Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà peu, à cette tribune, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Vidal, déclarait que la loi de programmation de la recherche constituerait l’investissement dans la recherche le plus important consenti par l’État depuis la Libération.
En juillet de cette année, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, formé dans les grandes écoles, vouait aux gémonies les universités parce qu’elles auraient accumulé 3,8 milliards d’euros de liquidités.
Ce chiffre jeté en pâture aux auditeurs d’une radio nationale contribue à entretenir une suspicion de principe contre l’université, qui serait en l’occurrence incapable d’utiliser correctement l’argent public. Les universités se plaignent du manque de moyens, mais dorment sur des matelas d’argent thésaurisé, voilà l’image détestable colportée par Bercy pour justifier sa ponction.
Cette petite forgerie budgétaire n’a d’autre projet que de réduire quelque peu, pour la seule année 2024, une hausse du déficit budgétaire structurel. Si Bercy estime que les universités bénéficient de moyens budgétaires trop importants pour satisfaire leurs missions de service public, le ministère de l’économie et des finances aurait dû alors avoir l’honnêteté de demander une baisse de leurs dotations.
La situation budgétaire des universités est tout autre. De nombreuses universités n’ont quasiment plus de fonds de roulement, et bientôt la majorité d’entre elles seront obligées de voter des budgets en déséquilibre. Pour certaines, il s’agira de leur deuxième année de déficit – madame la ministre, vous avez d’ailleurs demandé aux rectorats d’agir avec circonspection pour ne pas les placer sous tutelle.
In fine, il ne faudrait pas que les universités, privées de leur autonomie budgétaire, en viennent à demander aux rectorats de préparer leurs contrats d’objectifs, de moyens et de performance !
Plus sérieusement, madame la ministre, quelle sincérité accorder à ces contrats d’association avec votre ministère si Bercy peut, quand il le veut, soutirer la trésorerie des universités ? Il est regrettable de devoir rappeler que les universités n’ont pour seule solution que de financer leurs investissements avec leurs marges budgétaires.
En obligeant les universités à financer la totalité du glissement vieillesse technicité de leur masse salariale ainsi qu’une partie des mesures salariales nationales en faveur des fonctionnaires tout en les privant de leur capacité d’investissement, le Gouvernement les place sous curatelle budgétaire.
Par ailleurs, j’observe avec crainte la nouvelle affirmation d’une critique sur les formations délivrées par l’université, que d’aucuns considèrent comme insuffisamment adaptées au marché de l’emploi.
De nouveau, rappelons que l’insertion professionnelle des diplômés de l’enseignement supérieur ne baisse pas et se maintient même à des pourcentages proches de 90 %. C’est d’ailleurs ce très haut niveau d’insertion qui explique l’attrait de l’université, notamment pour ceux qui sont en recherche de progression sociale.
Chers collègues, je le dis avec gravité : je pense que l’encadrement strict de la gestion budgétaire des universités et la contestation de leurs libertés pédagogiques constituent une révision insidieuse de leur autonomie. Vous avez défendu et vous défendez toujours la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, portée par Mme Pécresse, dont l’autonomie des établissements était l’objectif politique majeur. Comment ce principe peut-il continuer à être mis en œuvre si les universités sont contraintes de la sorte ?
Je regrette vivement que la commission des finances du Sénat participe à l’affaiblissement de nos capacités de recherche et de formation en déposant un amendement qui priverait les moyens généraux du CNRS de 100 millions d’euros. (Mme Monique de Marco applaudit.)
Je salue la qualité du travail de la rapporteure pour avis de la commission de la culture, Laurence Garnier, qui a justement montré que l’objectif fixé par la loi de programmation de la recherche de consacrer 1 % du PIB à la recherche publique d’ici à 2030 est déjà totalement hors de portée. Cette saignée supplémentaire de 100 millions d’euros va aggraver le mal et risque d’emporter le malade.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce budget. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
Mme Laure Darcos. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Annick Girardin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de cette mission nous permet, au-delà du budget de la recherche et de l’enseignement supérieur pour l’année 2024, d’aborder les importants enjeux de souveraineté et d’indépendance de notre pays.
Que ce soit dans les domaines de la santé, de l’industrie, de la transition écologique ou encore du numérique, nos scientifiques s’illustrent et sont reconnus. Je pense à Anne L’Huillier, à Pierre Agostini ou à Alain Aspect, tous trois récents lauréats du prix Nobel de physique.
