Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement vise, lui aussi, à encadrer le conventionnement des médecins dans les zones où l’offre est la plus élevée.
La pénurie de médecins est une préoccupation majeure pour les élus et les habitants de certains de nos territoires ; on le voit bien quand on va à leur rencontre. Il est crucial que l’État joue, enfin, son rôle de régulateur pour remédier à cette situation.
Dans une publication récente, l’Insee classe mon département, l’Ain, au troisième rang national des départements ayant la plus faible densité de médecins. Avec 174 médecins pour 100 000 habitants, l’Ain est deux fois moins doté que les départements voisins.
Comme cela a été rappelé, les médecins mettent les communes en concurrence ; malgré les nouvelles installations qu’elles financent, elles ne parviennent pas à attirer de médecins.
En tant que législateur, il nous incombe de tirer les leçons de la réalité des déserts médicaux et d’agir immédiatement. Par le présent amendement, je vous propose donc d’amorcer une première étape, pragmatique, de la réponse à ce défi.
Nous ne pouvons pas tolérer que certains de nos concitoyens soient privés d’un accès élémentaire aux soins médicaux, comme c’est le cas dans mon département. L’État doit jouer pleinement son rôle – c’est une question de justice et d’équité.
Les mesures incitatives ne fonctionnent pas, cela a été dit. J’estime qu’en dépit du risque que certains médecins choisissent de s’installer dans un autre pays – cette menace est souvent évoquée – nous devons essayer de réguler l’installation des médecins. C’est même une nécessité pour certains de nos territoires.
Mme la présidente. L’amendement n° 44 rectifié bis, présenté par MM. Sautarel, Perrin, Rietmann, Brisson, J.P. Vogel, Bacci, Burgoa et Bonhomme, Mme Dumont, MM. Tabarot, Gremillet, H. Leroy, Panunzi, Cadec, E. Blanc, Bouchet et Lefèvre, Mme Ventalon, MM. D. Laurent, Menonville, Genet et de Nicolaÿ, Mmes Noël, Josende et P. Martin, MM. Belin, Pointereau, Anglars, Hingray, Cambon, Folliot, Maurey, Delcros, Sido et de Legge et Mme Bonfanti-Dossat, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après l’article L. 4131-6 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 4131-6-… ainsi rédigé :
« Art. L. 4131-6-…. – À titre expérimental et pour une durée de trois ans, le directeur général de l’agence régionale de santé détermine par arrêté, après concertation avec les organisations syndicales représentatives des médecins, les zones dans lesquelles est constaté un fort excédent en matière d’offre de soins. Dans ces zones, le conventionnement à l’assurance maladie d’un médecin libéral ne peut intervenir qu’en concomitance avec la cessation d’activité libérale d’un médecin exerçant dans la même zone.
« Un décret, pris après avis du Conseil national de l’ordre des médecins, fixe les conditions d’application du présent article. »
II. – En l’absence de convention conclue dans les conditions prévues au 21° de l’article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, le I du présent article entre en vigueur le 1er janvier 2025.
Six mois avant la fin de l’expérimentation prévue au même I, un comité composé de députés, de sénateurs, de représentants des collectivités territoriales, des administrations compétentes de l’État et des ordres des professions de santé concernées procède à l’évaluation de la mise en œuvre du présent article et propose les mesures d’adaptation qu’il juge nécessaires. Le rapport établi par ce comité est transmis au Gouvernement ainsi qu’au Parlement.
La parole est à M. Laurent Burgoa.
M. Laurent Burgoa. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Ces huit amendements tendent à réguler l’installation des médecins généralistes.
Avant d’aborder ce débat récurrent, il importe de rappeler les faits.
La profession connaît de fortes tensions démographiques, puisque notre pays a perdu 5 000 médecins généralistes entre 2010 et 2021.
Mme Cathy Apourceau-Poly. La faute à qui ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Plus de 85 % du territoire se situe en zone sous-dense. En 2022, 65 % des médecins ont déclaré avoir refusé de nouveaux patients comme médecin traitant, alors qu’ils n’étaient que 53 % en 2019. Telle est la réalité !
