mordu par un patou. Cette problématique, je vous l’accorde, madame la sénatrice, est centrale : nous devons travailler sur le statut de ces chiens.
Il faudra aussi mettre en place une filière de formation de ces animaux, sélectionner une lignée génétique, afin qu’ils soient davantage « spécialisés » face au loup. Peut-être faudrait-il également recourir à d’autres chiens… Bref, les sujets sont nombreux, mais la question du statut des patous est cruciale.
Il existe en effet, madame la sénatrice, un risque élevé de fermeture des espaces, s’ils ne sont plus pâturés, comme je le disais à l’instant au président Gontard, avec toutes les conséquences que l’on peut craindre dans un contexte de dérèglement climatique.
Nous allons par ailleurs réfléchir à la question des louvetiers, comme à l’ensemble des sujets que vous venez d’évoquer.
Le déclassement du statut de l’espèce serait source d’évolutions : le mode de gestion du loup en serait amélioré et des amodiations seraient possibles, toujours dans une logique de préservation de l’espèce.
Enfin, je voudrais répondre, car je ne l’ai pas fait, à la question de Mme Vermeillet sur le pastoralisme. Actuellement, on indemnise la perte de l’animal visible. Le nouveau plan Loup permettra de mieux prendre en compte les effets induits, les coûts indirects, notamment ceux qui sont liés au stress, à la perte de valeur génétique – y compris d’ailleurs pour les bovins – ou aux avortements, qui sont aujourd’hui négligés.
Mme Cécile Cukierman. Or cela compte beaucoup !
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad.
M. Denis Bouad. Monsieur le ministre, nous sommes confrontés à la difficulté de faire reposer nos débats politiques sur des données scientifiques précises, fiables et partagées par tous.
Pour autant, on peut difficilement nier l’augmentation du nombre de loups et surtout, de manière plus inquiétante, l’augmentation du nombre d’attaques. Le risque à l’avenir serait que les territoires reconquis par le loup soient désertés par le pastoralisme.
Or le maintien de la biodiversité, c’est avant tout le maintien d’un équilibre. Le pastoralisme, au-delà de l’activité économique qu’il suscite, participe pleinement à l’entretien de nos espaces ruraux. Dans les Cévennes, territoire inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco pour son agropastoralisme, on observe déjà que des éleveurs abandonnent leur activité à la suite de ces attaques. Les petites exploitations qui peuvent perdre jusqu’à un quart de leur cheptel dans une attaque sont les premières concernées. Il faut absolument apporter des réponses à ces hommes et à ces femmes qui vivent de l’élevage extensif.
L’indemnisation, si elle est nécessaire, ne doit pas être une réponse en soi. On ne pourra jamais indemniser le traumatisme de l’éleveur qui fait face à des cadavres de bêtes victimes d’une mort violente. Rien ne peut compenser ces morsures invisibles.
À terme, notre objectif devrait donc être le « zéro indemnisation », ce qui nécessite de revoir notre système de prévention qui, actuellement, cesse d’être subventionné à partir du moment où il est efficace et empêche les attaques. La mise en place effective de la brigade « grands prédateurs terrestres » pour l’ouest du Rhône est à cet égard très attendue.
Enfin se posent les questions du statut de protection du loup et de l’adaptation des taux de prélèvement. Sur ce dernier point, nous devons tenir compte tant de l’efficacité du dispositif que de la quantité prélevée. Il convient de cibler plus spécifiquement les meutes de loups qui ont incorporé les animaux d’élevage et, donc, les attaques de troupeaux, dans leurs habitudes alimentaires.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler vos ambitions sur ces différents sujets ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Au risque de me répéter, la question centrale est celle de la compatibilité entre le loup et l’élevage. Comment faire dans les zones où la prédation est très forte ?
Dans la mesure où, dans certaines zones, la prédation est plus forte, nous pourrons mieux intervenir si le statut de protection du loup évolue.
Je me permets d’ailleurs de dire, notamment à M. Gontard, qu’en 2023 les attaques ont été plus nombreuses dans les départements où les loups sont davantage présents, si bien qu’on ne peut pas considérer l’année 2022 comme représentative de la réalité actuelle. Dans beaucoup de départements, en particulier dans ceux qui sont traditionnellement concernés par cette question, il y a eu beaucoup plus d’attaques en 2023. Je ne me hasarderai pas à en tirer une quelconque conclusion ; je dis simplement qu’il faut faire attention aux caricatures.