Tout cela, nous le devons à notre stratégie en matière de recherche, qui s’appuie depuis quatre ans sur les engagements financiers de la loi de programmation de la recherche.
Les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du budget 2024 sont en augmentation de 1 milliard d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. Il s’agit d’un bon signal envoyé en direction de la communauté universitaire et scientifique, laquelle ne demande qu’à porter dans les meilleures conditions l’excellence française.
Nous saluons les efforts de cette mission tout en vous rappelant la nécessité d’inscrire enfin une clause de revoyure de la LPR et en vous alertant sur quatre points.
Premièrement, les effets des mesures dites Guerini de revalorisation salariale inquiètent. Je me réjouis de ces augmentations, qui étaient bien évidemment nécessaires, car le monde de la recherche mérite de la reconnaissance et doit être plus attractif encore, mais la question de leur financement se pose malgré tout.
Les universités sont invitées à recourir à la part mobilisable de leur fonds de roulement et craignent, de ce fait, de devoir reporter des investissements pourtant nécessaires à la rénovation et à la décarbonation des bâtiments universitaires.
Madame la ministre, vous avez assuré devant la commission que ces prélèvements n’amputeraient pas les projets en cours. Cette ambition est-elle tenable ?
Ne pensez-vous pas que cette inquiétude est renforcée par le manque de visibilité pluriannuelle dont souffre le monde universitaire, qui fait face à des problématiques immobilières, de recrutements de professeurs et de démultiplication des effectifs d’étudiants ?
Deuxièmement, la question de la précarité croissante des étudiants reste prégnante depuis quelques années – d’autres l’ont dit. Elle a été mise en lumière au moment de la crise sanitaire de 2020. Le coût de la rentrée étudiante est désormais de 3 000 euros. Les étudiants sont également les premières victimes de la rareté des logements accessibles. L’augmentation des prix alimentaires conduit plus d’un tiers des étudiants à sauter un repas par jour, et beaucoup d’entre eux tapent désormais à la porte des Restos du Cœur ou d’autres associations, dont je salue l’engagement.
Nous savons aussi que les jeunes ont des problèmes de santé. Le groupe RDSE a d’ailleurs déposé une proposition de résolution sur la nécessité de mieux prendre en compte leur santé mentale.
Si ce projet de loi de finances apporte quelques réponses à ces questions – gel des loyers, reconduction du dispositif du repas à 1 euro dans les Crous, augmentation des bourses –, nous attendons néanmoins une réforme systémique qui prenne en compte tous les paramètres de la vie étudiante. Comment mieux accompagner nos étudiants ? Comment leur offrir de meilleures conditions d’études dans leurs universités ou dans leurs nombreuses écoles ? Faut-il pour autant aller vers l’« allocation autonomie universelle » ? Le débat est ouvert ; ce qui est sûr, c’est que nous devons trouver la solution la plus équitable socialement.
Troisièmement, je m’inquiète de la situation spécifique de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), seul organisme national de recherche entièrement dédié à la mer, de la côte au large, de la surface aux abysses. Le budget de cet établissement est en très fort déséquilibre, ce qui s’explique surtout par l’accroissement des demandes nouvelles – nous en sommes tous responsables, moi comprise – sans octroi de recettes supplémentaires.
Les efforts financiers demandés à cet établissement sont incompréhensibles, alors que l’océan est au premier plan des priorités nationales, européennes et internationales, ce dont nous devons nous réjouir. Le Président de la République a exprimé, lors du sommet international de Brest Un océan, mais également, voilà quelques jours, aux assises de l’économie maritime, à Nantes, le souhait que l’Ifremer soit au centre de cette évolution. Il convient donc de mobiliser des ressources nouvelles pour régler cette situation insoutenable.
Quatrièmement, enfin, je veux évoquer la croissance forte de l’offre éducative privée des fameux Eespig, issus de la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite Fioraso. Quel est l’impact de cette offre sur la mixité sociale ? Quelle évaluation est-elle faite de la qualité des formations qui y sont dispensées ? L’État ne doit-il pas rapidement renforcer ses relations contractuelles avec l’enseignement privé sous contrat ? C’est en tout cas ce que recommande la Cour des comptes. Ce qui est certain, c’est qu’il faut trouver un équilibre ; les Eespig doivent représenter une offre éducative complémentaire et non concurrente du système public.