L’accès aux soins, à un médecin traitant et à des spécialistes de secteur 1 peut s’avérer difficile partout, en territoire rural comme en ville.
Toutefois, la régulation de l’installation ne résoudra aucune de ces difficultés, mes chers collègues.
M. Bruno Belin. Très bien !
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Cela reviendrait, au contraire, à envoyer un signal de défiance.
Ce signal – je le crains – est du reste déjà parvenu jusqu’aux étudiants en médecine. Comme l’a rappelé Véronique Guillotin, les étudiants placent en effet la médecine générale en quarante-deuxième position sur quarante-quatre spécialités.
Voter un dispositif de régulation serait donc le plus sûr moyen de les décourager de s’installer et de réduire l’attractivité des principales spécialités concernées, alors que celle de la médecine générale recule déjà et que la spécialité ne fait plus le plein d’étudiants.
Faire ce choix, ce serait également aggraver les tensions entourant la reprise déjà fragile des négociations conventionnelles.
L’exemple du Québec, qui a été cité tout à l’heure, montre précisément que les déserts médicaux perdurent en dépit de dispositifs de répartition et d’obligation d’installation en zone sous-dense. (Mme la ministre déléguée le confirme. – Exclamations sur des travées du groupe SER.) Cela ne fonctionne pas, car, il faut bien le dire, ce pays, comme le nôtre, n’a pas formé suffisamment de médecins.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Non, ma chère collègue, les dernières données montrent que cela ne fonctionne pas.
Pis, l’adoption de telles dispositions entraînerait un vent de déconventionnements. Je ne le dis pas pour vous faire du chantage, mes chers collègues, mais parce que je sais que nous sommes tous attachés au modèle de la sécurité sociale, et que celui-ci s’en trouverait fragilisé, au bénéfice d’une médecine à plusieurs vitesses que nous ne souhaitons pas.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est déjà le cas !
Mme Corinne Imbert, rapporteur. Certes, mais la dynamique s’accélérerait encore ! En effet, de telles dispositions encourageraient le développement d’assurances complémentaires proposant la prise en charge de trois ou quatre consultations d’un coût de 50 euros chacune par an, ce qui aboutit à une réduction du temps médical.
M. Alain Milon. Bien sûr !
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Aujourd’hui, toutes les assurances proposent dans leur panier de soins des consultations chez l’ostéopathe pour un montant pouvant aller jusqu’à 200 euros par an et par bénéficiaire.
En votant ces dispositions, nous risquons d’encourager cela, mes chers collègues. C’est pourquoi je vous prie d’entendre mon avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, nous n’assurerons pas un juste accès aux soins par des improvisations menées contre les médecins. Nous avons besoin des médecins et des soignants, et ce n’est pas en allant contre eux que nous améliorerons l’accès aux soins dans notre pays.
M. Bruno Belin. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. L’avis du Gouvernement sur ces huit amendements est également défavorable.
Comme cela a été indiqué par plusieurs orateurs, 87 % du territoire national est en situation de désert médical. Il n’y a donc pas de zones surdotées dans notre pays.
M. Patrice Joly. C’est faux !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Non, il n’y a pas de zones surdotées ! (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
L’enjeu est aujourd’hui de renouer la confiance avec la médecine libérale et d’assurer l’engagement collectif des médecins tout en restaurant, comme Mme Poumirol l’a souligné, l’attractivité de la médecine générale.
Les solutions à la désertification médicale et au manque de soignants ne fonctionneront que si nous les construisons, non pas contre les médecins, mais avec eux, car ils sont les premiers concernés. Dans la grande majorité de vos territoires, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont du reste les solutions coconstruites qui fonctionnent.
Dans le cadre de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, il a été permis à chaque profession d’inclure des mesures de régulation démographique dans ses négociations conventionnelles avec l’assurance maladie. Les chirurgiens-dentistes ont été la première profession médicale libérale à s’emparer de cette possibilité.
Je le redis, l’adhésion des professionnels de santé est nécessaire pour que ces mesures fonctionnent.