Alors, peut-on atteindre un objectif de « zéro attaque » et de « zéro prédation » ? Nous n’en sommes pas encore là aujourd’hui, mais nous devons essayer de faire baisser la pression dans les zones où il y a le plus de prédation, notamment par la mise en œuvre de dispositifs de protection. Pour autant, vous avez tous entendu des témoignages d’éleveurs qui subissent des prédations, alors qu’ils ont mis en place toutes les mesures que l’on peut imaginer.
Le loup est un animal redoutable : c’est un prédateur, un grand carnivore – on ne peut évidemment pas le lui reprocher. N’entrons pas dans la logique de ceux qui voudraient le rendre végétarien ! (Rires.) Je le dis sérieusement : je vous assure que j’ai vraiment entendu certaines personnes parler ainsi.
Nous devons trouver un équilibre territoire par territoire. Pour cela, la révision du statut de protection de l’espèce peut nous aider. Nous devons aussi renforcer, dans un certain nombre d’endroits, les mesures de protection et mettre en œuvre des techniques ou des technologies adaptées.
Aujourd’hui, la présence du loup est telle dans certaines zones qu’il y a un problème de compatibilité. Réévaluer le statut de protection de l’espèce permettra sans doute d’avancer sur cette question, en particulier dans les zones les plus en difficulté.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, dans les Pyrénées-Atlantiques aussi, cela grogne, en basque et en béarnais, en raison du maintien du loup comme espèce vulnérable malgré les effectifs désormais recensés.
Dans les Pyrénées-Atlantiques aussi, on s’inquiète de la pérennité du pastoralisme qui est associé à une culture, un mode de vie, une identité, laquelle s’est d’ailleurs manifestée, voilà deux ans, sur les Champs-Élysées en présence du Premier ministre, Jean Castex.
Deux ans après, les éleveurs et les bergers sont toujours aussi inquiets. Ils s’interrogent sur une réglementation trop exigeante et difficilement applicable, notamment pour ce qui est du recours au tir, trop strictement encadré, et dans des conditions trop aléatoires, pour être réellement efficace.
Surtout, ils s’inquiètent des critères en vigueur pour obtenir le classement en zone difficilement protégeable, essentiellement centré sur la densité ovine, ce qui ne correspond pas aux pratiques pyrénéennes d’élevage en plein air tout au long de l’année.
Aussi, dans l’attente de mesures plus fortes, comme le changement de statut, le Gouvernement est-il prêt à étendre les critères de classement en zone difficilement protégeable pour les territorialiser et les adapter aux particularismes locaux, à l’instar du pastoralisme pratiqué dans les Pyrénées ?
En outre, comme l’a déjà demandé Dominique Estrosi Sassone, le Gouvernement envisage-t-il de procéder au recrutement et à la formation de davantage de lieutenants de louveterie ? Envisage-t-il de financer le matériel, les déplacements et de verser une indemnité d’intervention pour décharger les éleveurs de la gestion de la prédation ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de ces questions qui me permettent de compléter certaines de mes précédentes réponses.
Tout d’abord, nous devons en effet former davantage de louvetiers et améliorer les équipements. Je pense notamment aux lunettes thermiques de visée ou de vision, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. J’ai vu ces lunettes à l’œuvre, si je puis m’exprimer ainsi, et je peux vous dire qu’elles diffèrent sensiblement des moyens empiriques dont on disposait traditionnellement jusqu’ici : les précédents équipements ne permettaient pas de discerner et de tirer dans des conditions optimales, ce qui pouvait poser des problèmes en termes de sécurité.
Ensuite, en ce qui concerne la protégeabilité des troupeaux, la circulaire qui est en préparation vise à identifier les types d’élevage qui peuvent être protégés et ceux pour lesquels cela est plus difficile, ce qui a évidemment un lien avec la réalité du territoire. Nous devons pouvoir dire : ici, c’est possible ; là, non. Ce que l’on exigera des éleveurs différera donc selon les endroits.