Mes chers collègues, malgré ces quelques observations, le groupe RDSE est favorable à l’adoption des crédits de cette mission : si cette dynamique doit être ajustée, elle ne doit surtout pas être enrayée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de la mission « Recherche et enseignement supérieur » atteint cette année 26,6 milliards d’euros, ce qui traduit une augmentation significative de 1,2 milliard d’euros par rapport à l’année précédente. La progression totale de cette mission depuis 2017 s’élève ainsi à 4,4 milliards d’euros.
Permettez-moi, mes chers collègues, de mettre en lumière les quatre grandes orientations de ce budget, car elles reflètent l’engagement du Gouvernement en faveur de l’amélioration du système éducatif et de la recherche dans notre pays.
En premier lieu, le Gouvernement a prévu un investissement supplémentaire de 500 millions d’euros pour soutenir les étudiants. Cela se traduira par des améliorations substantielles dans le système d’attribution de bourses sur critères sociaux, dans l’accès à la restauration et au logement estudiantins, ainsi que dans l’accompagnement des étudiants en situation de handicap.
En second lieu, l’engagement envers la recherche et les chercheurs se poursuit, avec une allocation supplémentaire de 500 millions d’euros, conformément à la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030. Cette initiative renforcera l’attractivité des carrières scientifiques, diversifiera les voies de recrutement et soutiendra les travaux de recherche des établissements d’enseignement supérieur.
En troisième lieu, le Gouvernement met l’accent sur la transformation des établissements d’enseignement supérieur, en consacrant 100 millions d’euros par an aux nouveaux contrats d’objectifs, de moyens et de performance. Cela favorisera l’adaptation de l’offre de formation aux besoins actuels du marché et garantira la qualité de l’enseignement supérieur en France.
En quatrième lieu, enfin, le Gouvernement accorde une attention particulière aux établissements eux-mêmes, en mobilisant une enveloppe de compensation pérenne de 215 millions d’euros pour faire face à la hausse des charges, en particulier en réponse aux mesures de revalorisation salariale annoncées en juin 2023. Cette initiative s’accompagne de mesures de soutien spécifiques pour les Crous et d’une augmentation des dotations d’investissement.
Permettez-moi également de souligner quelques points clés des programmes spécifiques liés à l’enseignement supérieur et à la recherche.
Le programme 150, « Formations supérieures et recherche universitaire », bénéficie d’une augmentation significative de crédits, atteignant 15,2 milliards d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, conformément aux dispositions de la loi de programmation de la recherche pour la quatrième annuité.
Le programme 231, « Vie étudiante », voit ses crédits augmenter de 7 % en autorisations d’engagement et de 6,3 % en crédits de paiement, principalement en raison de la réforme des bourses sur critères sociaux. Cette réforme a déjà permis une revalorisation des plafonds de ressources et une augmentation des montants des bourses. Le Gouvernement anticipe les conséquences attendues en augmentant les crédits de 9 % par rapport à 2023.
La hausse des crédits du programme 172, « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », est conforme à la loi de programmation de la recherche pour la quatrième annuité. Elle financera des travaux de recherche dans les établissements d’enseignement supérieur, permettant ainsi d’améliorer les carrières dans la recherche.
La croissance des crédits du programme 193, « Recherche spatiale », joue un rôle essentiel dans la politique spatiale française. Elle vise à renforcer l’activité du Centre national d’études spatiales (Cnes) et à soutenir le développement de la politique spatiale européenne.
Les crédits du programme 190 enregistrent eux aussi une hausse significative. Pour rappel, ce programme contribue à soutenir l’innovation dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables. Des moyens importants sont alloués aux opérateurs dans le champ de la recherche et de la sûreté nucléaires, favorisant notamment l’innovation dans le secteur nucléaire – nous en avons bien besoin.
Les crédits du programme 142, « Enseignement supérieur et recherche agricoles », atteignent 445 millions d’euros en autorisations d’engagement et 443 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 4,48 %. Placé sous l’autorité du ministre chargé de l’agriculture, ce programme finance la recherche et l’enseignement supérieur dans le domaine de l’agriculture. La hausse des crédits a un effet très concret : elle soutient l’augmentation du nombre d’étudiants dans les cursus d’ingénieurs agronomes et de vétérinaires, avec un accent sur le renforcement de l’encadrement pédagogique.