Mme la rapporteure a parlé des jeunes ; je peux en faire de même, puisque j’ai souvent l’occasion de les rencontrer.
Soyons extrêmement vigilants au message que nous envoyons aux jeunes qui souhaitent s’engager dans la voie des études de médecine : nous ne devons en aucun cas les décourager, car nous avons besoin que des jeunes se tournent vers les professions de santé. À l’heure où le télétravail se développe à grande vitesse dans de nombreux métiers de service, le choix de la médecine est un véritable engagement. Je le répète, nous devons encourager ces vocations et non en détourner les jeunes, qui sont attentifs à nos débats !
Mme la rapporteure l’a relevé : si les étudiants en médecine rechignent à choisir la médecine générale au terme des épreuves classantes nationales, c’est notamment à cause des travaux parlementaires relatifs à la coercition et de la régulation. (Mme Nadia Sollogoub le confirme.) C’est leur motif pour ne pas choisir la médecine libérale.
Il s’agit donc là d’un grand point de vigilance. Ces jeunes diplômés sont courtisés par de nombreux pays étrangers ; or ils constituent une ressource précieuse, qu’il nous faut conserver.
J’en viens à présent aux médecins plus âgés, à ceux qui approchent de la retraite.
Tout d’abord, je tiens à leur dire une nouvelle fois qu’ils ne sont pas responsables des choix effectués par le passé. Le numerus clausus a été supprimé beaucoup trop tard, nous le savons tous. Grâce à cette suppression, nous aurons certes 20 % de médecins supplémentaires, mais pas avant huit ans.
En parallèle – il faut le dire –, les dispositions de ces amendements s’opposent très clairement au caractère de la médecine libérale.
La médecine libérale, c’est bien la liberté d’installation…
Mme Cathy Apourceau-Poly. Allez le dire aux habitants !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Instaurer des mesures de coercition ou de régulation, c’est porter atteinte aux modalités d’accès à la médecine libérale.
Les médecins qui s’apprêtent aujourd’hui à prendre leur retraite n’ont jamais compté leur temps. Les praticiens de cette génération travaillent en moyenne plus de soixante-dix heures par semaine, parfois encore en exercice solitaire, ce que les jeunes ne veulent plus faire ; nous devons donc les accompagner vers les nouveaux modes d’exercice. Il s’agit là d’un véritable enjeu.
Il faut donc poursuivre le travail d’écoute pour renouer le lien de confiance et faire face aux défis des années à venir. Mais, j’y insiste, faciliter l’exercice professionnel des médecins libéraux, ce n’est pas les brider.
La faiblesse de la densité médicale est un phénomène mondial. Ce n’est pas un problème purement français : le monde entier est devenu un désert médical. Il faut en avoir conscience.
Un praticien peut tout à fait partir à l’étranger ; certains médecins français ont déjà fait ce choix. D’autres, une fois en âge de prendre leur retraite, cessent complètement leur activité, même si nous avons favorisé le cumul emploi-retraite. D’autres encore décident malheureusement de changer d’activité professionnelle.
Certains voudraient nous faire croire qu’un médecin de moins en centre-ville, c’est un médecin de plus en milieu rural : c’est faux ! Un praticien que l’on voudrait forcer à s’installer à la campagne risque fort de renoncer tout simplement à l’exercice de la médecine. Dès lors, on n’aura plus de médecin du tout, ni en ville ni en zone rurale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons impérativement renouer la confiance avec les médecins libéraux, avec les médecins généralistes. Nous devons travailler à l’attractivité de ces métiers. Or, à l’heure où 87 % de la France est un désert médical, à l’heure où nous manquons cruellement de médecins, le vote de ces amendements de régulation ou de coercition serait un mauvais signal envoyé à la profession. Je vous le dis très sincèrement.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin, pour explication de vote.
M. Bruno Belin. Madame la ministre, le problème ne vient pas de la suppression tardive du numerus clausus…
M. Bruno Belin. Peut-être le numerus clausus a-t-il été trop abaissé dans les années 1990 ; peut-être n’a-t-on pas suffisamment tenu compte, à cette époque, des défis démographiques qui se profilaient.