Il importe aussi de regarder ce que les autres pays européens ont mis en place, que ce soit en Allemagne ou en Italie. Dans certains cas, les résultats sont positifs ; dans d’autres, moins.
Enfin, au sujet des tirs de défense, nous en revenons à la question du statut de l’espèce, que j’ai évoquée dans mon propos liminaire. Je le redis, un premier rendez-vous européen aura lieu à la fin du mois de janvier ; les choses pourraient donc aller vite. En tout cas, il me semble que nous devons aller aussi vite que possible. De cette question découle en effet, en partie, la simplification que vous réclamez, monsieur le sénateur. Le plan Loup prévoit d’ailleurs que notre stratégie devra être adaptée en cas de changement de statut.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Au-delà des aspects techniques, je crois qu’il faut envoyer un message clair et rassurer les bergers et les éleveurs. Il faut affirmer très clairement que, dans nos vallées, dans nos montagnes, le pastoralisme est une nécessité, un mode de vie, une économie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, vous vous êtes rendu, il y a quelques mois, dans le département des Hautes-Alpes, au col de Manse dans le Champsaur : vous y avez constaté la détresse de nos éleveurs, confrontés aux difficultés de prélèvement du loup. J’associe à ma question Loïc Hervé, qui est également concerné par ce sujet en Haute-Savoie.
Dans les Hautes-Alpes, ce sont 925 bêtes qui ont été victimes du loup en 2023, dont 844 ovins. On ne peut donc pas dire – je m’adresse notamment à notre collègue écologiste de l’Isère – que le loup est végane…
M. Guillaume Gontard. Je n’ai jamais dit cela !
M. Jean-Michel Arnaud. Il est clair que c’est un prédateur. Or la population lupine augmente de 12 % à 20 % par an depuis plusieurs années.
En 2021, le Sénat avait adopté, dans le cadre de l’examen en première lecture du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS, un article 13 quater qui prévoyait que l’abattage de loups était autorisé dans des zones de protection renforcée, délimitées chaque année par arrêté préfectoral, indépendamment du prélèvement défini au niveau national.
L’objectif de cette mesure était de réformer le processus de décision en matière de prélèvement et non pas forcément d’augmenter le nombre global d’animaux prélevés. En somme, la Haute Assemblée proposait de déléguer en partie cette compétence au préfet de département pour assurer une réponse politique, mais aussi affective – les prélèvements ont une dimension affective, parce qu’ils touchent très directement nos éleveurs – et adaptée aux réalités de terrain.
Monsieur le ministre, le Gouvernement ne pourrait-il pas reprendre cette proposition, qui avait été votée ici, afin de favoriser une réponse qui soit la plus proche possible du terrain ?
Par ailleurs, vous avez longuement abordé la question de l’évolution du statut de protection du loup. Comment le Gouvernement entend-il préparer et anticiper une éventuelle décision de l’Union européenne en la matière, afin de donner des perspectives à nos éleveurs et d’être plus réactif ? (M. Philippe Folliot applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Arnaud, je me souviens très bien de ma rencontre avec les éleveurs de votre département.
Les précédents plans Loup s’inscrivaient dans une logique de préservation de l’espèce et d’augmentation du nombre d’animaux sans tenir compte des conséquences que cela pouvait avoir sur l’élevage. Le plan que j’ai présenté ne s’inscrit pas du tout dans la même logique. Je réponds aussi à cette occasion au sénateur Brisson.
En ce qui concerne le zonage, je répète ce que j’ai dit tout à l’heure : je suis en réalité assez dubitatif à ce sujet. Je souhaite d’abord bon courage à ceux qui devront élaborer la carte, d’autant que le zonage devra évoluer d’une année sur l’autre ! Ensuite, ce classement sera nécessairement vécu comme une injustice par tel ou tel.
Surtout, la principale question est celle du statut de l’espèce, parce que les dispositions sont différentes selon que le loup est « strictement protégé » ou simplement, si je puis dire, « protégé » au sens de la convention de Berne et de la directive Habitats.