Mes chers collègues, toutes ces hausses reflètent l’engagement global du Gouvernement en faveur de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique, de la recherche spatiale, de l’énergie durable, de l’industrie et de l’agriculture. Chacune d’entre elles contribue à renforcer notre position dans ces domaines essentiels au progrès de notre nation.
Le changement de paradigme consistant à considérer ces dépenses comme des investissements est crucial, pour le développement de la Nation, pour le bien-être de nos étudiants, pour le progrès de la recherche. Il eût fallu commencer à considérer ces dépenses comme des investissements il y a bien longtemps…
Par conséquent, j’invite chacun d’entre vous, mes chers collègues, à voter pour ce budget, qui représente un pas important vers un enseignement supérieur de qualité et une recherche innovante en France.
Mme la présidente. La parole est à M. David Ros. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Ros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je limiterai mon propos au commentaire des crédits de la recherche ; mon collègue Yan Chantrel se focalisera par la suite sur ceux qui concernent l’enseignant supérieur, même si les porosités entre ces domaines sont nombreuses et nécessaires.
Madame la ministre, au cours de votre audition par la commission de la culture, vous avez affiché votre volonté de doter notre pays de moyens importants pour la recherche et de répondre aux enjeux auxquels celui-ci est confronté. Toutefois, malgré votre énergie et votre connaissance incontestée de l’écosystème de la recherche, la feuille de route pour 2024 ne permet pas de relever tous les défis qui se posent à nous.
On observe certes une hausse des crédits, conformément à la déclinaison de la LPR pour 2024, mais cette évolution est à relativiser au regard de l’inflation et du coût de l’énergie, même si l’on ne saurait bien évidemment vous en tenir pour responsable. La conséquence est, hélas ! implacable : la trajectoire visant à donner à la recherche un budget correspondant à 3 % du PIB prend du retard.
Il ne s’agit pas, comme pourrait nous le rétorquer le ministre délégué chargé des comptes publics, de demander « toujours plus » ; ce n’est certainement pas à vous, madame la ministre, que j’apprendrai que financer les universités ayant une forte activité de recherche n’est pas une dépense, c’est un investissement qui rapporte. Ainsi, une étude récente a montré qu’un euro investi dans ces universités engendre quatre euros de valeur ajoutée.
Toutefois, la complexité du système rend peu lisible l’effet d’un financement par rapport à ses ambitions. Les sujets sont pourtant nombreux, attendus, cruciaux et partagés par le plus grand nombre : enjeux relatifs au climat, à l’énergie, à l’environnement, à la biodiversité, à la santé publique, au numérique ou encore à l’intelligence artificielle.
Quelles sont les priorités ? Quels sont les fléchages ? Quels sont les moyens affectés ? Autant de questions qui alimentent les attentes des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Les annonces faisant suite à la mission sur l’écosystème de la recherche et de l’innovation, que vous avez confiée à M. Gillet, sont à cet égard particulièrement attendues.
Les décisions qui pourraient être prises concernant la clarification de la stratégie de la politique de recherche et d’innovation, la place des organismes de recherche, des universités et des agences, le soutien à l’attractivité et la prise de risque dans la recherche ne pourront être efficientes qu’à la condition que les moyens humains et logistiques soient à la fois clairement identifiés et à la hauteur des enjeux évoqués.
Pour cela, il est indispensable que les organismes de recherche et que les universités puissent, à l’image de nos collectivités, garder une autonomie d’action dans la durée. Puiser dans leur fonds de roulement est un contresens majeur. Il leur est demandé, selon vos propos, de faire cette année un effort exceptionnel. Nous aurions préféré que ce soit le Gouvernement qui fasse un effort exceptionnel pour la recherche, en activant la clause de revoyure de la LPR.
Mon collègue Yan Chantrel lèvera le voile sur le vote du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mission dont nous discutons aujourd’hui est aussi large qu’éminemment stratégique.
Elle est large, parce qu’elle regroupe deux secteurs, certes complémentaires, mais qui mériteraient chacun un débat propre tant ils sont importants. Elle est stratégique, parce qu’il s’agit de l’avenir de nos étudiants et de la place de notre pays dans la course à la recherche et à l’innovation permanente. Autrement dit, nous parlons là de l’avenir des jeunes Français, de la France et de la place d’icelle dans le concert des nations.