Je me tourne à présent vers ceux d’entre nous qui souhaitent, par leurs amendements, instaurer des mesures de coercition.
Chers collègues, la menace est une grave erreur. En la brandissant, on oublie en effet un facteur dont nous n’avons pas encore parlé au cours de ces débats : je veux parler de la motivation. Le jour où vous obligerez un étudiant en médecine à aller au fin fond du Finistère, de la Meurthe-et-Moselle…
M. Jean-François Husson. Très bien ! (Sourire.)
M. Bruno Belin. … ou d’un autre département, il arrivera en faisant la grimace. Il ne sera absolument pas motivé ; et un médecin qui n’est pas motivé ne sera pas assez à l’écoute de sa patientèle.
M. Jean-Luc Fichet. Propos scandaleux !
M. Bruno Belin. Mais vous faites encore une autre grave erreur : vous proposez, en somme, de transformer les agences régionales de santé en agences de régulation des soins, ou du système de santé. Mais comment allez-vous décider qui peut s’installer ici ou ailleurs ? Vous ne ferez, en définitive, que créer un nouveau concours. Les mieux classés pourront choisir leur lieu d’installation et les derniers seront stigmatisés : ils seront forcés d’aller dans les zones les plus rurales, où personne ne veut exercer. (Mme Émilienne Poumirol s’exclame.) Ce serait une première étape vers la médecine à deux vitesses.
La menace du déconventionnement est certes une réalité ; mais, sans aller si loin, force est de constater que la médecine salariale cherche tous les jours à recruter. Regardez le nombre de postes de médecin coordonnateur proposés dans les Ehpad : vous en trouverez demain matin autant que vous voudrez ! Ce sont des postes sans astreintes, sans gardes, sans permanence des soins.
Bref, un tel système ne peut pas fonctionner.
À l’inverse, je rejoins Mme la ministre au sujet des médecins en fin de carrière : aujourd’hui, le défi – nous en reparlerons sans doute au cours de la soirée ou demain –, c’est de garder le plus longtemps possible les médecins en activité. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. J’adhère complètement aux propos de Mme la rapporteure, de Mme la ministre et de M. Belin.
Mes chers collègues, la loi instaurant le numerus clausus date de 1971 et la première ministre de la santé à l’appliquer fut Simone Veil, en 1973. Ses successeurs ont régulièrement baissé le numerus clausus, en particulier sous François Mitterrand. Il n’a été rehaussé qu’au début des années 2000, lorsque Lionel Jospin était Premier ministre et Jacques Chirac Président de la République. Les différents Premiers ministres qui ont suivi M. Jospin ont fait de même. Reste que, pendant des années, le nombre de médecins a régulièrement diminué du fait de l’application de la loi de 1971.
Ce rappel étant formulé, j’en viens à la situation des zones dites « surdotées », que beaucoup ont mentionnées ce soir. Sans doute pensent-ils d’abord à la Côte d’Azur ; je suis au regret de leur dire qu’ils font erreur.
Certes, beaucoup de praticiens sont inscrits à l’ordre des médecins dans les départements de la Côte d’Azur. J’ai un âge certain, je suis toujours inscrit à l’ordre, mais je n’exerce plus. Comme moi, nombre de médecins recensés sur la Côte d’Azur sont en fait retraités. Le doyen de la faculté de médecine de Nice me confiait d’ailleurs récemment qu’entre Saint-Raphaël et Nice, soit sur cent kilomètres de côte, il n’y a pas un seul dermatologue libéral…
Enfin, je reviendrai brièvement sur la logique de coercition.
L’Espagne a opté pour un système médical plutôt coercitif. Or, au cours des dix dernières années, 18 000 docteurs en médecine ont demandé, sitôt sortis de la faculté, à quitter le pays pour exercer ailleurs.