Cependant, il ne vous aura pas échappé que le ministère de la transition écologique et le ministère de l’agriculture veillent à ce que les prélèvements soient plus nombreux dans les territoires qui connaissent le plus de prédations, afin de faire baisser la pression qui pèse sur eux. Il n’est pas illogique qu’il y ait plus de tirs là où il y a plus de prédations ! C’est cette mécanique qui doit, me semble-t-il, être à l’œuvre – c’est ce que j’indiquais tout à l’heure à Mme Berthet.
J’ajoute que la profession agricole est elle-même très dubitative sur l’idée d’un zonage. Que fait-on des départements d’où le loup est absent aujourd’hui ? Faut-il leur dire qu’ils n’en auront jamais ? Que faire des départements qui n’ont qu’un ou deux loups ? Si on les prélève, la question se concentrera dans les zones par lesquelles les loups sont arrivés, c’est-à-dire les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes.
Faisons attention : le zonage ne doit pas perturber la répartition naturelle des populations de loups ni être vécu comme une injustice par les éleveurs. C’est donc la question du prélèvement qui doit primer dans ces territoires.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.
M. Jean-Michel Arnaud. Ma question portait aussi sur la possibilité de donner davantage de pouvoirs au préfet de département pour apprécier la situation.
J’ajoute qu’il existe déjà des zones dans lesquelles aucun prélèvement n’est autorisé bien qu’il y ait de l’élevage : ce sont les zones centrales des parcs nationaux, par exemple le parc national des Écrins. Là aussi, les éleveurs rencontrent bon nombre de difficultés.
M. le président. La parole est à M. Michaël Weber.
M. Michaël Weber. Plus que sur le loup, le débat du jour porte sur le pastoralisme – je tiens à ce titre à saluer le fait que, depuis le début du mois de décembre, la transhumance, qui lui est liée, est classée par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Néanmoins, je refuse la rhétorique simpliste qui fait du loup le seul ennemi du pastoralisme, secteur qui connaît par ailleurs des difficultés économiques structurelles. L’accès restreint au foncier, la concurrence internationale, la pénibilité, la charge de travail, le manque de valorisation économique et de perspectives, notamment en termes de carrière, sont autant de facteurs explicatifs d’une baisse d’attractivité du pastoralisme et d’un déficit de renouvellement, avec ou sans le loup.
Le constat est cependant clair : le retour du loup représente un coût financier et humain important, qui n’est pas pris en compte dans le modèle économique actuel des élevages en France.
Nous ne pouvons pas non plus nier la dimension traumatisante pour l’éleveur des attaques du loup.
L’aide de l’État est indispensable pour permettre une cohabitation durable en amont de toute prédation et dans une visée d’adaptation. Il nous faut aller plus loin dans la compensation des surcoûts induits par les changements de pratique, le gardiennage renforcé de nuit, les chiens de protection ou les clôtures électrifiées ; il nous faut aussi aller plus loin dans l’étude et le suivi de l’espèce.
Le loup n’a pas entraîné la crise du secteur, mais il représente certainement une difficulté supplémentaire dont l’État doit prendre la mesure.
En ce sens, la proposition de déclassement du statut de protection du loup formulée par la Commission européenne nécessite une étude complète préalable, aujourd’hui insuffisante, des effets qu’une telle évolution aura sur les aides aux éleveurs. La possibilité de chasser le loup ne doit pas servir de prétexte à l’État pour cesser tout soutien aux mesures d’adaptation qu’il encourage aujourd’hui : en effet, ce sont les seules dispositions permettant d’assurer une coexistence durable et pacifiée entre l’espèce et les éleveurs.
Pour tous ces motifs, la proposition de la Commission, que semble appuyer le projet de plan Loup 2024-2029, appelle à la plus grande vigilance.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que, malgré tout, l’État assurera le même soutien aux éleveurs si la proposition de la Commission européenne était adoptée ? Comment pourrions-nous anticiper la venue du loup dans les territoires actuellement non concernés ? Ne devrions-nous pas y prendre d’ores et déjà des mesures d’adaptation ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, je veux d’abord vous dire que les propositions de la Commission européenne reposeront sur des analyses scientifiques. Il a d’ailleurs été demandé à la France de fournir des éléments chiffrés, afin de justifier un éventuel changement de statut.