Madame la ministre, les appréciations portées à cette tribune montrent que votre volontarisme et votre énergie sont appréciés ; les interventions adressées à votre prédécesseur ce matin au banc des ministres n’avaient pas tout à fait la même tournure…
M. Pierre Barros. C’est vrai !
M. Max Brisson. Je souhaite évoquer un point non encore abordé. L’enseignement supérieur – les universités et les grandes écoles – est d’abord le lieu de l’acquisition des savoirs scientifiquement avérés et de l’appropriation des grands courants qui traversent, dans tous les champs disciplinaires, la recherche. Ces établissements sont également des espaces privilégiés qui assurent peu à peu l’émancipation des étudiants par l’éveil de leur sens critique et qui en font des citoyens éclairés.
Ce double rôle fondamental est parfois remis en cause. Vous comprendrez donc notre inquiétude, lorsque certaines universités tombent sous les coups du wokisme, de la cancel culture et de la déconstruction de l’universalisme républicain, jusqu’à sombrer parfois dans les dérives d’un antisémitisme nauséabond et d’une chasse à tout ce qui n’est pas en phase avec l’idéologie dominante. (Mme Sophie Primas applaudit.)
Certes, toutes les universités ne sont pas gangrénées par ces idéologies totalitaires et violentes, mais une seule le serait que ce serait déjà très grave. Nous nous devons donc sur ce point non seulement de faire preuve d’une vigilance permanente, mais encore de mener un combat politique, argument contre argument, analyse contre analyse.
Cela dit, il y a aussi des établissements où les étudiants travaillent sans être affectés par ces idéologies et ils ont alors besoin que nous leur garantissions des moyens. Sur ce point, force est de constater que ce budget répond aux besoins, avec près de 17,5 milliards d’euros consacrés à l’enseignement supérieur.
Néanmoins, cette hausse, aussi souhaitable soit-elle, doit tout de même faire l’objet d’une mise en perspective : l’investissement national en faveur de l’enseignement supérieur est réel, mais sans éclat. Selon l’OCDE, notre effort en matière universitaire est à peine dans la moyenne des pays riches. Avec 1,5 % de notre PIB consacré à l’enseignement supérieur, nous sommes loin derrière les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni, qui lui consacrent au moins 2 %.
Au-delà des moyens, le dysfonctionnement de l’enseignement supérieur tient surtout à un système d’orientation qui révèle des faiblesses de plus en plus criantes.
Je suis donc obligé de vous réitérer mes propos de l’année dernière, madame la ministre, lorsque je vous invitais à vous rapprocher de votre collègue ministre de l’éducation nationale afin d’ouvrir enfin le chantier de l’orientation et de l’articulation lycée-licence. Actuellement, celle-ci ne fonctionne pas. L’enseignement supérieur n’a pas pris réellement la mesure du nouveau baccalauréat et bloque la mise en œuvre d’un parcours fluide et efficient de bac-3 à bac+3.
Dans un siècle d’incertitudes et de défis multiples, alors que la concurrence règne et que la course à l’innovation, dont l’issue déterminera le destin des nations, est permanente, l’environnement de la recherche dans lequel évoluent nos étudiants est primordial.
La performance de notre recherche, secteur stratégique pour la France est donc tout aussi cruciale.
Certes, la trajectoire de la LPR est respectée, mais le ratio de la dépense intérieure en recherche et développement par rapport au PIB stagne depuis plusieurs années, oscillant, dans les derniers budgets présentés, autour de 2,2 %. Cette part est loin de l’objectif de 3 % fixé par l’agenda de Lisbonne en 2000.
De son côté, l’Allemagne a un ratio de 3 % et vise 3,5 %, tandis que la Suède caracole en tête du classement des pays de l’Union européenne, avec un taux frôlant 3,5 %. Je vois là le signe d’un décrochage par rapport à nos voisins et amis européens, qui ont consenti des efforts plus importants en la matière. J’y vois aussi le risque d’une difficulté à rattraper le retard qui aura été accumulé par la France au fil des années.
Je m’étonne donc des dernières déclarations du ministre de l’économie, ciblant, parmi d’autres, les organismes de recherche comme potentielles sources d’économies budgétaires. Il y a là un manque de compréhension du fonctionnement de ces derniers, doublé d’une erreur politique. C’est un manque de compréhension, parce que les réserves apparaissant dans leur fonds de roulement ne sont pas de l’argent thésaurisé, c’est la traduction d’engagements pris pour le financement pluriannuel de projets de recherche, qui sera décaissé au fur et à mesure de leur avancement.