Le Canada a, lui aussi, fait le choix de la coercition : les docteurs en médecine sont tenus d’exercer pendant deux années au moins dans des zones sous-dotées. En contrepartie, leurs consultations sont largement majorées : un médecin qui s’installe dans un territoire canadien sous-doté gagne l’équivalent de 370 000 euros par an…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Alain Milon. Malgré ces avantages, ils quittent leur lieu d’exercice au terme de cette période de deux ans et désormais, au Canada, les nouveaux docteurs en médecine ne veulent plus aller dans les zones sous-dotées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Madame la rapporteure, je vous rejoins au moins sur un point : le nombre de médecins a effectivement reculé. Il s’agit là d’un très grave problème, face auquel nous devons mener un grand effort de formation…
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Oui !
Mme Céline Brulin. Nous progressons un peu en ce sens, mais insuffisamment à mes yeux. J’ai coutume de dire, de manière un peu schématique, que pour remplacer un médecin qui part aujourd’hui à la retraite il en faut quasiment deux,…
M. Patrice Joly. Et même trois !
Mme Céline Brulin. … voire trois. On mesure l’ampleur de l’effort qui nous attend.
Nous reviendrons sur ce sujet : nous ne devons pas nous limiter aux capacités de nos universités et aux effectifs actuels de maîtres de stage. Cet effort de formation est indispensable.
La médecine générale subit une désaffection réelle. La création d’une quatrième année d’internat, portant la durée des études de médecine à dix ans, a peut-être joué un rôle en la matière – je le signale, même s’il est probablement un peu tôt pour évaluer les effets de cette mesure.
En parallèle, les médecins revendiquent une augmentation de leurs tarifs : peut-être pourrait-on leur donner gain de cause, dans le cadre des négociations conventionnelles, en contrepartie de certains engagements…
Mme Céline Brulin. Cette forme de régulation s’apparenterait à un donnant-donnant.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous accusez de brandir une menace. Mais les enseignants ne choisissent pas leur lieu d’affectation ; ils ne choisissent pas leurs élèves : parle-t-on pour autant de menace ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Ils sont fonctionnaires !
Mme Céline Brulin. Nous trouvons tous que c’est tout à fait normal.
Madame la ministre, certains membres de cette assemblée s’opposent avec constance à toute forme de régulation ; en ce sens, ils font preuve de cohérence. Mais le conventionnement sélectif, c’est le Président Macron qui l’a proposé lors de la dernière campagne électorale… (Mme la ministre déléguée proteste.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement, en 2022 !
Mme Céline Brulin. Comment se fait-il que vous n’y adhériez plus, une fois M. Macron réélu ?
Enfin, vous nous dites redouter une médecine à deux vitesses : nous sommes déjà en plein dedans.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Céline Brulin. Allez sur Doctolib : vous trouverez un rendez-vous dans la semaine, dans le quartier du Sénat,…
Mme Cathy Apourceau-Poly. Et même pour le lendemain !
Mme la présidente. Merci, madame Brulin !
Mme Céline Brulin. … à des tarifs que peu de Français peuvent assumer. La médecine à deux vitesses existe donc déjà, et il est grand temps de corriger cela !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Les mesures proposées ici ne répondront pas à la détresse de nos concitoyens : quand on n’a pas assez à distribuer, on ne peut pas faire de la régulation. En tant que telle, la pénurie empêche toute redistribution des ressources.
Ainsi, à l’hôpital, les médecins font l’objet d’une politique de régulation : leurs postes sont ouverts en fonction des besoins des différents services. Or, aujourd’hui, l’on manque de médecins dans tous les hôpitaux de France, même à Nice ou à Paris. On manque partout de médecins hospitaliers : à l’évidence, ce système ne fonctionne pas.
Si l’on optait pour le mode de régulation en vigueur en Allemagne, que se passerait-il dans les faits ? On ne répondrait que partiellement à vos préoccupations, mes chers collègues, car on commencerait par aider les zones les plus en détresse, à savoir les territoires ultramarins. Pendant plusieurs années, on se concentrerait sur leurs difficultés et non sur celles des déserts médicaux de métropole, sur lesquels vous insistez du reste à juste titre.
La régulation est un sujet de désespoir pour les étudiants en médecine ; je le confirme, c’est le spectre de la régulation qui les détourne de la spécialité de médecine générale.