Surtout, il s’agirait de passer d’une espèce « strictement protégée » à une espèce « protégée » : il ne s’agit évidemment pas de rendre cette espèce chassable. Ne cherchons pas à nous faire peur avec quelque chose qui n’existe pas !
Un tel changement de statut n’empêcherait d’ailleurs pas la mise en œuvre des mesures que vous évoquez. À ce titre, il me semble que la prise en charge financière de la prévention est plutôt bonne aujourd’hui : 40 millions d’euros actuellement, de 60 à 70 millions d’euros dans quelques années si nous conservons la trajectoire actuelle. J’ajoute que ces dispositions sont financées, dans le cadre de la programmation en cours, par des crédits relevant de la politique agricole commune (PAC) : il n’est pas illégitime que les éleveurs s’interrogent sur l’imputation de ces dépenses sur la PAC.
En réalité, la question qui se pose est plutôt celle de la rapidité d’exécution : chacun sait bien que les dispositifs liés à la PAC sont complexes et lents. Nous devons travailler là-dessus.
Nous devons donc avancer sur trois points : l’indemnisation pour mieux couvrir les pertes indirectes, la protégeabilité – certaines zones peuvent être protégées, d’autres moins – et la rapidité d’exécution, autant d’éléments qui figurent déjà dans le plan Loup. Quoi qu’il en soit, le statut de l’espèce ne changerait pas la nature des dispositifs d’accompagnement mis en place par l’État – j’espère vous avoir rassuré à ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet. (Mme Anne Ventalon applaudit.)
M. Fabien Genet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’excellente initiative de notre collègue Dominique Estrosi Sassone qui a proposé d’inscrire à notre ordre du jour ce débat ô combien essentiel.
J’ai particulièrement apprécié son diagnostic comme j’ai apprécié sa citation de Charles Péguy, qui écrivait aussi, me semble-t-il, qu’« une capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer au lieu d’agir ».
Monsieur le ministre, reconnaissons que, sur le terrain, beaucoup de nos éleveurs craignaient une éventuelle capitulation. Capitulation en matière de souveraineté alimentaire ; capitulation devant ceux qui utilisent toujours la biodiversité et le bien-être animal pour attaquer nos éleveurs sans jamais reconnaître le rôle essentiel de ceux-ci en la matière ; capitulation face à l’impossibilité supposée de modifier le statut de protection du loup au niveau européen.
Mais reconnaissons aussi que la mobilisation des éleveurs, des organisations professionnelles, des élus et des services de l’État sur le terrain, ainsi que la vôtre, monsieur le ministre, nous donnent l’espoir qu’il y aura plus d’actions que d’explications.
Vous vous êtes déplacé à Cluny en Saône-et-Loire au mois de juin dernier pour observer ce front de colonisation qu’est devenu notre département. Des centaines d’animaux ont été tués ou blessés : des ovins, mais aussi des bovins et des équins. Vous avez rencontré les éleveurs dont on a dit cet après-midi la détresse, la colère et le désespoir : ils vous ont dit et montré combien le plan Loup est inadapté à un territoire de bocage comme le nôtre, où les exploitations sont morcelées en plusieurs parcelles et les bêtes réparties en de nombreux lots.
Comment faire pour, à la fois, protéger les haies, réservoirs de biodiversité, les prairies, puits à carbone, mais aussi promouvoir l’élevage extensif au grand air, et parquer et faire croître les animaux en stabulation, grillager et électrifier ? La non-protégeabilité des exploitations est un problème récurrent en Saône-et-Loire.
Pour conclure, la feuille de route est bien connue : l’installation de filets, dont la mise en place n’est ni suffisante ni efficace chez nous ; la promotion des chiens patous qui ne peuvent pas courir après les loups en zone de bocage à cause des clôtures et des haies ; des tirs de défense, mais de nouveaux louvetiers qui hésitent parfois à appuyer sur la gâchette de peur que toutes les conditions réglementaires ne soient pas réunies.