C’est également une faute politique, parce que pareille mesure négligerait à la fois le temps long, nécessaire aux travaux de recherche, et l’importance stratégique pour la France de la recherche. Surtout, cela signifierait qu’il n’y a pas de clause de revoyure de la LPR.
Envisager de dégrader de la sorte le financement de la recherche, qui éprouve déjà des difficultés à conserver les chercheurs les plus talentueux et à financer les projets de recherche les plus ambitieux, fragiliserait encore un peu plus la souveraineté de notre pays en matière d’innovation ; nous aurons le débat sur le Conseil national de la refondation (CNR) dans quelques minutes. À croire que le ministre a omis qu’il était détenteur d’un portefeuille plus large que celui de l’économie et des finances, puisqu’il est aussi chargé de la souveraineté industrielle et numérique du pays, laquelle repose directement sur la notion fondamentale d’innovation.
Malgré ces points d’alerte, qui, je le sais, sont déjà au cœur de votre réflexion pour les prochaines années, madame la ministre, je tiens à saluer votre volontarisme pour défendre l’enseignement supérieur et la recherche. Je voterai donc, comme mes collègues du groupe Les Républicains, les crédits de cette mission, tout en restant attentif aux prochaines mesures que vous prendrez pour renforcer l’efficacité et la performance de l’enseignement supérieur et de la recherche. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeric Durox.
M. Aymeric Durox. Madame la ministre, le 30 août dernier, en clôture du congrès de France Universités, vous avez confirmé que les universités seraient concernées par le prélèvement d’excédents de trésorerie sur leur fonds de roulement et que la hausse du point d’indice annoncée en juin ne serait compensée que partiellement par l’État.
Par ailleurs, entendu en audition par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale le jour où vous avez présenté votre budget aux députés, le président de France Universités a souhaité tirer le signal d’alarme à propos de l’absence de compensation totale des mesures de revalorisation salariale des agents publics, dites Guerini, annoncées en juin dernier.
Or la facture finale devrait dépasser 150 millions d’euros, qui s’ajoutent aux 200 millions d’euros de 2022 et aux 130 millions non compensés de 2023, alors que nos universités sont frappées de plein fouet par l’inflation et par l’augmentation du montant des factures énergétiques et que, par-dessus le marché, les instituts notent une baisse de 20 % du financement des études par étudiant.
Pour ce qui concerne les 550 millions d’euros prévus dans le budget 2024 pour la rénovation du parc immobilier de l’État, nous sommes très loin des besoins, estimés à 7 milliards d’euros, au minimum, par l’État lui-même pour les seules universités.
En résumé, la situation budgétaire d’une très grande majorité de nos universités est alarmante, dix-neuf d’entre elles étant d’ailleurs déficitaires. Cette situation, vous le savez, entraînera la perte de l’autonomie pour ces établissements, voire leur mise sous tutelle par l’État, une perspective peu attrayante. En réalité, derrière les artifices de la communication, le budget 2024 des établissements d’enseignement supérieur et de recherche est, vous ne pouvez le cacher, le plus faible qu’un gouvernement ait proposé depuis 2010.
Pourtant, nos universités auraient bien besoin d’être aidées par l’État, car elles luttent pour exister à l’international face à des universités anglo-saxonnes, américaines en particulier, bien plus grosses et richement dotées. Dans le dernier classement du Times Higher Education (THE), la France ne place qu’une seule université parmi les 50 premières, 4 dans les 100 premières et 10 dans les 400 premières. Ces tristes performances peuvent se comprendre au regard du pourcentage de PIB que consacre la France à la recherche et au développement, ratio inférieur au ratio moyen des pays de l’OCDE. Les chercheurs français sont très mal payés et fuient à l’étranger, renforçant ainsi nos concurrents tout en nous affaiblissant…
Pour faciliter le travail de recherche dans le secteur public et motiver les chercheurs, il faut, au-delà d’une politique de rémunération plus attractive, libérer les chercheurs des tâches administratives chronophages et fastidieuses. Leur administration doit être à leur service et non l’inverse. Cela passe par une vraie décentralisation des organismes de recherche, dans lesquels chaque département doit bénéficier d’une totale liberté d’action et d’une autonomie de gestion comptable.
Si la France veut retrouver sa place dans le top 5 mondial de la recherche, des efforts d’investissements, une diminution drastique de la bureaucratie et une décentralisation de l’administration seront nécessaires.
Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons voter ces crédits.