J’entends aussi que la régulation est en vigueur chez les infirmiers, ou encore chez les kinés…
Mme Cathy Apourceau-Poly. Eh oui !
Mme Élisabeth Doineau. Elle est effectivement appliquée pour ces professionnels, mais, aujourd’hui, on ne manque pas moins d’infirmiers et de kinés. Vous voyez bien que la régulation ne répond pas à nos problèmes.
M. Bruno Belin. Et les pharmaciens !
Mme Élisabeth Doineau. En effet, les inscriptions en études de pharmacie sont, elles aussi, en baisse.
J’en suis persuadée : le déconventionnement serait vraiment très lourd de conséquences. En particulier, les jeunes médecins seraient fortement incités à opter pour le remplacement. Ce faisant, ils cesseraient d’assurer l’animation de nos territoires. Ce n’est donc pas une véritable solution face au déficit de médecins,…
Mme la présidente. Merci, madame Doineau !
Mme Élisabeth Doineau. … et je ne parle pas des problèmes de spéculation lors de la transmission des cabinets médicaux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Madame la ministre, vous dites que la médecine libérale, c’est la liberté d’installation : je l’entends. Mais la liberté des Français qui n’ont pas de médecin, quelle est-elle ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. Eh oui !
Mme Monique Lubin. Vous hochez la tête ; pour notre part, nous ne savons plus quoi dire à nos concitoyens.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Monique Lubin. C’est précisément la raison pour laquelle je vais voter certains de ces amendements.
Je n’ai vraiment aucun goût pour les obligations de cette nature. Mais l’enjeu aujourd’hui est le suivant, je le répète : que répondons-nous à nos concitoyens qui n’ont pas de médecin et ne peuvent pas se faire soigner ? Que répondons-nous à nos concitoyens qui, lorsqu’ils ont un pépin après vingt heures ou vingt et une heures, ne trouvent pas de solution, entre des urgences hospitalières qui ne sont plus toujours ouvertes à tout le monde et des médecins qu’ils ne peuvent plus consulter ? Que leur répondons-nous ? Que nous proposez-vous ?
Les médecins ne veulent pas de coercition ; ils entendent conserver leur liberté d’installation. On peut bien sûr le comprendre. On comprend aussi les citoyens qui ne peuvent plus se soigner correctement, faute de médecins. Très bien : mais, une fois que l’on a compris tout le monde, qu’est-ce qu’on fait ?
M. Bruno Belin. Et qu’a fait Jospin ?
Mme Monique Lubin. Pour notre part, nous proposons des solutions. Elles ne sont certainement pas parfaites ; j’attends donc que l’on m’en présente d’autres, afin que, demain, des médecins s’installent partout en France.
En son temps, Pierre Mauroy avait dit que tous les enfants de France, même ceux du Nord, avaient droit à des enseignants.
Mme Monique Lubin. De même, tous les citoyens, quels qu’ils soient, ont droit à des médecins !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Fichet. À en croire certains, les dispositions de nos amendements iraient à l’encontre des médecins…
M. Bruno Belin. Oui !
M. Jean-Luc Fichet. Pas du tout ! Nous voulons agir, non pas contre les médecins, mais pour les territoires.
M. Bruno Belin. C’est contre-productif !
M. Jean-Luc Fichet. Notre assemblée compte un certain nombre de médecins et, plus largement, de professionnels de santé ; mais nous sommes tous, d’abord et avant tout, des élus de territoires. Or, pour la plupart, ces territoires sont aujourd’hui en très grande souffrance. On ne peut plus l’occulter.
Face à cette situation, vingt-six ou vingt-sept textes de loi se sont succédé depuis dix ans. On a multiplié les abondements, les financements, les aides attribuées par les départements et les régions. On serait d’ailleurs stupéfait de la masse atteinte par tous ces crédits cumulés : en faisant le calcul, on constaterait que l’on a mobilisé des sommes absolument considérables, pour un résultat proche de zéro.
On insiste sur le fait que, lors du choix des spécialités, la médecine générale arrive désormais en quarante-quatrième position. Comment s’en étonner lorsque, à la suite de la récente proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau, on crée une dixième année d’études de médecine ?