Ma question est simple, monsieur le ministre. Vous avez très largement relayé ce que vous nous avez dit sur le terrain en juin. Beaucoup d’éléments vont dans le bon sens. Mais cette position est-elle bien celle de l’ensemble du Gouvernement ? Est-elle en particulier partagée par le ministre de la transition écologique ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, je me souviens parfaitement de la discussion que nous avons eue avec les éleveurs à l’époque, notamment le fait qu’il y avait très peu de loups sur la zone, mais que l’un d’entre eux était très actif. Ce loup causait donc des dommages significatifs, même s’il me semble qu’il a été prélevé au mois de décembre et qu’il ne fait plus de dégâts aujourd’hui.
M. Fabien Genet. Non, il continue !
M. Marc Fesneau, ministre. En tout cas, on voit bien qu’un seul spécimen peut faire peser une pression très importante.
C’est à la suite de tels exemples que s’est imposée l’idée qu’il existait des zones protégeables et d’autres qui ne l’étaient pas.
La tension était telle qu’il fallait aussi s’interroger sur le statut de l’espèce et simplifier un certain nombre de procédures, y compris en matière de tirs – il est parfois compliqué de le faire sur la parcelle où s’est déroulée l’attaque. Ces simplifications font partie des ajustements que nous devrons opérer aux niveaux européen et national.
Avant de vous répondre plus précisément, je veux vous remercier, parce que je crois que nous avons avancé : nous sommes sortis de la phase déclamatoire pour entrer, sans démagogie et de manière raisonnée, dans l’action. Nous devions acter le fait que la situation avait changé, tant en termes de présence lupine que de pression sur les éleveurs ; le nouveau plan Loup ne devait pas s’inscrire, je l’ai dit, dans la logique de ses prédécesseurs. Nous ne pouvions pas rester dans une forme de statu quo.
Pour conclure et répondre à votre question, je veux saluer le travail que nous avons réalisé avec le ministère de la transition écologique, en particulier avec Christophe Béchu : nous n’avons pas toujours les mêmes positions de départ, mais nous avons essayé de trouver des convergences pour concilier les enjeux en matière de biodiversité – en la matière, il n’y a pas que la question du loup qui se pose – et les enjeux en matière de préservation d’activités qui sont précieuses à la fois pour cette même biodiversité et pour notre souveraineté.
Le plan Loup est le produit d’un accord entre nos ministères : nos positions sur ces sujets sont alignées.
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.
Mme Anne Ventalon. Monsieur le ministre, pour nos éleveurs, la présence du loup est d’abord synonyme, chaque jour, d’anxiété, de difficultés et de risques. Cependant, face à la menace de ce prédateur et malgré leur détresse devant les carnages qu’ils constatent, ils n’ont eu de cesse d’adapter leur pratique du pastoralisme.
Cette prévention passe notamment par l’utilisation de chiens de protection, les patous, dont la mission est de dissuader les prédateurs. Exclusivement voués à la défense d’un troupeau au sein duquel ils ont grandi, ces chiens perçoivent toute présence extérieure comme une menace, ce qui tend à provoquer des incidents avec d’autres usagers des terres pastorales, comme les promeneurs.
Afin de résoudre un certain nombre de conflits juridiques provoqués par cette situation, l’axe 2 du projet de plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage prévoit d’étudier la création d’un nouveau statut de chien de protection de troupeau.
Monsieur le ministre, à quelques mois des transhumances, ma première question porte sur ce nouveau statut. Quels en seront les contours ? Et surtout, sera-t-il effectif dès le printemps 2024 ?
Toujours sur la question des patous, nous observons que, malgré les conseils des différents acteurs de la montagne, certains randonneurs sont victimes de morsures.
Or, au titre de l’article L. 211-11 du code rural et de la pêche maritime, les maires ont des responsabilités en matière de chiens dits « dangereux ». Après des incidents survenus avec des randonneurs, certains maires ont même été entendus par la gendarmerie. Les élus des territoires concernés sont donc préoccupés par le risque d’être un jour inquiétés ou poursuivis pour n’avoir pas pris les mesures adéquates en la matière. (Mme Cécile Cukierman le confirme.)
Afin d’anticiper des situations, certes absurdes, mais qui pourraient survenir, le Gouvernement compte-t-il préciser l’application de cet article L. 211-11 du code rural et protéger les maires contre une telle exposition juridique ?